18èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 12 août 2016, de 17 h 30 à 19 h
Spectacle de poésie sur « Le partage » Poèmes lus à plusieurs voix avec Michel Caçao à la guitare |
Lire la présentation de cette rencontre.
Parler du partage, n’est pas évident en ce monde où la soif de pouvoir, la frénésie de consommation, effacent l’image du vrai partage. Il est pourtant important de ne pas passer à côté. De nombreux poètes ont abordé le partage de manières très diverses. Ils seront mis à l’honneur ici, par ordre chronologique, ceux des temps très anciens en premier puis nous continuerons notre chemin en poésie, sur la route des siècles jusqu’à nos jours.
1 – Ésope (VIIe-VIe av J-C), écrivain grec d’origine phrygienne, aurait inventé la fable en littérature. De nombreux auteurs s’en inspireront. La fable « Le lion et le rat reconnaissant » en est un exemple ; nous connaissons bien la fable de La Fontaine, et peut-être un peu moins celle de Clément Marot. L’expression du partage est présente indirectement puisque le lion n’a pas mangé le rat ; ce dernier a pu ensuite partager avec le lion en rongeant ses liens, lui sauvant ainsi la vie. Cette fable montre aussi que dans les changements de fortune les gens les plus puissants ont besoin des faibles. Voici la fable d’Ésope :
Un lion dormait ; un rat s’en vint trottiner sur son corps. Le lion, se réveillant, le saisit, et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher, promettant, s’il lui laissait la vie, de le payer de retour. Le lion se mit à rire et le laissa aller. Or il arriva que peu de temps après il dut son salut à la reconnaissance du rat. Des chasseurs en effet le prirent et l’attachèrent à un arbre avec une corde. Alors le rat l’entendant gémir accourut, rongea la corde et le délivra. « Naguère, dit-il, tu t’es moqué de moi, parce que tu n’attendais pas de retour de ma part ; sache maintenant que chez les rats aussi on trouve de la reconnaissance. »
(Ésope, Fables, traduction de l’helléniste Émile Chambry (1864 – 1938), p. 206)
2 – Clément Marot (1496 – 1544) l’un des premiers plus grands poètes français précurseurs de La Pléiade, a été poète officiel de la cour sous François Ier et protégé par la sœur du roi, Marguerite de Navarre. Il n’a pas échappé à la prison puis à l’exil en Suisse et en Italie, à cause de sa proximité avec la Réforme. Dans sa fable, Clément Marot pour sa part, insiste sur l’expression du remerciement du rat envers le lion et de la difficulté du lion de croire ensuite qu’un rat peut le sauver mais chacun des deux a partagé avec l’autre, chacun à sa manière.
A SON AMI LYON
Je ne t’écris de l’amour
vaine et folle :
(…)
Mais je te veux dire une belle fable,
C’est à savoir, du lion et du rat.
Cestui Lion, plus fort qu’un vieux verrat,
Vit une fois que le rat ne savait
Sortir d’un lieu, pour autant qu’il avait
Mangé le lard et la chair toute crue ;
Mais ce lion (qui jamais ne fut grue)
Trouva moyen et manière et matière,
D’ongles et dents, de rompre la ratière,
Dont maître rat échappe vitement,
Puis mit à terre un genou gentement,
Et, en ôtant son bonnet de la tête,
A mercié mille fois la grand bête,
Jurant le Dieu des souris et des rats
Qu’il lui rendrait. Maintenant tu verras
Le bon du conte. Il advint d’aventure
Que le lion pour chercher sa pâture
Saillit dehors sa caverne et son siège,
Dont (par malheur) se trouva pris au piège
Et fut lié contre un ferme poteau.
Adonc le Rat, sans serpe ni couteau,
Y arriva joyeux et esbaudi,
Et du lion (pour vrai) ne s’est gaudi,
Mais dépita chats, chattes et chatons
Et prisa fort rats, rates et ratons,
Dont il avait trouvé temps favorable
Pour secourir le lion secourable,
Auquel a dit : « Tais-toi, lion lié,
Par moi seras maintenant délié :
Tu le vaux bien car le cœur joli as ;
Bien y parut quand tu me délias.
Secouru m’as fort lionneusement ;
Or secouru seras rateusement ».
Lors le Lion ses deux grands yeux vertit
Et vers le Rat les tourna un petit
En luy disant : « O pauvre verminière,
Tu n’as sur toi instrument ni manière,
Tu n’as couteau, serpe, ni serpillon
Qui sût couper corde ni cordillon,
Pour me jeter de cette étroite voie ;
Va te cacher, que le chat ne te voie.
