15èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 30 août 2013, de 17 h 30 à 19 h

 

François Lacore,

poète « des mots contre les maux »

Portrait à l'encre de Chine de François Lacore, par Catherine Réault-Crosnier.

Lire la présentation de la rencontre.

Lire la présentation de François Lacore par Catherine Réault-Crosnier.

 

Intervention de François Lacore

 

Chers amis, je voudrais en un premier temps remercier Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier qui, depuis une quinzaine d’années, font retentir, dans les soirs d’été, la poésie sous les ombrages de ce jardin des Prébendes. Les remercier aussi, bien entendu, de me permettre cette fois d’être « poète en mon pays »…

J’ajouterai un petit merci particulier à celle qui a lu certains extraits inclus dans la présentation et qui partage depuis longtemps déjà la quête quotidienne de son poète de mari.

François Lacore le 30 août 2013, lors de la rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes à Tours.

Je voudrais ensuite ne pas oublier de saluer ici la mémoire de deux grands poètes dont vraisemblablement les ombres se promènent volontiers dans ces allées.

Ceux qui, parmi vous, ont eu le loisir de parcourir ce jardin, ont aperçu un buste de bronze que nous devons au talent du sculpteur tourangeau François Sicard (une petite brochure récemment imprimée par les soins de l’atelier patrimoine de la ville de Tours permet d’ailleurs de découvrir les diverses œuvres de ce sculpteur à travers la ville) : le poète représenté est Honorat de Bueil, connu sous le nom de Racan, dont un poème entre autres a assuré la célébrité. Il s’agit de L’éloge de la retraite, qu’il composa lorsque, lassé des ors et des intrigues de la cour de Louis XIV, il choisit de se retirer, jeune encore, dans ses terres de Touraine.

Thirsis, il faut penser à faire la retraite
La course de nos jours est plus qu’à demi faite (…)

O bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs !

Le second poète auquel je voudrais adresser un salut déférent est Léopold Sédar Senghor, premier académicien noir, avec lequel j’ai eu l’honneur de correspondre un peu et qui, lorsqu’il était professeur en un lycée de cette ville, aimait à se promener ici, car les arbres et le cadre lui rappelaient son Sénégal dont il était momentanément exilé. Je ne peux résister au plaisir de partager avec vous le très beau poème Jardin de France :

Calme jardin,
Grave jardin,
Jardin aux yeux baissés au soir
Pour la nuit,
Peines et rumeurs, toutes les angoisses bruissantes de la Ville
Arrivent jusqu’à moi, glissant sur les toits lisses,
Arrivent à la fenêtre
Penchée, tamisées par feuilles menues et tendres et pensives.
(…)

Je vais donc, ce soir, inscrire mon chemin poétique entre ces deux grands aînés et tous ceux d’entre vous qui voudront bien, tout à l’heure, lire tel ou tel de leurs textes.

On m’a laissé carte blanche mais je ne voudrais pas lasser mon auditoire ni sembler surtout me complaire dans une sorte d’autocélébration qui me paraît à cent lieues du travail modeste et secret de la poésie. Aussi est-ce à travers les diverses épigraphes de mes recueils que je vais rapidement retracer l’itinéraire qui fut le mien depuis ma première publication en 1975. Ce sera, me semble-t-il, une bonne manière d’en traduire la teneur sans vous imposer une seule et même inspiration ; cela mettra d’autant mieux en relief la multiplicité des voix dans le grand orchestre de la Poésie. Je m’attarderai un peu plus sur ma dernière publication, La lente progression des eaux suivi de Icare ne tombe plus !, qui nous a donné l’idée de choisir comme titre à cette séance Les mots contre les maux. Enfin, je répondrai volontiers aux questions que vous souhaiterez poser.

