14èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 31 août 2012, de 17 h 30 à 19 h

 

Jean-Luc Moreau, poète,

du jardin de la France aux jardins de Babel

 

(transcription d’après l’enregistrement effectué le 31 août 2012, révisé par Jean-Luc Moreau)

Jean-Luc Moreau le 31 août 2012, lors de la rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes à Tours.

Lire la présentation de la rencontre.

Lire la présentation de Jean-Luc Moreau par Catherine Réault-Crosnier.

 

 

Mes chers amis,

Je suis très touché de me trouver dans ce jardin, pour la raison que Catherine vient de vous exposer. J’ai même un regret : lorsqu’elle m’a demandé un titre pour cette soirée, je lui ai proposé « Du Jardin de la France aux jardins de Babel ». J’aurais pu dire « Du jardin des Prébendes aux jardins de Babel ». Ce jardin, en effet, est celui de mon enfance. Non seulement j’ai vécu, mais je suis né rue Charles Martel, car à cette époque, avant la guerre, les femmes n’accouchaient pas forcément à la clinique. C’est au numéro 24 bis, qui existe encore je crois, que ma pauvre maman a souffert. Je suis allé à l’école à deux pas d’ici ; plus qu’ailleurs je me sens chez moi dès que je suis à Tours, si ce n’est que je continue à donner à certaines rues des noms qu’elles ne portent plus – et qu’ignorent bien des Tourangeaux : la rue de l’Alma (souvenir, avec d’autres, de la guerre de Crimée), où habitaient mes grands-parents paternels, aujourd’hui rue Roger Salengro ; la rue de Paris, à laquelle mes parents, qui y avaient habité, n’ont jamais donné d’autre nom, mais qui porte, depuis longtemps déjà, celui d’Édouard Vaillant ; la rue du Gazomètre, devenue la rue Delpérier. Et c’est vrai, je suis allé à l’école buissonnière – j’en suis fier –, cette école Ferdinand Buisson qui, comme son nom l’indique, ne pouvait pas être une école pour gens sérieux. Je n’y suis pas entré en sixième (la sixième de l’école primaire, équivalent de l’actuel CP), à cause des bombardements. Le bâtiment de la place Thiers (aujourd’hui place de la Liberté) était occupé par les Allemands ; le drapeau à croix gammée flottait devant sa porte. Je garde en tête un récit de ma mère concernant un bâtiment scolaire situé, provisoirement sans doute, au coin de la rue de Boisdenier et de l’avenue de Grammont, et sur lequel une bombe serait tombée pendant la nuit, sans faire de victimes, du moins parmi les écoliers. Je n’ignore pas que la mémoire recompose parfois à sa façon les éléments du passé ; peut-être serait-ce à vérifier. Toujours est-il que j’ai bien usé mes fonds de culotte à deux pas d’ici, d’abord en cinquième et en quatrième, rue du Cluzel, puis en troisième, dans une maison que, sans les arbres, vous pourriez voir, de l’autre côté de la rue, au coin du boulevard Marchant-Duplessis. Une maison que vous aussi, Catherine, mais bien plus tard, avez également fréquentée. Ensuite je suis entré en sixième, celle du lycée Descartes (on dirait aujourd’hui du collège).

« Du Jardin de la France aux jardins de Babel », pourquoi ce titre ? Pourquoi surtout sa deuxième partie ?

Il y a quelques années, j’ai intitulé Les jardins de Babel un article qu’un de mes amis, directeur d’une revue orléanaise, m’avait demandé pour le numéro spécial qu’il préparait sur « la beauté des langues ». La tour de Babel, c’est la folle prétention des hommes, et leur punition : la diversité des langues, la confusion qui s’ensuit dès lors qu’ils ne se comprennent plus. Les jardins de Babylone, c’était l’une des sept merveilles du monde. Par « jardins de Babel », j’ai voulu suggérer que la diversité des langues n’était pas une malédiction, mais une richesse, que les langues étaient comme les divers jardins de la cité humaine, des jardins où la poésie s’épanouit. Soit dit en passant, je me suis aperçu récemment que j’avais tendu là un vrai piège aux traducteurs. En français, selon qu’il s’agit de la tour ou des jardins, nous disons Babel ou Babylone, alors qu’il s’agit de la même ville. Beaucoup d’autres langues, le russe par exemple, ne lui connaissent qu’un seul nom.

Mais le jardin de la France, notre Touraine, est aussi, pour moi comme pour vous tous, terre de poésie. Des poèmes, j’ai commencé à en écrire « à Descartes », et je pense toujours avec reconnaissance aux maîtres qui nous y faisaient découvrir les grands textes, que je ne pouvais qu’imiter. À l’époque, nous ne connaissions pas les prénoms de nos professeurs, et je ne suis pas sûr de l’orthographe de leurs noms : Giraud (Girod ?), qui nous parlait de Ronsard, Gérin (ou Guérin ?) qui nous initiait à Goethe et à Rilke, Balavoine, professeur d’allemand lui aussi, qui avait bien connu Senghor, quand celui-ci célébrait ce jardin.

Quelle place la Touraine occupe-t-elle dans mes poèmes ? Explicitement présente dans quelques-uns, elle l’est plus discrètement dans d’autres, mais je sais qu’elle est là.