– Sire lion (dit le fils de souris),
De ton propos (certes) je me souris :
J’ai des couteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc, plus tranchants qu’une scie ;
Leur gaine, c’est ma gencive et ma bouche ;
Bien couperont la corde qui te touche
De si très près, car j’y mettrai bon ordre. »
Lors sire rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vrai est qu’il y songea
Assez longtemps ; mais il le vous rongea
Souvent et tant qu’à la parfin tout rompt,
Et le lion de s’en aller fut prompt,
Disant en soi : « Nul plaisir (en effet)
Ne se perd point, quelque part où soit fait. »
(…)
(La poésie de la Renaissance, France Loisirs, pp. 67 à 69)
3 – Pierre de Marbeuf (1596 – 1645), poète baroque français du XVIIe, nous montre la difficulté de partager dans son si célèbre sonnet :
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abyme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celuy qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celuy qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflamer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvoit éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
(Pierre de Marbeuf, Recueil de vers, p. 183)
4 – Jean de la Fontaine (1621 – 1695) a enchanté des générations d’écoliers par ses fables par ailleurs non dédaignées des adultes. Il aborde de manière subtile le thème du partage par exemple par son contraire, la ruse. Dans le poème que nous allons lire, le chat a une étrange manière de partager en départageant les antagonistes de manière radicale :
LE CHAT, LA BELETTE, ET LE PETIT LAPIN.
Du palais d’un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,
Parmi le thim et la rosée.
Après qu’il eut brouté, troté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux soûterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paroitre ?
Dit l’animal chassé du paternel logis ;
O là, Madame la Belette,
Que l’on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La Dame au nez pointu répondit que la terre
Etoit au premier occupant.
C’étoit un beau sujet de guerre
Qu’un logis où lui-même il n’entroit qu’en rampant.
Et quand ce serait un Roiaume,
Je voudrois bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toûjours fait l’octroi
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.
Jean Lapin allegua la coûtume et l’usage.
Ce sont, dit-il, leurs loix qui m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C’étoit un chat vivant comme un dévot hermite,
Un chat faisant la chatemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée.
Les voilà tous deux arrivez
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit, mes enfants, approchez,
Approchez ; je suis sourd ; les ans en sont la
cause.
L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussi-tôt qu’à portée il vit les contestans,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtez la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu’ont par fois
Les petits souverains se rapportans aux Rois.
(Jean de La Fontaine, Fables choisies, pp. 43 à 45)
5 – Marceline Desbordes-Valmore (1786 – 1859), poète de talent reconnu par Lamartine, Vigny, Baudelaire, Victor Hugo (dont elle cite quelques vers en introduction de son poème), exprime avec délicatesse, sa soif de partage dans un amour réciproque même si elle pressent que cette soif ne sera jamais assouvie :
LA SINCÈRE
Veux-tu l’acheter ?
Mon cœur est à vendre.
Veux-tu l’acheter,
Sans nous disputer ?
Dieu l’a fait d’aimant ;
Tu le feras tendre ;
Dieu l’a fait d’aimant
Pour un seul amant !
Moi, j’en fais le prix ;
Veux-tu le connaître ?
Moi, j’en fais le prix ;
N’en sois pas surpris.
As-tu tout le tien ?
Donne ! et sois mon maître.
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien ?
(…)
L’âme doit courir
Comme une eau limpide ;
L’âme doit courir,
Aimer ! et mourir.
(Marceline Desbordes-Valmore, Les Pleurs, pp. 169 à 171)
6 – Alphonse de Lamartine (1790 – 1869) traite du partage en grand romantique avec profusion de larmes mais l’émotion est bien présente à travers la femme aimée qui partage son amour, par sa présence auprès du vieillard bien au-delà des frontières de la vie, de la mort :
MÉDITATION HUITIÈME – SOUVENIR
(…)
Mais ta jeune et brillante image,
Que le regret vient embellir,
Dans mon sein ne saurait vieillir
Comme l’âme, elle n’a point d’âge.
Non, tu n’as pas quitté mes yeux ;
Et quand mon regard solitaire
Cessa de te voir sur la terre,
Soudain je te vis dans les cieux.
(…)
C’est toi que j’entends, que je vois :
Dans le désert, dans le nuage,
L’onde réfléchit ton image ;
Le zéphyr m’apporte ta voix.
Tandis que la terre sommeille,
Si j’entends le vent soupirer,
Je crois t’entendre murmurer
Des mots sacrés à mon oreille.
Si j’admire ces feux épars
Qui des nuits parsèment le voile,
Je crois te voir dans chaque étoile
Qui plaît le plus à mes regards.
Et si le souffle du zéphyr
M’enivre du parfum des fleurs.
Dans ses plus suaves odeurs
C’est ton souffle que je respire.
C’est ta main qui sèche mes pleurs,
Quand je vais, triste et solitaire,
Répandre en secret ma prière
Près des autels consolateurs.
Quand je dors, tu veilles dans l’ombre ;
Tes ailes reposent sur moi ;
Tous mes songes viennent de toi,
Doux comme le regard d’une ombre.
(…)
(Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, pp. 38 à 41)
7 – Alfred de Vigny (1797 – 1863) en grand romantique, a le sens du pathétique grandiose, comme dans « La sauvage » où le partage est bien présent à travers l’hospitalité de l’hôte et l’offrande d’une fidélité respectueuse par la sauvage :
(…)
IV
– La sauvage Indienne au milieu d’eux s’avance :
« Salut, maître. Moi, femme, et seule en ta
présence,
Je te viens demander asile en ta maison.
