20èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 10 août 2018, de 17 h 30 à 19 h
Charles Péguy, sa vie, son œuvre |
Lire la présentation de cette Rencontre.
Charles Pierre Péguy dit Charles Péguy (1873 – 1914), écrivain, poète, essayiste, penseur engagé dans son époque, l’un des auteurs majeurs du XXe siècle, figure incontournable de la littérature française, nous étonne par la force de sa pensée, de ses écrits, que nous n’avons jamais fini d’approfondir. À partir de 1894, il choisit deux noms de plume Pierre Deloire et Pierre Baudouin (http://data.bnf.fr/11918933/charles_peguy/), le premier nous rappelant son attachement à ce fleuve majestueux et le second, celui d’un de ses amis de l’École normale supérieure, frère de celle qui sera ensuite sa femme. Le prénom Pierre lui sert certainement à affirmer sa volonté de bâtir sa vie sur des bases solides.
Charles Péguy n’est pas Tourangeau. Il a mis à l’honneur en premier, l’Orléanais où il est né sans oublier d’autres régions de France dont la Touraine et ses châteaux célébrés en alexandrins pour sublimer la solennité. Ne nous étonnons pas qu’il ait chanté la Touraine dans ses poèmes. Elle est liée à l’histoire de France et ses paysages emplis de majesté l’ont séduit par leur beauté naturelle et par la Loire.
Une partie du public.
Charles Péguy laisse couler ses vers comme la Loire près des châteaux, points de repère dans le paysage. Dans le poème « Châteaux de Loire », Langeais, Chenonceaux (ainsi écrit avec un « x » par Péguy), Chambord, Amboise sont présents ; la dernière strophe « Car celle qui venait du pays tourangeau », nous rappelle la présence de Jeanne d’Arc là où elle a posé les pieds :
– à Chinon pour rencontrer Charles VII ;
– à Sainte-Catherine-de-Fierbois où elle a trouvé
sa fameuse épée frappée de cinq croix ;
– à Tours où elle reçoit son armure et sa
bannière ;
– à Loches où après sa victoire d’Orléans sur
les Anglais, elle décide Charles à aller se faire sacrer à Reims pour devenir
le souverain légitime.
Imprégnons-nous de ce poème bâti en alexandrins, caractéristique de Charles Péguy pour une union solennelle de la beauté du paysage à celle des châteaux :
CHATEAUX DE LOIRE
Le long du coteau courbe et des nobles vallées
Les châteaux sont semés comme des reposoirs,
Et dans la majesté des matins et des soirs
La Loire et ses vassaux s’en vont par ces allées.
Cent vingt châteaux lui font une suite courtoise,
Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais.
Ils ont nom Valençay, Saint-Aignan et Langeais,
Chenonceaux et Chambord, Azay, le Lude, Amboise.
Et moi j’en connais un dans les châteaux de Loire
Qui s’élève plus haut que le château de Blois,
Plus haut que la terrasse où les derniers Valois
Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire.
La moulure est plus fine et l’arceau plus léger.
La dentelle de pierre est plus dure et plus grave.
La décence et l’honneur et la mort qui s’y grave
Ont inscrit leur histoire au cœur de ce verger.
Et c’est le souvenir qu’a laissé sur ces bords
Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve.
Son âme était récente et sa cotte était neuve.
Innocente elle allait vers le plus grand des sorts.
Car celle qui venait du pays tourangeau,
C’était la même enfant qui quelques jours plus tard,
Gouvernant d’un seul mot le rustre et le soudard,
Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau.
(Charles Péguy, Œuvres poétiques, Sonnets,
p. 833)
(« Châteaux de Loire » poème écrit en
1912)
Après cette introduction poétique, retraçons la vie de cet écrivain et abordons son œuvre, sans oublier la Loire, qu’elle coule dans l’Orléanais ou ailleurs.
Sa biographie :
Charles Péguy naît le 7 janvier 1873 à Orléans dans une famille modeste. Son père, Désiré Péguy, menuisier, participe à la « défense de Paris ». Quelques mois plus tard, il meurt des suites de la guerre.
Charles Péguy garde le souvenir de son père qu’il a si peu connu de son vivant, car sa mère lui en a parlé avec respect et amour. À notre époque, nous utiliserions le terme de résilience pour expliquer comment grâce à l’attention de deux personnes proches et aimantes, sa mère et sa grand-mère maternelle à ses côtés, l’enfant a pu s’épanouir et se structurer sans déprimer. Charles Péguy garde en sa mémoire le souvenir d’êtres qui l’ont aimé. Elles sont présentes dans son ensemble autobiographique Pierre, Commencement d’une vie bourgeoise :
« (…) tout jeune, il avait appris le métier de menuisier (…) il n’était pas très fort de son tempérament ; il ne fut pas soldat, mais quand les Prussiens arrivèrent il partit dans les mobiles du Loiret, qui firent le siège de Paris. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Pierre, Commencement d’une vie bourgeoise, p. 150)
« Ma mère avait conservé religieusement dans le tiroir de la commode un morceau de pain du siège et une lettre que mon père lui avait envoyée un peu avant l’investissement. La lettre était pleine d’espoir ; (…). » (id., p. 150)
« (…) je m’étonnais un peu que les Prussiens eussent forcé mon père à manger de ce pain sec, puisqu’il y avait tant de canons à Vincennes (…). » (id., p. 151)
« Maman m’expliquait que mon père et les autres s’étaient battus longtemps, (…) que mon père avait couché dans la neige et mangé de ce pain-là, (…) et que c’était là que mon père avait pris la maladie dont il était mort. » (id., p. 151)
« Après la guerre mon père était revenu à Orléans et s’était remis à son ancien métier de menuisier ; c’était un bon ouvrier, il travaillait chez de bons patrons ; tout le monde le connaissait et l’aimait beaucoup. » (id., p. 151)
Charles Péguy décrit le courage de son père devant la maladie, celui de sa mère qui travaillait plus puis le décès de son père :
« (…) c’était ma grand-mère qui s’occupait de moi, (…) ; maman n’avait pas le temps, parce qu’elle travaillait du matin au soir à rempailler des chaises. » (id., p. 146)
« (…) j’avais dix mois quand mon père est mort ; c’est pour cela que je ne l’ai jamais connu. » (id., p. 152)
Charles Péguy est élevé par sa mère, Cécile, née Quéré, et sa grand-mère, Étiennette née à Gennetinne dans le Bourbonnais et arrivée à Orléans par bateau. (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Chronologie, p. XXIX)
Avec des mots simples venus du cœur, il rend hommage à son père, avec émotion et respect, à sa mère et sa grand-mère pour leur dévouement sans faille. Elles lui ont aussi transmis l’amour du travail bien fait. Par le témoignage émouvant de Charles Péguy, nous comprenons qu’il fut toujours aimé, qu’il ne vécut pas dans la misère mais dans une austère et digne pauvreté :
« (…) maman travaillait (…) du matin jusqu’au soir sans s’arrêter jamais, pour gagner de l’argent et pour me donner du pain. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Pierre, Commencement d’une vie bourgeoise, p. 147)
« J’aimais travailler ; j’aimais travailler bien ; j’aimais travailler vite, j’aimais travailler beaucoup ; je ressemblais ainsi à ma grand-mère, qui était une travailleuse dure, et qui avait tant travaillé dans son existence qu’elle en avait le corps tout cassé ; je ressemblais ainsi à maman qui était un modèle de travailleuse ; et quand j’avais bien travaillé ma grand-mère et surtout maman me faisaient des compliments dont j’étais délicieusement heureux (…). » (id., p. 153)
« Maman qui m’avait appris à lire et à compter ne tenait pas beaucoup à m’envoyer à l’école de bonne heure ; je crois que c’était parce qu’elle m’aimait et qu’elle ne se privait pas facilement de moi cinq heures par jour ; elle m’apprit tout ce qu’elle put, et elle en savait long, bien qu’elle ne fut elle-même allée à l’école que jusqu’à dix ans et demi ; enfin j’arrivais sur mes sept ans et je ne savais toujours pas tenir une plume ; il fut sérieusement question de m’envoyer à l’école. » (id., p. 157)
À l’école primaire (de 1879 à 1885), il reçoit une éducation républicaine et patriotique. Grâce à l’attribution de bourses aux bons élèves issus des couches populaires, Charles Péguy, élève méritant, entre en 6e au lycée d’Orléans, comme les enfants de la bourgeoisie.