Vous avez mentionné, Catherine, Port-de-Piles pendant la guerre.

Mes premiers souvenirs de Tours sont ceux d’une ville sinistrée. Ruines de la rue Febvotte, du quartier Velpeau ; ruines de la rue Nationale et des quartiers avoisinants, détruits les premiers dès 1940. La rue Charles Martel, et plus encore la rue de la Fuye où habitait ma grand-mère maternelle, étaient proches des installations ferroviaires. Les bombardements étaient nombreux. Je me souviens fort bien de plusieurs, notamment de celui, si terrible, de Saint-Pierre-des-Corps. Mon père, cheminot « prisonnier sur parole », travaillait au Magasin Général où il était de service cette nuit-là. Réveillé au milieu de la nuit – je devais avoir six ans – j’assistai, debout à la fenêtre avec ma mère, à l’extraordinaire ballet des forteresses volantes, au feu d’artifice (me semblait-il) des projecteurs et de la DCA, au chassé-croisé vertical des balles traçantes et des bombes ; nous entendions au loin, là-bas où se trouvait Papa, le sourd grondement des détonations. Pour le gamin que j’étais, les bombardements étaient-ils plus effrayants que de violents orages ? Je crois que non. Les parents, quand il y a danger, font tout pour que leurs enfants n’aient pas peur, et les scènes d’horreur m’ont été épargnées. Mon père est arrivé vers six heures du matin. Il avait traversé les flammes. Il avait sauvé le père invalide d’un de ses copains en le tirant de sa maison que les bombes incendiaires avaient atteinte. Mais son retour, c’est grâce au récit que ma mère m’en fit bien plus tard que je peux en parler. À cette heure-là, le chérubin que j’étais s’était certainement rendormi.

Le public lors de le rencontre consacrée à Jean-Luc Moreau, le 31 août 2012, dans le jardin des Prébendes à Tours.

Port-de-Piles, nous y sommes allés en 41 ou 42, avec ma mère et ma grand-mère, pour éviter les bombardements. J’avais cinq ou six ans. Beaucoup plus tard, me souvenant de mes premières amours (éminemment enfantines), j’ai mis la Creuse dans un poème :

CREUSE MYSTÉRIEUSE...

Creuse mystérieuse et de brume voilée,
Mon enfance m’appelle au long de ta vallée :
Ma première élégie et mon premier goujon,
Je les aurai pêchés, Creuse, parmi tes joncs.
Des dames de Paris il n’en est point qui sachent
Que dans tes prés jadis j’ai su garder les vaches,
Et qui devinerait que j’ai tout près de toi
Senti battre mon coeur pour la première fois?
J’avais fondé pour vous, Colette et Jacqueline,
Un royaume sans borne au pied de ces collines ;
Ma couronne un beau jour devait tomber à l’eau :
L’une devint bouchère et l’autre dactylo.
Dans l’odeur de la menthe et de l’herbe brûlée
Je retrouve pourtant, ô Creuse, ta vallée,
Et s’il se peut qu’un jour je revienne vers toi
Sentir battre mon coeur pour la dernière fois,
Sache me reconnaître en ce vieillard qui songe
Que ses amours d’enfant peut-être se prolongent
Et qu’en vain la tempête environne d’éclairs
Nos vaisseaux de papier descendus vers la mer.

 

Dans Val de Loire, je parle de deux villages qui sont chers à mon cœur, Saint-Patrice, où mes parents ont fini leurs jours et reposent, et Baule, qui n’est pas en Touraine mais dans l’Orléanais, village natal d’une amie à qui je dois beaucoup et qui n’est plus de ce monde depuis longtemps :

Au vent d’automne errant dans les boires moroses
Succèdent le silence et la brume et l’hiver.
À la saison des nids remontent les aloses ;
Dans les joncs refleuris s’ébattent les colverts.
Mais l’été qu’il fait bon, couché sous tes marsaules
Qu’un soupçon de zéphyr habille de frou-frous
Épuiser, ô ma Loire, à Saint-Patrice ou Baule
Les cheveux dénoués de tes grands sables roux.

Pour l’anecdote : le premier vers de ce poème, cité dans des manuels scolaires, y a donné matière à de curieux contresens : les auteurs, sans doute peu ligériens, ignoraient ce qu’étaient les « boires ». Quant au dernier vers Les cheveux dénoués de tes grands sables roux – il m’était venu à l’esprit bien des années avant les précédents, alors que j’étais, là encore, « à Descartes », amoureux de la Loire (pas seulement d’elle, sans doute), que je vois plutôt blonde aujourd’hui.

Mais voici un autre poème tourangeau :

TOURAINE

Le ciel est bleu comme l’ardoise

Aux toits de ces châteaux

Plus chantournés que des gâteaux :

Gâteaux d’Azay, d’Amboise…

Trois blancs nuages, l’air pataud,

En vain s’y cherchent noise ;

Les hirondelles qui s’y croisent

Surfilent son manteau… 

Comme fit Ronsard, j’apprivoise

À Bourgueil Erato :

Elle en rougit, telles bientôt

La fraise et la framboise.

