15èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 30 août 2013, de 17 h 30 à 19 h

 

François Lacore,

poète « des mots contre les maux »

Portrait à l'encre de Chine de François Lacore, par Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de cette rencontre.

 

Présentation de François Lacore par Catherine Réault-Crosnier

 

François Lacore est né en 1953, à Tours où il habite toujours. Étudiant, il a publié Folioles de Paris (1975) puis Le jardin de Vivre (1977). Professeur de lettres classiques, il a animé un club de poésie pendant de nombreuses années. Son recueil Chroniques de la Maison de Diamant (1979) a obtenu le grand prix de l’Arche d’Or des poètes en 1983. À travers ce livre, nous apprenons que François Lacore a passé les vacances de son enfance dans une vieille maison de campagne, une demeure de charme qui l’a marqué et lui a permis de se retrouver près du « pouvoir purificateur de la grande nature éternelle » (Pierre Espil, Remise du Prix de poésie Maurice Rollinat 1986, Bulletin des Amis de Maurice Rollinat n°25, p. 33).

Le public lors de la rencontre littéraire consacrée à François Lacore, le 30 août 2013, dans le jardin des Prébendes à Tours.

En 1986, à l’âge de trente ans, il a obtenu pour son recueil Escales d’Encre, un prix de poésie très côté, le 41ème prix de poésie Maurice Rollinat qui n’a qu’un seul élu par an. Pierre Espil, président de ce prix, romancier, biographe et publiciste, (spécialiste de Francis Jammes qu’il côtoya jusqu’à sa mort), prix Maurice Rollinat en 1952 (pour un ensemble de vers Anxiétés), l’avait présenté comme un « apôtre de la Poésie » (id., p. 32).

Dans le poème « Veillée du soir », la limpidité, la transparence, caractéristiques de ce poète, dominent à côté de l’âme de George Sand avec les farfadets qui nous rappellent La petite Fadette (id., p. 33) :

VEILLÉE DU SOIR

Nous rentrons, l’écharpe du soir
Accrochée au cou de nos ombres.
Les tilleuls sont farfadets noirs
Sur le velours du ciel bleu sombre.

Dans l’âtre endormi, tu rallumes
La joie des rêves partagés.
Or, quittant son foulard de brumes,
La maison se met à chanter,

De sa voix sourde de secrets
De confidences, de prières,
Nous nous taisons pour l’écouter
Raconter sa vie centenaire…

François Lacore a aussi su conserver la grâce et la pureté de la poésie classique comme dans son poème « À pas feutrés » à mi-chemin entre délicatesse de la nature et rêve près des anges (id., p 35) :

À PAS FEUTRÉS

Nous rentrerons à pas feutrés
Pour ne point déranger les anges
Endormis en les foins des granges
Et ressemblant à nos étés…

Dans les jardins ensommeillés
Où l’on amusait les mésanges,
Nous rentrerons à pas feutrés
Pour ne point déranger les anges…

François Lacore a aussi participé à tous les « Murs de poésie de Tours » de 1999 à 2006.

En 2000, il a reçu le prix Paul Verlaine de l’Académie française, pour son livre Poèmes du premier siècle. En novembre 2012, il a renoué avec l’association des Amis de Maurice Rollinat et a été nommé en 2013, président du prix de poésie. Il vient de faire paraître (fin 2012) La lente progression des eaux suivi de Icare ne tombe plus, recueil composé de poèmes à plusieurs voix, décrivant le combat contre l’implacable maladie d’Alzheimer. La seconde partie Icare ne tombe plus ! écrite en prose poétique, est un conte pour nous redonner espoir dans la lumière.

 

Son œuvre

François Lacore écrit des poèmes depuis son enfance.

Suivons sa route de poésie au fil des années. Vous pourrez constater que son élan reste identique empli de délicatesse, de sensibilité et de grandeur d’âme.

Citons un de ses poèmes de 1971, publié dans son recueil Escales d’encre suivi de Chemins-Parchemins. N’oublions pas qu’il avait alors dix-huit ans. Sa poésie possède déjà toute l’ampleur de sa beauté et les mots leur justesse d’expression. Ce poème est adressé à ses parents prouvant l’importance du lien qui l’unit à eux et en même temps la fragilité des sentiments qui peuvent se consumer telle une pinède face à l’incendie et telles nos vies qui peuvent partir en fumée.

PINÈDE

À mes parents

Pinède
Qui brûla ton sanctuaire
Qui troubla ta prière
De soleil et de cigales

Grands pins
Tordus sur la terre aride
Quel conquérant trop avide
Osa

Vent d’est
Toi qui chantais dans leur toison
Pourquoi sans raison
As-tu trahi

De la pinède
Il n’y a plus sous le vent
Que ce parfum qui tristement
S’élève

Ton cœur
Ressemble à la pinède
Aux grands pins face à la mer
Hier si beaux
Aujourd’hui la proie du feu
Demain cendre

(http://eloge-de-l-arbre.over-blog.com/article-pinede-108676773.html)

Cette pinède rejoint d’une certaine manière, la déchéance de l’arbre :

L’arbre meurt aux coups de hache,
Mais l’horizon seul est blessé,
Quand, du ciel, l’oiseau se détache,
C’est l’azur qui est déchiré.
(cité par Pierre Espil, BAMR n° 35, p. 36)

Son poème « Lave la pluie » extrait d’Escales d’encre, a des accents verlainiens : « Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville…. » (Verlaine, Romances sans paroles, p. 6) mais François Lacore à la différence de Verlaine, ne reste pas dans le spleen de la désespérance ; il sait aussi reprendre espoir et confiance et finir par l’or de l’amour.