Un retour rapide donc sur un cheminement déjà long (doit-on en pareil cas dire « heureusement » ou « hélas » ?) :

1975. Une petite plaquette dont un jeune étudiant s’offre la publication sur ses fragiles deniers : Folioles de Paris suivi de Notre intimité. Folioles de Paris où j’évoque quelques impressions d’une année d’études dans la capitale. L’épigraphe de Jules Supervielle tient au fait que je passais Boulevard Lannes, au 47 précisément – c’est le titre du poème – devant une plaque indiquant que le poète avait séjourné dans cette maison :

« Si à l’écart du soleil de Paris et de sa lune
Que le réverbère ne sait plus s’il faut qu’il s’éteigne ou s’allume. »

Le second volet de cette plaquette intitulé donc Notre intimité est mis sous l’éclairage bienveillant de Paul Eluard :

Je vois la ville de ton rêve
Que tu seras seule à peupler
Du tourbillon de ta beauté… »

Deux ans plus tard, 1977, aux Paragraphes littéraires de Paris, Le Jardin de Vivre suivi de Fête des Lampes. Le Jardin de Vivre, première partie de cet ensemble, porte une épigraphe de René Char, l’un des plus grands poètes du vingtième siècle sans doute, dont on apprécie particulièrement la concision, l’exigence. C’est lui qui a écrit cette phrase exprimant bien l’une des difficultés du travail poétique : « Le poète se remarque à la quantité des pages insignifiantes qu’il n’écrit pas. »

« Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. Beaux yeux brûlés parachèvent le don. » Reconnaissez que René Char n’écrit rien de trop. À son exemple, j’adopte un style dépouillé, risque un poème d’un vers dont certains amis se moquent affectueusement et que, prudent, je réinsère dans un autre texte. « Demain est un jour qui peut fleurir ». Une des caractéristiques de ma poésie se manifeste, le goût pour les formes brèves, le rejet de la grandiloquence : « « En un siècle de palabres, évite le verbiage… » m’a simplement murmuré la source. »

Fête des Lampes, seconde partie du recueil, rappelle encore Eluard et sa volonté d’un partage amical dans une éternelle jeunesse :

« A la lueur de la jeunesse
Des lampes allumées très tard. »

En 1979, je publie Chroniques de la Maison de Diamant, dont Catherine Réault-Crosnier a parlé tout à l’heure, qui s’ouvre sur cette belle profession de foi du poète provençal Jean Malrieu : « Je crois en l’amour qui donne naissance aux dieux et aux jours. Au génie familier du lieu, à la voix qui monte des pierres, à l’imaginaire, aux vertiges, aux prodiges. Je crois aux victoires impossibles. L’abîme débouche sur les splendeurs quotidiennes. » Dès lors, c’est la pauvreté de notre quotidien, l’espace limité de nos maisons qui s’ouvrent sur un vaste univers, scintillant d’éclats dont nous le pensions dépourvu.

O maison faite de diamant
qui n’a de lieu qu’au bout du monde
où se fondent l’homme et l’enfant…

O maison d’ici de partout
Maison, ma fête de diamant,
Au cœur d’aucune ville au long du chemin
asile itinérant demeure entre nos mains…

Rien ne saura jamais quel qu’en soit le pouvoir
Mettre des barbelés aux franges de ton rêve.

Lors d’une intervention poétique en région parisienne, de jeunes élèves de Primaire me demandèrent pourquoi les années 80 se trouvaient singulièrement vides de publication. C’est tout simplement qu’alors, en étroite collaboration avec mon épouse, nous faisions monter au jour quatre enfants de chair qui requéraient, bien sûr, beaucoup de temps et d’attention, laissant reposer Erato, Polymnie et leurs consœurs.

Puis ce furent successivement, en auto-édition, L’Hiver de Terre d’Age suivi de Plage des courlis (1992), ouvrage aux tonalités romantiques, qui attendait patiemment son tour ; puis Escales d’encre suivi de Chemins-Parchemins (1994) – dont il a été question déjà et duquel j’ai extrait pour vous deux poèmes qui me paraissent s’inscrire dans le thème d’aujourd’hui. Le premier s’intitule Stèle ; c’est un bref hommage à un ami paysan qui mourut sur son lieu de travail. La séparation d’avec ceux que l’on aime n’est-elle pas l’un des maux qui pèsent sur chacun de nous ?

