17èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 21 août 2015, de 17 h 30 à 19 h

 

Joachim du Bellay, sa vie, son œuvre

Joachim du Bellay, gentilhomme angevin - Portrait à l'encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de cette rencontre.

 

Joachim du Bellay est proche de la Touraine par sa famille, propriétaire du château de Gizeux, appelé aussi château de Plessis-Macé, situé à douze kilomètres au nord de Bourgueil, aux confins de la Touraine et de l’Anjou.

Du Bellay aurait rencontré son contemporain Ronsard par hasard, dans une auberge sur les bords de la Loire. Ronsard incite alors du Bellay à venir étudier au célèbre collège de Coqueret à Paris. (http://www.alalettre.com/du-bellay.php) Un écrivain contemporain, Kléber Haedens, évoque cette rencontre dans Une Histoire de la littérature française. (http://www.comoria.com/434410/Joachim_du_Bellay).

La Loire a une place de choix dans l’œuvre de Joachim du Bellay. Elle est sublimée. L’universitaire, Marie-Dominique Legrand, a essayé de montrer en 1989 que « la Loire n’existe objectivement pas dans L’Olive de Joachim du Bellay mais qu’au terme de l’incantation de son nom nous en avons l’Idée, » (Actes du Colloque sur Du Bellay, à Angers, en 1990, p. 334).

Du Bellay a côtoyé ce fleuve majestueux, a longé ses bords mais il a en premier, valorisé l’idée de la Loire car ce fleuve reste pour lui, un rêve de beauté, un idéal poétique en même temps qu’un fleuve royal. Ainsi, il garde l’espoir de devenir un grand poète à la Cour du roi.

Avant d’aborder la vie de du Bellay, imprégnons-nous de sa poésie qui coule de source, en particulier lorsqu’il chante sa belle ou célèbre le fleuve royal, la Loire, dans un de ses plus célèbres poèmes :

LES LOUANGES D’ANJOU.

Au fleuve de Loyre.

Ode I.

O de qui la vive course
Prent sa bienheureuse source,
D’une argentine fonteine,
Qui d’une fuiyte loingtaine,
Te rens au seing fluctueux
De l’océan monstrueux,
Loyre, hausse ton chef ores
Bienhaut, et bien haut encores,
Et jette ton œil divin
Sur ce païs angevin,
Le plus heureux, et fertile,
Qu’autre, où ton onde distille.
(…)
Les montz, les vaulx, et campaignes
De ce terroir, que tu baignes.
Regarde, mon fleuve, aussi
Dedans ces forestz ici,
(…)
Au moins sur ma froyde cendre
Fay quelques larmes descendre
Et sonne mon bruyt fameux
A ton rivaige écumeux.
N’oublie le nom de celle,
Qui toutes beautez excelle,
Et ce, qu’ay pour elle aussi
Chanté sur ce bord icy.

(Du Bellay, L’Olive paru en 1549)

Le public lors de la rencontre littéraire du 21 août 2015, dans le jardin des Prébendes à Tours, consacrée à la vie de Joachim du Bellay.

 

Sa vie :

Les ancêtres du poète remontent à Hugues Capet (939 ou 946 – 996). La famille du Bellay est puissante, illustre autant pour son ancienneté que pour son rôle dans l’Église et l’État. Elle est composée de notables provinciaux de l’Anjou (Angers, Liré…). Elle tient son nom de la terre du château du Bellay en Allonnes au nord-est de Saumur et dont les origines remontent au XIIe siècle. Le château de Gizeux appartient de 1315 à 1660, à la famille du Bellay qui devient célèbre à partir du XVe siècle par deux fils de Jean II du Bellay et de Jeanne Sauvain-Hugues du Bellay : Hugues du Bellay, combattant pendant la guerre de Cent Ans et mort à Azincourt (1415) et Jean du Bellay, abbé qui dirigea l’abbaye Saint-Florent de Saumur.

À la génération suivante, Hugues et sa femme Isabeau de Montigny eurent sept enfants dont Jean III du Bellay (1400 – 1480), chambellan de René d’Anjou et du roi Louis XI, chevalier de l’ordre du Croissant (ordre de chevalerie créé sous René d’Anjou). Parmi ses enfants, nous pouvons citer Eustache du Bellay de Gizeux, de la branche aînée des du Bellay, (1440 – 1504), dit « le solitaire de Gizeux », qui hérita du château en 1510 (introduction de Georges Cesbron Université d’Angers, Colloque de 1990, tome 1, p. 12).

D’autres personnalités, diplomates, ecclésiastiques sont à signaler en particulier sous le règne de François Ier, les quatre cousins germains du père de Joachim du Bellay :

– Guillaume du Bellay, seigneur de Langei, capitaine et diplomate, vice-roi de Piémont ;

– le cardinal et ambassadeur Jean du Bellay, que François Ier chargea de nombreuses missions en Angleterre et en Italie (cousin et non pas l’oncle du poète comme on peut le lire parfois) ;

– René du Bellay, évêque du Mans ;

– Martin du Bellay, lieutenant-général de Normandie.