Nourris mes deux enfants ; tiens-moi dans ta prison,
Esclave de tes fils et de tes filles blanches,
Car ma tribu n’est plus, et ses dernières branches
Sont mortes. Les Hurons, cette nuit, ont scalpé
Mes frères ; mon mari ne s’est point échappé.
Nos hameaux sont brûlés comme aussi la prairie.
J’ai sauvé mes deux fils à travers la tuerie ;
Je n’ai plus de hamac, je n’ai plus de maïs,
Je n’ai plus de parents, je n’ai plus de
pays. »
– Elle dit sans pleurer et sur le seuil se pose,
Sans que sa ferme voix ajoute aucune chose.
(…)
« Que tout ce qui fut mien soit tien, ainsi que lui ! »
« Oui ! » dit la blonde Anglaise en l’interrompant.
– Oui ! »
Répéta l’Indienne en offrant le breuvage
De son sein nu et brun à son enfant sauvage,
Tandis que l’autre fils lui tendait les deux bras.
« – Sois donc notre convive, avec nous tu
vivras,
(…) »
(Alfred de Vigny, Les Destinées, pp. 71 à 77)
8 – Laissons maintenant notre rossignol, Anne Maillet, chanter une berceuse de Mozart. Cette chanson est proche du thème du partage à travers l’expression de la maternité. En effet, toute mère donne son amour, sa douceur à son enfant alors fragile et dépendant qui lui offre en retour, son regard, son sourire.
9 – Victor Hugo (1802 – 1885) : Ce géant de la littérature à l’œuvre immense, évolue du classicisme au lyrique, des thèmes graves à l’émotion, des thèmes mystiques (comme dans La Légende des Siècles) à d’autres historiques. Étonnamment il sait aussi nous émouvoir à travers des poèmes montrant son amour pour ses petits-enfants et son sens du partage spontané entre sa petite-fille et lui, en dehors de toute convention habituelle :
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix
douce :
– Je ne toucherai plus mon nez avec mon
pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s’est récrié : – Cette enfant vous
connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. A chaque instant
L’ordre est troublé par vous ; le pouvoir se
détend ;
Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.
Vous démolissez tout. – Et j’ai baissé la tête,
Et j’ai dit : – Je n’ai rien à répondre à
cela,
J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là
Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu’on me mette au pain sec. – Vous le méritez,
certe,
On vous y mettra. – Jeanne alors, dans son coin noir,
M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l’autorité des douces créatures :
– Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures.
(Victor Hugo, L’Art d’être grand-père, pp. 129 et 130)
10 – Pause avec des citations sur le partage :
Euripide (vers 480 av J-C – 406 av J-C) a dit : « Il est doux de partager son bonheur avec des êtres chers. » (Ion, in Théâtre 4, Garnier-Flammarion n° 122, traduction Henri Berguin et Georges Duclos, p. 73)
René Descartes (1596 – 1650), dans Discours de la méthode, partage avec nous, son choix de l’objectivité, de la clairvoyance non par les coutumes établies mais par l’observation, la logique dégagée de ses propres expériences. Il nous transmet ainsi sa philosophie de vie très mathématique et en même temps emplie de sagesse et d’humilité : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. ». (Discours de la méthode, Premier chapitre, première partie, p. 126)
Khalil Gibran (1883 – 1931), poète et peintre libanais, a écrit en langue anglaise. Dans Le prophète, cet écrivain nous transmet un message de partage, de sagesse, de sérénité, d’une certaine philosophie de vie qui lui permet de prendre du recul par apport à notre vécu et d’en dégager le bon et le beau : « In the sweetness of friendship, there be laugthter, and sharing of pleasures. » ce qui signifie : « Dans la douceur de l’amitié, se trouvent le rire et le partage des plaisirs. » (traduit par Catherine Réault-Crosnier). (Khalil Gibran, Le prophète)
Stefan Zweig (1881 – 1942) exprime, dans La confusion des sentiments, un partage étrange dans un couple où règne une atmosphère lourde, liée à l’isolement. Est-ce encore le partage que le règne de l’enfermement de deux êtres dans une ambiance angoissante, repoussante ? « Toutefois, plus je me liais à ces nouvelles connaissances, plus je me coupais du monde extérieur : j’avais part non seulement à la chaleur de leur sphère intime, mais aussi à l’isolement glacial de leur existence claquemurée. (…) Depuis que je partageais l’existence de ces deux solitaires, j’étais à mon tour parfaitement esseulé. » (Stefan Zweig, La confusion des sentiments, p. 1013).
