3èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 24 août 2001, de 17 h 30 à 19 h

Martine LE COZ,

ROMANCIÈRE AMBOISIENNE CONTEMPORAINE,
AUTEUR DE "LE NÈGRE ET LA MÉDUSE"

Portrait de Martine LE COZ, dessiné par Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Martine LE COZ, écrivain primé, a de nombreuses cordes à son arc : elle est surtout connue comme romancière. Dans cette étude, j’analyserai trois de ses livres qui représentent trois facettes de sa personnalité : tout d’abord, "Le chagrin du zèbre" publié en 1998 aux éditions du Rocher car ce petit livre de soixante-dix-huit pages est surprenant d’intensité et de poésie. Il nous fait découvrir Martine LE COZ en tant que poète. Ensuite, j’aborderai "Léo, la nuit" qui est un roman sur les thèmes de l’enfance maltraitée et du racisme. Enfin je parlerai de son dernier roman, le plus connu, "Le nègre et la méduse" où le racisme est à nouveau abordé.

Par ailleurs, elle est appréciée comme artiste ; elle a en effet débuté par l’art mais elle a trouvé que ses dessins, ses aquarelles ne lui permettaient pas d’aller aussi loin que l’écriture dans la transmission de ses pensées. Pourtant ses dessins sont très expressifs, flous de visages, silhouettes esquissées laissant place au rêve et vous pouvez en admirer quelques-uns sur les murs du manoir Saint-Thomas à Amboise, où elle vit. Son goût pour l’art explique le thème de certains de ses romans comme "La palette du jeune Turner" (éditions Littérature) dont le titre seul nous présente déjà le sujet.

Martine LE COZ exerce aussi comme graphologue à Amboise. Par l’écriture, elle a voulu aller plus loin dans ses pensées. Elle a alors mis noir sur blanc le fond et le plus profond de ses idées.

Pendant la lecture de la rencontre sur Martine LE COZ, le 24 août 2001

Dans "Le chagrin du zèbre", il y a égalité entre le noir et le blanc. Martine LE COZ veut relier l’origine du monde, l’Un, le passé au mystère de la vie et pour cela, accepter les différences comme une richesse, accepter le noir comme le blanc et ne pas mettre l’un au-dessus de l’autre. Elle nous le crie dès la première page de ce recueil, en s’adressant au lecteur :

"Le Chagrin du zèbre est né d’une douleur inexprimable en termes de raison, en deçà de la raison. La douleur plus profonde et plus ancienne, physique et muette, de l’homme séparé. (…) Ils étaient "l’Un et le même" ; ils deviennent autres." (page 5)

Avec elle, nous retournons à la Genèse, au début de la création du monde :

"Le premier homme, c’était moi." (page 11)

mais ce jaillissement à la vie devient angoisse de la différence :

"On m’a séparé, je suis deux et des milliers.
On m’a arraché, moi qui étais tout entier
J’ai un dedans et un dehors
Et quel est mon sort ?
" (page 11)

Ces paroles sont de plus un questionnement direct sur notre réalité avant notre naissance, sur le sens de cette vitalité de fécondation, sur notre devenir. Et la différence est déjà en nous :

"Suis-je dehors ? Suis-je dedans ?
Suis-je noir ? Suis-je blanc ?
" (page 12)

Nous devons nous situer dans le temps, dans l’espace et nous ne pouvons pas nier les contrastes, les oppositions. De là, des heurts, des guerres et pourtant nous sommes tous des humains :

"Noir et blanc font un couple, Clair et Obscur sont jumeaux, et le zèbre en courant les emporte sur son dos." (page 13)

L’image est belle, celle du zèbre qui nous emporte tous sans distinction, vers notre voyage, celui de la vie qui va passer à toute vitesse alors vivons pleinement. Notre vie tend vers la mort. Martine LE COZ nous le dit en poésie :

"Le premier vase, c’est la mort, et la première rayure, la douleur peinte en plein corps." (page 15)

Une vie d’apocalypse emmêle l’aube de la naissance au fouillis des corps qui se mélangent :

"Des hommes sans nombre boivent à la gueule béante et sombrent, pendus les yeux ouverts en lisière de désert, éventrés de cœur et d’âme, et des bouches sans nombre boivent à leur plaie." (page 17)

Vision d’horreur par laquelle tout humain passera et toute personne peut baisser les bras :

"Advienne que pourra." (page 21)

Mais "Dans le Noir, le voir s’agrandit à l’infini, s’allonge et multiplie." (page 23)

Alors le noir devient espoir :

"Dans le Noir, la promesse du sentir perdure et s’éternise au-delà de toute réalité." (page 24)