Loin de Paris, de ses autos,

Loin de vos Seine-et-Oise,

Loin, mes amis, de vos bourgeoises

Aux maigres biscottos,

Près de Marie, Anne ou Françoise,

Ô poètes costauds,

Philou, Jean-Pierre, Roberto,

Tombeurs de villageoises,

Venez puiser dans mes cristaux

Une verve courtoise,

Goûter des muses saumuroises

Les jeux horizontaux

Et, fuyant les amours grivoises

Des enfants de Putaux,

Longtemps ouïr sur les côteaux

Les sources qui dégoisent.

 

Et merci, Catherine, de me demander :

AU JARDIN DE LA FRANCE

Au jardin de la France une rose a fleuri,
Au jardin de son père une fille a souri ;
Chantent le rossignol et la jolie perdrix…

Chante, mon bel oiseau, sur la plus haute branche !
La belle, pour te plaire, a mis sa robe blanche,

Sa robe des dimanches.

L’oiseau s’est envolé, la rose a défleuri ;
Où fut un jeune amant n’est plus qu’un vieux mari ;
La belle au bord de l’eau porte son cœur meurtri…

Des pétales de fleurs ont neigé sur la Loire ;
La belle, toute en pleurs, a mis sa robe noire.

La belle, au Pont-de-fil, a glissé sans un cri ;
La belle, au Pont-de-pierre, avait son cœur guéri ;
Son corps, aux Ponts-de-Cé, dans un filet se prit…

La belle a mis sa robe – une robe sans manches
Qu’un menuisier d’Anjou cousit dans quatre planches.

De Bourgueil à Langeais, d’Amboise à Villandry,
Au pays tourangeau la rose a refleuri ;
Pour moi, le ciel de Loire est toujours assombri…

Et j’ai mis sur sa tombe un bouquet de pervenches
Et tant d’oiseaux chantaient sur la plus haute branche

Que la plus haute branche

Sur la tombe se penche,
Sur la tombe se penche…

 

Autre poème de mes vingt ans :

J’avais quitté, dans l’Orne une jeune femme que j’aimais bien. Je suis revenu en Touraine, à pied, en traversant le Perche, en passant par Durtal, Gizeux et autres Continvoir. Par des petites routes où je rencontrais très peu de monde : des chevaux, des vaches, c’était très bien. Je ne cherchais pas à faire du stop, j’avais plaisir à marcher, mais de temps à autre, un facteur, un boulanger s’arrêtaient, m’invitaient à monter dans leur voiture ; je les accompagnais un moment dans leur tournée, par des chemins parfois de terre, avant qu’ils ne me déposent, au bourg le plus proche, trois ou quatre kilomètres plus loin. À mon retour, j’écrivis une série de huitains. J’en réunis plus tard quelques-uns sous le titre de Petite suite. Dont celui-ci :

Les sous-bois odorants sont remplis de girolles ;
La fougère est de mèche et ralentit nos pas ;
Tout là-haut, les oiseaux se disent des paroles
Qu’il vaut peut-être mieux qu’on ne traduise pas ;
Et lorsque devant nous, miraculeux, détale
Un chevreuil éperdu qui file et disparaît,
Après lui, longuement, les grandes digitales
Se balancent dans l’ombre, au cœur de la forêt.

 

Encore un poème, dans lequel j’ai le sentiment que la Touraine est présente, bien qu’il ne soit pas de moi, mais de Miklós Radnóti, le grand poète hongrois que vous avez cité, Catherine, tout à l’heure, et que j’ai traduit. Envoyé dans un camp de travaux forcés en Serbie, il fut abattu, en 1944, avec une vingtaine de ses compagnons, au cours d’une marche forcée qui devaient les mener en Allemagne, dans un camp de concentration. Les soldats qui les escortaient les avaient obligés, au préalable, à creuser la fosse dans laquelle ils allaient être ensevelis. Lors de la découverte du charnier, on retrouva dans sa poche un carnet sur lequel était indiqué, en hongrois, mais aussi en français, allemand, anglais et serbe, que les poèmes qu’il contenait étaient ceux « du poète hongrois Miklós Radnóti. » Il s’agissait de ses derniers poèmes. Celui dont je vous parle est un peu antérieur, il date de 1942. Le nom, peut-être inconnu de vous que vous y entendrez, est celui de Vörösmarty, le premier grand poète hongrois de l’époque romantique. Il y a quelques années, invité à faire ici, à Tours, une conférence sur la poésie hongroise, j’ai commencé à lire ma traduction. Cela se passait à la bibliothèque, dans l’auditorium situé tout en haut et d’où l’on a cette vue magnifique sur la Loire. Le paysage que j’avais devant les yeux était celui de mon enfance. Saisi par l’émotion, je dus m’arrêter un instant ; Touraine et Hongrie se confondaient pour moi. Je n’ai pas apporté le texte hongrois et ne suis pas sûr de le savoir entièrement par cœur, mais pour ceux d’entre vous qui connaissent cette langue, en voici du moins le début :

Nem tudhatom, hogy másnak e tájék mit jelent,
nekem szülöhazám itt e lángoktól ölelt
kisország, messzeringó gyerekkorom világa…

 

JE NE SAIS...
(Nem tudhatom)

Je ne sais pour autrui ce qu’est cette campagne,
mais ce petit pays, c’est le mien que les flammes
cernent, c’est l’univers qui berça mon enfance,
c’est lui qui m’engendra comme l’arbre la branche,
(...)