Déjà, il aimait lire. Dans une lettre à une tante, il la remercie pour le livre « Guerre de 1870 » qu’elle lui a offert : « Mon livre fera très bien, dans la bibliothèque, à côté des histoires de Jeanne d’Arc et de Duguesclin. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Appendice, p. LXXXIII)
Sa grand-mère lui racontait des histoires (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Pierre, Commencement d’une vie bourgeoise, p. 146). Cette imprégnation dans l’enfance, a développé son imagination, sa mémoire, et lui a ensuite donné envie d’écrire en gardant le souvenir de récits et chansons du passé.
Il exprime le goût du travail bien fait dans une lettre à un ami d’école : « C’est un honneur et un devoir de réussir et le certificat vous ouvre la porte de bien des places, de bien des métiers. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Appendice, p. LXXXIV)
Au lycée, il est reconnu comme un élève méritant, doué et appliqué. Remarquons sa « Composition », Le revenant, mettant à l’honneur Lucrèce et Virgile, (id., pp. LXXXVI à LXXXIX), le premier exprimant son intérêt pour les auteurs anciens, la philosophie et la poésie, le second, son attention envers les petits, les pauvres (année scolaire 1887-1888). Dans une autre composition en instruction religieuse sur l’existence de Dieu, il commence par « La nécessité d’une première cause créatrice » se rapprochant de la pensée de Bergson (id., p. XCI). Charles Péguy avait déjà en herbe de nombreuses facettes de son talent d’écrivain qui ne demandait qu’à s’épanouir en particulier l’importance du message des écrivains du passé, la précision du détail, la soif de connaître et d’approfondir les thèmes essentiels par lui-même.
Pendant toutes ses études secondaires, il obtiendra « le prix d’excellence et presque tous les premiers prix chaque année. » (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Chronologie, p. XXIX) En classe de rhétorique, il a présenté des essais bien argumentés, par exemple Un admirateur de La Fontaine à Lamartine (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Appendice, pp. CXXII et CXXIII).
En 1891, il est admis, comme « boursier d’État » au lycée Lakanal de Sceaux, pour préparer son entrée à l’École normale supérieure (ENS) rue Ulm à Paris, mais il échoue. À cette époque, il perd la foi et cesse toute pratique religieuse (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Chronologie, p XXX).
En 1892 – 1893, il effectue son service militaire puis une deuxième année de préparation, à Sainte-Barbe à Paris. En 1894, il est reçu à l’École normale supérieure où il reste trois années. Il prépare l’agrégation de philosophie.
En 1895, adhérent au parti socialiste, il affiche son anticléricalisme. Pourtant, la même année, il prépare un drame en trois pièces à visée historique, Jeanne d’Arc, (durant un congé d’un an de l’ENS qu’il a passé chez sa mère à Orléans et sur les traces de Jeanne d’Arc). Il célèbre la foi et la figure patriotique de Jeanne d’Arc pour la construction d’une société équitable. Lui aussi cherche sa voie, ressent la solitude, le doute. Alors la voix de Jeanne délaissée lui rappelle ses hésitations, sa solitude. À travers sa propre recherche, la voix de Jeanne retentit à nouveau :
O mon Dieu faudra-t-il que je sois toute seule ?
Faut-il qu’ils fassent tous leur partance de moi ?
Que leur partance à tous me laisse toute seule.
(Charles Péguy, Œuvres poétiques, p. 205)
Il s’éloignera de cet état d’esprit politique comme d’une utopie, recherchant en premier, à faire le bien. Créateur très productif, il écrit en particulier en 1897, un manifeste De la cité socialiste pour mieux gérer l’administration des biens sociaux dans un esprit d’égalité des chances et des devoirs de chacun. À cette époque, il est proche de Jean Jaurès et participe aux manifestations de rue, pour soutenir les petits et les pauvres : « Le travail social sera socialisé, c’est-à-dire qu’il sera fait par l’ensemble des citoyens. (…) En échange la cité assurera aux citoyens une éducation vraiment humaine, et l’assistance exacte en cas de maladie ou d’infirmité, enfin l’assistance entière pendant la vieillesse. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 35)
Engagé dans une voie de recherche d’un monde plus juste, Charles Péguy publie de nombreux articles dans La Revue socialiste.
