21èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 23 août 2019, de 17 h 30 à 19 h

 

« Balzac, de la nature aux battements de l’âme »

Portrait d'Honoré de Balzac, encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de cette Rencontre.

 

Honoré Balzac né le jour de saint Honoré, le 20 mai 1799, à Tours, 25 rue de l’Armée d’Italie, actuellement 47 rue Nationale, et mort à Paris le 18 août 1850, aimait venir se ressourcer en Touraine et écrire des romans. Il sera à l’honneur tout au long de l’année 2019 car il est né il y a deux cent vingt ans et il a choisi de devenir romancier il y a deux cent ans. Si nous voulions attendre ses trois cents ans pour le fêter, ce serait un peu loin, dans quatre-vingt ans…

Nous lui rendons hommage dans le cadre des Rencontres littéraires dans le jardin des Prébendes à Tours, lieu qui convient bien à cet amoureux de la nature et des promenades incitant à la réflexion.

Une partie du public lors de la Rencontre littéraire consacrée à Balzac, le 23 août 2019.

Une partie du public.

Partons tout d’abord sur les traces de sa famille, dans les lieux qui ont marqué sa vie pour mieux comprendre son style et les raisons qui l’ont poussé à cette frénésie d’écriture jour et nuit.

Son père, Bernard-François de Balssa (1746-1829), est issu d’une famille paysanne du Segala, situé dans l’Aveyron et le Tarn. Il est l’aîné des onze enfants. Il change son nom de Balssa en Balzac plus élégant, nom emprunté à une vieille famille noble, les Balzac d’Entraigues. À la naissance d’Honoré, au vu des évènements révolutionnaires, il ne s’empare pas de la particule « de ». Il le fera en 1802 tandis qu’Honoré attendra presque trente ans avant de l’utiliser. L’ascension sociale de son père témoigne de sa volonté de réussir.

Dans le livre La vie prodigieuse de Bernard-François Balssa de Jean-Louis Déga, nous suivons son parcours professionnel : il fut clerc de notaire puis procureur, secrétaire auprès de Bertrand de Molleville à Paris, conseiller au Parlement, secrétaire au Conseil du Roi (1776 à 1794). En 1795, il s’installe à Tours en tant que directeur des vivres et des subsistances puis il sera adjoint au maire de Tours (1803 à 1808). Il restera en cette ville jusqu’en 1814. (Laure Surville, Balzac, Sa vie et ses œuvres, p. 7) Cet administrateur tenace, efficace, doué, trouve rapidement place dans la société et s’enrichit. À la tête d’un capital évalué à environ 20 000 livres, il s’adapte au régime en place, d’entremetteur à espion pendant la révolution. (https://journals.openedition.org/ahrf/1035)

À cinquante-et-un ans (1797), Bernard-François Balzac épouse Anne Charlotte Laure Sallambier, originaire d’une famille bourgeoise parisienne. Elle a trente-deux ans de moins que lui. De leur union, naît en mai 1798, Louis Daniel Balssa, rarement mentionné car il est décédé à l’âge d’un mois (trente trois jours exactement).

De ce mariage de convenance, Honoré, né deux ans plus tard, est considéré comme leur premier enfant.

Bernard-François de Balzac aime la littérature (Rabelais, Montaigne) et a écrit des livres dont Les obligations à remplir par les Français ou encore le scandaleux désordre causé par les jeunes filles trompées et abandonnées dans un absolu dénuement. Cette veine littéraire a certainement contribué à le rapprocher plus tard de son fils Honoré devenu adulte et écrivain. D’ailleurs, le jeune Honoré Balzac se servira de situations de son père pour décrire en partie la société de son temps. Nous pouvons reconnaître dans le fils, le caractère travailleur et combatif de son père et dans les livres d’Honoré, des gens que son père a connus dans ses différentes places.

Les rapports avec sa mère sont différents car Honoré ressent auprès d’elle, absence, froideur, manque de tendresse. Vers la fin de sa vie, il confiera à sa comtesse bien aimée, Mme Hańska qu’il courtisa pendant dix-sept ans : « Je n’ai jamais eu de mère ». Il raconte n’avoir vu alors sa mère que deux fois dans son enfance jusqu’à quatorze ans. Nous savons qu’Honoré de Balzac aimait mêler rêve et réalité dans ses écrits mais il est vrai que ses parents l’ont placé en nourrice jusqu’à quatre ans ensuite externe à la pension Le Guay à Tours, 71 rue de la Scellerie (actuel n°57), puis pensionnaire au collège dirigé par des Oratoriens à Vendôme de six ans et demi à quatorze ans, quelques mois à l’institution Ganser à Paris (1813), trois mois externe au collège de Tours (1814) ; ce cursus était alors courant dans de nombreuses familles. Son père est ensuite nommé directeur des vivres à Paris et Honoré habite avec eux (Laure Surville, op. cit., p. 27)

Sa sœur Laure (1800 – 1871), de seize mois sa cadette, reste sa préférée. Entre eux, règnent complicité et affection. D’une certaine manière, par sa douceur et son attention envers lui, elle remplace un peu, sa mère très occupée. Laure Balzac devient par son mariage à vingt ans avec Eugène de Surville, Laure de Surville, femme de Lettres. Huit ans après la mort de son frère, elle écrit Balzac, sa vie et ses œuvres d’après sa correspondance (1858). Elle nuance l’impression négative, ressentie par son frère durant son enfance et sa jeunesse expliquant qu’à cette époque, les enfants étaient souvent à part et que leur mère « riche, belle », était d’un « dévouement sans bornes pour les siens ». (Laure Surville, op. cit., p. 13) Elle explique que son frère et elle, reçurent la même éducation de leur père plus indulgent et de leur mère plus sévère, qui les aimaient tous deux tendrement. Elle écrit aussi que ses parents et elle, allaient « le voir chaque année à Pâques et à la distribution des prix » où il avait souvent des résultats médiocres (id., p. 19).

Qui a raison ? Qui a tort ? Honoré de Balzac a exprimé son ressenti, sa sœur le sien. Le livre de Laure sur son frère est paru huit ans après la mort de celui-ci. A-t-elle été influencée par sa famille ? Est-ce sa propre pensée ? Nous n’avons aucune preuve absolue d’un côté ou de l’autre. Peut-être écrivent-ils tous deux une part de vérité ?

Deux ans après l’arrivée au monde de Laure, naît Laurence Balzac (1802 – 1825) puis cinq ans après, Henri François Balzac dit Henri (1807 – 1858) d’une liaison adultérine avec le duc Jean de Margonne (1780 – 1858). Sa mère le préfère à Honoré de caractère mélancolique.

Dès son enfance, Honoré souffre de l’indifférence de ses parents. Sa soif immense de lecture lui a permis de survivre psychiquement, « il avait lu, à l’insu de ses professeurs, une grand partie de la riche bibliothèque du collège » (Laure Surville, op. cit., p. 21). Sa passion pour la littérature et ensuite sa puissance de création l’ont peut-être sauvé de la folie.

Quand il sera écrivain, Honoré mettra en scène son demi-frère Henri dans Le Lys dans la vallée, comparant leurs deux jeunesses : Honoré, « chétif et malingre » et son frère, « bel enfant », « le roi de la maison », « le privilégié de mon père, l’amour de ma mère, l’espoir de ma famille » (Le Lys dans la vallée, 1939, p. 6).

