18èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 5 août 2016, de 17 h 30 à 19 h

 

Paul Fort et la Tourangelle dansent avec les poètes

Portrait de Paul Fort à l'encre de Chine par Catherine Réault-Crosnier.

Lire la présentation de cette Rencontre.

 

Jules Jean Paul Fort est né le 1er février 1872, à Reims (Marne) 1, rue du Clou dans le Fer, tout près de la cathédrale, et mort le 20 avril 1960 à Montlhéry (Essonne). Ce poète et dramaturge français du XXème siècle a fait le tour de la terre avec ses Ballades françaises dont certaines phrases sont sur toutes les lèvres : « Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main, tout autour de la mer elles pourraient faire une ronde. » (Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 19) et aussi : « Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. (…) ». (Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 20)

Ses poèmes sont toujours appris dans les écoles et les enfants apprécient sa fraîcheur d’écriture, son message de paix et d’amour pour le monde entier.

À travers une courte biographie, nous entrerons dans le monde de Paul Fort. Nous nous imprégnerons de sa force d’écriture, de sa soif de la liberté et de joie partagée dans un style jamais lassant. Son message fort est toujours d’actualité. Nous partirons avec sa belle Tourangelle, sur les routes de la vie. Nous analyserons son rapport avec la Touraine qui reste pour lui, le symbole d’un idéal de parfait bonheur, de renommée et de beauté. À ce titre, il peut être considéré comme Tourangeau d’adoption, lui qui a si bien sublimé et chanté ce pays dans ses poèmes ! Nous ferons avec lui, une ronde tout autour du monde avec ses amis poètes dont nous mettrons les poèmes en connivence avec les siens.

Le public lors de la Rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes à Tours, le 5 août 2016.

Sa biographie :

Dès six ans, il habite à Paris, dans le sixième arrondissement (63, rue de Vaugirard) (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 182). Les lieux de son enfance l’inspireront pour ses poèmes dont la rue Sainte-Placide, le jardin du Luxembourg, Montparnasse, le café La Closerie des Lilas (171, boulevard Montparnasse). (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 130)

Le fougueux et dynamique Paul Fort est très tôt en contact avec de nombreux artistes connus. Il met en œuvre des projets pouvant paraître impossibles à réaliser mais tout lui réussit. En effet, après des études au lycée Louis-le-Grand à Paris, il choisit la voie de la poésie, sous l’influence d’amis dont Pierre Louÿs et André Gide. Il est renvoyé du lycée Louis-le-Grand car il a l’audace de fonder à dix-huit ans (1890), le Théâtre d’Art en réaction au théâtre en vogue, réaliste et naturaliste, ce qui ne paraissait pas sérieux. Il assure la direction pendant quatre ans, fait exceptionnel pour son âge ! (Pierre Béarn, Paul Fort, pp. 65 et 66)

En ce lieu, seront jouées les pièces de Stéphane Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam, Verhaeren, Jules Laforgue, Maeterlinck, et encore Edgar Poe… (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 130). Parallèlement il publie la revue Théâtre d’Art qui deviendra Le Livre d’Art en 1892.

Paul Fort s’investit dans le Symbolisme. Il allie un esprit novateur très tôt, à un talent de grand organisateur ; le Théâtre d’Art en est un exemple. Il insuffle un esprit de renouveau au sein du monde littéraire. À cette époque, Stéphane Mallarmé (1842 – 1898) qui deviendra très vite l’un de ses amis, soutient déjà sa création poétique.

En 1891, il se marie avec Marie-Suzanne Theibert, dite Suzon, jeune marchande de fleurs (Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 346). Elle est la fille d’une fleuriste de la rue Sainte-Placide (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 133). Ses témoins sont Verlaine et Stéphane Mallarmé. Ils ont une fille Jeanne. Il quittera sa femme pour une autre en 1907, même s’il est resté officiellement marié avec elle. Puis il vit à Montmartre avec Margueritte Guillot.

Il écrit sa première Ballade française à vingt ans et il a ensuite continué à utiliser cette forme littéraire tout sa vie. (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 75) Parmi ses premières publications, citons Premières Choses (1894), Il y a des cris (1895, 224 pages), sa première édition de Ballades au Mercure de France (1896). Suivront de nombreux tomes des Ballades Françaises qui en comprendront au final, une cinquantaine.

Dès 1894, Paul Fort côtoie les deux principaux poètes symbolistes, Francis Vielé-Griffin et Henri de Régnier, et se consacre à la poésie. À partir de 1903, il organise des réunions de lecture poétique tous les mardis au café « La Closerie des Lilas » dans le quartier Montparnasse. En 1905, il lance avec Moréas et Salmon la revue Vers et prose, dirigée conjointement par Max Jacob, Pierre Louÿs et lui.

En 1896, sa première édition des Ballades est publiée au Mercure de France. En 1897, paraît son premier volume des Ballades françaises au Mercure de France. En 1905, il est co-fondateur avec Paul Valéry, de la revue Vers et Prose, anthologie des meilleurs représentants du Symbolisme, qui éditera notamment Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Louÿs. (http://data.bnf.fr/11903157/paul_fort/)

En 1897, son premier volume des Ballades françaises est publié au Mercure de France ; il est préfacé par Pierre Louÿs. À partir de cette date, il publiera régulièrement d’autres tomes, toujours chez ce même éditeur, souvent à raison d’un par an, le tome II des Ballades en 1898, le tome III en 1899, le tome IV en 1900, le tome VI en 1901, le tome VII en 1902 pour ses vingt ans etc. (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 183)

À La Closerie des Lilas, il est proclamé « Prince des Poètes » en 1912 (suite à une élection organisée par cinq journaux) ; il succède à Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé et Léon Dierx.

En 1913, à quarante ans, il rencontre Germaine Pouget (d’Orfer de son vrai nom). Elle a dix-huit ans et il l’appelle Tourangelle car la Touraine symbolisait pour lui, un idéal. « Son père, le bon poète Léo d’Orfer a emmené » sa fille à la Closerie des Lilas et c’est là qu’elle connaît Paul Fort qui a le coup de foudre (Antoine Antonakis, François Fort, Paul Fort – Le poète est dans le pré, p. 15). Selon certains bruits, Germaine serait née à Montlhéry ce qui est faux, même si en cette ville, un jardin, une station d’autobus, portent son nom de poésie « La Tourangelle » (http://www.montlhery.com/visite_virtuelle2.htm), (Marcel Girard, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, p. 129), (http://www.transports-daniel-meyer.fr/IMG/pdf/dm11hiver2013v2.pdf). En réalité, Germaine est née à Paris. Du côté de sa mère, certains de ses ascendants sont nés en Val de Loire, en Orléanais mais aucun en Touraine.

Mineure, Germaine quitte sa famille, s’enfuit avec Paul Fort ; ils vont de pays en pays, en Suisse où il fait des conférences, en Russie puis en Allemagne jusqu’à la veille de la guerre de 1914 (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 185). Lors de ces séjours, Paul Fort fait vivre son couple uniquement de sa poésie. Mobilisé pendant la première guerre mondiale, il servira seulement dans la réserve de l’armée territoriale au vu de son âge, quarante-deux ans. Il a été envoyé en particulier, en Touraine, dans le Blésois et en Vendômois. C’est son premier contact réel avec la Touraine (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 136).

Il publie en 1916, Poèmes de France – Bulletin lyrique de la guerre (1914 – 1918) où sa poésie rejoint la guerre dans un lyrisme qui met à l’honneur les héros comme dans cet extrait : « Chant de bravoure universel (…) Marseillaise ! qui devient l’air lui-même où passe l’ouragan des âmes entraînant les corps dans la fournaise, » (Paul Fort, Poèmes de France, pp. 152 et 153).