Dalaï Lama, dans La compassion et l’individu, célèbre le don de soin et l’échange avec l’autre dans un esprit de partage, en toute sérénité, comme une philosophie de vie qui nous emporte « au degré le plus élevé de paix intérieure en développant l’amour et la compassion. (…) Dès le moment où l’on cultive un réel sentiment de chaleur pour les autres, notre esprit se libère, nous aide à dissiper toutes les peurs (…). » Il va même jusqu’à affirmer qu’ainsi nous pourrions « venir à bout de n’importe quel obstacle que nous pourrions rencontrer. » (Dalaï Lama, La compassion et l’individu, p. 10)
Marc Lévy dans Sept jours pour une éternité…, nous transmet son message de partage : « J’ai lu dans un magnifique livre de Hilton qu’aimer, c’est partager, faire chacun un pas vers l’autre ! Tu m’as demandé l’impossible, je l’ai fait pour toi, accepte aussi de renoncer à une part de toi-même. » (Marc Lévy, Sept jours pour une éternité…, p. 234)
11 – André Theuriet (1833 – 1907) aime nous montrer des scènes d’intimité familiale dans la force de la fidélité et de l’amour, scènes encore plus touchantes dans la vieillesse et la déchéance. Il nous présente une forme de partage, celle d’un couple dont l’homme réconforte la femme par des mots et lui rappelle le passé pour l’aider à vivre le présent et dont la femme lui répond avec émotion. En s’apportant réciproquement des miettes de bonheur, tous deux reçoivent le baume du réconfort d’un amour qui dure même à l’approche de la mort :
NEIGES D’ANTAN
(…)
Le logis est bien clos. Dans l’ombre du parloir,
Deux vieillards, deux époux, sont assis devant l’âtre ;
Et, perdus à demi dans un doux nonchaloir,
Ils rêvent aux lueurs de la braise bleuâtre.
Autour d’eux est rangé l’antique mobilier :
Rideaux fanés, miroirs ternis, dressoirs de chêne.
Dans cet encadrement sévère et familier,
Leur vieillesse apparaît lumineuse et sereine.
Le vent souffle, la neige au murmure léger
Palpite comme une aile à la vitre sonore…
Les époux, en voyant les flocons voltiger,
Sentent dans leur mémoire un souvenir éclore ;
Un souvenir d’amour et de jeunesse en fleur…
« Femme, dit le vieillard avec un clair sourire,
Ainsi neigeait le ciel quand je t’ouvris mon cœur… »
Et l’épouse, levant son front ridé, soupire :
« Je m’en souviens toujours… Je revois le
chemin,
Je crois entendre encor siffler parmi les branches
La bise de janvier qui bleuissait ta main
Et sur tes cheveux noirs semait des taches blanches.
(…)
Et le vieillard sourit de nouveau : « Nos
amours
Ont vécu cinquante ans ; les printemps dans leur
gloire
Et les étés féconds sont passés, et toujours
Ce souvenir d’hiver chante dans ma mémoire.
(…)
Un pâle et doux soleil argente leurs cheveux,
Et le vent qui s’engouffre au fond des cheminées,
Le rude vent d’hiver, s’attendrissant pour eux,
Murmure les chansons de leurs jeunes années.
(André Theuriet, Le Bleu et le Noir, pp. 145 à 147)
12 – Maurice Rollinat (1846 – 1903), poète et musicien du fantastique, a rarement abordé le thème du partage mais nous pouvons l’apercevoir indirectement dans de nombreux poèmes par exemple dans « La jument aveugle » où la mère partage son amour maternel, sa tendresse avec son petit de manière encore plus émouvante, encore plus intense à cause de son handicap. De même dans « Les deux compagnons », un cheval et un âne partagent le dur travail des champs mais aussi étonnamment, des moments de joie dans l’amitié, l’entraide. Dans un autre poème « L’aveugle », une jeune bergère raconte des histoires du passé à une vieille femme pour lui apporter un peu de baume au cœur avant que celle-ci lui réponde en partageant avec elle, ses souvenirs et sa joie :
LA JUMENT AVEUGLE
Avec l’oreille et les naseaux
Y voyant presque à sa manière,
La vieille aveugle poulinière
Paissait l’herbe au long des roseaux.
Elle devait s’inquiéter
Lorsque sa pouliche follette
S’égarait un instant seulette,
Car elle cessait de brouter.
Un hennissement sorti d’elle,
Comme un reproche plein d’émoi,
Semblant crier à l’infidèle :
« Reviens donc vite auprès de moi ! »
Parfois même en son désir tendre
De la sentir et de l’entendre,
Elle venait à pas tremblants,
Lui lécher l’épaule et la tête,
Tandis que dans ses gros yeux blancs
Pleurait sa bonne âme de bête !
(Maurice Rollinat, La Nature, pages 159 et 160)
LES DEUX COMPAGNONS
Cet énorme cheval et ce tout petit âne,
Frères en coups de fouet, en jeûnes, en labeur,
Ont pris les mêmes airs d’angoisse et de stupeur,
Pensent le même effroi dans la nuit de leur crâne.
A force de tirer côte à côte, en souffrant,
Ils ont suppléé presque au manque de langage
Par des mouvements d’yeux, d’oreilles, et je gage
Qu’entre eux braire et hennir est un parler courant.
Aussi, lorsqu’en leur pré d’herbe courte et
mauvaise,
De la sorte, ils ont pu converser bien à l’aise,
Alors c’est du délire après l’épanchement.