Martine LE COZ compare ces étapes à des vases, le premier, celui de la mort universelle, le deuxième, celui de la douleur, étape initiatrice, incontournable :

"Dans le zèbre, le mal bien réparti distribue la promesse, et la plénitude a son content d’expérience." (page 27)

Le chant des ossements y succède :

"La mort nécessaire mûrit dans son vase." (page 31)

De ce bouillonnement vital, jaillit la différence comme un enrichissement réciproque :

"Noir incongru, moelle du Blanc et précieux suc !
Le noir est le propre du Blanc et inversement.
Blanc incongru, moelle du Noir et précieux suc !
Le blanc passe par le Noir et le noir par le Blanc.
" (page 35)

Alors Martine LE COZ passe au chant de la lisière et de la séparation :

"Qu’il rejoigne le simple et l’Unique, et qu’ainsi il renoue avec l’essence primordiale qui lie l’homme à son être." (page 39)

De cette force, sort un souffle, l’âme :

"L’âme, dedans, veut un souffle, un passage et un franchissement." (page 47)

Bouillonnement de Noir, de Rouge, de Blanc mais le rouge sème le doute car il existe aussi bien chez le noir que chez le blanc :

"Le trouble du Rouge et le Rouge double et douteux, au fond des alliances, ils l’évitent, parce que le Rouge confirme la réalité d’un monde mélangé." (page 48)

Cette même idée est reprise dans :

"Le mystère de l’intériorité, c’est le Rouge humide" (page 52)

D’où naît sous la plume de l’écrivain, le chant de l’humide bienfaisant (page 55), battement de notre sang qui atteint le stade du mystère et de l’indicible (page 57).

L’écrivain chante le mystère de ceux qui sont mal dans leur peau, dans leur être, pour leur redonner espoir :

"Celui qui s’est perdu et ne s’est pas reconnu
Qu’il soit guéri et rendu à l’Universel !
" (page 72)

Le mystère, c’est l’invisible. Nous faisons tous un et ce livre est un traité de métaphysique, de philosophie à la lumière de la poésie. " Le chagrin du zèbre " c’est la douleur d’être autre, et en même temps, cette reconnaissance lui permet d’atteindre au mystère de la création et de tendre vers l’universel. Quelle belle leçon de sagesse derrière la beauté de la force des mots !

 

Quittons "Le chagrin du zèbre" pour partir avec "Léo, la nuit", roman édité en 1997 aux éditions du Rocher. Léo, c’est un autre univers, celui des enfants incompris et par ce biais, des incompris en général, c’est l’histoire d’un petit garçon dont la vie bascule parce que ses parents se séparent et qu’il ne peut pas comprendre cela. Il a douze ans alors il cesse de parler et son mutisme est une barrière de protection contre son refus d’accepter le monde de la réalité.

Sa grand-mère s’occupe de lui matériellement mais ne sait pas lui donner la chaleur affective dont il a tant besoin. Elle ne le comprend pas et dit de lui :

"Monsieur le Docteur, excusez-nous. Ce petit est une pierre." (page 48)

Mais lui, Léo, a mal de l’incompréhension des grands. Il reste muet mais pense. Il s’intéresse au voisin de la grand-mère, le noir Auguste et peut-être encore plus parce que ce dernier est rejeté par les autres. Là encore, se côtoient le noir et le blanc sans que l’un ou l’autre ait un côté péjoratif ; au contraire, le noir est espoir pour Léo qui s’y accroche de toute sa force muette. Le médecin a bien compris l’attachement de l’enfant à ce noir parce qu’il est différent. Martine LE COZ a l’art de nous parler du racisme avec force et douceur, force de l’injustice quand Auguste est tabassé la nuit, douceur quand l’homme noir pose sa main dans celle de l’enfant. Le médecin console Léo de la souffrance de son ami blessé :

"Le noir Auguste guérira, Léo, murmure le médecin, comme s’il entendait les pensées, lui aussi." (page 98)

Simples paroles mais mots immenses pour cet enfant perdu dans un monde hostile. Léo est attendrissant car il est naïf, dans sa manière de voir le monde avec ses yeux d’enfant comme par exemple lorsqu’il considère le médecin comme quelqu’un de très grand (page 102), très grand parce qu’il a beaucoup d’importance :

"Le médecin est si grand, pourtant. Il connaît le dehors et le dedans. Il sait que, derrière les corps de toutes les couleurs, il y a le même homme rouge, et il l’apprivoise." (page 102)

Léo voit le monde sous un autre angle et comme il baisse souvent la tête, les pieds l’intéressent beaucoup et son corps peut lui paraître étranger :

"Je vois des pieds chaussés de toile m’emporter dans l’escalier, dans le jardin, sur les chemins. Ce sont mes pieds, je les reconnais." (page 127)