Il vit de sa plume mais ne cherche pas le profit et ne roule pas sur l’or. Germaine reste pour lui, une source d’inspiration. Sur les deux cent ballades écrites par Paul Fort, une cinquantaine la concernent personnellement (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 138). Certains titres sont à eux seuls évocateurs de sa volonté de mettre à l’honneur, la Touraine et sa muse : « Hélène tourangelle », « Germaine tourangelle », « Âme tourangelle »…

En 1920, il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur et réalise des conférences en Hollande et en Belgique. (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 186)

En 1921, après une tournée littéraire en Amérique du Sud passant par le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine et le Chili, il revient en France. (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 85) Avec l’argent gagné, il acquiert un terrain en friche à Montlhéry où il bâtira une maison de bois. Le nom de Montlhéry n’est pas sans nous rappeler le livre écrit par Paul Fort en 1911, Montlhéry-la-Bataille en lien avec Louis XI. Il écrira à la gloire de ce lieu, Hélène en Fleur, ensemble de poèmes pour fêter sa bien-aimée qu’il célèbre en union avec la nature « les mains remplies d’étoiles que j’apportais à mon Hélène » et de son cadre de vie sans oublier la « friture » de poissons ni « la galimafrée », qui est un ragoût de viande ou de volailles que son Hélène en bonne cuisinière va préparer avec ses victuailles. (Paul Fort, Hélène en Fleur, p. 159)

En 1922, Flammarion devient l’éditeur quasi-exclusif de ses recueils et entame la publication de ses Œuvres complètes dont le premier volume est préfacé par Pierre Louÿs. (Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 350)

Il met l’histoire de France à l’honneur, dans son livre Chronique de France qui rassemble ses pièces de théâtre, Louis XI, curieux homme (1922), Ysabeau (1924), les Compères du roi Louis (1927). Elles sont proches de son état d’esprit des Ballades.

En 1933, il obtient le Prix de l’Académie française (http://www.academie-francaise.fr/prix-dacademie).

Il est l’un des fondateurs de l’Académie Mallarmé en 1937.

À la fin de la seconde guerre mondiale, il est inscrit sur une première liste d’auteurs frappés d’interdiction de publier par le CNE (Comité national des écrivains, organe de la Résistance intellectuelle), puis retiré de la seconde liste publiée dans Les Lettres françaises, le 21 octobre 1944.

En 1941, le tome VI de ses Œuvres complètes, préfacé par Paul Valéry, est publié et l’année suivante (1942), le tome VII avec un avant-propos de Maurice Maeterlinck. Souvent il fait paraître un tome par an dont en 1946, le tome IX, avec un avant-propos de Guillaume Apollinaire. (Pierre Béarn, Paul Fort, pp. 188 et 189)

En 1952, il obtient le Prix Gustave Le Métais-Larivière de l’Académie française (http://www.academie-francaise.fr/prix-gustave-le-metais-lariviere).

En 1953, il est nommé Commandeur de la Légion d’honneur. En 1954, il obtient le Grand Prix littéraire de la Ville de Paris (Pierre Béarn, Paul Fort, pp. 189 et 190).

En 1956, à la mort de sa première femme, Suzon, il épouse Germaine Pouget dite la Tourangelle, après quarante-trois ans de vie commune et reconnaît les trois enfants de Germaine : Hélène (1919), François (1920), puis Claire (1923) qui portent alors son nom (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, pp. 136 et 137).

Atteint d’un cancer de la gorge depuis quatre ans (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 189), il meurt le 20 avril 1960 à Montlhéry. Le 25 avril 1960, son enterrement a lieu en présence de très nombreux amis du poète avec une cérémonie religieuse à onze heures en l’église de Montlhéry puis une courte promenade vers son lieu d’enterrement, sa dernière demeure, dans le jardin de leur propriété d’Argenlieu à Montlhéry, sur une terrasse appelée « le Banc des Étoiles » (Antoine Antonakis, François Fort, Paul Fort – Le poète est dans le pré, p. 125), nom choisi par Paul Fort et tout à fait en harmonie avec son état d’esprit de rêve, de poésie et d’union à l’univers. Cette même année, Pierre Béarn lui consacre une monographie chez Seghers, dans la collection « Poètes d’aujourd’hui ».

Sa femme, ses enfants, ses amis entretiennent alors son souvenir et Germaine vivra encore vingt ans. Elle mourra en 1980 ; Germaine et Paul Fort se retrouveront alors tous deux dans « le Banc des Étoiles ».

Paul Fort n’a jamais été oublié. Son nom a été donné à de nombreux lieux dont une rue du XIVème arrondissement de Paris, une salle de spectacle à Nantes (sur la place Talensac), plusieurs écoles et collèges français dont un collège à Reims, sa ville natale… Georges Brassens a mis en musique certains de ses poèmes dont La Complainte du cheval blanc, Germaine Tourangelle… Ferdinand Desnos (1901 – 1958) a peint un tableau intitulé Le poète Paul Fort à La Closerie des Lilas (Wikipédia). Après sa mort, ses poèmes principalement ses Ballades, ont été réédités au fil des décennies. Paul Fort avec sa spontanéité, sa joie de vivre, n’a jamais perdu sa notoriété car il est indémodable.

Les œuvres intégrales de Paul Fort chez Flammarion ne sont plus disponibles. En 1985, pour entretenir le souvenir de l’œuvre du poète, le professeur Daniel Leuwers de l’université de Tours a préfacé et fait éditer Ballades du beau hasard poèmes inédits et autres poèmes aux éditions Flammarion. Actuellement, sont disponibles Ballades françaises et Ballades du beau hasard (http://editions.flammarion.com/).

 

Son lien avec la Touraine :

Ce n’est pas un hasard si Marcel Girard, membre de l’Académie de Touraine, a écrit une conférence : « Paul Fort, chantre de "la Tourangelle" et de la Touraine » parue dans les Mémoires 1995 de cette Académie (Livre 8, pp. 121 à 136) puis à nouveau (en 2006) dans Promenades à travers la Touraine littéraire.

Nous ne pouvons nier l’intérêt de Paul Fort pour la Touraine puisque dans le tome IV des Ballades de 1925, plusieurs recueils sont regroupés dans La Tourangelle (Paul Fort, Ballades Françaises IV) et incluent des titres évocateurs de cette région dont « Germaine Tourangelle » qui célèbre la conquête de cette femme de dix-huit ans alors qu’il en a quarante !

« Debout ! génies des bois (…) et vous les jardiniers de Chambord et de Tours, les vignerons, (…) accourez ! et chantant la Loire et mes amours, – puisqu’en l’air tourangeau vole encor de la neige, (…) visez mon cœur (…) et l’Amour qui se lève, (…). » (Paul Fort, La Tourangelle, pp. 44 et 45)

Son premier contact concret avec la Touraine a lieu pendant la guerre de 1914 (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 136). Auparavant cette région représentait pour ce poète, un idéal chanté en particulier dans son poème d’amour à sa bien-aimée Germaine. C’était donc uniquement une manière de la mettre sur un piédestal, de faire son éloge en ce pays de rois, de châteaux et de bons vins.