Stèle

C’est ici que tu nous quittas
Ce samedi de l’autre année
Ton cœur s’endormit sur le tas
Pour une éternelle journée

A la source de ton oubli
Les bœufs ont refusé de boire
Et le soleil a fait son lit
Dans les iris en ta mémoire

Le jour mûrit comme naguère
En un crépuscule aussi beau
Mais le chagrin nous mène guerre
Quand le vent soudain frise l’eau…

Le second extrait « A un ami tchèque » est dédié, comme le titre le laisse entrevoir, à un être soumis à la surveillance et à la contrainte d’un régime totalitaire. Car voilà bien aussi un mal contre lequel la plume du poète doit, fût-ce de manière un peu dérisoire, se lever.

A un ami tchèque

(Pour Robert Milos Prochazka)

Le poète est toujours le premier déchiré
Quand il voit la tristesse
Sachant pour l’effacer qu’il ne pourra donner
Qu’un peu de sa tendresse

Le poète est toujours le premier esseulé
Quand il s’est l’homme seul
Quand il comprend que seul il devra supporter
Les coups des masses veules

Le poète est toujours le premier torturé
Quand on blesse une femme
Le premier qui console et le premier moqué
D’aimer autant sa Dame

Le poète est toujours le premier surveillé
Par les yeux du Malin
Le premier que l’on frappe et le premier tué
En dehors du chemin

Le poète est toujours le premier malmené
Par un moment de guerre
Le premier à choisir le cri de Liberté
La fleur contre le fer

Le poète est toujours le premier crucifié
Quand il sent la misère
De l’homme anéanti de l’homme espionné
Jusque dans ses prières

Le poète est toujours le premier attristé
Lorsque pleure un enfant
Et premier à promettre et premier à donner
Une part de son sang

Le poète est toujours le premier à chanter
Quand l’orage se lève
Le premier à vouloir un jour réaliser
Le monde dont il rêve

En 1999, ce sont les Poèmes du premier siècle, salués par Léopold Sédar Senghor justement, et dont le titre intrigua quelque peu mes fidèles lecteurs. Mais 1999, c’était l’approche d’un nouveau siècle, d’un nouveau millénaire que le poète espérait bien connaître… J’en extrais, si vous me le permettez, un autre hommage, à un arboriculteur et viticulteur tourangeau cette fois dont le rire résonne encore en ma mémoire. Si, comme le disait ce même René Char, décidément à l’honneur, « un poème est toujours marié à quelqu’un », c’en est bien ici la vérification :

Je sais qu’avant de t’endormir
Tu as pensé très fort
A ces arpents de terre blanche
Où survivrait ta vigne…

Et ton angoisse fut :
A qui confier ces matins transparents
Où les doigts s’engourdissent
A tailler l’espérance
De ramille en ramille ?

Et qui viendrait dans les rangées
Mettre ses pas aux traces de tes pas ?
Qui courberait le dos
Pour écouter monter la vie au cœur des ceps ?
Qui sourirait dans le printemps
Quand les premiers feuillages habilleraient de neuf
Ton coteau ?

Et ton angoisse fut :
A qui donner la naissance du fruit
Et les soleils de juin
Et les roses caresses de septembre ?

Qui referait alliance
Et donnerait sa peine
Pour que les grappes bleues
Soient la nouvelle offrande de l’automne
Et que résonne encore
La joie des vendangeurs
Aux soirées du pressoir ?