Léo pense aussi à la mort :

"Mourir. Diminuer à soi-même, dissuadé et défait, et se dissoudre dans la lumière." (page 131)

Sa grand-mère le fait retourner sur terre dans le monde des grands alors il pense à Auguste, son ami et celui-ci lui redonne goût à la vie mais sa grand-mère s’acharne à lui montrer que son ami ne vaut rien :

"Pauvre Léo. Pense à ton père. Un homme, c’est blanc. (…) Qui te dit que sa couleur, le noir qui lui grimpe bien épais sur le corps, ce n’est pas une maladie de la nature ? Une genre de croûte." (page 137)

Pour faire mal, le racisme n’a pas de limites mais la volonté de Léo est tenace et il sait ce qu’il veut. Léo muet sait qu’il aime le noir Auguste et que le noir l’aime. Alors la connivence discrète de ces deux êtres unis dans leur différence, est émouvante. Elle est au-delà des mots. Elle nous enseigne la richesse de l’amitié au-delà des races, des idées toutes faites, des préjugés. L’amitié est un mystère insondable et si fort. Comme dans le "Petit Prince" de Saint-Exupéry, le renard connaît la valeur de l’amitié, là aussi Léo reprend goût à la parole, à la vie parce qu’il aime. Merci Léo pour ce beau message que tu nous confies à travers ta souffrance. Tu as su la dépasser à ta manière. Tu as trouvé un sage. Nous avons tous un sage à découvrir autour de nous c’est-à-dire quelqu'un qui nous apportera sa richesse par sa différence. Merci encore Léo pour ce cadeau d’amitié et de tolérance !

 

Martine LE COZ est attirée par l’infini. Elle nous dit : "il y a un écart entre soi et l’autre. Aimer l’autre, c’est aimer autre. Tendre les bras plus longtemps. Ce petit écart est la première idée de l’inconnu. L’homme est enfermé dans une prison, un asile où il est en esclavage." (conférence à la bibliothèque de Saint-Avertin, Indre-et-Loire, le 12 janvier 2001). C’est aussi la manière de cet écrivain d’aborder le racisme comme dans son livre "Le Nègre et la Méduse" (édité en septembre 1999 aux éditions du Rocher). Ce livre a failli recevoir le prix Renaudot et a reçu le prix Corail du livre maritime. Il part d’un fait réel, l’histoire du naufrage de la frégate, la Méduse, en 1816, au large des côtes du Sénégal : cent cinquante hommes prirent place sur le radeau ; quinze survécurent. Cet événement a inspiré à GÉRICAULT son tableau "Le radeau de la Méduse".

Martine Le COZ peint avec les mots, la victoire de l’esclavage, la conquête de la liberté, l’élan vers les cieux de toute âme car l’âme n’a pas de couleurs, elle n’est ni noire ni blanche, elle est pureté, transparence, présence en tout être sans distinction de race. Ici jaillit l’esprit, au cœur d’une réflexion profonde sur le destin de l’humanité.

Dans ce livre, "Le Nègre et la Méduse", l’écrivain nous parle d’un nègre qui est le héros de l’histoire. Son choix n’est pas banal : il veut combattre les préjugés, le racisme. Déjà le nom du héros n’est pas innocent : le nègre s’appelle "Alpha" ; il réunit les débuts du monde, l’immense, l’infini, la puissance de l’univers, l’Alpha et l’Omega à la fragilité de l’être de passage, trace de l’humain.

La mort est omniprésente dans ce roman. Dès le début, des hommes meurent de la cruauté d’autres hommes :

"J’étais avec les rebelles dans une grotte qui donnait sur l’océan. La marée allait nous recouvrir tous ; une punition des Blancs réservée aux révoltés des captiveries. Ça puait. On macérait ensemble dans ce trou qui aspirait nos forces et nos souffles mêlés de prières. Du temps passait, qui creusait l’être dans sa racine et raclait l’espérance comme les chaînes raclaient l’os, jusqu’à la détacher du miracle de vivre." (page 13)

Puis les hommes meurent de la puissance des éléments ou de mort naturelle :

"La nuit vint. La brise s’y mit. La mer grossit et acheva de tirer le bateau de son lit. Les vents soufflaient du large ; ils mordirent au bois et s’abattirent sur les hommes en rafales. La mer fumait et crachait ses torsades gluantes, ses balles d’eau noire ficelées d’algues. Elle léchait le pont de la Méduse, crémeuse, effervescente, ébranlait la coque, l’engloutissait avec des mugissements de possédée et la rendait fantôme, trempée d’un suaire livide, fardée d’écume, tragique et folle, assassinée un millier de fois." (page 132)