À l’âge adulte, à vingt ans, Balzac habitera à Paris, chez ses parents rue du Temple, dans le Marais, quartier d’origine de sa grand-mère maternelle. Selon la volonté de son père, il fait des études de droit, travaille chez un avoué et exerce le métier de clerc de notaire. Il se servira de cette expérience dans ses romans. Honoré refuse de continuer dans le droit, il « aspirait secrètement à la gloire littéraire ! » (Laure Surville, op. cit., p. 34). Son « père lui accorda deux ans pour faire ses preuves de talent. » (id.) Honoré Balzac eut du mal à réussir, devenant tout d’abord imprimeur mais il fit peu à peu son chemin en littérature grâce à son inspiration importante, très féconde en quantité et qualité. Cet état d’esprit lui a certainement permis d’écrire son œuvre immense de plus de quatre-vingt-dix romans et nouvelles, constituant La Comédie humaine. Sans conteste, il est maître du roman philosophique et poétique, réaliste et visionnaire.

Centrons-nous maintenant sur la Touraine, lieu de sa naissance puis de nombreux séjours à l’âge adulte. Il est conquis par cette région qui l’inspire, l’apaise et le fait rêver, et aussi terre d’accueil au charme fou, au fil de l’Indre près du château de Saché. De Paris où il habite, il prend les diligences (24 à 27 h de voyage) et descend à Tours, au niveau du pont de Pierre puis plus tard grâce au progrès, il voyage en train qui arrive en 6 h en gare de Tours. Il décrit son parcours à pied de vingt-cinq kilomètres entre Tours et Pont-de-Ruan puis Saché en grand observateur du monde qui l’entoure ; il admire les endroits de la campagne où il passe. Il séjourne chez un ami de ses parents, M. Jean de Margonne qui lui ouvre ses portes pour un séjour. Une chambre lui est réservée, au premier étage, à l’arrière. Là, loin de ses créanciers parisiens, Balzac, reçu en ami et grand travailleur, pouvait y loger quand il voulait et écrivait alors jour et nuit (de 12 à 16 h par jour), buvant de douze à quatorze tasses de café pour rester éveillé et pouvoir continuer d’écrire sans s’arrêter. Sa chambre avec vue sur les prairies et les arbres, se visite toujours. Vous trouverez la cafetière sur la table près de sa plume, de l’encrier et au sol, pour soulager ses besoins élémentaires, son vase de nuit n’est jamais loin. Ici, il rédige en partie Le Père Goriot, Louis Lambert, César Birotteau ou encore Illusions perdues.

Consacrons-nous à son chemin de littérature. Quatre de ses livres qui se déroulent entièrement en Touraine :

– L’Illustre Gaudissart, fable drolatique et physiologie d’un commis voyageur roublard pris à son propre jeu par les habitants de Vouvray ;

– La Grenadière, nouvelle portant le nom d’une demeure sur la commune de Saint-Cyr-sur-Loire avec un panorama sur la Loire et sur Tours ;

– Le Lys dans la vallée, roman d’études de mœurs, situé sur la commune de Saché, dans un cadre idyllique tant imprégné des paysages de la vallée de l’Indre ;

– Le curé de Tours, nouvelle située près du cloître de la Psalette et de la cathédrale Saint-Gatien à Tours.

 

Partons maintenant dans Le Lys dans la vallée en connivence et même en symbiose avec les paysages, la vie locale, tourangelle près de « La nature aux battements de l’âme ».

Le Lys dans la vallée paraît dans la Revue de Paris en 1835 puis l’année suivante, en librairie. Durant cette époque de production littéraire intense, Balzac avait une vie amoureuse, agitée et des blessures d’amour propre. Ce livre où la nature est reine, lui a certainement permis de revivre en s’imprégnant de la beauté des paysages. Dès le titre, nous savons que les fleurs et les symboles auront une place importante. Le lys, n’est-il pas symbole de pureté ? Nous établirons donc un parallélisme entre ces thèmes et les sentiments amoureux.

Balzac a choisi d’utiliser le « je », témoignant ainsi de son implication personnelle, il se met dans la peau du narrateur Félix de Vandenesse. Il détaille aussi la vie quotidienne de la campagne, ses mesquineries et ses joies simples. Par exemple, il nous fait apprécier un délice de Touraine, un mets très prisé des enfants des Bourgeois à l’école, auquel il n’avait pas droit car ses parents n’avaient pas payé pour cela et l’écrivain nous fait partager sa souffrance de ne pas se sentir accepté par les autres : « Les célèbres rillettes et rillons de Tours formaient l’élément principal du repas que nous faisions au milieu de la journée, entre le déjeuner du matin et le dîner de la maison (…). Cette préparation si prisée par quelques gourmands, paraît rarement à Tours sur les tables aristocratiques ; (…) cette confiture brune sur une tartine de pain ; (…). » (Le Lys dans la vallée, 1939, pp. 6 et 7) Balzac en eut très envie ; il les convoitait d’autant plus que les autres écoliers « qui presque tous appartenaient à la petite bourgeoisie », la dégustaient, « se pourléchaient en vantant les rillons, ces résidus de porc sautés dans sa graisse, et qui ressemblent à des truffes cuites ; (…). » Ils lui disaient ostensiblement : « – Tu n’as donc pas de quoi ? » (id., p. 7) Malheureux, il subit aussi la risée de tous dans les autres établissements scolaires où il passe car selon lui, ses parents lui donnent toujours uniquement le strict nécessaire matériel et des brimades contrairement à ses frère et sœurs. Dans ce livre, il transpose sa souffrance de se sentir mal aimé, abandonné. Il raconte que, dans son enfance, il ne recevait jamais un mot chaleureux ou encourageant même quand il a des prix à l’école. Sa soif immense de lecture au collège, lui a permis de survivre psychiquement. Seul le gardien savait qu’il séchait les cours et se cachait sous un escalier pour écrire et lire les livres de la bibliothèque de l’école. Plus tard, jeune adulte il se réfugie encore dans la lecture en se jetant « désespérément dans la bibliothèque de son père » où il dévore tous les livres qu’il ne connaît pas. (id., p. 20) Ainsi nous comprenons mieux combien Honoré a réussi à dépasser son mal d’être grâce à sa passion pour l’écriture, la lecture.

Il se décrit « chétif et malingre » durant toute son enfance et adolescence (id., p. 6). Il exprime l’incompréhension entre sa mère et lui. En effet, quand il la retrouve, il ne ressent aucune marque d’affection de sa part. Il écrit : « La froideur de ses façons réprima l’essor de mes tendresses. » (id., p. 18) Quand elle lui reproche son silence, il essaie de lui montrer de l’affection : « Je me jetai à ses pieds, j’embrassai ses genoux en pleurant à chaudes larmes, je lui ouvris mon cœur, gros d’affection ; j’essayai de la toucher par l’éloquence d’une plaidoirie affamée d’amour, et dont les accents eurent remué les entrailles d’une marâtre. » (id., p. 18) Dans le roman, sa mère remet en cause la véracité de son attitude, dit qu’il joue la comédie et l’appelle « fils dénaturé ». Durant son retour en calèche, le narrateur nous confie qu’il voulut se suicider à Blois, mais il écrit avec une pointe d’ironie, qu’il ne put, « empêché par la hauteur du parapet. » (id., p. 18)

À vingt ans, il découvre un paradis de verdure et d’harmonie, la Touraine. Il revit. Heureux, il oublie tout ; il s’imprègne de la beauté de la nature et rêve d’une femme. Il s’enivre de liberté : « je traversai les ponts Saint-Sauveur, (…) et gagnai la route de Chinon. » (id., p. 26) Ce bonheur, il le ressent près de la nature comme « une fête pleine d’enchantements. » (id.) Alors il parcourt « les landes dites de Charlemagne, terres en friche, situées au sommet du plateau qui sépare le bassin du Cher et celui de l’Indre, » (id., p. 27) Après ces « landes plates et sablonneuses » et un bois, il découvre « le chemin de Saché » et le « petit pays d’Artanne » (id.). Il s’émerveille : « Là, se découvre une vallée qui commence à Montbazon, finit à la Loire, et semble bondir sous les châteaux posés sur ses doubles collines ; une magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent. » (id.) Il ne se lasse pas de regarder, de s’imprégner des paysages qui lui permettent de s’évader de ses problèmes quotidiens. Il partage avec le lecteur, son envoûtement : « un étonnement voluptueux ». (id.)