Dans son recueil Ballades du beau hasard, la Touraine est bien représentée. Il a souvent une raison de citer cette région de France comme dans « Hélène tourangelle » (La Tourangelle, pp 39 à 42) qu’il nommera ensuite « Germaine tourangelle » : « A celle qui fut HÉLÈNE au doux nom caché : GERMAINE au cher vrai beau nom. » (id., p. 43), car le mot « tourangelle » est l’essentiel, l’idéal de rêve. Le poète chante sa joie dans l’insouciance de son cœur amoureux et proche de la nature vers une nouvelle naissance :

« Hélène, tourangelle, au printemps, mon Hélène, irons-nous marier ces fiers dons de nos cœurs, votre amitié, la mienne, épars notre bonheur du vaporeux soleil au gazon de Touraine ? » (Paul Fort, id., pp. 39 et 40)

Dans la deuxième partie du poème, admirons la légèreté, l’élégance, la fougue de cet élan poétique qui vient du cœur en union avec les éléments, terre, ciel, soleil. Ils sont caractéristiques de Paul Fort, toujours spontané. Juste après, le poète s’adresse à sa belle, lui parle et l’entraîne à la tombée du jour, « au crépuscule des sables », près de sa « belle Loire » pour faire alliance avec elle, « de l’amitié pensive » dans l’espoir de la naissance d’un « amour durable ». (id., p. 40)

Le poète mêle aux « ailes » des oiseaux, leurs « cris » pour que son amour s’envole avec eux, dans la beauté du lieu, au-dessus des « deux déserts du sable fluviatile et ses flaques de moire. » (id., p. 40)

Dans la troisième partie, les rois sont mis à l’honneur avec leur bien-aimée : « François Ier, sa Dame et leur blanc Chenonceaux », (…) « François Ier… Diane… » à la « taille agile / de Chasseresse (…) dans vos champs de Sully, (…). » (id., pp. 40 et 41) Il nous invite alors à la chasse à courre, associée de manière romantique à sa belle devenue « rouge » au soleil couchant. Ses images nous rappellent l’histoire de France en même temps qu’une atmosphère ancienne dans la campagne pour nous entraîner à rêver avec lui, près de sa belle. L’histoire défile avec les femmes, le ciel, les ombres, le rêve et se mêle délicatement à son amour à travers des images qui rappellent leur fuite et leur union « sur le même cheval au galop ». (id., p. 41)

Dans le livret Que j’ai du plaisir, un poème s’intitule « Ame tourangelle » (Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 112). Là encore Paul Fort associe le ciel présent, léger, couvert « d’un fin voile » près des « stries d’opale » à son amour, ses « cheveux », son « visage » qui « épousent en flottant la trace des nuages ». Le terme « épousent » n’est pas choisi par hasard car il correspond à une soif d’union totale et durable. Il n’en finit pas de nous emporter vers un monde merveilleux, de rêve, près des « yeux verts », de la lumière du matin, de la lune, du miroir d’un château dans l’onde, des « roseaux ». Les images se suivent, s’emmêlent avec art, dans leurs reflets avec cette soif inextinguible de bonheur vers le ciel, le poème se terminant par « l’âme tourangelle. »

Dans « Germaine tourangelle » (Paul Fort, La Tourangelle, p. 43), poème qui nous réveille dès le premier mot : « Debout ! », Paul Fort veut que l’univers entier assiste à sa résurrection. Il appelle les « génies des bois », « les farfadets », les « gnomes » pour qu’ils fassent une ronde « dans les vapeurs de Loire au clair de lune » pour célébrer son amour. Son poème est un dialogue où le poète pose des questions et répond. Il finit en apothéose avec les sons des cloches sur l’air du début du refrain d’une chanson historique du XVème siècle au sujet du dauphin Charles qui devint roi d’une partie de la France dont : « Vendôme, Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry. » (Le Carillon de Vendôme) Paul Fort a juste inversé le mot « Vendôme » situé non pas à la fin mais au début. En utilisant cet air ancien, peut-être a-t-il voulu relier son amour au fil de l’histoire et des siècles ? Comme le roi reconquérant une partie de son pays, lui a conquis sa belle.

Il évoque encore « le cor », « les vieilles chansons » pour unir passé et présent ; il nous invite tous à la fête. Suit la longue liste des invités où se côtoient « les bergères, houlette aux doigts, suivies de leurs petits chatons, et les tambours », les rois, les reines, « les jardiniers de Chambord et de Tours » et tout ce monde arrive en cortège pour chanter « la Loire et mes amours. » (La Tourangelle, p. 44)

Nous comprenons à le lire, à l’entendre combien cet amour idéal de la Touraine est immense. Paul Fort a l’art de continuer à chanter l’atmosphère de ce pays sans nous lasser, mêlant son amour à l’histoire de la Touraine, parlant à sa bien-aimée, l’associant aux petites gens, aux paysages de Loire, « au ciel brouillé », « au souple zéphyr » (id., p. 47) « Partout de l’espérance et des chants de lumière. » À son amour, il mêle la nature en des images spontanées, prises sur le vif : les « herbes de la Loire, et d’entre les roseaux le cou vert des canards » (id., p. 49)

Laissons parler Paul Fort dans un extrait où il chante sa Tourangelle et admirons la spontanéité, la fraîcheur de son élan poétique telle une renaissance, un nouveau printemps pour le poète :

« Germaine Tourangelle

(…)
Ce que tu fis, ce que je fis, Germaine, avant de naître à cet amour vivant, si grand, si pur, foin qu’il nous en souvienne ! Le passé mort est l’hiver de nos ans.
(…)
Ne sens-tu pas renaître avec nos âmes un fin doux souffle inconnu des hivers, souple zéphyr qui flatte la campagne en emportant tous nos péchés d’hier ?
(…) » (id., p. 47)

 

Son portrait :

Marcel Girard le décrit ainsi : « avec son profil de grand seigneur, son large chapeau à la Rembrandt, ses cheveux longs, sa canne, son manteau sombre, son éternelle écharpe blanche, ses yeux brillants comme « deux diamants noirs », ses joues pâles ». (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 131).

Paul Fort garde toujours belle allure, celle d’un poète au regard vif et au doux sourire, yeux noirs, nez long, trapu légèrement aquilin (recourbé), cheveux noirs et tête nue étant jeune, puis cheveux gris et chapeau droit ou béret basque souvent mis de travers, longue écharpe blanche qu’il laisse flotter au vent selon les photos.

Grand voyageur, il partait souvent porter la bonne parole de la poésie à travers le monde « en France (…) en Europe Centrale, en Amérique du Sud, jusqu’à Tokyo ». (Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, p. 131)

Il était fier de vivre de sa plume uniquement et disait qu’il ne savait rien faire d’autre.

L’amour des femmes faisait partie de sa vie. Elles lui apportaient l’ivresse qui facilite la création. Il s’envolait alors en exclamations et louanges en particulier près de Germaine qui symbolisait pour lui « l’amour, la jeunesse, la foi des Amants éternels ». (La Tourangelle, p. 46)

Paul Fort n’a jamais cessé d’écrire. Sa production intense et ininterrompue s’étale sur soixante-dix ans (1890 – 1960). Nous pourrions presque le représenter une plume à la main tellement la poésie faisait partie intégrante de lui !

 

Des artistes entretiennent son souvenir :

Ce n’est pas un hasard si de son vivant, de nombreux auteurs préfaceront ses Ballades Françaises et Chroniques de France car ils sont ses amis dont « Pierre Louÿs, Frédéric Mistral, Paul Valéry, Maurice Maeterlinck, Guillaume Apollinaire »… (http://www.idref.fr/026869810)

Jean Veber (1864 – 1928), l’un des dessinateurs humoristiques français les plus connus de son temps, a dessiné Paul Fort en 1898 (L’Ermitage, février 1898, entre les pages 128 et 129), un autre, Gino Severini (1883 – 1966) en 1948 (Pierre Béarn, Paul Fort, p. 176).

Georges Brassens a chanté des poèmes de Paul Fort dont « Germaine tourangelle », « Comme hier » ou « Si le bon Dieu l’avait voulu », « Le petit cheval », « La complainte du petit cheval blanc », ce dernier ayant aussi été chanté par Nana Mouskouri en duo avec Brassens. Dans « Comme hier », Brassens respectait la métrique ainsi que les élisions de Paul Fort. Il présentait simplement le texte à sa manière pour recevoir la musique. Pour Brassens, toute prose apparente se pouvait se transformer en poème s’il était porté par l’élan de la création. Sa mise en valeur de « Le bonheur » en est un exemple de plus (http://www.lacauselitteraire.fr/paul-fort-a-la-faveur-de-brassens).