Lave la pluie
Le cœur souillé
Puis que mouillé
Le vent l’essuie

Fleurisse un jour
Nouveau sur terre
Où chien qui erre
Ait son séjour

Aux étendues
De la raison
Qu’il soit maison
D’âmes perdues

Le troubadour
Y vienne encor
Jeter son or
Et dire son amour

(Exposé au « Mur de poésie de Tours », 2006)

François Lacore a aussi loué la Touraine et le Berry dans ses écrits. La Touraine y est à l’honneur comme dans ce poème exposé au « Mur de poésie de Tours » en 2005, abordant Ronsard en son prieuré de Saint-Cosme à La Riche :

Ici fut la demeure d’un poète
Comme un rêve posé de biais sur le chemin
Une étincelle un caillou de comète
Parmi les cendres du matin

Ici fut le jardin du premier jour
Où l’enfant découvrit que la terre est merveille
Le paradis qu’il habilla d’amour
Et butina comme une abeille

Ici fut le livre d’or du mystère
Le premier alphabet des instants chaleureux
L’encrier où sa plume a puisé la lumière
Le parchemin des jours heureux…

Ce monde ne soit rien pour l’œil indifférent
Qui ne voudra pas voir en passant vite
Mais pour ton âme à toi qui viens aimant
Qu’il soit ici domaine où le bonheur invite !

François Lacore nous fait aussi partager ses visions de voyage, par exemple en Italie, à travers la belle Florence et plus particulièrement, le Ponte Vecchio, haut lieu touristique de cette ville et trace du passé, gardien de l’histoire. L’amour du poète pour la beauté de la nature est discrètement introduit à travers les chants d’oiseaux et la lumière palatine. Les empreintes artistique et mystique, caractéristiques de l’Italie, sont présentes à travers « l’instant béni », le « couvent de San Marco » et les fresques « de Frère Angelico » :

Ah monter encore à San Miniato
Par le clair chemin de douce vacance
Voir soudain rosir le Ponte Vecchio
Quand le soir étreint la belle Florence...

Flâner dans les jardins de Boboli
Où les oiseaux toscans chantent matines
S’emplir le cœur du Printemps de Botticelli
Se dorer l’âme à la lumière palatine...

Goûter l’instant béni qui va fleurir
Les chambres du couvent de San Marco
Et toujours colorer ton souvenir
Des merveilles de frère Angelico…

(Exposé au « Mur de poésie de Tours », 2004)

François Lacore garde le souvenir des drames de la guerre, en particulier ceux de la guerre de 1940 qu’il n’a bien sûr connue que par parents interposés. Son humanisme lui fait exprimer sa tristesse profonde devant l’injustice de ceux qui meurent de froid ou de faim. Cette expression ressort encore plus à travers l’image d’une frêle petite fille, en l’occurrence sa mère dont la demeure vient d’être anéantie par les bombardements de la rue Marceau à Tours. Là encore la présence d’une croix en final, montre bien la douleur figée du malheur en même temps que l’empreinte mystique du poète :

RUE DES RUINES, FÉVRIER 1941

Je pense à toi petite fille
Pliée par la faim et le froid
Qui vas retrouver ta famille
En traversant le grand effroi…

Ô pauvre enfant dans la déroute
Entre les ruines des maisons
Avec pour compagnon de route
Le loup hurlant des horizons.

C’était si beau chemin naguère,
Les pas chantaient sur le trottoir
Et ton âge embrassait la terre,
Midi avait un goût d’espoir.

Tes parents t’attendent, courage !
Dans leur abri de réfugiés :
Vous survivrez de ce naufrage,
Votre amour vous aura sauvés

Mais, douce, tu méritais mieux
En ce calme jardin de France
Que de courir le ventre creux
Portant une croix de souffrance.

(Exposé au « Mur de poésie de Tours », 2002)

François Lacore ne peut rester indifférent devant la misère humaine qu’il associe, par exemple, au froid de l’hiver.

FROIDURE

Les doigts de l’hiver
Aux ongles de fer
Griffent ton visage

Et la rue qui glisse
A mis sa pelisse
D’hermine sauvage

Dans le ciel gelé
Le vent fait voler
Une feuille morte

On croirait qu’un loup
Hurle comme un fou
Sous la grande porte.