Il décrit ses émotions intenses, liant « l’amour infini » (id., p. 28) à la beauté du site : « long ruban d’eau qui ruisselait au soleil entre les deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui paraient de leurs dentelles mobiles ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant. » (id.) Il humanise le paysage, le comparant à « une fiancée » (id.). Il continue sa narration dans un élan passionné où il exprime à la fois sa douleur psychique et sa félicité. Il s’adresse au lecteur et lui confie ses émotions au fil des saisons : « si vous voulez calmer les plaies saignantes de votre cœur, revenez-y par les derniers jours de l’automne ! Au printemps, l’amour y bat des ailes en plein ciel ; (…). » (id.)

Cette vue lui apporte la guérison de son mal d’être par son enchantement. Ce site idyllique restera pour lui, un trésor. Suit une description où tout vit, animé de mouvements et d’états d’âme. Dans un passage bien connu des amoureux de la Touraine, il continue son élan de louange, reflet de son amour pour cette région : « Le poumon malade y respire une bienfaisante fraîcheur, la vue s’y repose sur des touffes mordorées qui communiquent leurs douceurs et leur paix à l’âme. En ce moment, les moulins situés sur les chutes de l’Indre donnaient une voix à cette vallée frémissante, les peupliers se balançaient en riant, pas un nuage au ciel, les oiseaux chantaient, les cigales criaient, tout y était mélodie. Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine ? je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime un oasis dans le désert ; je l’aime comme un artiste aime l’art ; je l’aime moins que je vous aime, mais sans la Touraine, peut-être ne vivrais-je plus. » (id., pp. 28 et 29)

Le cadre est préparé avec art, pour accueillir la femme qu’il veut connaître. Il l’aperçoit de loin : « mes yeux revenaient au point blanc, à la femme qui brillait dans ce vaste jardin comme au milieu des buissons verts éclatait la clochette d’un convolvulus, flétrie si l’on y touche. Je descendis, l’âme émue, au fond de cette corbeille, et vis bientôt un village (…) ». (id., p. 29)

Dans une longue et minutieuse description, il nous présente ce paysage resplendissant de lumière près d’un foisonnement d’eau, terre, herbes, fleurs, oiseaux… à travers des comparaisons inattendues. Par exemple, il utilise le mot « tapisseries » pour souligner combien tout est minutieusement construit par la fée « nature », point après point, dans l’immensité des possibilités. Ailleurs, il n’omet pas de décrire la vie des petites gens en symbiose avec les éléments. Partons avec lui, dans cet univers tourangeau qu’il fait revivre avec fougue et multiples détails :

« Figurez-vous trois moulins posés parmi des îles gracieusement découpées, couronnées de quelques bouquets d’arbres au milieu d’une prairie d’eau ; (…). Les amaryllis, le nénuphar, le lys d’eau, les joncs décorent les rives de leurs magnifiques tapisseries. Un pont tremblant composé de poutrelles pourries, dont les piles sont couvertes de fleurs, dont les garde-fous plantés d’herbes vivaces et de mousses veloutées se penchent vers la rivière et ne tombent point ; des barques usées, des filets de pêcheurs, le chant monotone d’un berger, les canards qui voguaient entre les îles ou s’épluchaient sur le jard, nom du gros sable que charrie la Loire ; des garçons meuniers, le bonnet sur l’oreille, occupés à charger leurs mulets ; (…). Imaginez au delà du pont, deux ou trois fermes, un colombier, des tourelles, une trentaine de masures séparées par des jardins, par des haies de chèvrefeuilles, de jasmins et de clématites ; puis du fumier fleuri devant toutes les portes, des poules et des coqs par les chemins ! Voilà le village de Pont-de-Ruan, joli village surmonté d’une vieille église pleine de caractère, une église du temps des croisades (…). Encadrez le tout de noyers antiques, de jeunes peupliers aux feuilles d’or pâle, mettez de gracieuses fabriques au milieu des longues prairies où l’œil se perd sous un ciel chaud et vaporeux, vous aurez une idée d’un des mille points de vue de ce beau pays. » (id., pp. 29 et 30)

Le narrateur nous entraîne sur le chemin de Saché vers le lieu de son séjour. Nous le trouvons là encore, amoureux de la Touraine qu’il l’admire comme une femme. Il se confie à elle, exprimant parallèlement ses peines, ses douleurs. Balzac utilise le « je » pour s’engager personnellement dans ses paroles et rendre le texte plus vivant, voguant entre réalité et rêve :

« Puis enfin, j’atteignis un parc orné d’arbres centenaires qui m’indiqua le château de Fraspesle. (…) je vis la vallée sous toutes ses formes : ici une échappée, là tout entière ; souvent mes yeux furent attirés à l’horizon par la belle lame d’or de la Loire où, parmi les roulées, les voiles dessinaient de fugaces figures ; en gravissant une crête, j’admirai pour la première fois le château d’Azay, diamant taillé à facettes, serti par l’Indre, monté sur des pilotis masqués de fleurs ; puis dans un fond les masses romantiques du château de Saché, mélancolique séjour, plein d’harmonies, trop graves pour les gens superficiels, chères aux poëtes dont l’âme est endolorie. Aussi, plus tard, en aimai-je le silence, les grands arbres chenus, et ce je ne sais quoi mystérieux épandu dans son vallon solitaire ! » (id., pp. 30 et 31)

Balzac change délibérément le nom du château de Valesne sur la commune de Saché pour le nommer château de Frapesles situé en réalité à Issoudun, propriété de son amie Zulma Carraud qu’il connaît bien puisqu’il allait lui rendre visite (en 1834, 1835, 1838). Ce n’est pas une erreur. Dans un élan de création, il mêle le vrai et l’imaginaire pour s’approprier lieux et gens à son gré. Ainsi, les personnages peuvent être en partie vrais, en partie créés, les châteaux aussi. Au niveau historique, à la mort de la grand-mère (1812), M. et Mme Jean Margonne, amis de la famille Balzac, héritèrent du château de Saché et de celui de Valesne sur la même commune.

Revenons au roman. Dès l’entrée dans le domaine du château de Frapesle, Balzac crée une ambiance féerique dans « un parc orné d’arbres centenaires ». Il décrit aussi le manoir de Vonnes appelé Clochegourde dans le roman, situé sur l’autre rive de l’Indre : « castel ouvragé comme une fleur, et qui semble ne pas peser sur le sol » (id., p. 33), avec « Les pentes bien ménagées [qui] mettent assez de distances entre l’habitation et la rivière, pour sauver les inconvénients du voisinage des eaux sans en ôter l’agrément. » (id.)