Les deux frères aînés, Guillaume et Jean, joueront un rôle important durant tout le règne de François Ier. Ils seront aussi toujours prêts à soutenir et financer des écrivains, en particulier François Rabelais. (Joachim du Bellay, La Deffence et illustration de la langue francoyse, 1966, préface d’Henri Chamard, p. 3)

Joachim du Bellay né vers 1522, au château de la Turmelière à Liré (Maine-et-Loire) en Anjou, est le troisième enfant de Jean du Bellay, de la branche aînée des du Bellay, seigneur de Gonnor(d), gouverneur de Brest, et de sa femme née Renée de Chabot, dame de Liré et de la Turmelière (http://www.leslyriades.fr/spip.php?article102). Ils vivent là avec leurs trois enfants.

Joachim du Bellay orphelin à l’âge de dix ans, est élevé par son frère aîné qui est son tuteur mais le néglige. Joachim, enfant rêveur et mélancolique, adolescent fragile, aime se ressourcer dans la nature, les forêts. Il se serait rendu au château de Gizeux appartenant à la branche aînée des du Bellay. (http://www.lespoetes.net/poete-3-Joachim-du%20BELLAY.html)

Nous trouvons d’ailleurs trace de la famille de du Bellay, dans l’église Notre-Dame de Gizeux ; deux splendides tombeaux en marbre blanc, aux orants finement sculptés, représentent René du Bellay et sa femme Marie, puis Martin du Bellay et sa femme Louise de Sapvenières. Ils ont été réalisés au XVIIe siècle, par Ghislain dit de Cambrai, directeur de l’Académie Royale de Sculpture de Paris ; ils témoignent de la notoriété de cette famille en Touraine. (base Mémoire du Ministère de la Culture)

Suivons le chemin de Joachim du Bellay. Il fait ses études de droit (vers 1546) à Poitiers, pour se préparer à l’état ecclésiastique ; la tonsure qu’il reçoit, lui permet d’avoir droit à des bénéfices. Il s’intéresse à la poésie (il rédige ses premières poésies latines et françaises). Il se lie en 1547, avec de nombreux poètes dont Jean de La Péruse et Jacques Peletier du Mans (http://www.leslyriades.fr/spip.php?article102).

À Paris, il devient interne du collège de Coqueret, réputé pour son haut niveau intellectuel en particulier en sciences et langues anciennes, en connaissance du grec, du latin et de l’italien, en littérature grecque et latine sous la direction du savant Dorat. Il apprend à connaître Pétrarque et les auteurs modernes italiens. Il rencontre des étudiants dont Jean-Antoine de Baïf et Pierre de Ronsard qui devient son meilleur ami en même temps que son plus grand rival en matière de poésie et de renommée.

L’emploi du temps est bien rempli puisque la quasi-totalité du jour et une partie de la nuit sont consacrées à l’étude. Dans ce bouillonnement culturel intense, naît la Brigade, groupe constitué d’un cercle restreint de lettrés dont du Bellay et Ronsard. Ce groupe de poètes se nommera ensuite La Pléiade, nom d’un amas astronomique choisi par un groupe de sept poètes d’Alexandrie au IIIe siècle. Ce cercle littéraire prend alors ses lettres de noblesse.

Les autres membres sont : Jacques Pelletier du Mans (1517 – 1582), Remy Belleau (1528 – 1577), Jean-Antoine de Baïf (1532 – 1589), Pontus de Tyard (1521 – 1605), Etienne Jodelle (1532 – 1573), Jean Dorat (1524 – 1585), le père spirituel de La Pléiade, Guillaume des Autels (1529 – vers 1580), Jean Bastier de la Péruse (1529 – 1554). Ils sont tous d’ardents défenseurs de l’imitation des auteurs gréco-latins et en même temps, de la valeur culturelle de la langue française. L’alexandrin et le sonnet deviennent pour eux, des formes poétiques majeures qu’ils utilisent en priorité. Tous ses amis de La Pléiade souhaitent concevoir un manifeste pour s’opposer à la domination du latin, pour l’usage du français et l’enrichissement de la langue française, pour que la poésie soit tournée vers la grandeur et l’immortalité. Ils chargent Joachim du Bellay de l’écrire. Dans ce livre La Deffence et Illustration de la Langue francoyse, publié en 1549, du Bellay affirme sa volonté de mettre le français à la première place.

Souhaitant devenir un poète officiel, il loue le roi dès que l’occasion se présente. En 1549, il fait paraître son premier recueil de sonnets, L’Olive, imitant le style de Pétrarque puis (Le Recueil ou) Recueil de Poésies (1549) dédié à Marguerite de France, sœur du roi Henri II (1519 – 1559), deuxième fils de François Ier et de Claude de France. Son frère aîné étant mort en 1536, Henry II fut sacré roi de France à Reims en 1547. Son emblème est le croissant de lune, celui de la maison d’Orléans (à laquelle il appartient en tant que fils cadet de François Ier, et non pas l’emblème de Diane de Poitiers, comme on a pu souvent le croire). Roi parfaitement représentatif de la Renaissance française, Henri II poursuit l’œuvre politique et artistique de son père. (Guido Saba, Université de Rome, Colloque de 1990, tome I, p. 81 et 82). Dans les sonnets 158 et 157, du Bellay s’adresse à l’architecte du Louvre et le fait parler :

De ce Royal palais, que bastiront mes doigts,
    Si la bonté du Roy me fournit de matière, (…)

(…) Avec d’autres compaz, et d’autres instrumens,
    Fuyant l’ambition, l’envie, et l’avarice,
    Aux Muses je bastis d’un nouvel artifice
    Un palais magnifique à quatre appartemens. (…)

(Les Regrets, sonnets CLVIII et CLVII)

En 1550, paraît une seconde édition de L’Olive plus complète, incluant La Musagnoeomachie, c’est-à-dire la « Guerre des Muses et de l’Ignorance » (Au lecteur, 8ème page).