(Marche forcée, Éditions Phébus, Paris, 2000)

 

Sans quitter l’enfance, changeons de registre, avec quelques poèmes moins graves, des poèmes pour enfants :

QU’UN PETIT CHIEN… 

Qu’un petit chien morde et remorde,

Je vous l’accorde,
(...)

(Jean-Luc Moreau, L’arbre perché, p. 37)

 

Voici aussi :

LE PETIT TRAIN

poème à dire sans respirer

Crescendo, puis diminuendo

Jiki, jiki
c’est le refrain

joukou-joukou

du petit train
(...)

(Jean-Luc Moreau, L’arbre perché, p. 93)

 

À bien y réfléchir, ce poème, malgré les apparences, a aussi un petit quelque chose à voir avec la Touraine. Son modèle est un morceau que tous les jeunes pianistes connaissent. Une courte pièce de Schumann, Le petit cavalier : ta-ti-ta-ti-ta-ti-ta-ta… qui se joue crescendo, puis decrescendo, le galop du cheval, d’abord à peine perceptible, se rapprochant, nous dépassant, puis s’éloignant, se perdant à nouveau dans le lointain. De même le joukou-joukou de mon petit train. Le rapport avec la Touraine ? J’y viens. Je n’ai pas fait beaucoup de piano, dans ma jeunesse, mais un peu tout de même, pendant quelques semaines (pas plus, car mes parents n’avaient pas assez de sous pour me payer les cours). Or ce « petit cavalier », c’est bien à Tours que j’ai appris à le jouer, et pas n’importe où : au-dessus de la tête de Fritz (vous connaissez Fritz ?), là où habitait mon professeur, Mme Mathurin (qu’au lycée, où elle enseignait, nous ne manquions pas, bien sûr, d’appeler Mathurine), dans un appartement qui devait être l’appartement de fonction de son mari, l’excellent peintre Maurice Mathurin, qui était aussi le conservateur du musée. La gare de départ de mon petit train, même s’il allait passer, comme moi, par Moscou, c’est là qu’elle se trouve, au-dessus de la tête d’un éléphant devenu fou.

L’Arbre perché, où figurent ces deux poèmes, est le premier recueil que j’ai publié pour les enfants. Pourquoi l’arbre perché ? Encore Descartes. Mais surtout Jean-Jacques Rousseau. Un passage de L’Émile, étudié en seconde (ou peut-être en première ?). Le bon Jean-Jacques y règle son compte au malheureux la Fontaine. Il a bien vieilli, explique-t-il, et sa langue encore plus, les écoliers ont peine à suivre ; d’ailleurs, « qu’est-ce qu’un arbre perché ? ». De la leçon, je n’ai retenu que cette phrase, mais elle m’a longtemps fait rêver. Un arbre perché ? Pourquoi pas ? Tout n’est-il pas possible en poésie ? Françoise Boudignon, l’illustratrice, ne m’a pas contredit : sur la couverture, de l’ombre d’un enfant surmontée de celle d’un nuage, elle a fait celle d’un arbre, dont le regard du gamin dit bien qu’il est perché.

Après L’Arbre perché, toujours pour les enfants, sont venus Poèmes de la souris verte, Poèmes à saute-mouton… et quelques albums, que je n’ai pas apportés. Tiré des Poèmes à saute-mouton, voici :

BALLADE DU KANGOUROU DE NOGENT-LE-ROTROU

A Nogent-le-Rotrou
Vivait un kangourou,
(...)

(Jean-Luc Moreau, Poèmes à saute-mouton, p. 86)

 

Je vous ai parlé d’école buissonnière. Je sens qu’il vous faut des preuves. En voici une :

LE FLÂNEUR

Honte à celui qui sans rien faire
Se promène le nez au vent !
(...)

(Jean-Luc Moreau, Poèmes à saute-mouton, p. 133)

 

Pour flâner, encore faut-il qu’il fasse beau. S’il est un sujet sur lequel j’ai beaucoup médité, c’est bien :

LES CAPRICES DU TEMPS

Le dimanche à midi, ma foi, je m’étais dit :
« S’il fait beau ce lundi, je partirai mardi. »
(...)

(Jean-Luc Moreau, Poèmes à saute-mouton, p. 144)

 

À Descartes, j’ai fait de l’histoire. Je n’ai pas tout retenu, sinon la leçon que voici :

LE CONSEIL DE LA REINE MERE

Le roi de France un jour disait à sa maman :

« Mon cousin de roi d’Angleterre
(…) »

(Jean-Luc Moreau, Poèmes à saute-mouton, p. 146)

Poème politique, ont dit certains. Ils n’avaient pas tout à fait tort. Tandis que je l’écrivais, Monsieur Bush, qui lui s’occupait de choses sérieuses et ne donnait pas dans la poésie, déclarait la guerre du Golfe.