Parallèlement, il rédige Une ébauche d’une étude sur Vigny (1897). Il apprécie ce « poète de génie » à la supériorité naturelle de pensée (Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 33). Il reconnaît le pessimisme, la sincérité, la force de conviction étonnante de ce grand romantique en particulier à travers le thème « du mal et du désespoir », présent dès le début de son essai :
« Alfred de Vigny, à ce qu’il me semble bien, pensait et surtout sentait, quand il avait avec lui-même une entière sincérité, que le monde, en son ensemble, est mauvais. Il a plusieurs fois réduit cette pensée en formule :
Je ne sais d’assurés, dans le chaos du sort,
Que deux points seulement, la souffrance et la
mort. »
(Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 23)
En 1897, il se marie civilement avec Charlotte-Françoise Baudouin, d’une famille très intellectuelle et très artiste. Ils s’installent 7, rue de l’Estrapade au domicile de sa belle-famille. Au fil du temps, ils auront quatre enfants, Marcel (septembre 1898), Germaine (septembre 1901), Pierre (juin 1903) et Charles-Pierre (février 1915). (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Chronologie, pp. XXXII et XXXIII)
Il prend la plus grande part à la fondation de la librairie « Georges Bellais » (17 rue de Cujas) (id., p. XXXIII). Cette librairie périclitant, il est constitué en 1899, la Société nouvelle de librairie et d’édition où Charles Péguy n’est plus que « délégué à l’édition ». (id., p. LXI)
En 1897, il termine sa pièce de théâtre, Jeanne d’Arc, constitué de trois parties Domrémy, Les Batailles, Rouen, cherchant à montrer combien une force d’âme pouvait renverser un monde cruel et guerrier tel celui que Jeanne d’Arc connut dans son enfance. Voici un extrait typique de la sûreté de décision de cette femme hors du commun, envers et contre toutes les barrières de la logique habituelle car elle a réponse à tout. Ses paroles prémonitoires ont pu paraître folles mais elles venaient d’une force intérieure immense et d’une confiance absolue en son appel :
« Pour sauver la France, il nous faut une fille de France. » (Charles Péguy, Œuvres poétiques, p. 62)
« Ils ne feront pas d’armée, parce qu’il y faut un chef, et qu’il n’y a pas de chef. » (id., p. 63)
« Vous m’avez commandé d’aller dans la
bataille : j’irai.
Vous m’avez commandé de sauver la France pour monsieur
le dauphin : j’y tâcherai. » (id., p. 65)
« Je n’ai pas de commandement qui soit à moi. Mais je viens de Celui qui a commandement sur tout le monde ; (…). » (id., p 133)
Dans cette pièce de théâtre, Charles Péguy transmet la parole de Jeanne, la rendant universelle pour tous les temps :
« Nous vous prions pour ceux qui seront morts
demain :
Mon Dieu sauvez leur âme et donnez-leur çà tous,
Donnez-leur le repos de la paix éternelle. » (id.,
p. 137)
En août 1898, suite à son échec à l’agrégation de philosophie et malgré la désapprobation de sa mère, il abandonne l’Université.
Il s’engage dans l’affaire Dreyfus où un jeune officier juif jugé pour haute trahison, est condamné à la déportation à vie et à la dégradation militaire. En 1899, il prend ouvertement position pour le défendre : « L’affaire Dreyfus est devenue assez vite une affaire universelle, (…). Il est évident que la cause première de cette universelle extension fut le sursaut d’indignation que le spectacle de l’injustice donne aux hommes qui ont faim et soif de justice, (…). » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 226)
Déçu par les romans de Zola, il affirme : « Je crois que l’enseignement donné par ces livres fut déplorable (…). » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 261) Charles Péguy élevé dans l’amour et le respect, n’accepte pas la profusion d’images de mauvaise vie : « Il est malsain que les enfants qui passent rue Soufflot gardent dans leur mémoire les images d’ivrognerie que la maison Delagrave exposait derrière les barreaux de ses vitrines. (…) De même la plupart des anciens personnages de Zola sont d’une fréquentation très pernicieuse. » (id., p. 262)
À côté de son engagement au niveau de la république, Charles Péguy respecte aussi l’Église, réminiscence des messages transmis par sa mère et sa grand-mère. En 1900, il écrit : « L’instituteur au village ne représente pas moins la philosophie et la science, la raison et la santé, que le curé ne représente la religion catholique. » (id., p. 425)
En 1900, suite à son désengagement de la librairie Georges Bellais, il crée les Cahiers de la Quinzaine qui seront publiés tout au long de sa vie jusqu’à sa mort, nous apportant une mine de renseignements sur la vie de l’époque, de nombreuses personnalités, des écrivains et aussi l’évolution de sa pensée. Son engagement pour le capitaine Dreyfus est l’un des piliers de départ.
Cependant, il n’hésite pas à exprimer son désaccord avec le socialisme français et critique les dérives autoritaires car il reste en premier, un humaniste au service des plus pauvres, des démunis, des maltraités. Il crie sa honte : « Il me paraît que l’humanité présente a besoin de tous les soins de tous les hommes. (…) Il me paraît incontestable que l’humanité présente est malade sérieusement. Le massacre des Arméniens, (…) n’est pas seulement le plus grand massacre de ce siècle ; mais il fut et il est sans doute le plus grand massacre des temps modernes, et pour nous rappeler une telle mort collective, il nous faut dans la mémoire de l’humanité, remonter jusqu’aux massacres asiatiques du Moyen Âge. Et l’Europe n’a pas bougé. La France n’a pas bougé. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 432)
Peut-être cette atmosphère l’a-t-elle incité à rappeler dans ses Cahiers, la pièce de théâtre Antigone de Sophocle, à travers cette sorte de descente aux enfers quand après l’action, il ne reste aucune lumière ? (id., p. 466)
Peu de gens lisent ses Cahiers, quelques centaines d’abonnés à un maximum de deux mille. Parmi eux, citons des instituteurs, des professeurs de province, quelques grands écrivains, Anatole France, André Gide, Maurice Barrès, Marcel Proust… Ainsi il fait découvrir de nouveaux écrivains pour créer un espace de réflexion critique contre l’endoctrinement et pour l’enseignement. Ils ont survécu grâce à la ténacité et au travail acharné de Charles Péguy et au soutien de ses amis généreux.
Dans Les Cahiers de la Quinzaine, il apporte de nombreux renseignements et un regard sur la vie politique française dont « L’Affaire Liebknecht » (5 janvier 1900). Il laisse aussi une place à des écrivains connus dont Anatole France (7 octobre 1902), Émile Zola (4 décembre 1902), Romain Rolland (27 janvier 1903), Maurice Kahn, philosophe (25 août 1903), André Suarès (21 février 1905) ou Tolstoï (21 mars 1905).
Il publie aussi dans Les Cahiers, ses écrits par exemple en 1901, un essai De la raison ; le titre nous rappelle son maître en philosophie Bergson dont il se sent proche (Charles Péguy, Œuvres en prose I, pp. 834 à 853). Charles Péguy nous montre combien certains manient les foules pour un résultat souvent pire que le présent : « La raison ne procède pas de l’autorité démagogique. Ameuter les masses, lancer les foules est un exercice d’autorité non moins étranger à la raison que d’amasser quelque majorité, de lancer quelque régiment. Nous sommes aujourd’hui sous le gouvernement de la démagogie beaucoup plus que sous le gouvernement de la démocratie. » (id., p. 837) Charles Péguy développe ensuite le thème du peuple abusé et essaie de trouver une solution équitable.