De santé délicate, harassé par son travail littéraire, du Bellay malade, passe deux années complètes au lit, terrassé par la fièvre et une tuberculose pulmonaire (1550 – 52). Tout comme Ronsard en 1540, il est atteint de surdité en 1550, et plus profondément dès 1552. Sa surdité peut être une conséquence de sa tuberculose puisque l’atteinte de l’oreille moyenne peut entraîner des lésions cochléaires et une surdité totale, bilatérale, encore maintenant inappareillable.

Du Bellay se consacre aussi à l’étude des auteurs latins et grecs et à la poésie. Il traduit en français, des passages de Virgile et d’Ovide et rédige ses Inventions et XIII sonnets de l’honnête amour (1552).

Des problèmes familiaux surgissent à la mort de son frère aîné, pour la succession. Joachim du Bellay finira par abandonner ses droits au profit d’une rente. Il continue d’écrire et publie une traduction du Quatriesme livre de L’Eneide et autres oeuvres de l’invention du translateur (1552), la seconde édition de son Recueil de poésie tout en rédigeant L’Adieu aux Muses (1553).

Le cousin germain de son père, le cardinal Jean du Bellay, de grande envergure ecclésiastique et politique, vient d’obtenir du roi Henri II la direction de la mission française auprès du Saint-Siège. Comme Joachim du Bellay n’a pas d’état, il lui propose, sans doute en raison de ses qualités de juriste et d’administrateur, de l’emmener à Rome comme intendant. Joachim part donc plein d’enthousiasme au printemps 1553. (http://www.leslyriades.fr/spip.php?article102)

Il vit à Rome jusqu’en 1557, en tant que secrétaire du cardinal Jean du Bellay, diplomate pontifical (La Deffence et Illustration de la Langue francoyse, commentaire de Henri Chamard, p. 3). Joachim du Bellay est très vite déçu dans ses ambitions et écœuré par la corruption, la soif de pouvoir, l’hypocrisie de la cour pontificale. Il critique la vie romaine et exprime son amertume, sa nostalgie de son Anjou natal. Il s’adresse à ses amis poètes restés en France, comme dans le sonnet 25 de son recueil Les Regrets :

XXV

Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure, et le poinct,
    Et malheureuse soit la flateuse esperance,
    Quand pour venir icy j’abandonnay la France :
    La France, et mon Anjou, dont le desir me poingt.
Vrayment d’un bon oiseau guidé je ne fus point,
    Et mon cœur me donnoit assez signifiance
    Que le ciel estoit plein de mauvaise influence,
    Et que Mars étoit lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon advis lors m’en voulut distraire,
    Mais toujours le destin me tiroit au contraire :
    Et si mon désir n’eust aveuglé ma raison,
N’estoit ce pas assez pour rompre mon voyage,
    Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre presage,
    Je me blessay le pied sortant de ma maison ?

(Les Regrets, sonnet XXV)

En Italie, Joachim du Bellay, changeait d’habitations, de palais en palais plus cossus, au gré des volontés du cardinal Jean du Bellay. Étourdi, écœuré par la valse des changements, des dépenses, le poète utilise sa plume pour traduire ce va-et-vient incessant et sa peine sans négliger d’ajouter en philosophe, une note d’humour en final (Richard Cooper, Brasenose College, Oxford, Colloque de 1990, tome 2, pp. 401 et 402) :

XV

Panjas, veuls-tu sçavoir quels sont mes passetemps ?
    Je songe au lendemain, j’ay soing de la despense
    Qui se fait chacun jour, et si fault que je pense
    A rendre sans argent cent crediteurs contents :
Je vays, je viens, je cours, je ne perds point le temps,
    Je courtise un banquier, je prends argent d’avance,
    Quand j’ay despesché l’un, un autre recommence,
    Et ne fais pas le quart de ce que je pretends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
    Qui me dit que demain est jour de consistoire,
    Qui me rompt le cerveau de cent propos divers :
Qui se plainct, qui se deult, qui murmure, qui crie,
    Avecques tout cela, dy (Panjas) je te prie,
    Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ?

(Les Regrets, sonnet XV)

 

En 1556, la surdité de du Bellay est sévère. À son époque, il existait une tradition de l’éloge paradoxal de la maladie, très en faveur dans la poésie néo-latine de la Renaissance. Deux ans plus tard (1558), il écrit donc un « Hymne de la surdité » dédié à Ronsard, sourd lui aussi. Joachim du Bellay essaie de relativiser sa surdité, de voir le bon côté des choses mais nous remarquons en plusieurs endroits sa souffrance cachée comme lorsqu’il ne peut converser avec une belle ou parle mal à propos. Voici quelques extraits :