Sur le chemin qui côtoie Clochegourde, Balzac lie encore une fois la beauté qui l’entoure aux battements de son âme et à une certaine philosophie de vie dans l’attente de l’avenir : « j’admirais ces masses si bien disposées, en y respirant un air chargé de bonheur. La nature morale a, comme la nature physique, ses communications électriques et ses rapides changements de température. Mon cœur palpitait à l’approche des évènements secrets qui devaient le modifier à jamais (…). » (id., p. 34) La femme n’est pas encore présente physiquement. Le narrateur ne la connaît pas mais par intuition, il la magnifie déjà parallèlement à la nature. Il explicite cette connivence : « La nature s’était parée comme une femme allant à la rencontre du bien-aimé ; mon âme avait pour la première fois entendu sa voix ; mes yeux l’avaient admirée aussi féconde, aussi variée que mon imagination me la représentait dans mes rêves de collège ».Tout devient intime, « visible aux yeux de l’âme seulement » (id.).

Le narrateur arrive au château de Clochegourde, fatigué, au bord des larmes, mal à l’aise, rougissant. À l’opposé, le visage de la châtelaine, Mme de Mortsauf, lui offre une « bonté consolante » (id., p. 36). Il reçoit, ébloui, une force de cette femme inconnue de lui. Rappelons-nous le contraste avec la carence affective maternelle de Balzac durant toute son enfance.

Là encore, le mot « âme » revient comme un leitmotiv au fil de l’histoire, tout près d’elle : « Elle étendait ainsi, sans le savoir, le sens des mots, et vous entraînait l’âme dans un monde immense. » (id., p. 39) Alors il boit à la source de la renaissance à travers celle dont il devient amoureux : « pour aspirer l’air qui sortait de sa lèvre, chargé de son âme (…). » (id.) Il perçoit la magie de ce moment, « la constante émanation de son âme sur les siens, cette essence nourrissante épandue à flots comme le soleil émet sa lumière ; (…). » (id., p. 43)

Ces circonstances inattendues et fugitives de leur première rencontre, augmentent encore cette impression. Il revient sur terre quand le mari est annoncé. Avant même de l’avoir vu, il ressent simultanément « la haine et la peur » (id., p. 45). Lorsque M. de Mortsauf entre dans la pièce, il le trouve banal et en dresse un portrait peu flatteur : « Son visage ressemblait vaguement à celui d’un loup blanc qui a du sang au museau (…). » (id., p. 49)

Les enfants du couple sont aussi présentés : Madeleine, fragile, « cheveux rares et noirs, ses yeux caves, ses joues creuses, ses bras amaigris » (id., p. 47) puis Jacques, « portrait de sa sœur » (id.), frêle lui aussi. Parallèlement, le narrateur détaille l’intérieur du logis ; il remarque par exemple, le carrelage « en carreaux blancs fabriquées en Touraine » et la salle à manger « boisée à hauteur d’appui » (id., p. 53).

Nous côtoyons la vie familiale des propriétaires. Assis à table à la droite du comte, il reconnaît sa lâcheté. Il le flatte car « L’amour a ses intuitions comme le génie a les siennes, et je voyais confusément que la violence, la maussaderie, l’hostilité ruineraient mes espérances. » (id., p. 54) Amoureux, il est là sans l’être et reste dans un monde de rêve jusqu’au jour où il retourne sur terre car il doit partir pour Paris, pour trouver une position dans le monde. Encore une fois, la nature vit en harmonie avec son cœur palpitant dans l’attente de la revoir : « Ce beau rêve cessa quand, au clair de lune et par un soir chaud et parfumé, je traversai l’Indre au milieu des blanches fantaisies qui décoraient les prés, les rives, les collines ; en entendant le chant clair, la note unique, pleine de mélancolie que jette incessamment par temps égaux une rainette dont j’ignore le nom scientifique, mais que depuis ce jour solennel je n’écoute pas sans des délices infinies. » (id., pp. 54 et 55)

M. de Mortsauf, lors de son arrivée en Touraine, ressentit lui aussi la magie de cet endroit qui lui apporta « une convalescence d’âme ; il respira dans cette vallée les enivrantes odeurs d’une espérance fleurie. » (id., p. 63) jusqu’à la naissance de son fils. Le charme est rompu car l’enfant est fragile. M. de Mortsauf, se sentant lésé, devient « hystérique » (id., p. 64). À l’inverse, sa femme voulant atténuer le mal d’être de son mari, se dévoue à l’enfant jour et nuit.

Après un séjour à Paris, le narrateur retrouve le charme de ce lieu. Il s’élance à la rencontre de cette femme. Son état d’esprit s’imprègne du paysage : « Je passai l’Indre sur le pont du moulin Rouge, et j’arrivai dans la bienheureuse toue en face de Clochegourde où brillait une lumière à la dernière fenêtre du côté d’Azay. Je retrouvai mes anciennes contemplations, mais paisibles, mais entremêlées par les roulades du chantre des nuits amoureuses, et par la note unique du rossignol des eaux. » (id., p. 65)

En romantique, il lui suffit de ressentir et de voir au battement de l’eau et de son désir : « L’âme et les sens étaient également charmés. (…) Belle fut cette nuit passée sous ses fenêtres, au milieu du murmure des eaux passant à travers les vannes des moulins, et entrecoupé par la voix des heures sonnées au clocher de Saché ! » (id.)

Épris à la fois de la nature et d’une femme, il s’envole avec les insectes, s’imprègne de la luxuriance des feuillages, des animaux en correspondance avec ses sentiments. Il s’accroche aux images concrètes pour mieux les fixer durant ces heures délicieuses où il frémit et brûle au feu de l’amour : « Tout était silencieux et frémissant comme est la campagne à midi. Les feuillages immobiles se découpaient nettement sur le fond bleu du ciel ; les insectes qui vivent de lumière, demoiselles vertes, cantharides, volaient à leurs frênes, à leurs roseaux ; les troupeaux ruminaient à l’ombre, les terres rouges de la vigne brûlaient, et les couleuvres glissaient le long des talus. » (id., p. 66)

Cette vallée toute de douceur et de brume légère, est pour lui, messagère d’espérance, tout près de Saché et d’Azay : « La prairie, sillonnée par les ruisseaux qui se jetaient dans l’Indre, se découvrait dans sa longueur, et se perdait en lointains vaporeux. » (id., p. 68)

Ce n’est pas un hasard si le mot « âme » imprègne les descriptions champêtres. Balzac unit intimement la nature aux sentiments humains. La « rivière serpentine où l’âme se baigne entre les frênes et les aunes » (id., p. 81), n’est-ce pas aussi un peu sa vie qui prend un bain de fraîcheur, se lave dans la beauté paisible ? Il écrit encore : « Pour vous ce coin de terre est une lande, pour moi, c’est un paradis. » (id.)