Je sais qu’avant de t’endormir
Ton espérance fut
Que ta vigne vivrait…

C’est à René Guy Cadou, poète à l’œuvre conséquente déjà, mais qu’une mort trop vite survenue empêcha de poursuivre son admirable chemin que j’empruntais cette fois l’épigraphe : « Je n’invente pas, je crée. Qui dit invention dit intelligence. Qui dit création dit amour. » Reconnaissez avec moi qu’il s’agit là d’un bel art poétique…

En 2005, « Des châteaux de Mémoire suivi de Sous divers numéros d’opus » et parmi ces « numéros d’opus » une réécriture libre de La jeune fille et la mort qu’en 1977, La Nouvelle République du Centre Ouest, avait bien voulu remarquer dans le cadre de Jeux Floraux. Une nouvelle fois, c’est l’absence, la disparition, la fuite du temps et de la jeunesse qui se trouvent célébrées dans un hommage à une idéale jeune fille. Car la modeste plume d’un poète ose s’attaquer à l’implacable :

Tu deviendras le vent j’ouvrirai ma fenêtre
Et ton âme l’oiseau qui mange dans ma main
Tu seras la musique et je te chanterai
Présente au fond de moi comme le sang qui court
Tu seras le jardin aligné de troènes
Tu seras l’herbe folle au pavé de la cour
Tu deviendras le soir au bout de mon chemin
Tu deviendras la neige où je t’aurais posée

Tu resteras ma vie et j’aurai moins de peine

Ce thème n’est pas nouveau. Tout poète est alors un Orphée qui, par son chant, veut faire revivre ceux que le Temps a ravis et, avec un peu d’audace, il ose dire comme Virgile « Si mes chants ont quelque pouvoir, aucun jour jamais ne vous soustraira de la mémoire des âges… »

J’en viens, pour terminer, et comme promis, à quelques précisions sur le dernier né qui visiblement a touché de plus près Madame Réault-Crosnier, membre de l’Union mondiale des écrivains médecins. Il s’agit de La lente progression des eaux suivi de Icare ne tombe plus ! L’épigraphe est empruntée à un sage oriental Lao-Tseu : « Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres. » Certains aspects de ce recueil ont été d’ailleurs présentés. Disons que l’angoisse à conjurer est ici la disparition progressive de tout ce qu’un apprentissage méticuleux a pu mettre en place, le démantèlement de la mémoire sans laquelle on ne peut vivre. En une sorte de petite pièce de théâtre à différentes voix, j’ai voulu honorer toutes les personnes qui rendent plus douce la terrible épreuve de l’effondrement. Cette « lente progression des eaux » (je me rappelais alors l’évocation de l’engloutissement des villages de Tignes ou d’Eguzon) met à mal le vocabulaire et les repères humains. La voix de la femme qui appelle à l’aide manifeste notre faiblesse face à cette catastrophe, les mots de la jeune fille, qui est la seule à être reconnaissante au vieux Maître, c’est notre voix à tous quand nous essayons de combler le fossé, de compenser un peu de la déchéance… et ces instants de lucidité de l’homme, c’est l’image même de ces maux devant lesquels nous ne devons pas nous voiler la face que nous devons tenter d’adoucir par notre présence, et que nous, poètes, à qui l’on a donné le pouvoir d’écrire, nous avons pour tâche d’apaiser par nos mots. « Icare ne tombe plus ! », petit récit en prose, donne une teinte d’espoir à cet ensemble.

J’utilisais, en commençant, la métaphore de l’orchestre, pour signifier à quel point les voix de la poésie sont multiples et combien chacune est irremplaçable, même celle du piccolo ou du triangle… Donnez-moi, si vous le voulez, la place du violon alto, moins éblouissant que son petit frère à la chanterelle virtuose, mais dont le vibrato a cette chaleur et cette profondeur qui conviennent bien à ce que Maxime Gorki appelait joliment « ce beau métier d’être homme sur la Terre »…

Je vous remercie de votre attention et vais tâcher de répondre à vos questions…

 

François Lacore

 

Échanges avec le public :

Catherine Réault-Crosnier : Y a-t-il des questions ? (…) Pour commencer, je vous pose la première : Quel est votre livre préféré, livre de vous et livre de votre auteur préféré et aussi votre poète préféré ?