HYMNE DE LA SURDITÉ

Je ne suis pas, Ronsard, si pauvre de raison,
De vouloir faire à toy de moy comparaison,
(…)
    Au reste, quoy que ceulx qui trop me favorisent,
Au pair de tes chansons les miennes authorisent,
Disant, comme tu sçais, pour me mettre en avant,
Que l’un est plus facile, et l’autre plus sçavant,
Si ma facilité semble avoir quelque grace,
Si ne suis-je pourtant enflé de telle audace,
De la contre-peser avec ta gravité,
Qui sçait à la doulceur mesler l’utilité.
    Tout ce que j’ay de bon, tout ce qu’en moy je prise,
C’est d’estre, comme toy, sans fraude et sans feintise,
D’estre bon compaignon, d’estre à la bonne foy,
Et d’estre, mon Ronsard, demy-sourd, comme toy :
Demy-sourd, ô quel heur ! pleust aux bons Dieux que j’eusse
Ce bon heur si entier, que du tout je le feusse.
(…)
    Or celuy, qui est sourd, si tel default luy nie
Le plaisir qui provient d’une doulce armonie,
Aussi est il privé de sentir maintefois
L’ennuy d’un faulx accord, une mauvaise voix,
Un fascheux instrument, un bruit, une tempeste,
Une cloche, une forge, un rompement de teste,
Le bruit d’une charrete, et la doulce chanson
D’un asne, qui se plaingt en effroyable son.
(…)
    Mais il est mal venu entre les damoizelles :
O bien heureux celuy qui n’a que faire d’elles,
Ny de leur entretien ! car si de leurs bons mots
Il n’est participant, par faulte de propos,
Il ne s’estonne aussi, et ne se mord la langue,
Rougissant d’avoir fait quelque sotte harangue.
(…)
    O que tu es heureux, quand le long d’une rive,
Ou bien loing dans un bois à la perruque vive,
Tu vas, un livre au poing, meditant les doulx sons
Dont tu sçais animer tes divines chansons,
Sans que l’abboy d’un chien, ou le cry d’une beste
Ou le bruit d’un torrent t’élourdisse la teste.
(…)
    Donq’, ô grand’ Surdité, nourrisse de sagesse,
Nourrice de raison, je te supply, Déesse,
Pour le loyer d’avoir ton merite vanté
Et d’avoir à ton loz ce Cantique chanté,
De m’estre favorable, et si quelqu’un enrage
De vouloir par envie à ton nom faire oultrage,
Qu’il puisse un jour sentir ta grande déité,
Pour sçavoir, comme moy, que c’est de Surdité.

(Divers Jeux rustiques)

En 1557, malade, Joachim du Bellay revient en son pays et loge au cloître Notre-Dame de Paris chez un ami de son père, Claude de Bize. (http://www.leslyriades.fr/spip.php?article102)

Il essaie de vivre de son art et publie en 1558, ses quatre chefs d’œuvre d’exil, écrits en Italie :

– Les Regrets, livre de sonnets composés presque tous en Italie (sauf deux ou trois pièces) ;

– Les Antiquitez de Rome (qui paraîtra sous le titre le Premier Livre des Antiquitez de Rome), méditation sur l’histoire et le temps, sur le déclin de toute chose à travers une description générale de Rome antique, son faste puis sa décadence ;

– D’autres recueils de tonalité plus légère, tels ses Poemata en latin (1558) ;

– Divers Jeux rustiques (1558), recueil aux facettes intimistes, proche de la nature et des petites choses de la vie.

Traducteur de talent, du Bellay concilie son intérêt pour l’antiquité et sa volonté de défendre la langue française. Il est d’ailleurs l’un des plus éminents spécialistes de son temps en matière de travaux de traduction ou d’imitation des Antiques. Par exemple il admire Virgile dont il a traduit de nombreux poèmes. Il a aussi utilisé certaines de ses idées dans ses propres poèmes comme l’image du cerf qui aggrave ses blessures en fuyant. (Daniel Russell, University of Pittsburg, Colloque de 1990, tome 1, p. 245). Nous en reparlerons dans la deuxième partie de cette conférence.

Il écrit quelques poèmes en latin, « langue officielle de l’Église, des rois et de l’Europe. » (Alain Michel, Université de Paris-Sorbonne, Colloque de 1990, tome 2, p. 632) Le Pr Olivier Millet de l’université de Nancy II, détaille le contenu d’Epigrammata (1558) « une sorte de commentaire sur les autres livres de Poemata. » (Colloque de 1990, tome 2, p. 569) et il nous donne une vue d’ensemble : « Notre poète a doté chacune des quatre sections latines d’un poème initial, dédicace ou préface, qui l’introduit, le premier poème-dédicace, adressé à Marguerite de France en tête de l’ensemble des Poemata (…). » (id., p. 572) Par obligation, du Bellay a loué les grands dont le roi Henri II et sa sœur Marguerite de France, dans l’espoir d’une reconnaissance. (id., p. 580)

Du Bellay a aussi un côté humoristique et satirique que nous retrouvons au fil de son œuvre. Par exemple dans son « Epitaphe de l’abbé Bonnet » (Divers Jeux rustiques, p. 111), il se moque de cet abbé, ignorant Aristote, Platon, le latin et portant des fonctions qu’il s’invente.

Du Bellay publie aussi plus accessoirement, le satirique Poète courtisan (1559).

Il vieillit très tôt et se lamente. Il est dans l’inquiétude et presque dans la misère, encore plus après la mort de son protecteur Henri II. Certains compositeurs de son époque ont mis en musique trente-et-un de ses poèmes puis au fil du temps, d’autres ont pris le relais jusqu’à nos jours. Nous en reparlerons plus loin.

Sourd, désabusé, très malade, il meurt d’apoplexie, à Paris, le 1er janvier 1560, à l’âge de trente-sept ans, dans une maison située à l’angle des rues Massillon et Chanoinesse, Paris IVe. Une plaque commémorative a été posée sur la façade.