Je suis bien heureux
D’avoir, près du feu,
Ma petite place

Mais je pense à toi
Qui, ce soir, n’auras
Que ton lit de glace…

(Exposé au « Mur de poésie de Tours », 2003)

François Lacore sait aussi nous parler directement en ouvrant les guillemets pour nous confier : « Il serait dommage de ne pas y glisser mon cœur, (…) » Cette image du cœur entre peine et bonheur est un hommage et une empreinte de ses sentiments pour qu’une flamme revive :

Voyez : j’ai bien fait d’accrocher
Au mur ce modeste costume
De velours de mots et de plume,
Je savais que vous passeriez
Et diriez : « Il serait dommage
De ne pas y glisser mon cœur,
Coudre ma peine ou mon bonheur,
Lui redonner un peu visage… »

Merci de vous être arrêté,
D’avoir prêté corps à mon âme,
À mon bois jeté votre flamme…
C’est vous qui m’avez fait chanter.

(poème spécialement créé pour le « Mur de poésie de Tours », 2001)

Sensibilité, délicatesse et vers ciselés en poésie classique sont des caractéristiques de François Lacore comme dans ce poème :

Merci pour la délicatesse
De votre visage ce soir
Merci pour les mots de tendresse
Qui nous ont fait fleurir l’espoir

Merci pour le vin de la joie
Et la douce mie de vos pains
Pour la lampe au bout de la voie
Pour l’étoile au long des chemins

Merci d’avoir été musique
Quand le monde n’était que bruit
D’avoir été l’aube magique
Lorsque nous redoutions la nuit

Merci pour la grandeur donnée
Aux petits élans de nos cœurs
Merci pour la vie partagée
Multiplication du bonheur

Merci d’avoir été présence
Aux frimas de nos carrefours
D’avoir au frisson de l’Absence
Posé le manteau de l’Amour.

(Exposé au « Mur de poésie de Tours », 2000)

Mais revenons à son recueil le plus récent La lente progression des eaux suivi de Icare ne tombe plus ! Dans ces deux ensembles, « l’art et l’amitié semblent le remède à la mort » d’où le titre qu’il a choisi pour cette rencontre littéraire « Des mots contre les maux ». François Lacore veut nous faire partager une certaine philosophie de vie jamais défaitiste. Il nous cite Lao-Tseu : « Mieux vaut allumer une bougie / que maudire les ténèbres. »

La première partie de ce livre évoque avec délicatesse, le combat contre la maladie d’Alzheimer, fléau de notre époque, qui ronge les mots, disperse vocabulaire et syntaxe, détruit tout : « Les mots sont des trésors fragiles, comme les hommes… ». Même si l’eau est dévastatrice « Et la rivière sauvage / Engloutira le paysage », « la ville basse est menacée », la quête de l’amitié persiste, « comme une main tendue », près de l’absence, du spleen, du regret dans « Lucidité -1- », d’un chant d’amour et d’ombre dans « Lucidité -2- », d’un rêve d’alliance avec l’arche de Noé, malgré l’empreinte de la désespérance, « L’espoir est dans le lac », de la tristesse quand tout part en fumée, de l’emprise de la mort « Comme un ogre dévore », de la déchéance intellectuelle, « Des cris vains » et toujours près de l’eau qui coule au fil de ce recueil comme celui de notre passage sur terre. « Les mots sont des trésors fragiles comme les hommes… ».

La seconde partie en prose poétique emplie d’espoir, est présentée comme un conte où « la grâce de l’amour », « la magie de l’Amitié », peuvent recréer le monde et effacer la frontière de la douleur et de la mort, pour un état de grâce : « Il est mort, (…), celui qui m’avait donné des ailes », mais si chacun peut aller plus loin, alors « Icare ne tombe plus ! ».

Dans ce livre empli de délicatesse, l’amour est plus fort que toute mort.

Terminons en citant le poète : « J’aime bien la phrase de Giono qui dit dans Jean le Bleu : « Tu sais ce que c'est la poésie ? Si, quand tu seras un homme, tu connais ces deux choses, la poésie et la science d’éteindre les plaies, tu seras un homme… » (courriel du 24 janvier 2013) Nous comprenons alors encore mieux que François Lacore ait soif de nous transmettre son message pour soigner nos maux par l’écriture tel un docteur de l’âme en poésie.

 

Catherine Réault-Crosnier

 

Bibliographie

François Lacore, Escales d’encre suivi de Chemins-Parchemins

François Lacore, La lente progression des eaux suivi de Icare ne tombe plus !

Paul Verlaine, Romances sans paroles, Librairie Léon Vanier, Paris, 1891, 55 pages

Bulletin de la Société "Les Amis de Maurice Rollinat" (BAMR), n° 35, 1996

http://eloge-de-l-arbre.over-blog.com/article-pinede-108676773.html (consulté le 11 mars 2013)

Pierre Espil, « Il aima la poésie » (http://www.hazparne-karrikaizenak.com/mapage3/index.html) (consulté le 11 mars 2013)

 

(NB : Le 30 août, les poèmes de François Lacore inclus dans cette présentation ont été lus par sa femme Michelle.)

 

Lire l’intervention de François Lacore.