Pleins de la belle humeur que l’un à l’autre
insuffle,
Ils se roulent en chœur, et simultanément
Se relèvent tous deux pour s’embrasser le mufle.
(Maurice Rollinat, Les Bêtes, pages 129 et 130)
L’AVEUGLE
L’humble vieille qui se désole
Dit, gémissant chaque parole :
« Contr’ le sort j’n’ai plus d’résistance.
Que l’bon Dieu m’appell’ donc à lui !
La tomb’ s’ra jamais que d’la nuit
Ni plus ni moins q’mon existence.
Mais la fille s’écrie, essuyant une larme :
Parlez pas d’ça ! J’vas dire un’ bell’
complaint’ d’aut’fois, »
Et, quenouille à la taille, un fuseau dans les doigts,
Exhale de son cœur la musique du charme.
La vieille aveugle, assise au seuil de sa chaumière,
Écoute avidement la bergère chanter,
Au son de cette voix semblant les enchanter
On dirait que ses yeux retrouvent la lumière.
Tour à tour elle rit, parle, soupire et pleure,
Étend ses maigres doigts d’un geste de désir
Vers quelque objet pensé qu’elle ne peut saisir,
Ou, comme extasiée, immobile demeure.
Et, lorsque la bergère a fini sa chanson,
Elle lui dit : « Merci ! tu m’as rendu
l’frisson,
La couleur, et l’bruit du feuillage,
Tu m’as fait r’voir l’eau claire et l’beau soleil
luisant,
Mon enfanc’, ma jeuness’, mes amours ! A
présent
J’peux ben faire le grand voyage. »
(Maurice Rollinat, Paysages et Paysans, pages 221 et 222)
13 – Arthur Rimbaud (1854 – 1891), poète en quête d’un ailleurs jamais atteint, a écrit des poèmes de l’âge de quinze ans à celui de vingt dont « Les étrennes des orphelins ». Ce poème est tout à fait significatif du partage dans le sens où « l’ange des berceaux » vient partager leur peine et leur apporter un rêve de bonheur :
I
La chambre est pleine d’ombre ; on entend
vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encor, alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève…
– Au dehors les oiseaux se rapprochent
frileux ;
Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant…
(…)
III
Votre cœur l’a compris : – ces enfant sont sans
mère,
Plus de mère au logis ! – et le père est bien
loin !…
– Une vieille servante, alors, en a pris
soin :
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
(…)
IV
Ah ! c’était si charmant, ces mots dits tant de
fois !
– Mais comme il est changé, le logis d’autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée
(…)
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle
pénible !
Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !
– Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs
yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose…
Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux gestes du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d’eux repose…
Ils se croient endormis dans un paradis rose…
(…)
La nature s’éveille et de rayons s’enivre…
La terre demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil…
(…)
(Arthur Rimbaud, Poésies complètes, pp. 1 à 5)
14 – Maurice Maeterlinck (1862 – 1949), poète symboliste et métaphysique, nous propose une poésie surprenante par ses associations de mots, d’images. Dans ses pièces de théâtre, il a une force étonnante pour créer un crescendo d’angoisse qui tient le spectateur en haleine. Par exemple, dans son drame La mort de Tintagiles, Ygraine, la sœur de Tintagiles, partage le désespoir de l’enfant qui approche de la mort et elle le soutient par sa présence aimante jusqu’au bout :
TINTAGILES. Petite sœur, sœur Ygraine… Ce n’est
plus possible…
(…)
TINTAGILES. Elle est là !… Je n’ai plus de
courage. (…) Je la sens !…
(…)
YGRAINE. Débats-toi, défends-toi, déchire-la !… (…) Au secours !… où es-tu ?… Je vais t’aider… (…)
(Maurice Maeterlinck, La mort de Tintagiles, pp. 38 et 39)
15 – Francis Jammes (1868 – 1938), poète, romancier, dramaturge et critique, proche des animaux, de la nature, des sentiments, a le sens du partage. Dans son livre La jeune Fille nue, dialogue poétique entre une petite vieille, une jeune fille et le poète, le partage peut paraître infime mais le don spontané de la vieille femme, à peine visible en apparence, est immense car il est délicat, baume pour le cœur et le corps. Il est contenu dans son cabas :
Un morceau de pain gris qu’un pauvre plein de
poussière
a léché, et qui lui a fait la bouche amère.
J’ai creusé le croûton avec mes dents de vieille.
J’en ai sorti la mie et j’ai, comme un moineau,
fait tremper cette mie dans un joli ruisseau.
Le pauvre avait les pieds luisants et bleus de plaies,
je lui ai mis la mie dessus pour qu’il y ait frais.
(Œuvre poétique complète, tome 1, p. 280)
16 – Charles Péguy (1873 – 1914), poète et essayiste, a écrit une œuvre importante. Il aborde le thème du partage dans « Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc », par exemple à travers le partage par les soldats, du manteau du condamné à mort, partage qui contraste ensuite avec l’acceptation du don total de l’amour du Christ sur la croix :
(…)
Et les soldats qui l’avaient arrêté.
(…)
Et ces bourreaux qui l’avaient crucifié.