Joachim du Bellay ne repose pas en terre angevine. Il logeait au cloître Notre-Dame de Paris ; c’est peut-être la raison pour laquelle il a été inhumé à Paris en la chapelle des Saint-Crépin et Crépinien (actuellement chapelle Saint-Georges), dans le chœur de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Lors du remplacement du dallage au XVIIIe, la tombe du poète a disparu mais ses ossements sont peut-être restés sur place ou disparus. (http://www.tombes-sepultures.com/crbst_1421.html)

Contrairement à Ronsard, couvert de lauriers de son vivant puis oublié ensuite pendant trois cent ans, avant d’être réhabilité par Sainte-Beuve, Joachim du Bellay n’a jamais perdu sa notoriété.

Suivons la trace de Joachim du Bellay après sa mort. En 1578, Antoine de Bertrand (1540 – 1580), compositeur de musique spirituelle et profane met en musique une partie de ses odes.

Une rue d’Angers porte son nom inaugurée en 1869.

En 1894, la ville d’Ancenis fait ériger par le sculpteur breton Adolphe Léonfanti, une statue du poète en costume du XVIe siècle, tenant à la main un exemplaire de son recueil Les Regrets. Dans les années 1960, cette statue est installée sur la rive gauche de la Loire, face à Liré.

En 1934, son nom est donné au Collège des jeunes filles d’Angers qui devient le Collège Joachim du Bellay puis l’actuel Lycée Joachim-du-Bellay.

La ville de Liré inaugure en 1947, une statue du poète assis, méditant, œuvre du sculpteur Alfred Benon (1887 – 1965).

En 1949, les Archives Nationales commémorent le quatre centième anniversaire de son ouvrage Défense et illustration de la langue française.

L’Association « Les amis du Petit Lyré », créée en 1954, entretient le souvenir du poète en particulier à Liré. Le musée du Bellay a été ouvert en 1957, dans une demeure de 1521 ayant appartenu à la famille du Bellay (l’inauguration a eu lieu en 1958). Ce musée de Liré est constitué de cinq salles dédiées à la vie et à l’œuvre de Joachim du Bellay, ainsi qu’à la poésie et à la Renaissance. Il est affilié à la fédération des maisons d’écrivain et des patrimoines littéraires.

En 1958, un timbre postal vert (12 f. surtaxé 4 f, dans la série « Célébrités ») est émis en France.

En 1960, à l’occasion du quatre centième anniversaire de sa mort, une commémoration avec conférences et récitations de ses textes, a lieu devant les ruines du château de la Turmelière. Une école de la ville du Lude, dans la Sarthe, porte également son nom.

Les paysages alentour, bocages, vignes des bords de Loire, ayant inspiré le poète, ont peu changé. Au XIXe, le propriétaire de la Turmelière, Charles Thoinnet, fait aménager ces ruines en parc romantique, proche de l’ambiance du sonnet XXXI des Regrets de du Bellay :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
    Ou comme cestuy la qui conquit la toison,
    Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
    Vivre entre ses parents le reste de son aage !
Quand revoiray-je, helas, de mon petit village
    Fumer la cheminee, et en quelle saison
    Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
    Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaist le sejour qu’ont basty mes ayeux,
    Que des palais Romains le front audacieux,
    Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine :
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
    Plus mon petit Lyré que le mont Palatin,
    Et plus que l’air marin la doulceur Angevine.

(Les Regrets, sonnet XXXI)

 

Son portrait :

De caractère nostalgique, chétif et maladif, souffrant d’absence d’affection et d’abandon moral dans son enfance, vieillissant très vite dès l’âge adulte et relégué dans un perpétuel isolement par la surdité, il reste passionné de poésie et écrit toute sa vie. Son manque de contact avec le monde extérieur, a certainement contribué à accentuer sa tristesse, sa méditation et aussi sa créativité. Très réaliste, il a une certaine proximité avec Villon dans sa « Ballade des pendus ». De même, du Bellay nous confie son mal d’être, corps et âme :

LA COMPLAINTE DU DÉSESPÉRÉ

Qui prestera la parolle
A la douleur qui m’affole ?
Qui donnera les accens
A la plainte qui me guyde ?
Et qui laschera la bride
A la fureur que je sens ?
(…)

Qu’ay-je depuis mon enfance
Sinon toute injuste offence
Senty de mes plus prochains ?
Qui ma jeunesse passée
Aux tenebres ont laissée,
Dont ores mes yeux sont plains.
(…)

Mes oz, mes nerfz et mes veines,
Tesmoins secrez de mes peines,
Et mile souciz cuyzans
Avancent de ma vieillesse
Le triste hyver, qui me blesse
Devant l’esté de mes ans.
(…)

(Œuvres poétiques IV, Œuvres de l’invention de l’autheur, pp. 87, 92 et 93)

Sa solide formation juridique reçue à l’université de Poitiers et son côté modéré, trait caractéristique de sa famille, comptant parmi ses membres de nombreux juristes et diplomates, lui ont permis d’acquérir de solides bases intellectuelles. Ainsi, il fait face plus facilement aux évènements. Réaliste et sincère, il voit la vie telle qu’elle est, avec ses contraintes et ses devoirs. Même s’il enrage de ce manque de liberté, il relativise ses déboires avec ironie et humour :

J’ayme la liberté, et languis en service,
    Je n’ayme point la court, et me fault courtiser,
    Je n’ayme la feintise, et me fault deguiser,
    J’ayme simplicité, et n’apprens que malice :
Je n’adore les biens, et sers à l’avarice,
    Je n’ayme les honneurs, et me les fault priser,
    Je veulx garder ma foy et me la fault briser,
    Je cherche la vertu, et ne trouve que vice :
Je cherche le repos, et trouver ne le puis,
    J’embrasse le plaisir, et n’esprouve qu’ennuis,
    Je n’ayme à discourir, en raison je me fonde :
J’ay le corps maladif, et me fault voyager,
    Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager,
    Ne suis-je pas (Morel) le plus chetif du monde ?