En 1902, Charles Péguy approfondit la philosophie de Bergson qu’il connaît depuis longtemps puisque lors d’un discours de Bergson sur De L’intelligence, dans le cadre de la remise des prix, le lycéen Charles Péguy intéressé lui avait ensuite écrit pour lui demander le texte (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Chronologie, p. LXX).
En 1903, Charles Péguy publie Le bon roi Dagobert de style familier et critique du régime parlementaire (id., p LXXI), peut-être son seul écrit où l’humour et la dérision dominent :
(…)
Dit le roi Dagobert :
Il faudrait un nouveau Colbert ;
Le grand saint-Eloi
Lui dit : ô mon roi,
Finance
De France
Est mal en balance ;
– Bouffon, du peuple roi,
Colbert ne tiendrait pas six mois.
(…)
(Charles Péguy, Œuvres poétiques, La Chanson du roi Dagobert, p. 351)
En 1904, dans ses Cahiers, il publie Pour la rentrée, nous montrant combien les crises annoncent d’autres crises, et les défauts de la vie moderne de plus en plus inhumaine dans un crescendo malsain. Malgré ce contexte, en homme intègre, il n’oublie pas l’enseignement des ses maîtres et leur rend hommage, les remercie :
« (…)
Heureux temps : ni la pourriture politique parlementaire, ni l’effroyable tartufferie bourgeoise, politicienne, arriviste, n’avaient envahi les corps de métier, (…) ; le mal était localisé ; aujourd’hui ;
Dans les tristesses du temps présent, (…) c’est une des plus grandes consolations que j’aie conservées (…) l’encouragement que je reçois de la paternelle bienveillance de mes vieux maîtres (…) qui ont formé ma jeunesse (…) ; la plupart des maîtres qui ont formé ma jeunesse ont bien voulu m’accompagner dans le rude labeur de ces cahiers ; (…). »
(Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. 1388)
Écrivain engagé, il utilise le message d’autres auteurs, Taine (id., p. 1407), Jean de La Fontaine (id., p. 1434), Ernest Renan (id., p. 1422)…, pour transmettre la force de leurs écrits.
Dans le même état d’esprit de sincérité et de vérité, il se sert de l’exemple de la vie de Lucien Herr, lui aussi élève à l’École normale (id., pp. 1501 et 1502), pour expliquer sa rupture avec sa ligne de conduite passée, par « un besoin profond de classement et de sincérité » (id., p. 1503), pour ne pas mettre de barrière infranchissable entre ceux qui ne pensent pas comme lui, de tout milieu, intellectuels et non intellectuels (id., p. 1504). Charles Péguy est sans cesse en face du dilemme d’un choix délicat (id., p. 1518). Il écrit d’ailleurs : « Choisir, c’est tout le métier que je fais depuis qu’ayant résolu de constituer un corpus d’histoire contemporaine à mesure que les évènements se produiraient, (…) ; nous n’avons pas eu le choix de choisir entre choisir et ne choisir pas ; (…) je veux dire de garder peu des matériaux ; d’éliminer beaucoup, presque tout. » (id., pp. 1519 et 1520)
Cette même année (1905), sans renier son passé socialiste, dans Notre Patrie, il exprime ouvertement son engagement patriotique et spirituel, déjà présent en 1897 dans son drame Jeanne d’Arc. Il confirmera sa prise de position dans les années suivantes et celle-ci deviendra peu à peu son centre d’intérêt majeur.
Dès 1908, il fera la confidence de sa conversion à son ami Joseph Lotte : « Je ne t’ai pas tout dit… J’ai retrouvé la foi… Je suis catholique… » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Chronologie, p. XXXVIII).
Grand travailleur, écrivain très actif, il se consacre alors à des œuvres longues et intenses qui se succèdent à un rythme plus important à partir de 1909 et jusqu’à sa mort, témoignant de sa force active de travail et de création en poésie :
– dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, drame paru en 1910, Charles Péguy exprime sa foi pour la première fois en public ;
– dans Notre jeunesse (1910), il montre sa fidélité à un même idéal mystique au fil de sa vie, sans opposition mais plutôt comme un cheminement ;
– dans Le porche du mystère de la deuxième vertu (1911), il révèle sa joie et sa confiance en Dieu ;
– dans Le Mystère des saints Innocents (de la même lignée, écrit en 1911, paru en 1912), il montre combien la douleur offerte en toute innocence est désarmante ;
– dans Sonnets – Les sept contre Thèbes (1912), il lie ses regrets et ses espoirs à ceux de l’antiquité, puis dans Châteaux de Loire, il nous emporte dans la beauté esthétique de ce fleuve comme dans un rêve ;
– dans La tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc (1912) Charles Péguy utilise des longues suites de strophes sur un même thème et souvent les mêmes rimes, avec des répétitions de morceaux de phrases, créant un aspect de prière, de supplication ;
– dans Les sept contre Paris (1913), Charles Péguy nous entraîne dans une vision apocalyptique, prémonitoire ou futuriste, pour donner à Paris la direction des sept villes environnantes. Dans cet ensemble bâti en alexandrins, Charles Péguy relie passé, présent et vie à venir, lieux de Paris et des alentours, écrivains (Voltaire, Buffon) et nature, bois et eau, ciel et terre, dans un hymne à la belle dame, Notre-Dame de Paris :
(…)
Elle a mis pour toujours la liberté de l’âme,
(…)
Elle a mis pour toujours la contrainte de l’âme
Et Clamart et Créteil et Puteaux et Nanterre
Et les bois et les lois et le ciel et la terre,
Helvétius, Buffon, d’Alembert et Voltaire ;
(…)
Elle a mis pour toujours les matins et les soirs,
Et les processions parmi les reposoirs,
Et les enfants de chœur avec les encensoirs,
Et les étangs coulant dessus les déversoirs ;
(…)
Elle a mis pour toujours le baume et le dictame,
Et l’honneur et l’amour et la mort et la peine,
Et le vers et la prose et l’envie et la haine,
L’humilité, l’orgueil et la simple verveine ;
(…)
Elle a mis pour toujours et la cendre et la flamme,
Et la double Héloïse et l’unique Rousseau,
Et la double carène et l’unique vaisseau,
Et la double Balance et l’unique Verseau ;
(…)
(Charles Péguy, Œuvres poétiques, pp. 883, 884 et 885)
– dans L’Argent (1913), essai en deux parties, Charles Péguy évoque son enfance puis il écrit des pages fortes sur la destinée de la France. Il exprime son rejet du monde moderne, toujours lié à plus de profit au détriment de l’humain ;
– dans La Tapisserie de Notre-Dame (1913), contenant une Présentation de la Beauce, il relate en vers ses impressions, ses prières confiées à Notre Dame lors de son pèlerinage à Chartres ;
– dans Sainte Geneviève patronne de Paris (1913), il laisse parler son cœur en exprimant sa foi par des images intenses liant « le sang des martyrs » aux « bourreaux », en union avec la nature, fontaine, blés… près du peuple en marche, « laborieux » ;
– dans Ève (1913), sa plus grande œuvre poétique, 7 644 vers tous en alexandrins, sa dernière œuvre poétique avant sa mort, Charles Péguy écrit à vive cadence, environ cent vers par jour et traduit sa soif de salut.