Des gens qui faisaient leur métier.
Ces soldats qui jouaient aux dés.
Qui se partageaient ses habits.
Qui jouaient ses habits aux dés.
Qui jetaient le sort sur sa robe.
C’étaient encore eux qui ne lui en voulaient pas.
(…)
(Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc, p. 484)
17 – Anna de Noailles (1876 – 1933), poétesse et romancière française, d’origine roumaine, fut la première femme commandeur de la Légion d’honneur, la première femme reçue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Son premier recueil de poèmes, Le cœur innombrable (publié en 1920), fut couronné par l’Académie française. Sa poésie intimiste reflète sa sensibilité. Elle voudrait donner, partager mais hélas en face, il faudrait la réciprocité :
L’INNOCENCE
Si tu veux nous ferons notre maison si belle
Que nous y resterons les étés et l’hiver !
Nous verrons alentour fluer l’eau qui dégèle
Et les arbres jaunis y redevenir verts.
Les jours harmonieux et les saisons heureuses
Passeront sur le bord lumineux du chemin,
Comme de beaux enfants dont les bandes rieuses
S’enlacent en jouant et se tiennent les mains.
Un rosier montera devant notre fenêtre
Pour baptiser le jour de rosée et d’odeur ;
Les dociles troupeaux, qu’un enfant mène paître
Répandront sur les champs leur paisible candeur.
Le frivole soleil et la lune pensive
Qui s’enroulent au tronc lisse des peupliers
Refléteront en nous leur âme lasse ou vive
Selon les clairs midis et les soirs familiers.
Nous ferons notre cœur si simple et si crédule
Que les esprits charmants des contes d’autrefois
Reviendront habiter dans les vieilles pendules
Avec des airs secrets, affairés et courtois.
Pendant les soirs d’hiver, pour mieux sentir la flamme,
Nous tâcherons d’avoir un peu froid tous les deux,
Et de grandes clartés nous danseront dans l’âme
A la lueur du bois qui semblera joyeux.
Émus de la douceur que le printemps apporte,
Nous ferons en avril des rêves plus troublants,
– Et l’Amour sagement jouera sur notre porte
Et comptera les jours avec des cailloux blancs.
(Anna de Noailles, Le cœur innombrable, pp. 61 à 63)
18 – Khalil Gibran (1883 – 1931) partage avec nous ses sentences qui peuvent nous aider sur notre route de vie. Avec lui, nous découvrons la beauté du don et de l’amitié :
(…)
Et que le meilleur de vous-même soit pour votre ami.
S’il doit connaître le reflux de votre marée, qu’il
en connaisse aussi le flux.
Car à quoi bon votre ami, si vous le cherchez afin de
tuer le temps ?
Cherchez-le toujours pour les heures vivantes.
Car il lui appartient de combler votre besoin, mais non
votre vide.
Et dans la douceur de votre amitié, qu’il y ait le
rire, et le partage des plaisirs.
Car dans la rosée des petites choses, le cœur trouve
son matin et sa fraîcheur.
(Khalil Gibran, Le Prophète, p. 59)
19 – Alain-Fournier (1886 – 1914) dans ses poèmes de jeunesse, réunis dans Miracles par Jacques Rivière, aborde indirectement le thème du partage à travers l’amour idéalisé dans de délicats projets pour apporter du bonheur à sa belle :
L’ONDÉE
(…)
Vous irez, doucement, tout le long des bordures,
Chercher des fleurs pour vous les mettre à la ceinture
Mes pensées frissonnantes pour en faire un
bouquet ;
Gardez-vous bien, surtout, de passer aux sentiers
Où les herbes, ce soir, ont d’étranges allures,
Où les herbes sont folles et meurent de rêver !…
Si vous alliez mouiller vos petits pieds !…
(…)
Tout le soir, sagement, tu descendras l’allée
Tiède d’amour, de pétales et de rosée.
Tu viendras t’accouder au ruisseau de mon cœur
Y délier la cueillette, y délier fleur à fleur
La candeur des jasmins et l’orgueil des pensées.
Et tout le soir, dans l’ombre humide et parfumée,
Débordant de printemps, de pluie et de bonheur,
Les larges eaux de paix, les eaux fleurdelisées
Rouleront vers la Nuit des branches et des fleurs…
(Alain-Fournier, Miracles, pp. 94 et 95)
20 – Paul Éluard (1895 – 1952), surréaliste, chante la femme, le monde, l’amour et l’alchimie du regard. Un simple regard, un sourire, une main tendue peuvent apporter beaucoup et sont signe de partage avec l’autre :
ET UN SOURIRE
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
(…)
Une main tendue, une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.