(Les Regrets, sonnet XXXIX)

 

Sa notoriété dans le passé :

En 1549, « Le premier poème de du Bellay à être mis en musique est le sonnet anaphorique de L’Olive (éd. cit., I, LV, p. 74). » (Franck Dobbins, Université de Londres, Colloque de 1990, tome II, p. 595)

Jean-Antoine de Baïf admire « le doux Bellay et le grave Ronsard ». (Euvres en rime de Jan Antoine de Baïf, Les Eglogues, p. 91)

Pour Guillaume Colletet (1596 – 1659), Joachim du Bellay est « l’un des plus judicieux Poëtes du dernier siècle » (Guillaume Colletet, L’art poétique – Discours de l’Épigramme, p. 30), en particulier : « Les divers Sonnets de Joachim du Bellay à la Reyne de Navarre, (…) passèrent de leur temps pour des productions d’esprit excellentes ; et ce d’autant plus, que du Bellay estoit, comme j’ay dit, en réputation de faire aussi bien un Sonnet que pas-un autre de son siècle. » (Guillaume Colletet, Traité du sonnet, pp. 43 et 44)

Ronsard a mis à l’honneur du Bellay à travers ses poèmes. Nous en parlerons dans la deuxième partie de cette conférence.

Sainte-Beuve (1804 – 1869) a insisté sur la valeur de ses écrits : « [Du Bellay] a laissé une belle réputation, moins haute et par là même plus à l’abri des revers et des chutes que celle de Ronsard. » (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis – Tome treizième, p. 355)

Émile Faguet (1847 – 1916), académicien, écrivain et critique littéraire français, salue sa sensibilité : « Du Bellay est le poète le plus distingué et le plus original (…) du XVIe siècle. D’une imagination brillante (…) c’est la sensibilité qui chez lui est la faculté maîtresse, sous ses deux formes : amertume d’un cœur blessé, épanchement d’un cœur aimant. (…) C’est de tous les poètes du XVIe le plus personnel, celui qui a écrit le plus de lui-même dans ses écrits. » (Émile Faguet, Seizième siècle – Études littéraires, p. 323).

Henri Chamard (1867 – 1952), agrégé de lettres (1890), consacre sa vie à ce poète dont il préface et annote les livres (Œuvres poétiques, La Déffense et Illustration de la langue française, Jeux rustiques…). En 1900, il présente sa thèse de doctorat ès lettres en Sorbonne sur Joachim du Bellay (1522 – 1560). Elle contient 545 pages et a été éditée en livre. Il publie (en 1904), une édition critique de La Deffence et Illustration de la Langue francoyse de du Bellay, réalisant la préface de ce livre et commentant les poèmes. Devenu professeur d’histoire de la littérature de la Renaissance française en Sorbonne (1920), il réalise en 1934, une édition critique des Œuvres poétiques de du Bellay, et treize ans plus tard, (en 1947), de Divers Jeux rustiques.

Kléber Haedens (1913 – 1976), écrivain français, romancier, essayiste et journaliste, a publié une Histoire de la littérature française en 1970 chez Grasset comprenant une biographie de du Bellay.

 

Sa notoriété actuelle :

Certains poèmes de Joachim du Bellay restent très célèbres et la plupart de ses livres ont été réédités au XXe siècle : L’Olive (1931), Recueil de Poésies (1931), Les Regrets (1967), Les Antiquités de Rome (1967), Divers Jeux rustiques (1947). Ce n’est pas un hasard mais la juste reconnaissance de ses œuvres toujours étudiées, toujours appréciées. Des universitaires et compositeurs contemporains s’intéressent en effet, toujours à ce poète de la Pléiade et le mettent à l’honneur.

Du 26 au 29 mai 1990, a eu lieu à Angers, un colloque international rassemblant des universitaires du monde entier, USA, Canada, Israël, Japon, Belgique, Pologne, Grande-Bretagne, France… dont une universitaire de Tours, Catherine Simonin. Les actes de ce colloque de 751 pages, sont ensuite parus en deux tomes, aux Presses de l’Université d’Angers.

Pierre Grimal (1912 – 1996), spécialiste en langue, littérature et philosophie latines a été élu en 1977, à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il considère les recueils que du Bellay a écrits en Italie, comme « l’avènement à la dignité poétique, à la grande poésie (…), le regard qu’un homme jette autour de lui, et parfois sur lui-même. » (cité dans l’introduction de Les Regrets, Robert Laffont, 1958, p. 8) Il apprécie cette poésie en tant qu’œuvre d’art et « journal intime », dépouillé de toutes les pauvretés du romantisme. Il a d’ailleurs établi, annoté et préfacé en 1949, Les Regrets suivis de Les antiquités de Rome. (http://catalogue.bnf.fr).