De l’été 1913 à début août 1914, Charles Péguy vit en famille avec ses trois enfants et sa femme enceinte d’un quatrième, à Bourg-la-Reine, 7, rue André Theuriet.
En 1914, il écrit une Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonnienne, prouvant une fois de plus sa fidélité, et son attachement à son maître en philosophie alors assailli par une polémique. Il revoit son ami et au départ de Péguy pour la guerre, Bergson s’engage à aider la femme enceinte et les enfants de Péguy pour le cas où il ne reviendrait pas (http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Vous-avez-rouvert-les-sources-de-la-vie-spirituelle-2014-09-02-1199988).
Vers la fin de sa vie, Charles Péguy pressent l’arrivée de la guerre. En visionnaire, il exprime alors avec force et talent, le plus rapidement possible, ses idées dans une poésie héroïque, portée par un souffle de création intense, pour une vision globale d’un peuple humain en marche depuis des millénaires vers une période apocalyptique qui approchait à grands pas. Elles contribuèrent à sa célébrité car les Français recherchaient un secours pour faire face aux massacres. Les dernières œuvres de Charles Péguy leur permettaient une réflexion intense sur la répétition dans le temps des guerres, des massacres. Les paroles de Péguy sont alors venues en écho à leur malheur comme dans Ève, épopée de plus de 7000 alexandrins :
(…)
Et moi je vous salue ô première servante,
Aïeule des bergers et des bons serviteurs,
Aïeule des bouviers et des premiers pasteurs,
Et moi je vous salue ô première suivante.
(…)
Vous savez aujourd’hui ce que tout homme pèse.
Et c’est un peu de cendre au creux de votre main.
Mais par là vous savez ce que c’est que demain.
Et c’est la même argile et c’est la même glaise.
(…)
Et quand se lèveront dans les champs de carnage
Tant de soldats péris pour des cités mortelles,
Et quand s’éveilleront du haut des citadelles
Tant de veilleurs sortis d’un terrible hivernage ;
(…)
(Charles Péguy, Œuvres poétiques, Ève, pp. 947, 960 et 976)
Charles Péguy commence à écrire une note sur la joie mystique (août 1914). (Charles Péguy, Œuvre poétique – Chronologie, p. XL)
Le 1er août 1914, la France décrète la mobilisation générale. Le dimanche 2 août 1914, il quitte sa maison de Bourg-la-Reine, 7 rue André Theuriet, et le 4 août, il rejoint un détachement de réserviste de la région parisienne, le 276e régiment d’infanterie où il est lieutenant (Charles Péguy, Œuvre poétique – Chronologie, pp. XL et XLI)
Le 5 septembre, il est avec sa compagnie à Villeroy (Seine-et-Marne) où celle-ci reçoit l’ordre de défendre la position. Lors de cette bataille de la Marne, près de Paris, c’est l’hécatombe. Charles Péguy est tué d’une balle en pleine tête. Il est enterré à la « Grande Tombe de Villeroy » au milieu des champs, aux côtés de ses hommes, morts en même temps que lui. Tous les ans, un souvenir leur est rendu, en ce lieu, avec des membres de sa famille et des membres de l’Amitié Charles Péguy. (http://www.charlespeguy.fr/Agenda)
Après cet ensemble biographique, imprégnons-nous de sa manière de vivre et de penser.
Son portrait :
Dans son enfance, à l’école primaire, Charles Péguy était un écolier travailleur, appliqué et plein de bonne volonté. Il exprimait déjà son affection à son entourage et il positivait plutôt que de se plaindre : « Le matin, quand je me réveille, que je vois le soleil se levant à l’horizon et l’aurore sur le point de finir, je me sens heureux d’avoir une famille, tandis que d’autres enfants n’en ont point, aussi je fais tout ce que je peux pendant la journée pour contenter mes parents et leur être agréable, le soir je me couche la conscience tranquille et je suis heureux de les avoir récompensés du mal qu’il se donnent constamment pour moi. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, p. LXXIX)
De même il aimait rendre service à sa manière, par exemple il donna un peu de son argent de poche quand les gens de la commune ont ouvert une souscription pour aider la veuve et les trois enfants en bas âge, d’un ouvrier mort d’une chute d’un échafaudage (id., p. LXXX).
Physiquement, il avait le visage sobre, les cheveux rares et coupés très courts, les yeux interrogateurs, pensifs, tournés vers les autres.
À l’âge adulte, investi dans la revue Les Cahiers qu’il dirige, il exerce de manière simultanée, aussi bien manuelle qu’intellectuelle, les métiers de journaliste, chroniqueur, écrivain, éditeur, typographe, comptable. Là encore, il se donne sans compter et heureux de le faire (http://charlespeguy.fr/cahiers).
Homme patriotique, sensible et mystique, il est aussi un intellectuel et un grand créateur en littérature. Dans sa jeunesse, militant socialiste, anticlérical, puis dreyfusard, il a ensuite exprimé ouvertement sa foi, en particulier à sa femme Lotte, en 1908 : « Je ne t’ai pas tout dit… J’ai retrouvé la foi. » (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Chronologie, p. XXXVIII).