(Paul Éluard, Œuvres complètes, tome II, Le phénix, p. 444)
21 – Louis Aragon (1897 – 1982), ce poète, romancier et journaliste, fut l’un des animateurs du dadaïsme à côté d’André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault. Ses poèmes ont été chantés par Léo Ferré, Jean Ferrat, Georges Brassens. Louis Aragon a mis à l’honneur l’amour et peut aborder à travers ce thème, celui du partage :
Je veux partager ton passé
Donne ta main qu’on y descende
(…)
De ce pays t’en souvient-il
Qui avait tant goût de papaye
Et sa ceinture de corail
Reparle-moi de Tahiti
(…)
(Louis Aragon, Il ne m’est Paris que d’Elsa, in La Pléiade tome II, pp. 1023 et 1024)
22 – Antoine de Saint-Exupéry (1900 – 1944), écrivain, aviateur, reporter, est resté connu dans le monde entier en particulier à travers son conte Le Petit Prince (1943). Certaines paroles continuent de nous émouvoir comme celles prononcées par le renard et répétées en partie par le petit prince : « on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » (Le Petit Prince, p. 72) Ces mots sont ceux du partage de l’amour car l’ami apporte l’essentiel à l’autre même si vu de l’extérieur, ce lien tissé reste invisible.
Antoine de Saint-Exupéry vivait aussi le sens du partage dans l’entraide avec ses amis aviateurs dans leur long trajet en avion pour développer le transport du courrier. Ses livres dont Terre des hommes, Courrier sud… en témoignent. Son livre Citadelle (commencé en 1936) est resté inachevé mais sa force d’écriture est intense et le thème du partage régulièrement présent dans l’amour et la fraternité :
« (…) il n’est rien à faire sans l’amour. (…) Plus tu donnes, plus tu grandis. Mais il faut quelqu’un pour recevoir. » (p. 93) « Car donner est jeter un pont par-dessus l’abîme de ta solitude. » (p. 181) « (…) recevoir est bien autre chose qu’accepter. Recevoir est d’abord un don, celui de soi-même. » (p. 206)
Saint-Exupéry approfondit l’importance du partage en particulier à travers celui qui sait donner « la lumière de son propre visage en échange de ton offrande. » (p. 206) car le partage n’existe qu’à travers l’échange qui seul assure la plénitude du don :
« Tu n’avais que faire d’une rose. Tu l’as échangée contre mon sourire… et te voilà qui retournes vers ta maison, ensoleillé par le sourire de ton roi. » (p. 493)
23 – Georges Brassens (1921 – 1981), poète, compositeur et chanteur, est connu de tous. Sa chanson pour l’Auvergnat a été sur toutes les lèvres. Le partage de celui qui avait peu mais l’a partagé, a encore plus de valeur dans la pauvreté et lui a apporté la joie :
Elle est à toi cette chanson,
toi l’Auvergnat qui sans façon,
m’as donné quatre bouts de bois
quand dans ma vie il faisait froid,
(…)
Ce n’était rien qu’un feu de bois,
(…)
et dans mon âme il brûle encore
à la manière d’un feu de joie.
(…).
24 – Anne Maillet nous propose un de ses poèmes humoristiques, « Duo » où les deux vieux partagent leur fin de vie dans une connivence réciproque, preuve de leur attachement, image du partage.
DUO
La brume cache le chemin.
L’air sent la rosée du matin,
Et ils marchent dans le jardin
Tous les deux,
Pas à pas, lentement,
L’un près de l’autre doucement.
Ils sont vieux, bien vieux,
Mais ils s’aiment tous les deux
Et ils semblent heureux.
Leurs têtes penchées vers la terre
Où ils seront bientôt,
Ils contournent les parterres
Et regardent les oiseaux.
Quand l’un d’eux s’assoit sur un banc,
Tout près de lui l’autre attend.
Ils pensent l’un à l’autre tous deux
Et savent ce que disent leurs yeux.
Ils sont vieux.
Quand l’un partira
L’autre le suivra.
Celui qui restera
Aura bien du chagrin.
Plus d’oiseaux dans le jardin !
Et que de brume dans le matin !…
Quand ils ont froid
Ils prennent parfois
Le bus pour rentrer,
L’un soulevant l’autre pour monter.
Ils sont vieux,
Très vieux tous les deux.
L’un va sur quatre vingt treize ans,
Et l’autre a dépassé quinze ans…
Ils sont vieux,
Mais ils s’aiment bien
Le vieux maître et son chien.
25 – Catherine Réault-Crosnier peut trouver le sens du partage de manière inhabituelle. En voici trois exemples : le premier lors de la préparation du mur de poésie en 2000 à travers la participation de poètes donnant tous un poème pour créer des murs de papier réunissant tous les participants, le second dans « Heureux qui… » à travers l’image de ceux qui savent partager sans assister, le troisième près de ceux qui savent tendre leurs mains les uns vers les autres pour s’entraider.
MUR DE POÉSIE
Quelle détente que celle de prendre
Un bain de poésie !
Chaque matin ou presque,
Je guette le facteur
Qui dépose dans ma boite à lettres,
Des poèmes du monde entier.
Chaque enveloppe ouverte
Libère son secret
Et je regarde avec des yeux d’enfant
Ces textes qui parlent à mon âme.
Le chant des mots m’emporte
Hors de mon corps,
Dans une ronde tout autour du monde,
Une ronde de partage,
Dans un bain de poésie.
Et ma peau ne se lasse pas
De s’en imprégner !
