DES LIVRES QUE J’AI AIMÉS
Martine LE COZ sort le 29 août 2001, un nouveau roman aux Éditions du Rocher. Il s’intitule "Céleste" et le titre à lui seul, ouvre bien des portes vers le ciel. Il rejoint par là, le noir Auguste de son livre "Léo la nuit".
Céleste est une jeune fille de 16 ans qui n’est plus tout à fait une adolescente mais pas encore vraiment adulte. Elle est belle, belle de la pureté de ses sentiments et de son espérance éclairée par un amour à peine effleuré :
"Pense à la grâce qui bondit et se donne et jamais ne se perd. Quoi qu’il t’advienne, retourne à la joie essentielle." (p. 198)
Derrière ce roman d’amour, il y a l’attrait de Martine LE COZ pour la peinture. D’ailleurs, l’oncle amoureux lui aussi de Céleste, est un peintre paysagiste et Martine LE COZ en profite pour brosser quelques tableaux, de larges coups de pinceaux avec les mots :
"Le ciel avait perdu sa luminosité. Des troncs d’arbres lugubres grossièrement badigeonnés, en attente de frondaison, barraient la toile fixée sur le chevalet. Paul gardait les yeux rivés sur la palette posée sur la table maculée. Les couleurs séchées semblaient se retirer dans la pâte ; leur rayonnement confisqué devait faire au fond une petite boule de soleil froid, jaune, orange ou vert. Il faudrait percer là-dedans pour que la palette accouche de sa constellation fabuleuse." (p. 51)
Mais les couleurs ne sont que le fond d’un tableau sur lequel se meuvent des personnages et surtout des idées fortes comme le racisme, la mort, sujets omniprésents chez cette romancière. La trame de ce tissage, c’est Paris en 1832, avec son épidémie de choléra et ce fait divers si meurtrier permet d’aborder la fragilité de notre passage sur terre aussi bien que des thèmes philosophiques entre mort et éternité :
"Jamais je ne me contenterai des évidences, avait laissé choir Céleste, les pommettes enflammées. Il me faut tout le reste : l’invisible et l’éternité." (p. 47)
Oui, Martine LE COZ a une soif immense d’idéal et d’élévation comme lorsqu’elle nous dit :
"De chaque malheur, je dois faire mon aventure. L’être insatiable mûrit lentement, ni joie ni souffrance ne le comblent jamais… D’autres aubes se lèvent, dans l’adversité." (p. 197)
Ces pensées la mènent à s’interroger sur notre culpabilité et le sens de la mort :
"Les jeunes, les vieux, et même les amoureux, ces émerveillés. Peut-être étaient-ils tous coupables. Tous." (p. 15)
"À vrai dire, mourir ou demeurer semblaient deux fautes égales. On était atteint par une affection qui avait probablement d’abord désolé l’âme. Paris était puni." (p. 14 et 15)
En opposition à ces images douloureuses de mort en série, il y a la grâce symbolisée par la présence de Céleste et ses idées toute neuves dans sa tête, idées qui foisonnent à l’éveil de l’amour :
"Céleste dansait d’un pied sur l’autre, les yeux ouverts comme des sourires. Des puissances éclatantes se répandirent dans la pièce. En ce tout petit instant, ils étaient devenus les otages d’une grandeur inconnue, de la splendeur d’une oraison mais au caractère implacable d’une promesse contractée dans un au-delà du monde." (p. 44)
Martine LE COZ sait très bien analyser les caractères. Certains ont dit qu’elle le faisait à la manière de BALZAC. Il est vrai qu’elle est très critique dans ses descriptions humaines et sait très bien montrer comment les gens agissent sous leurs impulsions, même des gens haut placés quand la panique ne leur laisse plus le temps de réfléchir. La passion amoureuse et la jalousie mêlées conduisent à des actes irrémédiables : C’est ainsi que Lodran, l’amoureux de Céleste, par le fait qu’il est médecin mulâtre, sera accusé à tort d’empoisonnement et de viol, et puni pour que l’affaire ne fasse pas de bruit et ne prenne pas d’ampleur alors que les principaux intervenants savent qu’il n’est pas coupable.