Toujours proche de ceux qui souffrent de la misère, engagé dans la vie de son époque, il exprime ses préoccupations sociales dans ses écrits : « Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur. » (Charles Péguy, Œuvres en prose I, Toujours de la grippe, p. 456)
Ancré dans le concret par son engagement littéraire auprès des pauvres par ses mots, il sait aussi s’élever par l’intensité de ses réflexions : « Toute notre dignité consiste donc en la pensée. (…) Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. » (id., p. 458)
Toute sa vie, il sera en recherche, jamais figé dans une manière de pensée unique mais laissant la porte ouverte à tous, déroutant ceux qui auraient voulu l’enfermer dans leur dogme et qui s’éloigneront alors de lui. Après ses idées socialistes de jeunesse et ses amis d’alors, il suit une ligne de conduite différente, ne voulant pas imposer un point de vue unique ni une vision stricte du monde conduisant à la lutte des classes. Il veut laisser place aux discussions pour faire émerger les consciences, pour ouvrir le débat, pour transformer les mentalités par la littérature. Grand travailleur, Charles Péguy nous laisse une œuvre immense, publiée aux éditions La Pléiade. Il est présenté comme un philosophe basant sa pensée sur le refus « de l’angélisme ou d’un certain kantisme ». Pour lui, seul compte une histoire singulière, unique, une histoire extraordinaire, invraisemblable, impossible et pourtant arrivée. Charles Péguy explique le pari de Dieu « sur l’homme au point de risquer son être dans un visage humain. » (http://www.la-pleiade.fr/Auteur/Charles-Peguy)
À l’approche de la quarantaine, Charles Péguy aurait pu devenir mélancolique, face aux déceptions, au sentiment d’échec. Conscient de l’emprise du mal et le refusant, il affirme sa volonté de ne pas être défaitiste, de s’éloigner des grands débats politiques et sociaux, stériles ou destructeurs pour se consacrer à l’écriture. Christiane Rancé, dans son livre paru en 2016, En pleine lumière, Carnets spirituels, ressaisit la force de la pensée de Charles Péguy : « Charles Péguy nous a laissé, au cœur de son œuvre prolixe, un chant à la liberté originelle qui ressaisit tout ce que l’Occident, en bien ou en mal, a pu inventer pour la déployer. » Elle nous montre aussi la liberté de son art et son originalité par exemple, par l’écriture de ce poète sur des thèmes parfois déroutants tel Le Mystère de saints Innocents que Charles Péguy traite avec grandeur et vérité, montrant la force de la fragilité, « la véritable grandeur de l’homme ».
Une autre facette de la personnalité de Charles Péguy est sa foi présente contre vents et marées. Charles Péguy l’a toujours gardée dans un écrin pour la protéger des aléas de la vie. Sa femme n’étant pas croyante, il ne s’est pas marié à l’église ; il n’a pas fait baptiser ses enfants. Il n’a pas pu communier mais il a exprimé sa prière dans ses écrits, tel un trésor inépuisable. Ses deux pèlerinages à Chartres (en 1912 et 1913), dont le deuxième pour remercier la Vierge de la guérison d’un de ses fils malade, témoignent aussi de l’ancrage du mysticisme dans sa vie (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Chronologie, p. XL et XLI). Peu de temps avant sa mort, il a aussi assisté à la messe de l’Assomption avec ses soldats (id., p. XLI).
Charles Péguy reconnaît le lien fort, indissoluble entre Dieu et l’homme. Il comprend que l’errance de sa pensée, ses hésitations liées à une réflexion intense, ses changements d’opinion lui ont permis de mieux approcher la fragilité humaine. En perdant son exigence d’absolu, il se retrouve et comprend qu’il ne doit pas associer mystique et politique.
Hommage posthume à Charles Péguy :
Après sa mort, Charles Péguy n’a jamais été oublié. De nombreux hommages posthumes lui ont été rendus. De même sa littérature n’a pas cessé d’être mise à l’honneur. Des textes inédits sont parus après sa mort dont l’ensemble autobiographique Commencement d’une vie bourgeoise.
L’ensemble de son œuvre a été publiée, complétée et republiée dans la collection de la Bibliothèque de la Pléiade, en quatre volumes, trois de prose et un de poésie.
De nombreux auteurs ont mis à l’honneur ce grand homme, par exemple l’écrivain François Porché (1877 – 1944) a participé aux Cahiers de La Quinzaine aux côtés de Charles Péguy. Il a rédigé en 1941, l’introduction aux Œuvres poétiques complètes de Péguy dans la collection La Pléiade, avec beaucoup de respect pour le talent et la force d’écriture de son ami. Son témoignage de présentation, est émouvant : « Cher Péguy, notre maître, je t’ai jugé ici en liberté, avec l’indépendance que tu recommandais au critique et dont tu nous as donné l’exemple, bref, avec l’antique esprit des Cahiers. Si, au cours de mon examen, j’ai commis quelque erreur d’interprétation, grande âme, pardonne-moi. » (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Introduction, p. XXVIII)
Le 10 juin 1950, un timbre a été émis, le représentant sur fond de la cathédrale de Chartres, un autre en 2014 à l’occasion des cent ans de sa mort, ainsi que le tampon premier jour d’émission, du 5 septembre 2014.
De nombreux lieux portent le nom de Charles Péguy dont :
– à Orléans, un lycée une école élémentaire, un buste de l’écrivain réalisé par le sculpteur Paul Niclausse (rue du Faubourg), des plaques commémoratives dans les lieux où il a vécu (rues du Faubourg-Bourgogne et 2 bis rue de Bourgogne) ;
– à Villeroy (Seine-et-Marne), le Mémorial de Charles Péguy et Grande Tombe de Chauconin-Neufmontiers sur le lieu où il est tombé le 5 septembre 1914 et où il a été enterré ;
– à Paris, le collège Charles Péguy et aussi une plaque commémorative apposée au 8, rue de la Sorbonne, juste au-dessus de la librairie où Charles Péguy a installé les Cahiers de la Quinzaine en 1901 ;
– à Bourg-la-Reine, une rue porte son nom, une plaque a été posée en 1960 au 7, rue André Theuriet et une stèle au cimetière de cette ville en 2005 (http://www.patrimoine.asso.fr/contenu/peguy/peguy.htm) ;
– un collège à Morsang-sur-Orge dans l’académie de Versailles (http://www.clg-peguy-morsang.ac-versailles.fr/) ;
– à Arras, un collège (http://www.education.gouv.fr/annuaire/62-pas-de-calais/arras/college/college-charles-peguy.html) ;
– à Bobigny (académie de Créteil), un ensemble d’enseignement privé, école, collège, lycée (http://charles-peguy-bobigny.fr/) ;
– etc.