Frédéric Boyer, professeur d’université spécialisé dans la littérature du XVIe siècle, est l’auteur de la biographie de Du Bellay dans la collection Écrivains d’hier et d’aujourd’hui chez Seghers (1958).

L’universitaire Jean-Michel Maulpoix, enseignant à L’Université de Paris X et directeur de l’observatoire de la poésie contemporaine, cite parmi ses dix recueils préférés, Les Regrets de Joachim du Bellay. (http://www.bnf.fr/fr/collections_et_services/anx_bibliogr_poetes/a.maulpoix.html)

Perrine Galand-Hallyn, chercheur et directeur d’études de Langue et littérature latines de la Renaissance à l’École pratique des Hautes Études, Sciences historiques et philologiques, a publié Le "Génie" latin de Joachim du Bellay (Rumeur des Âges, La Rochelle, 1995, 112 p), témoignage de son intérêt pour ce poète. (http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/publications_Perrine_janv_2008.pdf)

Pascale Chiron, maître de conférences en littérature du XVIe siècle à l’université de Toulouse-Le Mirail (chercheur en littérature française de la première moitié du XVIe siècle), a publié en 2011 Ronsard – Du Bellay, histoire d’une hantise qui traite du rapport entre ces deux poètes, de la correspondance et de la différence de leurs écrits. (http://books.openedition.org/pupvd/761?lang=fr)

En plus des écrivains, des compositeurs se sont intéressés à l’œuvre de du Bellay. Plusieurs artistes ont mis récemment en musique ses poèmes :

– Ridan (1975 – ), (Nadir Kouidir), chanteur de la chanson française vindicative, des mélodies douces, a créé une chanson à succès, Ulysse (2007) correspondant à un extrait des Regrets de Joachim du Bellay. Cette musique est un hommage au célèbre sonnet de du Bellay « Heureux qui comme Ulysse ». (http://www.projet-voltaire.fr/blog/actualite/ces_poemes_devenus_chansons) (https://www.youtube.com/watch?v=WefxVZLhm9U)

– Nicolas Decker, musicien professionnel, a fondé « Les ateliers du Jazz » au centre culturel de Paris XVe ; il a composé la musique originale de Joachim blues, sur un poème de Les Regrets de Joachim du Bellay. Cette musique fait partie de son album « D’Ambre et de Miel », enregistré le 10 mars 2008 à Sèvres avec Nicolas Decker au piano et François Jourdain à la guitare. (http://www.chaletroux.org/sejours/stages/jazz/professeurs/) (https://www.youtube.com/watch?v=fSplJ8y78H4)

– en 2009, Michèle Reverdy, (1943 – ), professeur honoraire d’analyse et d’orchestration au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a mis en musique le sonnet XII des Regrets (qui constitue la première pièce du cycle De l’ironie contre l’absurdité du monde). (http://www.michelereverdy.com/oeuvres_detail.php?id=66)

 

Son œuvre :

En plus de son amour de la langue française et de la poésie, Joachim du Bellay a de nombreuses facettes littéraires. Très tôt, il traduit des passages d’auteurs anciens dont Virgile et Ovide.

Nous ne pouvons nier une certaine proximité de du Bellay avec son contemporain Ronsard. Tous deux recherchent une culture d’excellence et gardent l’empreinte du passé, abordent les thèmes de l’antiquité, de la mythologie et sont en même temps d’ardents défenseurs de la langue française mais chacun garde son originalité : Ronsard est plus proche de la gaieté, des dames et des fleurs, du Bellay, plus nostalgique, humain, spontané, intimiste. Du Bellay a loué, admiré de nombreuses fois Ronsard de manière sincère, respectueuse et dynamique comme par exemple avec cette série de questions qu’il adresse à Ronsard et indirectement au lecteur :

De quel soleil, de quel divin flambeau
    Vint ton ardeur ? lequel des plus haulx Dieux
    Pour te combler du parfaict de son mieulx
    Du Vandomois te fist l’astre nouveau ?
Quel cigne encor’des cignes le plus beau
    Te prêta l’aele ? et quel vent jusq’aux cieulx
    Te balança le vol audacieux
    Sans que la mer te fust large tombeau ?
De quel rocher vint l’eternelle source,
    De quel torrent vint la superbe course,
    De quele fleur vint le miel de tes vers ?
Montre le moy, qui te prise, et honnore :
    Pour mieulx haulser la Plante que j’adore,
    Jusq’à l’egal des lauriers tousjours verds.

(Joachim du Bellay, L’Olive, 1550, sonnet CXV)

Nous pouvons rapprocher ce poème du final d’une ode de Ronsard à du Bellay :

(…)
Si tu montres au jour tes vers
Entés dans le tronc d’une olive,
Qui hausse sa perruque vive
Jusque à l’égal des lauriers vers.

(Pierre de Ronsard, Odes, livre III, Ode XX)

Mais cet éloge paraît plus formel, plus emphatique, moins véridique.

Il faudra attendre plusieurs années après la mort de du Bellay pour que Ronsard lui rende un réel hommage à son tour :

Divin Bellay,
(…)
Oy ton Ronsard qui sanglote et lamente,
Pâle de peur, pendu sur la tormente,
Croizant en vain ses mains devers les Cieux,
(…)

(Pierre de Ronsard, Œuvres…, 1604, tome I, sonnet LVII, page 67)

Ronsard emploie les ressorts d’une rhétorique grandiose qui confère au défunt, autorité et savoir que du Bellay avait déjà de son vivant et qui n’était pas étrangère à son statut social, puisqu’il était issu d’une grande famille reconnue à la cour du roi. Si Ronsard évoque discrètement du Bellay dans ses écrits, n’est-ce pas, même inconsciemment, par crainte que du Bellay fasse ombrage à sa notoriété ?