 

Poésie et biographie ne font pas toujours bon ménage. Soucieux d’œuvrer à la gloire des grands hommes, j’ai tout de même consacré quelques quatrains à la vie inestimable du grand Ratapoil mon ami. En voici quelques-uns :

« Mon ami Ratapoil, ce héros peu banal,
Passait non sans raison pour un original.
(…) »

(Jean-Luc Moreau, Poèmes à saute-mouton, p. 123)

 

Est-ce La Fontaine qui est un vieux croûton ? Est-ce la fable qui est une vieille lune ? Tant pis pour moi : je me suis risqué sur ses traces. J’ai commis quelques fables, dont celle-ci, tragique évidemment puisqu’elle égrène, avec un clin d’œil à Max Ophüls, le chapelet des amours malheureuses :

 

LA RONDE

« Une jeune pantoufle aimait un vieux sabot.
La pantoufle était belle à vous couper le souffle ;
(…) »

(Jean-Luc Moreau, Les poèmes de la souris verte, p. 139)

 

En voici une autre, titrée des Poèmes de la souris verte. « Les mots sont les passants mystérieux de l’âme… », a dit quelque part Victor Hugo. C’est en me souvenant de ce vers que je l’ai intitulée, sur le modèle bien connu des titres de tant de fables :

LE BIDULE ET LE MACHINCHOSE

ou

Les passants mystérieux

« Le bidule, un beau jour, disait au machinchose :

– Aussi vrai que je vous cause,
(…) »

(Jean-Luc Moreau, Les poèmes de la souris verte, p. 141)

 

Et puis voici quelques inédits, plus exactement des poèmes qui ont été publiés dans des revues, mais que je n’ai pas réunis dans des recueils :

L’HOMME HEUREUX

L’homme heureux n’a pas de chemise,
Le bon Dieu ne l’a pas voulu :
Au paradis, pour les élus,
La chemise n’est pas de mise.
La campagne est sa seule église,
Il fait en chantant son salut.
L’homme heureux n’a pas de chemise ?
Le bon Dieu n’en a pas non plus.

L’homme heureux n’a pas de promise,
Ce n’est pas qu’il n’ait pas voulu :
Quand il dort au pied d’un talus,
La bonne odeur des foins le grise.
Soleil et vent lui font la bise
Et le sèchent quand il a plu.
L’homme heureux n’a pas de promise ?
Le bon Dieu n’en a pas non plus.

 

Le mode, dit-on, c’est ce qui se démode. Je ne la suis donc pas. Notre langue est vivante, son vocabulaire ne cesse de s’enrichir, de se renouveler ; profitons-en. Bonne raison aussi pour ne pas cracher pas sur la rime, qui nous réserve souvent des surprises. Du reste, même les rimes orphelines ont un sens. Solitaires, elles disent la solitude : du sceptre, du monstre, du goinfre, du birbe, du dogme… et du pauvre. Aucun mot ne rime avec pauvre. Ayant écrit un article sur la rime, je l’ai prolongé (avec en épigraphe un vers d’Attila József Celui qui est pauvre, c’est toujours lui le plus pauvre) par ces :

RIMES

DU RICHE ET DU PAUVRE

Aki szegény, az a legszegényebb.
József Attila

Pour le riche la rime est riche :
Il a son nom sur les affiches,
Il a des poulains, des pouliches,
Des palais, des parcs et des biches ;
Il n’est femme qui ne s’entiche,
S’il est barbu, de sa barbiche,
Qui ne le flatte et ne l’aguiche,
Frétillante comme un caniche,
Prête à le suivre dans sa niche ;
Et parce que le riche est riche,
Il se fiche et se contrefiche
Du pauvre qui ne rime à rien.

Car le pauvre n’est que le pauvre,
Le pauvre rime avec le pauvre,
Le pauvre vit parmi les pauvres,
« Le pauvre est toujours le plus pauvre »,
Et si pour lui ma rime est pauvre,
C’est qu’il est si pauvre, le pauvre,
Que le pauvre ne rime à rien.

Le riche, lui, reste le riche,
Celui pour qui la rime est riche,
Celui qu’on absout quand il triche,
Celui dont l’or est le fétiche,
Le puissant, le grand, le fortiche ;
Et comme on ne prête qu’aux riches,
Il s’enrichit tant et si bien
Que si la rime devient chiche,
Ce n’est rien, non, non, ce n’est rien :
Le riche, et c’est bien légitime,
Enfin devenu richissime,
Ne fréquentant plus que les cimes
(Les beautés les plus bellissimes
Au sourire enivrantissime,
À l’œil ensorcelantissime,
À la gorge opulentissime…),
N’a que l’embarras de la rime,

Alors que le pauvre, le pauvre
— Non, le poète n’y peut rien —
Le pauvre, lui, ne rime à rien.

 

Nous sommes au pays de saint Martin. Je l’ai un peu fréquenté, il y a bien longtemps ; ma mère, parfois, m’emmenait lui rendre visite. Dans sa basilique, il faisait plutôt sombre, j’étais intimidé. Mais son nom a fait fortune. Il est en France le plus commun, sauf en Touraine, je crois, où les Moreau l’emportent. Marcel Aymé, Dans derrière chez Martin, l’a donné, par commodité, aux protagonistes de tous ses contes. Au jardin de la France pourrait donc se dire également :

AU PAYS DES MARTIN

- Allô, dites-moi, quoi de neuf ce matin ?

- De neuf ? Rien de neuf, si ce n’est que Martin...

- Martin ?

- Vous savez, ce vieux cabotin...

- Martin le grand blond ?

- Non, Martin le châtain.

- Celui de Pantin ?