La ville de Tours et la Touraine ont aussi rendu hommage à Charles Péguy à travers de nombreux lieux qui portent son nom dont une école maternelle et primaire à Tours nord, une rue à Tours sud, la Maison des jeunes et de la culture à Amboise…
Charles Péguy est aussi mis à l’honneur sur de très nombreux sites Internet dont :
– l’Amitié Charles Péguy (http://www.charlespeguy.fr) ;
– le centre Charles Péguy d’Orléans (http://www.orleans-metropole.fr/334/le-centre-charles-peguy.htm) ;
– la brochure « Laissez-vous conter Orléans,
Charles Péguy » (http://archives.orleans-metropole.fr/arkotheque/client/amorleans/_depot_arko/articles/1539/consulter-le-document_doc.pdf) ;
– des sites touristiques locaux dont
« my-loire-valley » (http://www.my-loire-valley.com/2016/08/orleans-centre-charles-peguy/) ;
– …
Parmi les très nombreux livres écrits sur Charles Péguy et son œuvre, citons Mon lieutenant Charles Péguy de Victor Boudon (paru en 1964, aux éditions Albin Michel, 309 pages), retraçant le parcours de Péguy juste avant la guerre, durant la mobilisation du 6 septembre 1914, son courage sur le champ de bataille jusqu’à sa mort.
Actuellement, l’association « L’amitié Charles Péguy » entretient le souvenir de cet écrivain depuis 1942. Soutenu par la famille du poète, ce centre a pour but de rassembler en un même lieu, la quasi-totalité de ses écrits et documents biographiques pour consultations et études, et aussi de garder sa mémoire et de mieux le faire connaître. Grâce à son dynamisme, de nombreuses œuvres ont pu être publiées au fil du temps dont les Cahiers de l’Amitié Charles Péguy aux éditions Minard (une vingtaine à partir de 1947), les Feuillets d’information de 1948 à 1976 à raison de huit numéros par an, et à partir de 1978 un Bulletin d’information et de recherche paraît quatre fois par an. Ces publications apportent une aide précieuse à la connaissance de cet écrivain et de son œuvre. Elle reste très dynamique, organisant un colloque annuel en décembre, et des journées d’études ou de débat. En 2011, l’association a mis en place un site Internet (http://www.charlespeguy.fr) puis en 2013, une page sur Facebook (https://www.facebook.com/AssociationAmitieCharlesPeguy).
En 1960, le Centre Charles-Péguy de renommée internationale, a été créé 11, rue du Tabour à Orléans (45000), dans une élégante demeure du XVIe, servant à la fois de bibliothèque et de musée. Vous y trouverez de très nombreux documents liés à la vie et à l’œuvre de Charles Péguy dont une bibliothèque regroupant la quasi-totalité de ses productions (http://musees.regioncentre.fr/les-musees/centre-charles-peguy). Lors du cinquantenaire de la mort de cet écrivain, ce Centre fut inauguré officiellement avec des expositions, des émissions de radio dans toute la France, de même lors de sa rénovation correspondant au centenaire de sa naissance.
Du 26 au 29 mai 1988, un colloque sur Loire-littérature a eu lieu à l’Université d’Angers. Les actes du colloque ont été édités (Presses de l’Université d’Angers, 1989, 763 pages), dont la communication « La "Blonde Loire", fleuve d’alchimie dans l’œuvre de Charles Péguy » de Thierry Miguet (pp. 91 à 103).
En 2014, lors du centenaire de sa mort, Charles Péguy a été mis en valeur dans de nombreux colloques, conférences, spectacles, parution de livres, articles.
Un de ses descendants, Olivier Péguy, journaliste à Euronews, a rendu hommage à son arrière-grand père, en évoquant son parcours et sa postérité. Il insiste sur le fait que Charles Péguy « n’était pas un va-t-en-guerre, fanatique et illuminé » car il voulait faire la guerre pour avoir la paix. Il cite ses paroles dites à un proche : « Je pars soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres ». (http://fr.euronews.com/2014/09/02/1914-la-mort-de-peguy-mon-arriere-grand-pere)
Olivier Péguy ajoute alors un extrait de Charles Péguy tout à fait représentatif de son esprit pacifique respectueux des vivants et des morts, mais acceptant de combattre pour apporter la paix. Nous la prolongerons par une autre strophe d’Ève, sa dernière œuvre poétique, écrite dans un état d’esprit de don total en lien avec la nature, les épis de blés, fruits du travail pour nous nourrir en même temps que pain de vie même dans la mort :
(…)
Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle.
(…)
Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés.
(…)
(Charles Péguy, Œuvres poétiques, Ève, p. 1028)
Ces exemples prouvent l’intérêt constant et le bouillonnement intellectuel autour des œuvres de Charles Péguy sous de multiples formes, dynamique de recherches, portes ouvertes vers des travaux aux nombreux thèmes. De nombreux universitaires et chercheurs continuent à le mettre à l’honneur dont :
– Alexandre de Vitry, ancien élève de l’ENS de Lyon, agrégé de lettres modernes et docteur en littérature française de l’université Paris-Sorbonne, est attaché temporaire de recherche au Collège de France, auprès de la chaire de littérature française moderne et contemporaine. En 2014, il a soutenu et publié sa thèse L’individu et la cité dans l’œuvre en prose de Charles Péguy (http://www.theses.fr/2014PA040156), puis en 2015, Conspirations d’un solitaire. L’individualisme civique de Charles Péguy (Les Belles Lettres, 2015) (https://www.lisez.com/livre-grand-format/mystique-et-politique/9782221146576) et Charles Péguy. Mystique et Politique, (éditions Robert Laffont dans la collection « Bouquins ») (http://www.bouquins.tm.fr/site/mystique_et_politique_&100&9782221146576.html). Alexandre de Vitry a aussi présenté le travail de Charles Péguy sur France Culture dans l’émission « Les Chemins de la Philosophie », le 20 novembre 2015 (https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/charles-peguy-par-alexandre-de-vitry).
– Géraldi Leroy, professeur de littérature a publié en 2014, Charles Péguy, L’inclassable aux éditions Armand Colin, pour une approche globale de cet écrivain aux multiples facettes, intègre, fidèle à ses engagements, refusant un monde dominé par l’argent, mise en relation avec le contexte politique et culturel de l’époque (http://www.armand-colin.com/charles-peguy-9782200287498).
– Hélène Daillet a soutenu sa thèse en 2014 à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), sur Le Porche du mystère de la deuxième vertu de Charles Péguy : genèse d’une parole poétique (https://www.univ-brest.fr/digitalAssets/29/29151_brochure-docteurs-de-l_UBO-2014-web.pdf).
– Maud Gouttefangeas a présenté sa thèse à Paris IV Sorbonne, en 2012, sur Au théâtre des pensées. Essais de Péguy, Valéry, Artaud et Michaux (https://www.theses.fr/2012PA040045).
– Nicolas Faguer a réalisé une thèse sur « Un constant approfondissement du cœur » : l’unité de l’œuvre de Péguy selon Hans Urs von Balthazar, à Paris IV Sorbonne, en 2012 (http://www.paris-sorbonne.fr/article/m-nicolas-faguer-un-constant).