Interrogé par Gilbert Lauzun, Georges Brassens rend hommage à Paul Fort à l’occasion du deuxième anniversaire de sa mort. Il parle de son œuvre dont il a mis certains poèmes en musique, raconte sa rencontre avec le poète et cite son poème préféré « Le petit cheval » (http://www.ina.fr/video/CAF89004033).

Il a aussi mis en musique le poème « La Corde » sans le chanter. Il l’a donné à Mouloudji qui ne l’a pas chanté non plus, mais son fils, Gricha Mouloudji, l’a enregistré en 1987 à la place de son père et nous sommes étonnés car son fils a les mêmes intonations que lui. (https://memoirechante.wordpress.com/2011/04/15/georges-brassens-le-petit-cheval-blanc-et-la-corde/)

 

Son œuvre :

Influencé par des poètes des courants symboliste et lyrique, Paul Fort est aussi inclassable par sa touche personnelle de spontanéité et simplicité légère. Comme l’écrit son ami poète Pierre Béarn, Paul Fort privilégie « la réaction du cœur » à celle du cerveau et aussi « il n’écrit pas avec une lime d’orfèvre ; il écrit comme un fleuve ! » Il peut créer « un ou deux poèmes par jour, quand ce n’est pas dix, par beau temps ! » (Pierre Béarn, Paul Fort, pp. 26, 29 et 30). Ne nous étonnons donc pas que Paul Fort soit très productif toute sa vie !

Ses Ballades françaises représentent à elles seules, un monument, environ quarante volumes, écrits à partir de l’âge de vingt-quatre ans jusqu’à deux ans avant sa mort donc pendant presque toute sa vie d’adulte (de 1896 à 1958).

Plus accessoirement, il a créé des pièces de théâtre dont La Petite Bête (1890), Louis XI, curieux homme (1921), Ysabeau (1924), Le Camp du Drap d’or (1926), L’Or, Guillaume le Bâtard, ou la Conquête de l’Angleterre (1928), L’Assaut de Paris (1933), Coups du heurtoir et un mystère de Noël en trois scènes (Coups du heurtoir) (1943). L’histoire a retenu son attention lorsqu’elle était en rapport avec la poésie comme dans ses deux livres Histoire de la poésie française depuis 1850…, avec Louis Mandin (1926), Mes Mémoires : toute la vie d’un poète : 1872-1943 (1944).

 

Sa poésie :

Partons avec Paul Fort, au cœur de son œuvre poétique pour mieux nous imprégner de son talent. Paul Fort est inclassable en poésie car il se laisse conduire par sa fantaisie tel le papillon léger qui va de fleur en fleur. Il manie avec art, les ballades au sens propre comme au sens figuré. En poésie, la ballade correspondait au Moyen-âge, à une forme lyrique d’origine chorégraphique, d’abord chantée puis destinée seulement à la récitation, au XVIe, à un poème fixe composé de trois strophes suivies d’un envoi d’une demi-strophe, au XVIIe, à un poème narratif, puis aux siècles suivants à une pièce vocale ou instrumentale comme celles de Chopin, Liszt, Brahms. Il s’approprie cette forme littéraire, à sa convenance, la dotant d’un refrain, d’un rythme propre, dans une sorte de prose très musicale, rythmée par une construction en alexandrins selon son envie ou sa fantaisie. Il conserve ainsi sa force poétique et le charme de sa spontanéité. Paul Fort, assoiffé de liberté, n’écrit pourtant pas vraiment en vers libres. Il choisit de manière libérée et délibérée, les octosyllabes et alexandrins sans en avoir l’air car il ne va pas à la ligne à la fin de chaque vers et s’affranchit de nombreuses règles sans regret. Ainsi sa poésie reste très spontanée et rythmée donc animée.

Sa fraîcheur d’écriture, sa légèreté étonnante peut surprendre par exemple, dans son poème « Premier jour de guerre » écrit le 1er août 1914, juste avant la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914. Citons le début de ce poème :

Entre veille et sommeil doux rêves passagers ! Calme du petit jour ! Tranquillité songée, à l’heure où de mon lit, je vois bleuir les saules ! Près de moi dort l’amour. (…) (La Tourangelle, p. 86)

Paul Fort célèbre ce jour-là, spontanément sa bien-aimée près de lui, dans un cadre de nature, introduisant des saules, comme ailleurs, d’autres paysages ou régions de France qui lui tiennent à cœur, dont l’Île de France ou sur les bords de Loire. Bien sûr il ne reste pas longtemps hors du monde et revient à la réalité cruelle de la guerre, à la fin de ce poème, « entre les croix des morts » (id., p. 87).

Dans un autre registre d’idées, il met à l’honneur, les coutumes, le folklore et les chansons populaires du temps passé, qu’il évoque à travers « les sonneries de cor et les vieilles chansons » (id., p. 44). Il chante aussi les beautés de la France sans omettre ses héros et ses rois dont « François Ier, sa Dame et leur blanc Chenonceaux » (id., p. 40). Il en gardera le goût du plaisir, toute sa vie.

Paul Fort avait été imprégné de nombreuses complaintes du temps jadis, chantées par sa mère dans « sa prime enfance, pleine de fées et de bonheur » (Antoine Antonakis, François Fort, Paul Fort – Le poète est dans le pré, p. 11). Le poète s’en rappelait et les incluait judicieusement dans ses poèmes, à travers des titres ou refrains de chansons anciennes par exemple « Compère Guilleri », « Marlbrough-s’en-va-t-en-guerre », « Vendôme, Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry » (La Tourangelle, pp 43, 44). Cette dernière met à l’honneur, « Le carillon de Vendôme », chanson populaire remontant à la guerre de cent ans, écrite après la guerre de cent ans et se référant au dauphin Charles. Elle est devenue par la suite, une chanson enfantine apprise dans les écoles :

Mes amis, que reste-t-il
A ce dauphin si gentil ?
Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme !

Les ennemis ont tout pris
Ne lui laissant que mépris
Qu’Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme !

N’oublions pas que Paul Fort a aimé parler de l’Histoire de France avec un grand « H » dans ses poèmes comme dans ses Chroniques de France comprenant Louis XI curieux homme, les Compères du Roi Louis, le Camp du Drap d’Or… (Antoine Antonakis, François Fort, Paul Fort – Le poète est dans le pré, p. 17)

Nous allons maintenant approfondir les caractéristiques des poèmes de Paul Fort, en les mettant en relation avec ceux d’écrivains qu’il a connus et appréciés pour introduire un parallélisme, une sorte de connivence entre eux, sans omettre de mentionner l’originalité, la personnalité des écrits de chacun.

 

François Villon et Paul Fort :

Tout d’abord, Paul Fort se rapproche des poètes du Moyen-âge par son humanité et sa réflexion sur la mort en même temps que par la présence de la nature en union avec les sentiments dans ses œuvres, en particulier les paysages, l’eau, le ciel et la brume : « Qu’importe si je meurs » (…), « Le ciel est sans couleurs, mais l’onde verte et brune réfléchit mon rocher. » (Paul Fort, La Tourangelle, p. 105)

En ce sens, il rejoint François Villon (1431 – 1463), comme par exemple dans la deuxième partie, « Les Adieux de Port-Royal », de son livre Hélène en Fleur. Chez Paul Fort, l’empreinte de la neige « Brillante neige » et son questionnement « n’aurais-tu pas été, fondue », nous rappelle les temps lointains et en particulier la neige disparue (Paul Fort, Hélène en Fleur, p. 54), celle que Villon a aussi mis à l’honneur dans le refrain de sa « Ballade des dames du temps jadis » : « Mais où sont les neiges d’antan ? » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, p. 78).