HEUREUX CELUI…
Heureux celui
Qui sait garder
Le goût du travail !
Qui sait donner sa sueur
Plutôt que d’être à charge!
Heureux celui
Qui ne cherche pas
À rendre le moins de service possible !
Heureux celui
Qui sait donner son temps
Plutôt que de se lamenter sur son sort !
Heureux celui
Qui a compris
La joie du don !
Heureux celui
Qui compte sur lui
Avant de demander aux autres !
Heureux celui
Qui sait garder
Le goût du partage !
Pour terminer, je vous propose de participer au prochain poème en tendant tous la main quand le mot « main » est prononcé.
MAINS TENDUES
Mains tendues les uns vers les autres
Pour se rassembler pour construire sur un pont
Au-dessus de nos différences,
Mains, vous êtes le symbole
De l’unité possible dans la différence,
Vous êtes l’espoir de l’entente.
Mains tournées vers les autres
Pour ne vivre jamais seul en égoïste,
Indifférent à ceux qui nous dérangent,
Qui ne pensent pas comme nous,
Qui nous ignorent ou nous combattent.
Gardons toujours les mains ouvertes,
Prêtes à donner sans compter.
Pour qu’à nouveau sur terre,
L’amitié puisse annihiler la guerre,
La compassion apporter le réconfort,
Gardons nos mains tendues
Sans jamais nous lasser
De partager avec les autres.
Juillet 2016
Catherine Réault-Crosnier
Bibliographie :
– Alain-Fournier, Miracles, Librairie
Gallimard, Paris, 1924, 221 pages.
– Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, tome
1I, Paris, Gallimard La Pléiade, 2007, 1700 pages.
– Dalaï Lama, La compassion et l’individu,
traduit de l’anglais par Anne Deriaz, Actes Sud, 2000, 45 pages.
– Marceline Desbordes-Valmore, Les Pleurs, chez
Charpentier libraire, Paris, 1833, 392 pages.
– René Descartes, Œuvres, lettres, textes présentés
par André Bridoux, La Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 2008, 1423 pages.
– Paul Éluard, Œuvres complètes, tome II, La
Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 1968, 1505 pages.
– Ésope, Fables, texte établi et traduit par
Émile Chambry, Société d’édition « Les Belles Lettres »,
Paris, 1927, 163 pages.
– Euripide, Ion, in Théâtre 4,
Garnier-Flammarion n° 122, traduction Henri Berguin et Georges Duclos,
(référence trouvée sur Internet :
http://www.gilles-jobin.org/citations/?P=c&au=137).
– Khalil Gibran, Le prophète, traduit par
Camille Aboussouan, Casterman, Paris, 1956, 95 pages.
– Khalil Gibran, Le prophète, texte en anglais
pris sur Internet : http://wikilivres.ca/wiki/The_Prophet.
– Victor Hugo, L’art d’être grand-père,
Calmann-Lévy éditeur, Paris, 1877, 323 pages.
– Francis Jammes, Œuvre poétique complète, tome
1, Biarritz, J et D éditions, 1995, 807 pages.
– Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques,
Au dépôt de la librairie grecque-latine-allemande, Paris, 1920, 116 pages.
– Fables choisies mises en vers par Monsieur de La
Fontaine – Première partie, chez Henry van Bulderen, La Haye, 1688, 236
pages.
– Marc Levy, Sept jours pour une éternité…, Robert
Laffont, Paris, 2003, 285 pages.
– Maurice Maeterlinck, La mort de Tintagiles,
Répliques / Babel, Arles / Bruxelles, 1997, 121 pages.
– Recueil des vers de Mr de Marbeuf,
Rouen, Imprimerie de David du Petit Val, 1628, 4 + 252 pages.
– Anna de Noailles, Le cœur innombrable,
Calmann Lévy éditeur, Paris, 1901, 192 pages.
– Charles Péguy, Œuvres poétiques complètes,
La Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 2000, 1610 pages.
– Arthur Rimbaud, Poésies complètes, Léon
Vanier libraire-éditeur, Paris, 1895, 135 pages.
– Maurice Rollinat, La Nature, poésies, G.
Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1892, 350 pages.
– Maurice Rollinat, Paysages et Paysans, poésies,
Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, 1899, 332 pages.
– Maurice Rollinat, Les Bêtes, G. Charpentier,
Paris, 1911, 226 pages.
– Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle,
Le Livre de Poche, Gallimard, 1967, 635 pages.
– Antoine de Saint-Exupéry, Le
Petit Prince, NRF, Gallimard, 1969, 95 pages.
– André Theuriet, Poésies 1860 – 1874 (Le
Chemin des Bois et Le Bleu et le Noir), Alphonse Lemerre éditeur,
Paris, 1879, 252 pages.
– Alfred de Vigny, Les Destinées – poëmes
philosophiques, Michel Lévy frères, Paris, 1864, 195 pages.
– Stefan Zweig, La confusion des sentiments, in
Romans, nouvelles et récits I, La Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 2013,
1450 pages.
– La poésie de la Renaissance, France Loisirs,
Paris, 1991, 285 pages.
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