François Lacore : Alain-Fournier, Le grand Meaulnes. Je crois que c’est celui que j’emmènerais sur une île déserte. Il a une manière de recréer un monde et surtout la patience de ne pas publier trop vite, son œuvre. Les manuscrits sont intéressants. Si Alain-Fournier avait publié son livre en 1907, on n’en parlerait plus ou peu. Il a attendu six ans supplémentaires (on fête cette année, le centenaire de la publication). Ce sont six années de travaux intenses, de questionnements, d’angoisse pour produire un livre d’une remarquable limpidité. Je suis persuadé qu’on doit pouvoir dire des choses très fortes avec des mots très simples. Supervielle disait aussi que dans sa poésie, il allait chercher les mots les plus simples pour leur faire un peu fête parce qu’il y a des mots de notre beau vocabulaire qui ne sont pas assez honorés. Alain-Fournier a le charme (ce n’est pas toujours perçu à la première lecture par les jeunes lecteurs) de trouver exactement le mot juste qui nous permet ensuite, à nous lecteurs, un siècle plus tard, d’avoir toujours des impressions très fortes.

Quel poète je préfère ? Je préfère tel ou tel poète à tel ou tel moment. Évidemment, j’ai un immense respect pour La Fontaine. J’ai eu la chance de naître le même jour que lui, mais pas la même année. Je ne sais pas si c’était un signe du ciel. J’admire La Fontaine pour la qualité, l’originalité et la variété de son art. Comme chacun d’entre vous sans doute, tel ou tel jour, je préfère un poème de tel ou tel et un autre jour, il ne me dit rien.

Quel recueil de moi-même, je préfère ? Je ne peux pas répondre car quand on a des enfants, on les aime tous. Je n’ai pas fait de différence avec mes enfants de chair, je ne vais pas faire de différence avec mes enfants de plume. Si j’en avais un à aimer plus, ce serait peut-être celui qui a reçu le moins de lauriers. J’aime assez une phrase d’un auteur allemand qui dit : « Ne me donne pas trop de lauriers, frère, garde-les pour l’assaisonnement. » C’est assez bien.

J’aime toutes mes œuvres jusqu’à maintenant. Les relisant de temps à autre, je n’ai pas trop honte de les avoir écrites. Je n’ai pas une fierté non plus incommensurable. N’est pas Aragon ou René Char qui veut. On fait petitement mais ce que je vous ai dit tout à l’heure, le violon solo est virtuose et il faut aussi des violons altos un peu plus calmes dans l’orchestre. Il faut aussi un triangle qui sonne une fois de temps en temps. Il faut le faire au bon moment. Est-ce que j’ai répondu à votre question ?

Catherine Réault-Crosnier : Oui, tout à fait. Les élèves ont peut-être des questions à poser à leur professeur ?

François Lacore : Alors les élèves ? Ce qui fait plaisir aussi, c’est que j’ai des élèves qui vont bientôt prendre le relais puisque Racan faisait l’éloge de la retraite, cela m’arrivera un jour, je pense. À ce moment-là, j’ai de jeunes plantes qui vont me remplacer et qui me remplacent déjà et qui sont aussi de bons poètes parce que j’ai essayé de leur transmettre cette maladie un peu au moinsde ne pas en écœurer les élèves. D’ailleurs, cela me paraît important.

Il y a un lien entre professeur et poète. Giono – on en parlait tout à l’heure –, a dit : « Le poète est un professeur d’espérance. » J’adhère tout à fait à cette idée. Encore une fois, d’autres peuvent avoir d’autres conceptions de la poésie ; c’est une voie multiple.

Catherine Réault-Crosnier : Et tu es aussi un semeur de poésie comme tu as dit, pour faire pousser de jeunes plantes.

François Lacore : Voilà. Et ça pousse.

Catherine Réault-Crosnier : D’autres questions dans le public ?

Une dame : Combien avez-vous fait de poèmes, de livres ?