Paul Fort se différencie de François Villon par son sens inné de la gaieté. Dans son poème « Âme tourangelle », Paul Fort peut célébrer la Touraine en alexandrins, comme un amoureux loue sa belle. Il crée un paysage de rêve, transforme la lune en château romantique aux accents exceptionnellement lamartiniens, avec son miroir dans l’eau, près d’une nature humanisée à travers les pleurs des roseaux et les « cheveux blonds ». Paul Fort a le génie de la douceur tendant ici vers une nostalgie délicate :

(…)
Lorsque la blanche lune, ainsi qu’un doux château, se mire au noir de l’onde où trempent les joncs grêles, quand le zéphyr pousse ma barque en des roseaux qui pleurent au miroir des astres éternels,
(…) notre âme s’est ravie en l’âme tourangelle.

(Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 112)

Cette ambiance n’est pas sans nous rappeler « Le Lac » de Lamartine (1790 – 1869) :

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,

Tout dise : ils ont aimé !

(Les Méditations poétiques par Alphonse de Lamartine, 1823, p. 109)

 

Lamartine et Paul Fort :

Si Lamartine, en romantique, loue le passé, Paul Fort préfère le présent, avec la fougue dynamique et la spontanéité qui le caractérisent ; elles ont contribué à son succès. Il veut chasser le spleen contenu dans son livre Les Nocturnes (La Tourangelle, pp. 9 à 36), pour vivre avant tout d’amour comme dans le final de « Germaine tourangelle » :

Partout de l’espérance et des chants de lumière. Ah ! je veux m’habiller de blanc, de bleu, de vert, de jaune, d’arc-en-ciel, et foin du taciturne Paul Fort vêtu de noir, sombre auteur des Nocturnes. (Paul Fort, La Tourangelle, p 49)

 

Frédéric Mistral et Paul Fort :

Paul Fort a retenu d’emblée l’attention de nombreux poètes novateurs et connus de son temps dont Frédéric Mistral (1830 – 1914), prix Nobel de littérature en 1904 pour son œuvre Mirèio (Mireille) rédigée en occitan dans son dialecte provençal. Ce n’est pas un hasard mais une reconnaissance si l’avant-propos du tome II des Ballades Françaises, L’amour et l’aventure de Paul Fort (1923) est un texte rédigé par Frédéric Mistral. Dans sa recherche du bonheur, Frédéric Mistral avait lui aussi le goût de la gaieté, du rêve et de l’amour :

Frais zéphirs, (vent) largue et (vent) grec, – qui des bois remuez le dais, – sur le jeune couple que votre gai murmure – un petit moment mollisse et se taise ! – Folles brises, respirez doucement ! – Donnez le temps que l’on rêve, – le temps qu’à tout le moins ils rêvent le bonheur !

(Frédéric Mistral, Mireille, p. 71)

Paul Fort lui aussi, a largué les amarres très tôt puisqu’à dix-huit ans, il avait déjà créé le Théâtre d’Art à Paris, où en particulier, étaient jouées les œuvres de son ami Stéphane Mallarmé (1842 – 1898) qu’il admirait et qui l’a encouragé. Paul Fort ne passait pas inaperçu. Son dynamisme littéraire et la richesse de ses images inhabituelles, savoureuses par exemple à travers son lien avec les légendes ou l’antiquité de manière inattendue et vivante, étaient vraiment appréciés. Dans un extrait de « Germaine tourangelle », Paul Fort introduit aussi étonnamment deux images, celle de « Phébus », (Phoebus), nom latin d’Apollon, dieu Soleil personnifié, symbole de brillance et celle du « cou vert des canards » qui sert de lien pour nous emporter vers l’ailleurs des non-dits dans l’envol de l’amour :

Belle ! voici l’avril, le mai, le juin, l’été, voici mon cœur qui t’aime et pour l’éternité, voici monter Phébus des herbes de la Loire, et d’entre les roseaux le cou vert des canards. (Paul Fort, La Tourangelle, p. 49)

 

Stéphane Mallarmé et Paul Fort :

Le parnassien Stéphane Mallarmé présente certes un côté rêveur, tourné vers le ciel, qui le rapproche de Paul Fort mais il manie une poésie plus classique ; il se plait dans la langueur, la plainte ou un rêve nostalgique comme dans « Soupir » :

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil angélique,
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur !
(…)

(Stéphane Mallarmé, Vers et Proses, p. 16)

Stéphane Mallarmé se rapproche d’une certaine manière de Verlaine (1844 – 1896), par son empreinte nostalgique. Paul Fort était aussi ami de Verlaine puisqu’il le choisit comme témoin pour son mariage. Paul Fort s’en différencie par son imagination débordante de trouvailles. Dans l’un de ses poèmes, Paul Fort, utilise l’image de l’arche du pont, comme trait d’union de deux êtres allant l’un vers l’autre et puis les amoureux, ne vont-ils pas se promener sur les ponts ? En utilisant le mot « suintis », « terrains où suintent les sources dans le pays de Loire » (Paul Fort, La Tourangelle, p. 46), Paul Fort apporte sa touche délicate de mots anciens remis à l’honneur, lien d’alliance avec le passé et de son appartenance à la Touraine profonde en tant qu’idéal :

Devant le petit pont faisant arc sous la voie, pour chanter mon attente au rendez-vous donné, je regardai surgir et j’ouïs bouillonner le chœur joli des sources du suintis. (Paul Fort, La Tourangelle, p. 46)

 

Verlaine et Paul Fort :

La poésie de Verlaine et celle de Paul Fort ont des thèmes communs dont le rêve et la soif d’un ailleurs. La poésie de Verlaine est plus traditionnelle mais aussi délicate et souvent mélancolique, emplie d’une musicalité rêveuse comme dans son si célèbre poème des Romances sans paroles, dans le chapitre Ariettes oubliées :

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
O le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine !

(Paul Verlaine, Romances sans paroles, p. 9)

Paul Fort est plus connu pour sa facette joyeuse mais il se rapproche de Verlaine par l’expression du spleen par exemple, dans son livre La tristesse de l’homme (Paul Fort, La Tourangelle, pp. 177 à 202) et dans Les Nocturnes (La Tourangelle, pp. 9 à 36). Dans ce recueil, Paul Fort met à l’honneur le Val de Loire en hiver, en particulier dans le poème « Les glaçons de Loire » composé sur trois mois, en janvier 1914 à Sully-sur-Loire, en mars 1914 à Moscou, en avril 1914 à Sully. Il reflète bien la facette triste de Paul Fort. L’ambiance est grave comme les évènements, et les glaçons envahissent le tableau, près de la « pauvre âme ». C’est la débâcle, un peu comme dans sa vie, même si sa bien-aimée est là car la guerre arrive à grands pas. Paul Fort est revenu en France. La Loire comme lui, est prisonnière, retenue à ses bords, apportant sa plainte à travers la corneille et pourtant n’écartant pas tout espoir de lumière :

Loire en hiver, ô Loire jaune et triste, je vous ai vue, vous m’avez décidé : c’est près de vous que la Parque sinistre bientôt tendra mon fuseau dévidé
(…)
Sur vos glaçons que le courant entraîne se laisse errer la corneille plaintive… Le gel du bord vous retient à la rive, mais vos glaçons croulent dans le soleil.

(Paul Fort, La Tourangelle, pp. 35et 36)

 

Paul Fort et Anatole France :

Nous pourrions trouver étonnant le rapprochement de ces deux auteurs. Pourtant Anatole France (1844 – 1924) appréciait l’œuvre de Paul Fort puisque une lettre d’Anatole France écrite à La Béchellerie à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), le 4 avril 1915, a servi d’introduction au livre de Paul Fort Poèmes de France – Bulletin lyrique de la guerre 1914 – 1915. Cet élan élogieux et détaillé prouve combien la poésie de Paul Fort avait touché Anatole France :

Mon cher poète, (…) je connais du premier au sixième ces bulletins lyriques de la guerre, qu’il faudrait graver sur des tablettes de bronze. J’en admire la force et la beauté, l’éloquence tantôt familière, tantôt sublime, rude parfois, toujours vraie et profonde. Vous êtes poète, vous l’êtes naturellement. L’idée est chez vous une création spontanée. Elle naît avec sa forme, comme les ouvrages de la nature. Vos poèmes vivront pour l’éternel opprobre de l’Allemagne et pour la gloire de la France. Recevez mes applaudissements.