Le narrateur pressent que, par la femme qui est à ses côtés, sa vie d’adulte va changer : « Elle me remercia par un regard. » (id.) L’univers entier semble participer à la renaissance des êtres et des paysages : « à travers les bois de Saché où la lumière filtrée dans les feuillages produisait, sur le sable des allées, ces jolis jours qui ressemblent à des soieries peintes, j’eus des sensations d’orgueil et des idées qui me causèrent de violentes palpitations. » (id., p. 105)

Il ressent aussi la majesté de ce lieu presque sacré : « (…) une longue allée de forêt semblable à quelque nef de cathédrale, où les arbres sont des piliers, où les branches forment les arceaux de la voûte, au bout de laquelle, une clairière lointaine aux jours mélangés d’ombres ou nuancés de teintes rouges du couchant pointe à travers les feuilles et montre comme les vitraux coloriés d’un chœur plein d’oiseaux qui chantent. » (id., p. 128)

Nous avançons dans ce monde paradisiaque où tout vit en harmonie : « sur des mousses ardentes et sonores, des couleuvres repues rentrent chez elles en levant leurs têtes élégantes et fines. » (id.) Magicien des mots, il participe à ce spectacle et nous invite à le suivre en employant l’impératif : « Jetez sur ces tableaux, tantôt des torrents de soleil ruisselant comme des ondes nourrissantes, tantôt des amas de nuées grises alignées comme les rides au front d’un vieillard, tantôt les tons froids d’un ciel faiblement orangé, sillonné de bandes d’un bleu pâle ; puis écoutez ? vous entendrez d’indéfinissables harmonies au milieu d’un silence qui confond. » (id.)

Dès cette description de la symphonie de la nature dans laquelle il cite Beethoven (id., p. 129), l’amour est présent même non déclaré ; le changement de noms des amoureux en témoigne. Mme de Morsauf devient pour lui, Henriette et un peu plus tard, le narrateur est nommé par elle, Félix dans l’intimité.

Parallèlement au déroulement du roman, Balzac ne néglige pas d’admirer l’infiniment petit qui pourrait passer si facilement inaperçu : « Une petite herbe, la flouve odorante, est un des plus puissants principes de cette harmonie voilée. » (id., p. 129) Il continue cette description à l’impératif pour mieux nous entraîner à sa suite : « Mettez dans un bouquet ses lames luisantes et rayées comme une robe à filets blancs et verts, d’inépuisables exhalations remueront au fond de votre cœur les roses en bouton que la pudeur y écrase. » (id.)

Dans cette citation, sa comparaison de cette fleur avec un vêtement féminin n’est pas anodine. Le narrateur veut suggérer la femme à ses côtés et utilise des mots à double sens comme « votre cœur ». Si la pudeur côtoie les roses, ce n’est pas un hasard sous la plume de l’écrivain mais la traduction de l’intensité de l’amour. Il pense à elle avec sensualité et nous fait percevoir l’attachement de ces deux êtres humains à travers « des touffes blanches particulières au sébum des vignes de Touraine ; vague image des formes souhaitées, roulées comme celles d’une esclave soumise. » (id., pp. 129 et 130)

Il admire aussi un enchevêtrement champêtre de fleurs sauvages humanisées, jaillissant comme un feu d’artifice pour célébrer la naissance d’un sentiment qui ne demande qu’à éclore. Près de ses états d’âme oscillant entre espoir et douleur, il déploie une imagination luxuriante, montrant aussi sa connaissance en botanique : « De cette assise sortent les spirales des liserons à cloches blanches, les brindilles de la bugrane rose, mêlées de quelques fougères, de quelques jeunes pousses de chêne aux feuilles magnifiquement colorées et lustrées ; toutes s’avancent prosternées, humbles comme des saules pleureurs, timides et suppliantes comme des prières. » (id., p. 130) Il crée ainsi une litanie à la gloire des fleurs et de l’amour, nous présentant diverses espèces communes en Touraine : « l’amourette purpurine qui verse à flots ses anthères flavescentes ; les pyramides neigeuses du paturin des champs et des eaux, la verte chevelure des bromes stériles, les panaches effilés de ces agrostis nommés épis du vent ; violâtres espérances dont se couronnent les premiers rêves (…). » (id.)

Sa soif de paradis n’est jamais assouvie. Par exemple, il traduit la force de son amour à travers la description « d’un magnifique double pavot rouge », couleur de l’amour et de « la pluie incessante de pollen, beau nuage qui papillote dans l’air en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! » (id., pp. 130 et 131)

Il n’hésite pas à introduire la notion de communion avec la beauté qui l’entoure : « Eh bien ! tout ce qu’on offre à Dieu n’était-il pas offert à l’amour dans ce poëme de fleurs lumineuses qui bourdonnait incessamment ses mélodies au cœur, en y caressant des voluptés cachées, des espérances inavouées, des illusions qui s’enflamment et s’éteignent comme les fils de la vierge par une nuit chaude. » (id., p. 131)

Ailleurs, attentif à la vie quotidienne à la campagne, il nous fait partager la proximité des petites gens au fil des saisons. Par exemple, il décrit les vendanges à Villaines sans omettre de faire revivre ces habitants et travailleurs puis d’en tirer des sentences sur une certaine philosophie de vie : « La vendange est alors comme le joyeux dessert du festin récolté, le ciel y sourit toujours en Touraine où les automnes sont magnifiques. Dans ce pays hospitalier, les vendangeurs sont nourris au logis. Ces repas étant les seuls où ces pauvres gens aient, chaque année, des aliments substantiels et bien préparés, ils y tiennent comme dans les familles patriarcales les enfants tiennent aux galas des anniversaires. Aussi courent-ils en foule dans les maisons où les maîtres les traitent sans lésinerie. » (id., p. 134)

Il participe aux vendanges, joyeux spontanément, près de Mme de Mortsauf et de ses enfants radieux : « j’écoutai les cris des enfants, je contemplai la troupe des vendangeuses, la charrette pleine de tonneaux et les hommes chargés de hottes ; je gravai tout dans ma mémoire, tout jusqu’au jeune amandier sous lequel elle se tenait, fraîche, colorée, rieuse ! sous son ombrelle dépliée. » (id., p. 136)

Il décrit aussi la récolte des noix en Touraine, parallèlement à ses moments de proximité avec cette femme : « Quand ces sortes de scène arrivent, l’âme en savoure les délices sans les analyser ; avec quelle vigueur elles se détachent plus tard sur le fond ténébreux d’une vie agitée ? pareilles à des diamants, elles brillent serties par des pensées pleines d’alliage, regrets fondus dans le souvenir des bonheurs évanouis ! » (id., pp. 139 et 140) En ces derniers jours d’automne plus courts, plus sombres, la nature se dépouille en harmonie avec la gravité du moment, l’approche de son départ pour Paris.

Félix amoureux parle à Mme de Mortsauf qui va rester avec son mari acariâtre et ses enfants bien-aimés. Balzac crée un parallélisme entre les feuilles qui tombent en cette fin d’automne, sa vie qui s’assombrit et entre le paysage et ses sentiments. Séparation ? Espoir de trouvailles ? Mort ? Que leur réserve l’avenir ? Le narrateur traduit ses impressions en romantique, avec les mots du cœur : « Ce moment m’a laissé des souvenirs ensevelis dans mon âme et qui ne reparaîtrons jamais à sa surface sans que mes yeux se mouillent de pleurs ; » (id., p. 158).