François Lacore : De livres publiés, huit. Les derniers en autoédition. C’est une expérience intéressante car on voit le bébé naître d’un bout à l’autre. On a toujours un peu en poésie, des problèmes avec les éditeurs. Ce n’est pas un secteur du tout rentable. On n’écrit pas pour faire fortune. Il faut avoir une poire pour la soif. – Je le dis pour les jeunes –. L’autoédition permet de voir d’un bout à l’autre, l’aventure. On n’est pas du tout aidé – j’espère qu’il n’y a pas trop de libraires dans l’assistance –, par les libraires qui nous considèrent un petit peu pour des francs-tireurs. Mais je l’ai dit tout à l’heure, le poète aime la Liberté avec un L majuscule donc on fait l’aventure et puis cela marche ou cela ne marche pas. J’ai publié actuellement huit recueils de poèmes, souvent avec deux volets différents. C’est pour cela que vous avez entendu Escales d’encre suivi de Chemins-Parchemins, c’est-à-dire qu’il y a souvent deux parties qui se répondent un petit peu. J’ai dans mes arcanes, d’autres choses qui se préparent. J’ai deux petits romans pour enfants, que je garde. Maintenant, j’ai des petits-enfants donc je vais commencer à m’en soucier. Un roman aussi alors pour battre Alain-Fournier, non pas en qualité mais en durée. Cela fait, je ne sais pas combien d’années que j’ai passées à le modifier. Je ne sais pas si un jour,… mes enfants, à titre posthume, en feront quelque chose. Je ne sais pas. Mais je continue à écrire de temps en temps. Je ne me sens pas obligé, comme Maurice Carême le faisait, d’écrire un poème tous les jours. Il m’arrive d’avoir aussi d’autres activités. J’aime bien la phrase de Saint-John-Perse : à la question toujours posée, pourquoi écrivez-vous ? La réponse du poète sera toujours la plus brève : « Pour mieux vivre ». Mais pas pour vivre simplement car ce serait difficile.

Catherine Réault-Crosnier : D’autres questions ?

François Lacore : On pourrait peut-être entendre d’autres voix, non ? Ou je lis quelques petits extraits de mon dernier recueil ?

Catherine Réault-Crosnier : C’est vous qui choisissez mais vous avez encore du temps, sans problème.

François Lacore : Je vais vous lire un ou deux poèmes pour vous donner un aperçu. Le premier poème de La lente progression des eaux est considéré comme une lettre d’une femme dont le mari serait atteint de la maladie d’Alzheimer et qui perd progressivement, et il s’en rend compte, elle s’en rend compte, sa mémoire.

     Lettre d’angoisse
de la Femme du Maître

Se souvenir
comme tenir
contre la lente progression des eaux

Vers vous je crie
Et vous écris
vous qu’il disait ses disciples chéris

Reconnaissance

Redonnez-lui
sa connaissance

Et de temps en temps, l’homme dans des moments de lucidité – Lucidité I, Lucidité II –, se rend compte de ce qu’il a. Je termine là-dessus :

 

Lucidité -1-

Honte sur moi
Pour être encore

en n’étant plus

Tel Cyrano quand il reçut
Tombées du toit
Poutre et solive
Tête fendue

Honte sur moi
N’offrant présent
Que de l’absence
Quand je dérive

Puis le dernier poème que vous pouvez écrire vous-même d’ailleurs :

La dernière page était blanche.

 

Catherine Réault-Crosnier : N’hésitez pas à lui demander son livre. Je sais qu’il en a apporté quelques-uns.

François Lacore : Mais mon plaisir ne serait pas tout à fait parfait si je n’entendais pas d’autres poètes.

Catherine Réault-Crosnier : Encore un grand merci à François Lacore parce que sa poésie peut peut-être surprendre certains mais c’est une poésie qui mérite vraiment d’être écoutée, reprise, approfondie.

 

Alors les poètes présents prennent la parole au micro, pour clore cette rencontre.