Il est vrai que les poèmes de jeunesse d’Anatole France, rassemblés sous le titre Les Poèmes dorés, ont des points communs avec Paul Fort par leur élan fougueux en lien avec l’univers, la nature et les femmes :

A LA LUMIÈRE

Dans l’essaim nébuleux des constellations,

O toi qui naquis la première,

O nourrice des fleurs et des fruits, ô lumière

Blanche mère des visions.

Tu nous viens du soleil à travers les doux voiles

Des vapeurs flottantes dans l’air :

La vie alors s’anime et, sous ton frisson clair,

Sourit, ô fille des étoiles !

(…)

(Anatole France, Les Poèmes dorés, p. 11)

Près d’Anatole France, voici un passage de Paul Fort, extrait de son livre Hélène en Fleur, lié au ciel à travers le thème de la maternité :

aussi, maman, (…) De ton lit pauvre où tu nous vois si richement vêtus d’azur, d’un rayon d’or, de brises pures qui nous inondent tous les trois ! (Paul Fort, Hélène en Fleur, p. 34)

 

Paul Fort et Jean Moréas :

Paul Fort a aussi bien connu le poète grec, Jean Moréas (1856 – 1910) qui a des points communs avec Verlaine en particulier par l’expression de sa mélancolie. Jean Moréas est venu à Paris et a participé avec Paul Fort, au lancement de la revue Vers et Prose en 1910. Jean Moréas oscille entre symbolisme et classicisme. Dans sa première période, il a publié de nombreux sonnets en particulier dans Les Syrtes et Les Cantilènes, ses deux livres étant regroupés dans Premières poésies (1883 – 1886). Citons un extrait de son poème « Le Rhin », proche de Paul Fort par son choix d’un fleuve et d’un refrain qui revient nous bercer à la fin de chaque strophe « Viendrez-vous danser en rond ? » avec une variante en final « Vous ne dansez plus en rond » :

Aux galets le flot se brise
Sous la lune blanche et grise,
O la triste cantilène
Que la bise dans la plaine !
– Elfes couronnées de jonc,
Viendrez-vous danser en rond ?

Mais déjà l’aurore émerge,
De rose teignant la berge,
Et s’envolent les chimères
Comme un essaim d’éphémères.
– Elfes couronnées de jonc,
Vous ne dansez plus en rond !

(Jean Moréas, Premières poésies, pp. 131 et 133)

Comme Jean Moréas, Paul Fort peut exprimer sa tristesse par exemple à travers son fleuve fétiche, la Loire ; il l’a glorifiée avant même de la connaître ; il l’a choisie pour cadre pour mettre en valeur sa belle. Dans ce passage, il décrit la Loire d’hiver :

au petit jour rouge du fond des plaines, qui, sur ce signe, entr’ouvrira les nues à ma pauvre âme, ô Loire triste et belle, qui la verrez monter vers l’inconnu. (Paul Fort, La Tourangelle, p. 36)

 

Maurice Maeterlinck et Paul Fort :

Dans un crescendo de plus dans l’échelle de la douleur par rapport à Jean Moréas, Maurice Maeterlinck (1862 – 1949) exprime son mal d’être de manière encore plus intense. Paul Fort appréciait principalement les drames de Maurice Maeterlinck. Ce dernier a d’ailleurs rédigé l’avant-propos de son livre L’arbre des fées (1942), preuve de sa reconnaissance et de son amitié. Maeterlinck pour sa part, savait créer une atmosphère de rêve mais le plus souvent, très douloureux ou tragique comme dans « Serre d’ennui » :

Ô cet ennui bleu dans le cœur !
(…)

Où de l’eau très lente s’élève,
En mêlant la lune et le ciel
En un sanglot glauque éternel,
Monotonement comme un rêve.

(Maurice Maeterlinck, Serres chaudes, p. 34)

Paul Fort se rapproche de cet univers par ses images d’eau et de mort, de temps passé, jamais revenu mais contrairement à Maeterlinck, il ne reste pas longtemps triste. Paul Fort, n’est-il pas lui aussi, un peu lutin, près des fées (Paul Fort, La Tourangelle, p. 44), lui qui sait si artistiquement jongler avec les mots pour faire jaillir la spontanéité et des images qui entrent en résonnance avec notre subconscient ?

Arbres, ce ne sont point vos ombres qui se penchent vers l’eau morte à mes pieds et si sombre et si triste. C’est mon printemps, c’est ma jeunesse – ô fleurs !… ô branches !… – qui se noie dans la Fontaine de Médicis. (Paul Fort, La Tourangelle, p. 42)

 

Francis Viélé-Griffin et Paul Fort :

Dans un autre registre d’idées, Paul Fort a côtoyé les poètes symbolistes dont son ami Francis Vielé-Griffin (1864 – 1937). Paul Fort lui a d’ailleurs dédié son livre Les Hymnes de feu (in La Tourangelle, p. 89). Francis Vielé-Griffin a chanté la Loire en majesté dans sa clarté limpide, colorée et lumineuse. Il ouvre des fenêtres sur la Loire pour mieux s’en imprégner et traduire ses états d’âme :

Dédicace

La lente Loire passe altière et, d’île en île,
Noue et dénoue, au loin, son bleu ruban moiré ;
La plaine, mollement, la suit, de ville en ville,
Le long des gais coteaux de vigne et de forêt ;

Elle mire orgueilleuse aux orfrois de sa traîne
Le pacifique arroi de mille peupliers,
Et sourit doucement à tout ce beau domaine
De treilles, de moissons, de fleurs et d’espaliers…

Ce jardin fut le nôtre ; un peu de temps encor,
Ta douce main tendue en cueillera les roses ;
J’ai regardé fleurir dans sa lumière d’or
La fine majesté des plus naïves choses :

(…).

(Francis Viélé-Griffin, La Clarté de Vie, p. 9)

Par son attirance autant symbolique que réelle, envers la Loire, Paul Fort se rapproche de Francis Viélé-Griffin comme lorsqu’il nous réveille par sa joie d’aimer « et chantant la Loire et mes amours » (Paul Fort, La Tourangelle, p. 44) mais Paul Fort est plus direct, spontané, léger comme dans ce passage, alliance de force symbolique et de rêve. Avec Paul Fort, les images sorties de l’imaginaire se mêlent au concret de la réalité pour une vision dynamique et joyeuse qui nous emporte très loin, près de l’Amour avec un grand « A »

– puisqu’en l’air tourangeau vole encor de la neige, happez-la, pétrissez des boules, visez mon cœur, et que chairs et toisons, et l’Amour qui se lève, m’apparaissent dans la Rafale des Blancheurs. (Paul Fort, La Tourangelle, pp.44 et 45)

 

René Boylesve et Paul Fort :

L’Académicien René Boylesve a exprimé ouvertement son admiration pour Paul Fort dans des articles de journaux comme dans l’article paru dans L’Ermitage en mars 1898, sur les nouvelles Ballades de Paul Fort dont il apprécie la « sensibilité égale à son intelligence » (L’Ermitage, mars 1898, p. 163). René Boylesve s’en différencie par son spleen et par ses descriptions très réalistes de la vie de son époque. Il garde malgré tout, une veine proche de Paul Fort par exemple, à travers le rêve et son amour de la Touraine, son pays natal et celui de son enfance. Par exemple, en 1921, René Boylesve a donné une conférence « Le jardin de la France ». Son style est alors proche de Paul Fort, par la légèreté évanescente, l’amour de la Touraine, l’atmosphère de contes près des fées, la spontanéité dynamique. Il nous interroge pour mieux nous faire participer à ces visions mêlant l’irréalité au concret visible. Son amour de la Loire et la force de sa pensée dominent avec, en parallèle de ces images, des réflexions philosophiques sur la vie. Par endroits, il loue aussi la Loire comme une femme, la comparant à Vénus :