- Mais non, crétin,

L’autre, celui de Quimper-Corentin !

- Martin l’Argentin ? Le prof de latin ?

Ah ! je vois, je vois, vous parlez de Martin ?

- Non, non, pas de lui : de son fils Martin !

- De Martin Martin ? Qu’a-t-il fait ce matin ?

- Ce qu’a fait Martin ? Que madame Martin

Vient d’avoir un bambin, du nom de Martin.

- En êtes-vous sûr ?

- Oui, sûr et certain.

Je le tiens de Martin, qui le tient de Martin,

Qui l’a su par Martin, l’ami des Martin.

 

Que les Martin, s’il en est parmi vous, ne me tiennent pas rigueur de mon irrévérence. Rien ne vous empêche, au demeurant, de remplacer les Martin par les Moreau.

D’ailleurs, pour finir, à l’intention tant des Moreau qui ne supportent pas les Martin que des Martin qui ne supportent pas les Moreau, je vous livre un dernier poème :

FAIT DIVERS

À Castagne-la-Coquette,
Petit bourg très mignonnet,
Les uns portaient la casquette
Et les autres le bonnet.

Le bonnet vaut la casquette,
C’est clair pour qui les connaît,
Oui, c’est très clair, la casquette
Vaut le bonnet, si ce n’est…

Si ce n’est que les casquettes
Se détournaient des bonnets
(Des bonnets que les casquettes
Faisaient hocher du bonnet.)

Or sachez que les casquettes,
Tout autant que les bonnets,
À Castagne avaient la tête,
La tête près du bonnet.

— Dehors ! criaient les casquettes,
La peste soit des bonnets !
— À la porte, les casquettes !
S’époumonaient les bonnets.

Et voilà que les casquettes
Se jetaient sur les bonnets,
Voilà que sur les casquettes
Les bonnets se déchaînaient,

Que les bonnets, les casquettes
Se mordaient, se piétinaient,
Se tapaient sur la casquette,
S’écrabouillaient le bonnet.

Depuis le temps que casquettes
Et bonnets s’exterminaient,
Un beau jour plus de casquettes
Et plus non plus de bonnets !

On pleura sur les casquettes,
On prit le deuil des bonnets…
— Il faudra faire une enquête !
Dit le préfet, tristounet.

À Castagne-la-Coquette,
Petit bourg très mignonnet,
À Castagne-la-Coquette,
Seuls les chapeaux ricanaient.

 

 

Questions, réponses :

CRC : Nous remercions Jean-Luc Moreau. Vous nous avez servi un festival de poésie, une ronde, des acrobaties en musique, des sons, de l’humour et beaucoup de fraîcheur. On a l’impression que c’est facile. En réalité, je pense que cela donne du travail. Il dit « Reposons-nous toujours », mais en réalité ? Ça se cisèle.

JLM : Depuis l’époque où j’allais à l’école à côté, j’en ai écrit des poèmes, alors on finit par savoir comment faire.

CRC : C’est vrai, mais en même temps ce n’est pas si évident que ça. Jean-Luc Moreau a le don de la poésie et aussi celui d’attirer tout public parce que les enfants, parfois, trouvent que ce n’est pas intéressant quand leur professeur leur apprend des poèmes, alors qu’avec Jean-Luc Moreau… Moi, j’ai été vraiment étonnée quand je suis allée aux Celliers Saint-Julien, à Tours, pendant ce Printemps des Poètes, il y avait des enfants, des poésies de Jean-Luc Moreau, et aucun enfant ne regardait autre chose que les poèmes, et ils les récitaient, se répartissaient les rôles, ils étaient partis dans les poèmes. C’est vraiment magnifique.

JLM : Oui. C’est magnifique, mais c’est grâce aux enseignants. Les enfants étaient accompagnés d’enseignantes très sensibles à la poésie, et qui avaient compris que les enfants sont tous un peu poètes. D’ailleurs, puisque vous faites allusion à cette sympathique expérience, je suis allé également, cette année, à l’école Rabelais. J’y ai rencontré des enfants, je leur ai parlé de poésie, et nous avons eu une correspondance qui s’est prolongée jusqu’à la fin de l’année scolaire. Ils m’ont envoyé des lettres, des poèmes. Alors bien sûr, les enfants font toujours des « à la manière de »… On retrouve toujours un peu de ce qu’on a écrit soi-même dans les écrits des enfants. Moi aussi, quand j’ai commencé à écrire des poèmes, j’ai imité ceux que je connaissais. Les enfants sont sensibles aux mots. Écoutez-les parler. Ce n’est pas avec des idées qu’on fait des poèmes, mais avec des mots, disait Mallarmé à Degas. Les enfants font de la poésie comme M. Jourdain faisait de la prose. Il ne faut pas les dégoûter, leur dire : « c’est bête ce que tu écris ». Non, il faut accepter que ce soit parfois un peu « bête »… comme ce que j’écris parfois moi aussi.

CRC : C’est bête en apparence parce que c’est plein de subtilités, plein de jeux, de beauté musicale aussi. Je trouve qu’il y a des rythmes. D’ailleurs certains de vos poèmes sont en rapport avec la musique et vous le dites vous-même, on retrouve des airs musicaux derrière.