Elle lui répond, tiraillée entre son sentiment pour celui qu’elle appelle maintenant Félix, arrivé enfant, devenu jeune homme, et sa vie à elle, bien établie. Elle lui parle avec franchise et le conseille : « – Mon cher Félix, me dit-elle après un tour fait en silence sous les arbres dépouillés, vous allez entrer dans le monde, et je veux vous y accompagner en pensée. Ceux qui ont beaucoup souffert ont beaucoup vécu, ne croyez pas que les âmes solitaires ne sachent rien de ce monde, elles le jugent. » (id., p. 164)

Cette femme, Henriette pour lui dans l’intimité, l’assure de ne pas l’oublier sans lui promettre plus : « Croyez-moi, mon affection est sans égale ; elle est à la fois involontaire et choisie. Ah ! je voudrais vous voir heureux, puissant, considéré, vous qui serez pour moi comme un rêve animé. » (id., p. 165)

À la fois heureux et malheureux de ses paroles, Félix met en correspondance son amour et le futur incertain, la réalité, ses désirs et ceux de la femme aimée. Il nous confie son émotion : « Elle me fit pleurer. Elle était à la fois douce et terrible ; son sentiment se mettait trop audacieusement à découvert, il était trop pur pour permettre le moindre espoir au jeune homme altéré de plaisir. (…) pour arriver près d’elle, un homme devait avoir conquis les ailes blanches du séraphin. » (id., pp. 165 et 166)

Il l’idéalise, la compare à Laure du poète vénitien. Il l’auréole de « la lumière qui brille dans l’obscurité comme le lys dans les feuillages sombres. » (id., p. 166) Après dîner, il part mais juste arrivé à Tours, il rebrousse chemin : « Je louai un cheval et franchis en cinq quarts d’heure la distance entre Tours et Pont-de-Ruan. Là, honteux de montrer ma folie, je courus à pied dans le chemin, et j’arrivai comme un espion, à pas de loups, sous la terrasse » (id., p. 167). Il reconnaît la bizarrerie de son arrivée, de son irruption inattendue. Pour se justifier, il lui rend les clés. « Je partis après quelques moments passés dans une de ces heureuses stupeurs des âmes arrivées là où finit l’exaltation et où commence la folle extase. » (id., p. 168)

Dépossédé de son amour, Félix exprime sa tristesse intense en symbiose avec son spleen, en union avec le paysage désolé, les teintes sombres. Pourtant il garde espoir de revoir le printemps plus tard  en ces lieux, près de l’amour : « En ce moment, les champs étaient dépouillés, les feuilles des peupliers tombaient, et celles qui restaient avaient la couleur de la rouille ; les pampres étaient brûlés, la cime des bois offrait les teintes graves de cette couleur tannée que jadis les rois adoptaient pour leur costume et qui cachait la pourpre du pouvoir sous le brun des chagrins. Toujours en harmonie avec mes pensées, la vallée où se mouraient les rayons jaunes d’un soleil tiède, me présentait encore une vivante image de mon âme. (…) Alors l’étendue de mon amour se déploya, et ma chère Henriette s’éleva de toute sa hauteur dans ce désert où je ne vécus que par son souvenir. » (id., p. 169)

Avant son départ, Henriette lui a confié une lettre en mains propres, lui recommandant de ne la lire qu’à Paris. Une fois arrivé, il l’ouvre. Cette femme ayant déjà vécu et différenciant le paraître et l’être, lui propose de sages conseils à suivre :

« (…) ne se rien permettre ni contre votre conscience ni contre la conscience publique. (…) la droiture, l’honneur, la loyauté, la politesse sont les instruments les plus sûrs et les plus prompts de votre fortune. » (id., p. 174)

« Votre conscience et la voix du cœur vous diront la limite où commence la lâcheté des flatteries, où finit la grâce de la conversation. » (id., p. 179)

« Il vous arrivera souvent d’être utile aux autres, de leur rendre service, et vous en serez peu récompensé ; mais n’imitez pas ceux qui se plaignent des hommes, et se vantent de ne trouver que des ingrats. » (id., p. 184)

« Quant à vous, acceptez le moins que vous pourrez des autres ; ne soyez le vassal d’aucune âme, ne relevez que de vous-même. » (id.)

Mme de Mortsauf reste en premier, une mère à l’écoute de ses enfants fragiles, prête à leur offrir son immense amour maternel. Félix reste un peu pour elle comme un de ses enfants. Un jour, elle lui confiera « de sa voix d’ange » combien elle se dévoue à ses petits : « Quand je dormais, mon cœur veillait ! » (id., p. 197)

Quand il revient de Paris, elle le reçoit en fils ; leurs sentiments se fondent dans le paysage aux horizons éthérés: « Allons, voyez donc un peu notre chère vallée. (…) elle me montra l’Indre, la toue, les prés (…). » (id., p. 201) Il reconnaît « ces horizons fumeux, avec leurs sinuosités vaporeuses. La nature était le manteau sous lequel s’abritaient ses pensées. Elle savait maintenant ce que soupire le rossignol pendant les nuits, et ce que répète le chantre des marais en psalmodiant sa note plaintive. » (id., pp. 201 et 202)

Revenons un instant à la vie réelle de Balzac. Ses parents ont renoué avec lui mais il n’a pas confiance en leur affection démonstrative à retardement après l’avoir si longtemps délaissé. Il confie : « Mon père et ma mère, surpris de cette fortune inespérée, sentirent leur vanité flattée, et m’adoptèrent pour leur fils ; mais comme leur sentiment était en quelque sorte artificiel, pour ne pas dire joué, ce retour eut peu d’influence sur un cœur ulcéré (…). » (id., p. 208)

Il se sent plus proche de ses amis présents dans les jours difficiles. De même, dans Le Lys dans la vallée, quand Félix est appelé au logis de M. et Mme de Mortsauf, il accourt car il croit en la fidélité de cette femme : « Je volai comme une hirondelle en Touraine. Pour la première fois j’allai me montrer à celle que j’aimais, non seulement un peu moins niais, mais encore dans l’appareil d’un jeune homme élégant (…). (…) j’avais la conscience d’être le soutien secret de la plus adorable femme qui fût ici-bas, son espoir inavoué. » (id., pp. 209 et 210)

Pour mieux la conquérir, il essaie de plaire à son mari, à leurs deux enfants et il réussit. Il laisse place aux chuchotements en lien avec ses états d’âme, sa bien-aimée et le paysage. Tout murmure autour de lui : « Nous eûmes alors sous cette mobile voûte de feuillages frémissants une longue conversation pleine de parenthèses interminables, (…). » (id., p. 216)

Même si le bonheur domine, il se heurte aux exigences de M. de Mortsauf, acariâtre, jamais satisfait des services de ceux qui l’entourent, éclatant sans raison, en colères magistrales. Heureusement pour Félix, brille un rayon de lumière près de lui, cette femme qui supporte tout sans se plaindre. Remarquons l’art de l’écrivain qui unit la nuit lumineuse à ses sentiments. Il se confie à elle et l’assure de son amitié. « Ma conscience ne me reproche rien. Les étoiles rayonnent d’en haut sur les hommes ; pourquoi l’âme, cette étoile humaine, n’envelopperait-elle pas de ses feux un ami, quand on ne laisse aller à lui que de pures pensées ? » (id., p. 226)

Félix trouve la pureté dans la nature, l’eau, la lumière, reflets de son amour sublimé avec sa bien-aimée qui lui fait visiter les lieux sur l’eau : « L’agitation d’un amour plein de désirs contenus s’harmonise à celle de l’eau ; les fleurs que la main de l’homme n’a point perverties expriment ses rêves les plus secrets, le voluptueux balancement d’une barque imite vaguement les pensées qui flottent dans l’âme ; nous éprouvâmes l’engourdissante influence de cette double poésie : les paroles montées au diapason de la nature, déployèrent une grâce mystérieuse, et les regards eurent de plus éclatants rayons en participant à la lumière si largement versée par le soleil dans la prairie flamboyante ; (…) » (id., p. 229)

Balzac, éternel amoureux de la Touraine, partage avec nous, son plaisir jamais lassé de la découvrir sous de multiples aspects par exemple « un bouillard, espèce de peuplier dont l’écorce est blanche, qui se trouve sur le Danube, sur la Loire, probablement sur tous les grands fleuves, et qui jette au printemps un coton blanc soyeux, l’enveloppe de sa fleur. » (id., p. 231) La métamorphose de cet arbre, n’est-elle pas à l’image de sa vie transformée en ce lieu ? Comme leur pêche de poissons locaux, « des tanches, des barbillons, des brochets, des perches, et une énorme carpe sautillant sur l’herbe. » ? (id.)