Je me crois autorisé à nommer la Loire, et sa vallée si caractéristique (…). (…) songez aux inondations soudaines de ce fleuve à l’air endormi ! Cela veut dire que, parmi toutes les choses extrêmes que conçoit fatalement l’humanité active, inquiète ou délirante, la France, fluctuante, divisée, déchirée en îlots comme la Loire, arrive toujours à se faire un lit, vaste et aisé, et où tout homme, de quelque origine qu’il soit, se repose, pense et dort – un peu mieux qu’ailleurs. (La Touraine par René Boylesve, pp. 9 et 10)

(…) ce pays nouveau est un jardin. On respire, on espère, on subit le charme de ce qui, étant encore lointain, se laisse apercevoir à l’état de mirage (…). Ce n’est pas la Loire elle-même que nous voyons encore, mais les collines boisées de sa rive gauche : elles ont une douceur, une grâce, une vénusté dans leur quasi irréalité (…) ; (…) mais ne serait-ce point de longues écharpes de voile, animées par un peuple de fées qui court à quelque fête de nuit dans les châteaux ?... (La Touraine par René Boylesve, pp. 10 et 11)

Parallèlement, nous pouvons trouver de nombreux passages de Paul Fort en connivence avec lui comme dans Âme tourangelle :

Lorsque la blanche lune, ainsi qu’un doux château, se mire au noir de l’onde où trempent les joncs grêles, (…) avec la même aspiration vers le ciel que ces nuées laissant errer leurs stries d’opale et que tes blonds cheveux dont flottent les soirs pâles, notre âme s’est ravie en l’âme tourangelle. » (Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 112)

 

Francis Jammes et Paul Fort :

Paul Fort a bien connu Francis Jammes et ce dernier lui a exprimé son enthousiasme devant sa création poétique, pour son élan champêtre et dynamique. Il écrit par exemple les mots « plain-chant mystérieux », « chefs d’œuvre » pour traduire son admiration devant son style poétique (lettre non datée, en vente).

Francis Jammes (1868 – 1938), poète de la simplicité, de la beauté des petites choses, a toujours privilégié la délicatesse des sentiments et des idées directes dans l’harmonie musicale de l’expression comme dans :

J’aime l’âne…

J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.
(…)

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.
(…)

Et il reste à l’étable,
résigné, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.
(…)

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.
(…)

(Francis Jammes, Œuvre poétique complète, tome I, pp. 63 et 34)

Paul Fort se rapproche de Francis Jammes par sa fibre occasionnellement mystique comme dans sa louange à « La cathédrale de Reims » (Reims, ville de sa naissance) : « tes vitraux qui font des miracles prismatiques, envahissaient mes nuits d’enfance, ô Basilique ! ». (Paul Fort, Poèmes de France, p. 19), et aussi par la mélodie de ses vers et par sa veine simple et occasionnellement animalière. Son poème « Le Rouge-gorge » en est un exemple. Il est encadré du refrain : « Dors, dors, petit oiseau de la prairie ; dors doucement, joli petit rouge-gorge. » (Paul Fort, La Tourangelle, pp. 23 et 24)

 

Pierre Louÿs et Paul Fort :

Paul Fort était aussi ami de Pierre Louÿs (1870 – 1925), poète proche de l’univers non pas concrètement comme Francis Jammes mais de manière idéalisée. Pierre Louÿs et Paul Fort ont mis en valeur, les femmes dans des univers marins, champêtres, ou célestes.

Pierre Louÿs qui a préfacé le premier recueil des Ballades de Paul Fort (1897) puis une autre préface lors d’une réédition de ses Ballades en 1920, définit les textes de son ami comme des petits poèmes en vers polymorphes ou en alexandrins familiers, mais qui se plient à la forme normale de la prose (…) rythmée. (Wikipédia)

Dans « La nuit », Pierre Louÿs associe les yeux à l’étoile, lien avec le ciel :

(…)
Tu scintilles. Tes yeux sont très purs
Étoile qui vit, et tes mains chastes !
Sus-je autrefois quel éternel flux
Vague avec lenteur en tes cils graves ?
Jusqu’à tes pieds de hauts plis obscurs
Plongent agrandis dans l’ombre large
Et le Psalmiste un doigt sur le luth
Épie, en extase au ras des dalles,
L’astral rayon de tes longs yeux nus
(…).

(Pierre Louÿs, Poésies, p. 36)

Paul Fort, dans « Le couchant mystique » humanise l’océan, lui donnant par la vue, une profondeur universelle et cosmique, englobant les deux astres les plus importants pour les humains :

les doux yeux de l’Océan, les deux iris de la lumière, ces grands beaux yeux tous deux pareils, qui se bercent et s’équilibrent : la lune ensemble et le soleil. (Paul Fort, La Tourangelle, p. 110)

 

Paul Fort et Max Jacob :

Comme Pierre Louÿs, Paul Fort idéalise son amour, loue la beauté, écrit spontanément tout ce qui lui vient à l’esprit en une poésie musicale alors que Max Jacob (1876 – 1944) – qui était un fidèle des mardis de Paul Fort à La Closerie des Lilas à Paris, (à partir de 1905) –, a un style encore plus moderne et souvent humoristique car il ne se prend pas vraiment au sérieux. (http://www.terresdecrivains.com/article.php3?id_article=97)

Paul Fort reste bien dans le présent mais il se rapproche de Max Jacob par la rêverie et par une poésie animée de mouvement, par exemple dans « Le Bouquet » : « Pleureuse gerbe sur tes doigts, toutes ces fleurs aux tiges frêles, se redressant vers le soleil, je crois qu’elles dansaient de joie. » (Paul Fort, La Tourangelle, p. 59)

Max Jacob semble jeter ses idées toutes ensemble en vrac, dans son livre Le Cornet de dés, laissant le hasard, présenter une image ou une autre, dans un ordre indéterminé comme dans « Kaléidoscope » :

Tout avait l’air en mosaïque : les animaux marchaient les pattes vers le ciel sauf l’âne dont le ventre blanc portait des mots écrits et qui changeaient. La tour était une jumelle de théâtre ; il y avait des tapisseries dorées avec des vaches noires ; et la petite princesse en robe noire, on ne savait pas si sa robe avait des soleils verts ou si on la voyait par des trous de haillons.

(Max Jacob, Le Cornet à dés, p. 161)

 

Paul Fort et Alain-Fournier :

Alain-Fournier (1886 – 1914) diffère de Max Jacob par son univers onirique dominant. Paul Fort était aussi proche de ce jeune dont la fraîcheur d’écriture l’attirait certainement. Après sa mort au combat au début de la guerre de 14, il lui rend hommage dans un texte intitulé « A la mémoire d’Alain-Fournier » (publié dans la revue Poèmes de France, n° 6 du 15 février 1915).