JLM : Oui, c’est vrai, je suis sensible à la musique. J’ai l’impression que la poésie française s’est un peu fourvoyée au XXème siècle, pour une raison qu’on peut d’ailleurs comprendre. Les formes poétiques paraissaient épuisées. On avait écrit tant d’alexandrins, tant d’octosyllabes, qu’on pouvait répugner à en faire de nouveaux. Sont alors arrivés le vers libre, le poème en prose, qui ont leurs qualités, mais ne satisfont pas les tenants de l’autre poésie, celle non pas du cerveau mais du cœur, non pas de l’université mais de la place publique, celle, naïve, du jongleur de Notre Dame, celle qui chante et qui danse. On nous présente presque toujours les poèmes étrangers comme s’ils étaient composés en vers libres. C’est souvent une trahison. Les vers d’Akhmatova, de Maïakovski, ce n’est pas de la prose coupée en morceaux. Il existe, bien sûr, d’heureuses exceptions, mais elles ne sont pas majoritaires.

CRC : Vous, vous traduisez les poètes étrangers classiques en vers français classiques.

JLM : Je n’aime pas beaucoup le mot « classique » parce qu’il fait référence à une poésie que je qualifierais d’« académique ». Je crois à la forme, pas à l’uniforme.

CRC : Vous êtes vraiment un jongleur avec les mots.

JLM : Des mots nouveaux apparaissent, qui nous deviennent familiers, qui ont leur charme, qui méritent d’être utilisés. D’autres n’ont pas toujours eu droit de cité : La Fontaine aurait pu faire rimer pantoufle et maroufle, mais je ne sache pas qu’il l’ait fait. Dans ses fables, vous ne trouverez ni baobab, ni kiwi, ni rhinocéros, ni kangourou, et pour cause. Notre monde, et donc notre vocabulaire, ne sont plus tout à fait ce qu’ils étaient pour nos anciens, ces géants sur les épaules desquels nous sommes perchés. La langue évolue, il faut en tenir compte. Jean-Jacques Rousseau exagère, mais il n’a pas tout à fait tort, et moins tort aujourd’hui que de son temps. Parce qu’elle est plus vivante, plus populaire, je comprends qu’on puisse préférer la chanson au poème. Mais la chanson française, la chanson à texte, les grands media la négligent, et je suis agacé quand j’entends à la radio des émissions littéraires ou scientifiques, par ailleurs de grande qualité, entrecoupées de chansons plus souvent en anglais qu’en français, comme si le sens des mots était sans importance. D’ailleurs pourquoi toujours en anglais plutôt qu’en polonais, en allemand, en chinois, en albanais ? Or certains textes de chanson sont de vrais poèmes, comme l’étaient les paroles que chantaient nos trouvères. Voyez la Chanson de l’Auvergnat. En hommage à Brassens pour le dixième anniversaire de sa mort, mon ami le chanteur James Ollivier, qui avait d’abord été comédien, donna un récital au cours duquel il interpréta de grands poèmes de notre patrimoine que Brassens avait mis en musique. Il les chanta, en alternance avec d’autres, d’une inspiration voisine, qu’il récita simplement, le Verger du roi Louis de Banville précédant par exemple la Ballade des pendus de Villon. Son récital ne comprenait qu’un seul texte de Brassens : cette Chanson de l’Auvergnat précisément, qu’il ne chanta pas mais récita, révélant au public émerveillé combien ce texte était magnifiquement composé.

CRC : Pourriez-vous nous parler de votre apport pour la conservation des contes et des poèmes des pays du Nord ? Vous les avez traduits pour entretenir une richesse qui aurait pu se perdre autrement. Est-ce vrai ?

JLM : Non, je n’ai pas la prétention de rien sauver. J’ai traduit tous les textes d’une anthologie de la poésie populaire des peuples ouraliens. Les langues ouraliennes, c’est l’ensemble formé par les langues finno-ougriennes et les langues samoyèdes. Une famille linguistique présente surtout en Europe, en deçà de l’Oural, mais aussi un peu au-delà, et sans liens génétiques, que l’on puisse prouver du moins, avec l’indo-européen. Je me suis intéressé à ces peuples-là. J’ai enseigné les langues – et les cultures – finno-ougriennes à l’Institut des Langues Orientales. Elles n’ont fait que renforcer mon intérêt pour les contes et pour le folklore en général. Le folklore est une source vive, également pour la poésie. Beaucoup de grands poètes ont puisé dans le folklore. Le Romancero gitan de Lorca sort tout droit du romancero médiéval espagnol. C’est dans la synthèse du populaire, du folklore, et d’une certaine modernité teintée de baroque et de surréalisme que réside, je crois, son originalité. En musique, Bartók et Kodàly ont aussi montré l’exemple. Ils ont sillonné la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie pour recueillir les chants populaires et s’en sont inspirés dans leurs œuvres, qui sans cet apport ne seraient pas ce qu’elles sont. Je me suis moi aussi nourri du folklore. Tels vers de Val de Loire, par exemple, font évidemment référence à nos vieilles chansons populaires.

CRC : Un grand merci d’abord à Jean-Luc Moreau pour tout ce qu’il nous apporte. Je passe la parole au public. Avez-vous des questions ?