Parallèlement, Henriette éprouve pour Félix, un sentiment pur comme le lys dans la vallée car ses enfants passent avant elle. Quand elle les sait malades, elle se précipite vers eux. Il comprend : « J’aimais donc seul avec les désirs d’un amour qui sait tout ce qu’il veut, qui se repaît par avance de caresses espérées, et se contente des voluptés de l’âme parce qu’il y mêle celles qui lui réserve l’avenir. » (id., p. 232) Le comte étant indisposé, Félix dévoué, va chercher « à Tours un médecin renommé, monsieur Origet, [qu’il ne put] ramener que dans la soirée (…). » (id., p. 233)

Faisons une parenthèse dans ce roman, pour découvrir le charisme de ce médecin. L’éminent orateur, le Pr Ledouble (1848 – 1913) ayant exercé à la faculté de médecine de Tours, fait son éloge lors de « La célébration du centenaire de la société médicale d’Indre-et-Loire » et présente le Dr Origet comme « un grand bienfaiteur », « un grand ramasseur de misères » pour exprimer la valeur de son travail et de son humanité envers les pauvres. (La Gazette médicale du Centre, décembre 1901, page 177)

Retournons maintenant dans Le Lys dans la vallée. Le comte étant malade, Félix se sent diminué dans le cœur de celle qu’il aime. Sa place auprès d’elle devient moindre : « (…) j’étais un accident de sa vie, je n’étais toute sa vie. Roi détrôné, j’allais me demandant qui pouvait me rendre mon royaume. » (Le Lys dans la vallée, 1939, p. 233)

Les enfants de la comtesse sont longtemps très fatigués, le comte aussi. Félix reste attentionné, prêt à se rendre utile à tous. Son dévouement s’accentue ; les doutes du comte sur ce jeune homme s’effacent alors.

Le comte finit par se rétablir mais il crie beaucoup et devient de plus en plus tyrannique avec sa femme, ses enfants et Félix. Mme de Mortsauf accepte tout de son mari diminué et conseille à Félix de se marier. Alors rappelé par le roi à Paris, celui-ci part. Il a des aventures amoureuses mais il souhaite la revoir malgré tout. Elle l’accueille froidement : « Ah ! vous voilà ! » (id., p. 268)

Là encore, le narrateur crée une connivence entre les états d’âme et le paysage tel un fleuve déchaîné qu’il associe au désastre : « L’ouragan de l’infidélité, semblable à ces crues de la Loire qui ensablent à jamais une terre, avait passé sur son âme en faisant un désert là où verdoyaient d’opulentes prairies. » (id.)

Alors Félix se sent coupable et ressent une grande lassitude : « la fatigue me gagnait le corps et l’âme (…). » Il revit le passé enfui à travers les choses immuables : «  le parfum de toutes ses roses, la chaleur de sa terrasse, en entendant le chant de ses rossignols (…). ». (id., p. 329)

Il revient encore une fois en ces lieux : « Au-delà de Tours, en débouchant par les ponts Saint-Sauveur, pour descendre dans le chemin bordé de peupliers qui mène à Poncher, (…), je rencontrai M. Origet ; » (id., p. 330). Ce docteur très estimé qui soigne de la même manière, les pauvres et les riches, lui apprend que sa bien-aimée d’autrefois « meurt d’une affreuse mort, elle meurt d’inanition. » (id., p. 331) Il lui explique qu’elle ne meurt pas uniquement de maladie mais d’un refus de manger depuis quarante jours : « c’est l’incurable résultat d’un chagrin, comme une blessure mortelle est la conséquence d’un coup de poignard. (…) Le chagrin a fait l’office du poignard. » (id.)

Mourante, elle a encore la force de s’écrier : « Le bonheur des autres devient la joie de ceux qui ne peuvent plus être heureux. » (id., p. 337) Là encore, la nature bat au rythme des sentiments : « Elle tombe, il est vrai ; mais, à chaque faux pas, elle se relève plus haut que le ciel. » (id.) Félix unit alors cette femme à la fleur symbole de pureté. Il s’écrie : « Vous le croyez, ce beau lys coupé refleurira dans le ciel ? » (id., p. 338)

Dans un sursaut imprévisible, sachant Félix là, elle se lève et prend des fleurs d’automne pour composer un bouquet. Il la voit lui préparer ce cadeau dans un dernier effort : « J’aperçus alors Henriette en robe blanche, assise sur son petit canapé, placé devant la cheminée ornée de nos deux vases pleins de fleurs ; » (id., pp. 342 et 343)

Là encore, les fleurs restent présence symbolique. Elles servent de messagères pour exprimer le lien fort qui les unit tous deux malgré l’approche de l’automne avant le froid de la mort. Henriette lui confie qu’elle veut rester : « belle et grande dans votre souvenir, y vivre comme un lys éternel. » (id., p. 344)

Balzac nous transmet la force de vie des fleurs même après la mort : « on voudrait que les malades reposassent sur des roses ; on voudrait prendre leur souffrance ; on voudrait que le dernier soupir fût pour eux inattendu. » (id., p. 351) On appelle Félix : « (…) venez voir madame, elle est belle comme un ange. » (id.)

Une fois de plus, la nature est là en symbiose avec les événements comme pour s’associer à l’envol d’une âme : « Je revins chez la mourante au moment où le soleil se couchait et dorait la dentelle des toits du château d’Azay. Tout était calme et pur. Une douce lumière éclairait le lit où reposait Henriette (…). En ce moment le corps était pour ainsi dire comme annulé ; l’âme seule régnait sur ce visage, serein comme un beau ciel après la tempête. » (id.) Peu à peu, elle se transforme : « Les teintes vertes de la souffrance corporelle faisaient place aux tons entièrement blancs, à la pâleur mate et froide (…). » (id., p. 352)

Deux abbés appelés participent au départ de cette âme dans la sérénité : « – Elle arrive au port, dit l’abbé Biroteau. L’abbé de Dominis me regarda comme pour me répéter : – N’ai-je pas dit que l’étoile se lèverait brillante ? » (id., pp. 352 et 353)

En ce moment d’émotion intense, tout l’univers semble participer à ce départ, les tintements des cloches du bourg et la nature alentour à sa manière : « Les murmures du soir, brise mélodieuse dans les feuillages, derniers gazouillements d’oiseau, refrains et bourdonnements d’insectes, voix des eaux, cri plaintif de la rainette, toute la campagne disait adieu au plus beau lys de la vallée, à sa vie simple et champêtre. Cette poésie religieuse, unie à toutes ces poésies naturelles, exprimait si bien le chant du départ que nos sanglots furent aussitôt répétés. » (id., p. 353) Les rossignols des lieux entonnent une ritournelle : « Par un hasard assez naturel à la campagne, nous entendîmes alors le chant alternatif de deux rossignols qui répétèrent plusieurs fois leur note unique, purement filée comme un tendre appel. » (id., p. 359)

Ce parfait accord de la nature avec les sentiments humains se prolonge après sa mort : « Au moment où le cortège quitta la chaussée des moulins, il y eut un gémissement unanime mêlé de pleurs qui semblait faire croire que cette vallée pleurait son âme. » (id., p. 361).