Alain-Fournier et Paul Fort louent leur belle dans un hymne en lien avec l’univers, l’eau, les fleurs, la nuit, Paul Fort dans une poésie inclassable et Alain-Fournier dans ses poèmes de jeunesse, de manière plus classique. Mais ne nous y trompons pas, si Paul Fort peut créer une ambiance romantique, il s’en dégage par sa vivacité, sa modernité, un élan spontané si caractéristique de ses vers. Régalons-nous tout d’abord du cadre de réception du poète pour sa bien-aimée, sa « Germaine tourangelle », « Devant le petit pont faisant arc sous la voie ». Dans le dialogue des deux amoureux, Paul Fort s’exclame : « Mon cœur est un sourceau qui peut geler aussi. » et sa belle lui répond : « (…) ton cœur n’est point d’eau mais de flamme. » Alors Paul Fort peut introduire la nature dans cet élan d’amour à travers l’eau, « les sources du suintis ». (Paul Fort, La Tourangelle, pp. 46 et 47)

Ces deux poètes sont proches car leurs poèmes reflètent la douceur, l’attente, la joie d’aimer de manière vivante. Les poèmes de jeunesse d’Alain-Fournier, ont été rassemblés par son beau-frère Jacques Rivière dans un livre intitulé Miracles, et nous pouvons les mettre en correspondance avec ceux de Paul Fort par leur délicatesse, leur spontanéité, leur fraîcheur d’écriture. Voici quelques extraits de « L’ondée » :

L’ondée a fait rentrer les enfants en déroute,
La nuit vient lente et fraîche au silence des routes,
Et mon cœur au jardin s’épanche goutte à goutte

Si discret, maintenant, et si pur… qu’à l’aimer
On pourrait se risquer – Oh ! Belle qui viendrez,
Vous ouvrirez la grille un soir mouillé de mai.
(…)

Vous irez, doucement, tout le long des bordures,
Chercher des fleurs pour vous les mettre à la ceinture
Mes pensées frissonnantes pour en faire un bouquet ;

Gardez-vous bien, surtout, de passer aux sentiers
Où les herbes, ce soir, ont d’étranges allures,
Où les herbes sont folles et meurent de rêver !…
Si vous alliez mouiller vos petits pieds !…
(…)

Tout le soir, sagement, tu descendras l’allée
Tiède d’amour, de pétales et de rosée.

Tu viendras t’accouder au ruisseau de mon cœur
Y délier ta cueillette, y délier fleur à fleur
La candeur des jasmins et l’orgueil des pensées.

Et tout le soir, dans l’ombre humide et parfumée,
Débordant de printemps, de pluie et de bonheur,
Les larges eaux de paix, les eaux fleurdelisées
Rouleront vers la Nuit des branches et des fleurs…

(Alain-Fournier, Miracles, pp. 93 et 94)

 

 

Nous venons de côtoyer de nombreux poètes, amis de Paul Fort. Ainsi est née une chaîne d’amitié, une ronde les unissant dans la diversité de leurs créations et de leurs talents. Pourquoi ? Paul Fort sait que le bonheur est fugace. Alors il veut se dépêcher de le partager avec ses amis. Il veut nous entraîner avec eux, autour du monde. Alors répétons après lui, chaque phrase :

Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
(…)

Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé !

(Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 20)

 

Conclusion :

Paul Fort n’a jamais fini de nous surprendre tellement sa poésie est spontanée, vivante et emplie d’idées, de trouvailles. Écrivain prolifique, il nous emporte irrésistiblement avec lui, au gré de son imagination jamais tarie, sur le chemin du bonheur, bonheur de partager la poésie, de vivre en union avec les éléments, terre, ciel, paysages, près de l’histoire parsemée au fil de ses poèmes, près des légendes, des petits, pour laisser vivre l’amour qui est en nous. Paul Fort par son esprit novateur, son dynamisme littéraire, sa création poétique continue, fait vraiment partie des grands écrivains du XXe siècle. Il nous enchante toujours, nous fait rêver, nous entraîne dans son univers où se mêlent plus le rire que les larmes, plus la fantaisie que l’habitude, plus le plaisant que le morose et toujours au fil du temps, mêlant passé, présent et rêve.

N’hésitons pas. Partons en voyage avec lui, comme dans son poème « La ronde autour du monde ». Donnons-nous tous la main, ici, en ce jardin et dans le monde entier. Répétons la fin de chaque phrase tous ensemble :

Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main, tout autour de la mer elles pourraient faire une ronde.
Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’marins, ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l’onde.
Alors on pourrait faire une ronde autour du monde, si tous les gens du monde voulaient s’donner la main.

(Paul Fort, Ballades du beau hasard, p. 19)

 

Août 2016

Catherine Réault-Crosnier

 

 

Bibliographie

Livres de Paul Fort utilisés :

– Paul Fort, Poèmes de France, Bulletin lyrique de la guerre (1914 – 1918) Librairie Payot, Lausanne, Paris, 1916, 328 pages.
– Paul Fort, Ballades françaises, Hélène en Fleur et Charlemagne, Mercure de France, Paris, 1921, 281 pages.
– Paul Fort, Édition définitive des Ballades françaises – IV – La Tourangelle, Ernest Flammarion, Paris, 1925, 285 pages.
– Paul Fort, Ballades du beau hasard, Flammarion, Paris, 1985, 364 pages, 1985.
– Paul Fort, « A la mémoire d’Alain-Fournier », Poèmes de France, n° 6 du 15 février 1915, pages 45 à 57.

Autres ouvrages :

– Alain-Fournier, Miracles, NRF, Gallimard, Paris, 1924, 217 pages.
– Antoine Antonakis, François Fort, Paul Fort – Le poète est dans le pré, Éditions du Soleil natal, 91580 Etréchy, 1990, 203 pages.
– Pierre Béarn, Paul Fort, Poètes d’aujourd’hui, éd. Seghers, Paris, 1975, 192 pages.
– René Boylesve, « Sur les nouvelles Ballades de Paul Fort », L’Ermitage, mars 1898, pages 161 à 169.
– La Touraine par René Boylesve, Portrait de la France, éditions Émile-Paul frères, Paris, 1926, 115 pages.
– Anatole France, Les Poèmes dorés, Édouard-Joseph, éditeur, Paris, 1920, 189 pages.
– Marcel Girard, Promenades à travers la Touraine littéraire, éditions La Simarre, 2006, 224 pages.
– Max Jacob, Le Cornet à dés, NRF, Gallimard, Paris, 1945, 248 pages.
– Francis Jammes, Œuvre poétique complète, tome I, éditions J et D, Biarritz, 1995, 807 pages.
– Lettre de Francis Jammes à Paul Fort, non datée, en vente sur : http://www.auction.fr/_fr/lot/francis-jammes-l-a-s-a-paul-fort-552739#.VopzWvnhCUk
– Pierre Louÿs, Poésies, Les éditions G. Crès et Cie, Paris, 1926, 166 pages.
– Maurice Maeterlinck, Serres chaudes – Quinze Chansons – La Princesse Maleine, NRF, Poésie/Gallimard, 305 pages, 1983.
– Stéphane Mallarmé, Vers et Proses, Perrin et Cie libraires éditeurs, Paris, 1893, 221 pages.
– Les Méditations poétiques par Alphonse de Lamartine, Librairie de Charles Gosselin, Paris, 1823, 258 pages.
– Frédéric Mistral, Miréio Poème provençal, Charpentier libraire éditeur, Paris, 1859, 511 pages.
– Jean Moréas, Premières Poésies, Mercure de France, Paris, 1907, 237 pages.
– Paul Verlaine, Romances sans paroles, Chez tous les libraires, Paris (Typographie de Maurice L’Hermitte, Sens), 1874, 49 pages.
– Francis Viélé-Griffin, La Clarté de Vie, Mercure de France, Paris, 1897, 231 pages.
– François Villon, Œuvres, publiées par Paul Lacroix, Ernest Flammarion éditeur, Paris, 1926, 364 pages.

Sur Internet, liens cités dans le texte :

– http://data.bnf.fr/11903157/paul_fort/
– http://www.montlhery.com/visite_virtuelle2.htm,
– http://www.transports-daniel-meyer.fr/IMG/pdf/dm11hiver2013v2.pdf
– http://www.academie-francaise.fr/prix-dacademie
– http://www.academie-francaise.fr/prix-gustave-le-metais-lariviere
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Fort
– http://editions.flammarion.com/
– http://www.idref.fr/026869810
– http://www.lacauselitteraire.fr/paul-fort-a-la-faveur-de-brassens
– http://www.ina.fr/video/CAF89004033
– https://memoirechante.wordpress.com/2011/04/15/georges-brassens-le-petit-cheval-blanc-et-la-corde/
– http://www.terresdecrivains.com/article.php3?id_article=97