P1 (Odile) : C’est un souvenir lorsque j’étais une de vos étudiantes à l’Institut des Langues orientales pour traduire des poèmes. J’avais remarqué que vous aviez un vocabulaire extrêmement riche concernant la nature. Cela m’est resté dans l’esprit, la mémoire, notamment des mots que je ne connaissais pas. À ce moment-là ; je ne savais pas que vous étiez Tourangeau, que vous aimiez la nature, cela m’est resté.

JLM : Je suis très touché de votre intervention, Odile. Cette remarque sur mon vocabulaire nous ramène encore à la Touraine. J’ai la coquetterie de vouloir sauver certains mots, qui sont de beaux mots français, dont certains sont des mots tourangeaux, et souventes fois, même dans mes traductions, je me suis hasardé à les utiliser. Par exemple, le mot « bouillée » (une bouillée de saules au bord de la Loire). « Boire » est aussi un mot que j’aime bien et que je crains de voir disparaître. Dans notre village de Saint-Patrice, quelques vieux paysans, aujourd’hui disparus, parlaient encore récemment des « pesses », qui sont les moineaux. « Moineau », « petit moine », est un mot tardif en français. Un mot gentil, que j’aime bien. Mais « pesse », connu encore, je le sens, de certains d’entre vous, est un mot vénérable : le latin passer, qui a donné « passereau » par ailleurs, et qui s’est maintenu en tourangeau. Ces mots-là, il ne faut pas, bien sûr, en abuser. Quand le conservatisme tombe dans l’archaïsme et la préciosité, il tue la fraîcheur. André Mary et ses émules de l’école gallicane ont exagéré dans ce sens, et leurs œuvres, malgré tout leur savoir-faire, s’en ressentent. Tout est question de mesure.

Merci, Odile, de cette remarque.

P2 : Depuis qu’ils savent parler, mes enfants entendent parler de « pesse » et se foutent de moi. En voiture, on jouait au jeu des métiers, il fallait avec la première, le « p » et la dernière lettre, le « e », trouver un animal, ce n’était pas la pie, c’était la « pesse ». Il m’arrive de lire des traductions de Jean-Luc Moreau dans une revue Le Coin de Table, dont il est administrateur et à laquelle je suis abonné depuis des années. C’est un régal, un vrai plaisir. On a l’impression qu’il est à l’aise, dans une langue bien structurée. C’est très agréable. C’est un homme adorable, charmant. Il a cette forme de liberté. On ne se préoccupe pas d’écrire des choses compliquées, mais des choses belles, chantantes. Jean-Luc Moreau m’encourage. J’aime lire ses livres. Je suis content que ce soit un ancien du lycée Descartes, que nous ayons fréquenté ensemble, à quelques années d’écart, la Mathurine. Il a fait du piano. Moi, j’ai eu un coup de foudre pour le piano et je n’ai jamais arrêté, avec une belle audace ; j’ai toujours aimé la musique.

JLM : Merci de ces paroles gentilles. Depuis que nous nous sommes rencontrés, nous sommes sur la même longueur d’onde. C’est pour moi, un grand plaisir de vous retrouver.

P3 : Ma question : Vous qui avez une belle écriture et qui êtes un poète d’une génération où l’on attachait beaucoup d’importance à la littérature, je voudrais votre avis sur la poésie moderne.

JLM : Il est prématuré de porter un jugement. Il y a énormément de poètes. En même temps, la poésie est peu aidée par les médias, et l’on a beaucoup de peine à savoir ce qui existe, même quand on essaie de suivre un peu. Évidemment, il y a les quelques poètes dont on parle dans les grands journaux, surtout pour faire des commentaires sur leur poésie. Ce qui me frappe, chaque fois que je vois un article sur la poésie, c’est qu’il y a des commentaires, mais pas de poèmes. Alors que je me souviens, quand j’étais adolescent, je lisais toutes les semaines un ou deux journaux – le Figaro littéraire qui était plutôt à droite, les Lettres françaises qui étaient nettement à gauche – mais dans l’un comme dans l’autre, on trouvait des poèmes, de longs poèmes. À présent, on n’en trouve pratiquement pas, sauf dans des « petites revues », le plus souvent confidentielles, et qui ne survivent qu’à grand-peine. Il y a certainement des poètes remarquables que nous ne connaissons pas. Ce ne sont pas forcément ceux qui se mettent en avant, ni ceux qui ont pignon sur rue. Je me sens mal à l’aise pour porter un jugement. Je n’aime pas les étiquettes. L’avenir tranchera.

CRC : Avant de passer la parole aux poètes présents, nous disons tous encore un grand merci à Jean-Luc Moreau.

 

NB : Les textes des poèmes mis en ligne l’ont été à la demande de l’auteur.

 

Bibliographie :

Livres de Jean-Luc Moreau d’où ont été extraits les poèmes lus :

Sous le masque des mots, Quithièges, 39 pages, 1969

L’arbre perché, Les Éditions Ouvrières, Collection « Enfance Heureuse », Paris, 175 pages, 1979

La bride sur le cœur, La Maison de Poésie, Paris, 96 pages, 1990

Poèmes de la souris verte, Le Livre de Poche Jeunesse, Hachette Livre, Paris, 187 pages, 2003

Poèmes à saute-mouton, Le Livre de Poche Jeunesse, Hachette Livre, Paris, 159 pages, 2003