Félix n’est plus le bienvenu ici. Le charme est rompu. Le comte et sa fille le rendent coupable sans penser qu’ils ont aussi leur part de responsabilité. Il reste quelques jours à Frapesle, lieu propice à la méditation. Encore une fois, son âme bat en union avec la nature et il admire : « ce vallon tranquille et solitaire (…) ; vaste pli de terrain bordé de chênes deux fois centenaires, et où par les grandes pluies coule un torrent. » (id., p. 362) Mais il ressent très fort l’absence de l’être disparu en ce lieu : « Être ainsi, là où jadis les fleurs mêmes étaient caressantes, où les marches des perrons étaient éloquentes, où tous mes souvenirs revêtaient de poésie les balcons, (…) les arbres et les points de vue ; être haï, là où tout m’aimait ; (…). » (id., p. 363)

Arrivé à Paris, envahi de remords, il s’imprègne encore une fois des paysages de Touraine comme pour mieux les ancrer en lui : « Mes méditations allaient à perte de vue, pendant que mes yeux restaient attachés sur la magnifique tapisserie des chênes dorés, aux cimes sévères, aux pieds de bronze (…). Je me débattais au milieu de mes remords. Enfin, par un suave midi d’automne, un de ses derniers sourires du ciel, si beaux en Touraine, je lus sa lettre que, suivant sa recommandation, je ne devais ouvrir qu’après sa mort. » (id., p. 364) Dès les premiers mots, il est ému par l’intensité de ce message, par la force des sentiments exprimés : « Félix, ami trop aimé, (…) aujourd’hui je meurs atteinte par vous d’une dernière blessure ; mais il y a d’excessives voluptés à se sentir brisée par celui qu’on aime. » (id.)

Par ses écrits, Henriette revit et lui confie ses pensées. La volupté lui a permis de redécouvrir le paysage qui l’entourait en correspondance avec son âme : « Je compris qu’il existait je ne sais quoi d’inconnu pour moi dans le monde, une force plus belle que la pensée, (…). En retournant à Clochegourde, le printemps, les premières feuilles, le parfum des fleurs, les jolis nuages blancs, l’Indre, le ciel, tout me parlait un langage jusqu’alors incompris, et qui rendait à mon âme un peu du mouvement que vous aviez imprimé à mes sens. Si vous avez oublié ces terribles baisers, moi je n’ai jamais pu les effacer de mon souvenir : j’en meurs ! » (id., p. 366)

Elle ne regrette rien. En final, elle lui dit : « Encore adieu, un adieu semblable à celui que j’ai fait hier à notre belle vallée, au sein de laquelle je reposerai bientôt, et où vous reviendrez souvent, n’est-ce pas ? » (id., p. 372). Félix n’oublie pas son message et il reconnaît la force de sa présence même morte car « Une âme est en mon âme ; (…) tout ce que je puis avoir de bon émane de cette tombe, comme d’un lys les parfums qui embaument l’atmosphère. » (id., p. 373)

Partir ne signifie pas oublier et une amie lui conseille de ne pas s’enfermer dans ses souvenirs devant les autres, pour continuer à vivre dans le présent vers l’avenir.

 

Sortons du roman et revenons à la réalité. Balzac avait l’art de décrire le sentiment amoureux car de nombreuses femmes ont imprégné sa vie. Celle qu’il a courtisée le plus longtemps, pendant dix-sept ans, est la comtesse polonaise, Ewelina Hańska ; ils se marient en 1850, peu de temps avant la mort de l’écrivain.

Par ailleurs, pourquoi M. Jean de Margonne a-t-il tant aidé Honoré de Balzac ? À l’approche de sa mort, lors de son dernier séjour à Saché, Balzac a confié à Mme Hańska que Jean Margonne avait un lien de parenté indirect avec lui. Il est le père d’Henry Balzac, né de la liaison adultérine de sa mère avec M. de Margonne. Quand Balzac l’a su même sans le dévoiler, il a mieux compris l’attachement de M. de Margonne envers lui et l’hospitalité de cet homme toujours prêt à l’aider au long de sa vie d’adulte.

Pour souligner le talent littéraire de Balzac, donnons la parole à un géant de la littérature, Victor Hugo. Dans son Discours prononcé aux funérailles de M. Honoré de Balzac, le 29 août 1850, il n’a pas hésité à saluer son génie en public :

M. de Balzac était un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs. (…) Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; (…). Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde l’homme, l’âme, le cœur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi. (…) Sa vie a été courte, mais pleine ; plus remplie d'œuvres que de jours. Hélas ! ce travailleur puissant et jamais fatigué, ce philosophe, ce penseur, ce poëte, ce génie, a vécu parmi nous de cette vie d'orages, de luttes, de querelles, de combats, commune dans tous les temps à tous les grands hommes. Aujourd'hui, le voici en paix. Il sort des contestations et des haines. Il entre, le même jour, dans la gloire et dans le tombeau. Il va briller désormais, au-dessus de toutes ces nuées qui sont sur nos têtes, parmi les étoiles de la patrie ! (Œuvres complètes de Victor Hugo – Actes et Paroles, I, pp. 532, 533 et 534)

 

En conclusion, Balzac observateur attentionné, s’est souvent ressourcé en Touraine, en symbiose avec ce cadre grandiose. Dans Le Lys dans la vallée, il nous emporte dans un univers empli de paysages dans la minutie du détail, en correspondance avec les sentiments. Il a créé une connivence entre ce petit paradis de verdure sur les bords de l’Indre en Touraine et l’amour. Ici, passion, vie et mort sont liés à la beauté, à la nature, aux battements de l’âme.

Août 2019

Catherine Réault-Crosnier

 

Bibliographie :

Remarque : Pour cette conférence, c’est l’édition de 1839 du Lys dans la vallée qui a été utilisée ; elle est qualifiée sur la page de garde de « Nouvelle édition, revue et corrigée » (disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k132583w).

 

– Ouvrages cités :

Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, Charpentier éditeur, Paris, 1839, 387 pages.

Jean-Louis Déga, La vie prodigieuse de Bernard-François Balssa (père d’Honoré de Balzac), Éditions Subervie, Rodez, 1998, 667 pages.

Victor Hugo, Œuvres complètes Actes et Paroles, I, J. Hetzel & Cie, A. Quantin, Paris, 1882, 639 pages.

Mme L. Surville (née de Balzac), Balzac – Sa vie et ses œuvres d’après sa correspondance, Libraire nouvelle, Jaccottet, Bourdilliat et Cie éditeurs, Paris, 1858, 210 pages.

La Gazette médicale du Centre, revue mensuelle, année 1901, imp. Tourangelle 20 – 22 rue de la Préfecture 37000 Tours) 

 

– Sites Internet consultés et utilisés :

https://journals.openedition.org/ahrf/1035

https://gw.geneanet.org/balzac?lang=fr&n=balssa&oc=0&p=louis+daniel

https://gw.geneanet.org/balzac?lang=fr&n=balzac+de&oc=0&p=honore

http://www.lysdanslavallee.fr/