Le racisme, thème cher à Martine LE COZ, prend ici toute son ampleur comme dans ses autres livres "Le nègre et la méduse" et "Léo la nuit". Le racisme est toujours injuste. Tout jugement négatif est injuste, que ce soit pendant la traite des noirs, l’esclavage ou plus insidieusement dans un Paris dit évolué qui ne le crie pas ouvertement :
"Ma chère Louise, laissez-moi le temps d’élaborer un plan, voulez-vous ? Votre belladone n’est pas une preuve suffisante pour le meurtre, et pour le reste… (…) Louise, je tiens notre plan." (p. 193)
Le racisme est encore là, dans le refus des parisiens d’accepter les prostituées comme des êtres humains à part entière et l’air offusqué devant ce médecin mulâtre qui passe outre les conventions établies, leur parle comme à tout le monde, et accepte de les soigner Le racisme est encore là, dans ces gens qui veulent cacher à tout prix, la tare familiale comme le choléra car il ne peut atteindre les gens "bien" mais seulement le peuple mais l’épidémie n’a cure des idées toute faites et des préjugés et elle entraîne dans sa folie meurtrière, riches et pauvres, qu’elle saisit à bras le corps :
"Elle se tordait sous lui, cabrée à se rompre, une rosse, mais il tenait bon, trempé de sueur et de souillures puantes, la main saignante, les paupières brûlantes de larmes." (p. 68)
À côté de ces immondices annonçant la mort, il y a l’amour pur au contact des rejets puants de la maladie. La jeunesse de Céleste et sa pureté font ressortir l’horreur de la déchéance physique des mourants. Dans cette lutte contre la mort, contre le racisme, Martine LE COZ tient le cap grâce à l’amour omniprésent, l’amour qui tend vers l’absolu, l’invisible, l’amour idéaliste des amoureux, idéaliste puisqu’il ne se verront réellement que deux fois mais ces rencontres seront si fortes d’intensité qu’elles rempliront toute leur vie :
"Céleste, répétait-il en chemin, Céleste ! Avec toi, l’indicible s’affirme et prend corps." (p. 267)
L’amour prend alors sa dimension absolue, infinie, éternelle. Il dépasse toute frontière et le sens de l’entendement donc par là, même la mort :
"Un brin pour l’amant, et un brin pour l’amante, et le troisième, c’est l’espérance : la corde à trois brins ne rompt pas facilement… Elle se recoucha et s’endormit enfin, forme petite et douce dans la nuit poudrée de lumières." (p. 277)
Cet extrait clôt ce livre, quête de justice pure. Cette recherche va plus loin que les lois et les règles humaines vers l’absolu, l’indicible. Alors l’être humain fragile, trace fugace de passage sur terre, revient à son essence première de force vive par la pureté de l’élévation de ses sentiments. Puissions-nous, nous aussi, saisir l’indicible et nous mettre en route avec Céleste vers l’espérance "dans cette nuit poudrée de lumières" ! Puissions-nous nous aussi, tendre vers l’absolu à l’aube de ce vingt-et-unième siècle qui a tant besoin de dépasser le concret pour aller sur la route de l’espérance ! Que ce livre de Martine LE COZ soit pour nous une bouffée d’amour pur et un dépassement qui nous ouvrent des horizons insoupçonnés !
Catherine RÉAULT-CROSNIER
Juillet 2001
PS1 : Ce livre a obtenu le prix Renaudot, le 5 novembre 2001.
PS2 : Cet article a été publié dans VERTICALES, n° 23, Novembre 2001, pages 23 à 26. Il a été rajouté le commentaire suivant : "Martine Le Coz vient d’obtenir le Renaudot pour son roman Céleste. Bravo à elle et à Catherine Crosnier qui n’a pas manqué de sagacité puisque son article nous était parvenu bien avant l’attribution du prix. La Rédaction".
NB : Outre le présent
document, vous trouverez sur ce site trois autres articles écrits par
Catherine RÉAULT-CROSNIER sur Martine LE COZ : - Martine LE COZ, romancière
amboisienne contemporaine, auteur de "Le nègre et la méduse"
(Rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes du 24 août 2001) ; Martine LE COZ a participé aux "Murs de poésie de Tours"
avec "Le prisonnier" en 2001, "Chant
de l’humide bienfaisant" en 2002, "Chant
du mystère invisible" en 2003, "Ensemble"
en 2004 et "La beauté"
en 2005.
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