– Marie Vélikanov vient de soutenir sa thèse La sainteté chez Charles Péguy à l’université de Lorraine (http://ecritures.univ-lorraine.fr/theses/theses-soutenues/la-saintete-chez-charles-peguy).
Bien sûr cette liste n’est pas exhaustive ; il existe chaque année des thèses en cours et des mémoires, preuve supplémentaire de l’intérêt pour l’œuvre de Charles Péguy (http://www.charlespeguy.fr/travaux-recherche). Citons par exemple, Écrire la France : poétique et mythographie de la patrie chez Charles Péguy par Lèna Hobeika (libanaise) à l’université Diderot-Paris VII (https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2181/files/2014/12/CV-Lena-Hobeika.doc).
En 2016, un colloque « Péguy, chantre de l’action sociale et pourfendeur des sociologues » a eu lieu à La Sorbonne (https://www.fabula.org/actualites/colloque-peguy-chantre-de-l-action-sociale-et-pourfendeur-des-sociologues_76839.php).
En conclusion, dans sa soif de vérité et d’absolu, Charles Péguy a su allier mysticisme et humanisme, beauté poétique et prose engagée. Il a suivi sa route hors des sentiers battus, voulant réfléchir par lui-même, apporter son message au-delà du temps pour construire un mode plus fraternel, plus aimant, plus respectueux de chacun, pour que la diversité des pensées soit une richesse plus qu’un sujet de discorde, en laissant place à l’intuition car « C’est l’innocence qui naît et c’est l’expérience qui meurt. » (Charles Péguy, Œuvres poétiques, Le Mystère des saints Innocents, p. 788) Même dans ses recherches les plus intenses, les plus philosophiques, il est resté proche des petits et des gens fragiles ; il a gardé une place pour la spontanéité, l’intuition, chemin vers la vérité. Alors terminons avec un poème de Charles Péguy sublimant l’enfant :
LE MYSTÈRE DES SAINTS INNOCENTS
(…)
Car il y a dans l’enfant, car il y a dans l’enfance
une grâce unique,
Une entièreté, une premièreté
Totale.
Une origine, un secret, une source, un point d’origine.
Un commencement pour ainsi dire absolu.
Les enfants sont des créatures neuves.
(…)
Hommes malins alors vous ne faites plus le malin.
Hommes savants alors vous ne faites plus le savant.
Hommes qui avez été à l’école alors vous ne savez
plus rien
Et vous n’avez plus qu’à courber le front
(…)
Quand un mot d’enfant passe dans le cercle de famille,
(…)
Quand un mot d’enfant tombe
Comme une source, comme un rire,
Comme une larme dans un lac.
(…)
Une voix est montée,
Hommes à table,
Une voix est venue,
C’est d’un monde où vous étiez.
Une source a jailli,
Hommes à table,
C’est la source de votre première âme
Vous aussi vous avez ainsi parlé.
(…)
(id., p 788, 789, 793 et 794)
Août 2017/août 2018
Catherine Réault-Crosnier
Bibliographie :
Ouvrages utilisés :
– Péguy Charles, Œuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 2000, 1610 pages.
– Péguy Charles, Œuvres en prose complètes, Tome I, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 1987, 1934 pages.
– Rancé Christiane, En pleine lumière, Carnets spirituels, Éditions Albin Michel, Paris, 2016, 234 pages.
Sur Internet (sites cités dans le texte) :
– http://data.bnf.fr/11918933/charles_peguy/
– L’Amitié Charles Péguy : http://www.charlespeguy.fr/
– http://www.la-pleiade.fr/Auteur/Charles-Peguy
– http://www.patrimoine.asso.fr/contenu/peguy/peguy.htm
– Le collège Charles Péguy à Morsang-sur-Orge : http://www.clg-peguy-morsang.ac-versailles.fr/
– Le collège Charles Péguy d’Arras : http://www.education.gouv.fr/annuaire/62-pas-de-calais/arras/college/college-charles-peguy.html
– L’école, collège, lycée Charles Péguy à Bobigny : http://charles-peguy-bobigny.fr/
– Le centre Charles Péguy d’Orléans : http://www.orleans-metropole.fr/334/le-centre-charles-peguy.htm
– La brochure Laissez-vous conter Orléans – Charles Péguy : http://archives.orleans-metropole.fr/arkotheque/client/amorleans/_depot_arko/articles/1539/consulter-le-document_doc.pdf
– http://www.my-loire-valley.com/2016/08/orleans-centre-charles-peguy/
– L’Amitié Charles Péguy sur Facebook : https://www.facebook.com/AssociationAmitieCharlesPeguy
– Le Centre Charles-Péguy d’Orléans : http://musees.regioncentre.fr/les-musees/centre-charles-peguy
– Article d’Olivier Péguy : http://fr.euronews.com/2014/09/02/1914-la-mort-de-peguy-mon-arriere-grand-pere
– Thèse d’Alexandre de Vitry : http://www.theses.fr/2014PA040156
– https://www.lesbelleslettres.com/livre/316-conspirations-d-un-solitaire
– https://www.lisez.com/livre-grand-format/mystique-et-politique/9782221146576
– Livre de Géraldi Leroy : http://www.armand-colin.com/charles-peguy-9782200287498
– Thèse d’Hélène Daillet : https://www.univ-brest.fr/digitalAssets/29/29151_brochure-docteurs-de-l_UBO-2014-web.pdf
– Thèse de Maud Gouttefangeas : https://www.theses.fr/2012PA040045
– Thèse de Nicolas Faguer : http://www.paris-sorbonne.fr/article/m-nicolas-faguer-un-constant
– Thèse de Marie Vélikanov : http://ecritures.univ-lorraine.fr/theses/theses-soutenues/la-saintete-chez-charles-peguy
– Projet de thèse de Lèna Hobeika : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2181/files/2014/12/CV-Lena-Hobeika.doc
– Colloque « Péguy, chantre de l’action sociale et pourfendeur des sociologues » : https://www.fabula.org/actualites/colloque-peguy-chantre-de-l-action-sociale-et-pourfendeur-des-sociologues_76839.php
Sur Internet (autres sites consultés) :
– http://paroisse-saint-gilles.diocese92.fr/ puis rubriques"Histoire" et "Chrétiens célèbres de Bourg-la-Reine".
– http://www.phil-ouest.com/Timbre.php?Nom_timbre=Charles_Peguy_1950
– http://france.fr/fr/a-decouvrir/champs-bataille-marne-ile-france (la page n'existe plus)
– http://padage.free.fr/peguy_tue_le_5_septembre_1914_225.htm
– Charles Péguy et la Loire par Jean-Claude Raymond : http://jcraymond.free.fr/Geographie/Loire/Ecrivains/Peguy.php
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