"Sous le ciel en fête, l’immensité de la mer et la profondeur silencieuse des espaces convoquaient chacun en son propre abîme, le sommaient de déceler la racine de son humanité, son germe et son essence." (page 152)

Chaque fois, le problème de la mort est posé et la mort devient douce, paisible, trait d’union entre ceux qui restent encore et ceux qui sont partis. Les mots prononcés par la romancière sont aussi un baume pour le malheureux. Et le nègre Alpha revoit les paysages, les visages disparus et emmêle leurs souvenirs à sa vie présente :

"Contre le noir, Alpha appelle les souffles de la terre, les ocres effrangés des toits de son village, le jaune tendre des gazelles et des antilopes, (…). Il appelle les images qu’il hisse jusqu’à son cœur à la manière d’une nasse. (…) C’est le courage qui sort du cœur d’Alpha. Il illumine la cale. Au fond de la cale, c’est sa fête flamboyante." (page 110)

"Oh ! s’endormir et naître à rebours, resplendir en l’épouse aux eaux paisibles ! (…) danser avec les ancêtres comme dans la maison commune, et poursuivre la quête du miel." (page 227)

Après une lutte sans merci pour la permanence de la vie, pour reculer l’échéance de la mort, le nègre deviendra le héros, le sauveur des rescapés. C’est lui qui verra le bateau qui viendra à leur secours :

"Ils le juchèrent, hissé, planté grand, planté haut dans le ciel comme un drapeau : au sommet de la pyramide humaine, par-delà l’entrelacs des corps dénudés ensauvagés ravagés, au bout de sa main, c’était leur salut." (page 228)

Mais leur sauveur vivra pour mourir ensuite, inconnu, sur un autre négrier comme si inévitablement, quelque soit notre destin, il nous conduisait toujours irrémédiablement à la mort.

Pourtant du début à la fin de ce livre, malgré le carnage, surnage une espérance, une force impalpable. Elle est déjà là dans la beauté de la mer même dans sa cruauté. Elle est encore là dans le chant des vagues et dans la poésie de la nature :

"Les étoiles pointaient, de connivence avec le cœur des hommes." (page 60)

Elle est toujours là dans le courage presque irréel de ce nègre, esclave, humilié, enchaîné mais qui ne perd jamais espoir et toujours s’élève même dans les profondeurs de la cale où ses voisins meurent et où il est enchaîné :

"Alpha, l’homme noir, se dresse de toute sa taille sur les épaules des autres hommes. La joie perfore les ténèbres et sa saillie engendre l’aube infinie." (page 229)

Ce livre pourrait être une expérience pessimiste devant la cruauté de la vie ; ce n’est pas le cas bien au contraire, il sait voler plus loin, plus haut, vers la beauté spirituelle, la grandeur d’âme. Cet être est aussi bien le zèbre enrichi par sa différence, le noir et le blanc, ou "Léo, la nuit", qui met sa petite main dans celle du noir Auguste. Alors les barrières de la mort sont anéanties. Ne reste plus qu’un être encore sur terre, le buste tendu vers l’au-delà, présence lumineuse, espoir pour l’humanité.

 

Martine LE COZ aura quarante-six ans en septembre 2001. Elle est romancière à part entière ; elle a écrit environ quinze livres. Ceux-ci sont riches dans leur diversité et la poésie des mots est omniprésente. Avec elle, nous partirons dans le tourbillon de ses romans sans jamais en être lassés. Cette petite femme nous surprend par la force de son écriture qui jaillit comme la lave d’un cratère pour brûler nos préjugés et nous enrichir de la fertilité de ses réflexions profondes. Elle sème les germes de la paix, de l’acceptation des différences. Alors grandit l’arbre de la sagesse et le zèbre n’en finit pas de courir partout annoncer la bonne nouvelle de l’homme pleinement homme depuis les origines et vers l’éternité. Oui, l’intensité de son écriture est étonnante et nous ne pourrons plus oublier son style et son message. Que cette conférence soit donc une invitation à lire ou relire les livres de cet écrivain qui n’a jamais fini de nous étonner.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

Martine LE COZ remercie Catherine RÉAULT-CROSNIER en lui offrant une gerbe de fleurs, 24 août 2001

Martine LE COZ remercie Catherine RÉAULT-CROSNIER en lui offrant une gerbe de fleurs.

 

BIBLIOGRAPHIE :

Martine LE COZ, "Léo, la nuit", éditions du Rocher, 1997
Martine LE COZ, "Le chagrin du zèbre", éditions du rocher, 1998
Martine LE COZ, "Le nègre et la Méduse", éditions du rocher, 1999
Martine LE COZ, extrait de sa conférence du 12 janvier 2001, à la bibliothèque municipale de Saint-Avertin, Indre-et-Loire.