 

Les œuvres principales de du Bellay sont La Deffence et Illustration de la Langue francoyse (1549), L’Olive (1549), Les Regrets (1558), Le Recueil (ou Recueil de Poésies), (1549) dédié à Marguerite de France, Les Antiquités de Rome (1558), Divers Jeux rustiques (1558), Poemata, et plus accessoirement un ensemble de traductions (1558), Le Poète courtisan (1559), Discours au Roi sur la Poésie (1559)…

La Deffence et Illustration de la Langue francoyse (1549) est un manifeste que Joachim du Bellay a dédié à son cousin, le cardinal Jean du Bellay (1492 ou 93 – 1560), grand ecclésiastique, diplomate que François Ier chargea de missions importantes en Angleterre (1527) et en Italie (1534). Dans la dédicace de son livre, le poète le cite avec emphase : « C’est en effect la Deffence et Illustration de nostre Langue Francoyse, à l’entreprise de laquelle rien ne m’a induyt, que l’affection naturelle envers ma Patrie, et à te la dedier, que la grandeur de ton nom : (…). » (Joachim du Bellay, La Deffence et Illustration de la Langue francoyse, p. 6) Il aspire « à un avenir glorieux pour la France et pour la culture française. » (David J. HartleyUniversité d’Aberdeen, Colloque de 1990, tome 2, p. 653)

Les titres de chapitres sont caractéristiques des objectifs recherchés par du Bellay, par exemple : « L’Origine des Langues » (La Deffence…, p. 11), « Pourquoy la Langue Francoyse n’est si riche que la Greque et Latine » (id., p. 22), « Que les Traductions ne sont suffisantes pour donner perfection à la Langue Francoyse » (id., p. 32), « D’inventer des motz, et quelques autres choses que doit observer le poëte Francoys » (id., p. 137), « De la rythme et des vers sans rythme » (id., p. 144), « De ce mot rythme, de l’invention des vers rymez, et de quelques autres antiquitez usitées en notre Langue » (p. 150), « De bien prononcer les vers » (id., p. 166), « Exhortation aux Francoys d’ecrire en leur Langue : avecques les louanges de la France » (id., p. 182)…

 Dans ce livre, du Bellay défend hardiment, dans un élan patriotique, la langue française et la France contre le pouvoir absolu des langues anciennes :

« Mais s’il s’en trouvoit encores quelques uns de ceux qui de simples paroles font tout leur art et science, en sorte que nommer la Langue Greque et Latine leur semble parler d’une Langue divine, et parler de la vulgaire, nommer une Langue inhumaine, incapable de toute erudition : s’ils s’en trouvoit de telz (dy je) qui voulussent faire des braves, et depriser toutes choses ecrites en Francoys, je leur demanderoy’ volontiers en ceste sorte : Que pensent doncq’ faire ces reblanchisseurs de murailles, qui jour et nuyt se rompent la teste à immiter ? » (id., pp. 76 et 77)

En plus de son art oratoire, admirons sa volonté de se battre avec les mots et ses trouvailles littéraires telles « ces reblanchisseurs de murailles », expression énergique et pittoresque qu’Henri Chamard, grand spécialiste de cette époque, n’a retrouvé nulle part ailleurs. Du Bellay refuse de copier. Il veut être un créateur de la belle langue française.

À la recherche d’une langue d’excellence, il établit des règles de grammaire à respecter et insiste sur l’importance du choix des termes utilisés pour donner le sens exact :

« Quand aux epithetes, qui sont en notz poëtes Francoys (…) regarde bien qu’ilz soint convenables, non seulement à leurs substantifz, mais aussi à ce que tu decriras, afin que tu ne dies l’eau’ undoyante, quand tu la veux decrire impetueuse, ou la flamme ardente, quand tu la veux montrer languissante. » (id., pp. 162 et 163)

Nous ne pouvons qu’admirer la force de harangue de du Bellay dans cet éloge de la langue française.

Du Bellay souhaite que la France s’affranchisse de sa dépendance aux savants « qui pensent que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et erudition » (id., p. 14), aux autres langues latine ou grecque qui « deprisent et rejettent d’un sourcil plus que stoïque toutes choses ecrites en Francois » (id., p. 14), à « ceste arrogance Greque, admiratrice seulement de ses inventions » (id., p. 17), aux Romains qui considèrent les Français comme « barbares » (id., p. 18) et ont une « insatiable faim de gloyre » (id., p. 18). Il loue la langue française en expliquant qu’elle n’est pas irrégulière, « veu qu’elle se decline, si non par les noms, pronoms et participes, pour le moins par les verbes, en tous leurs tens, modes et personnes. » (id., p. 50).

Il plaide aussi pour les sonorités douces de notre langue « je ne voy point que nous l’ayons moindre, au jugement des plus délicates oreilles. » (id., p. 54) Il se défend de l’accusation d’être un trop grand admirateur de sa langue, en citant Cicéron, champion de la langue latine contre la grecque. (id., p. 84) Du Bellay veut introduire une nouvelle poésie : « ou ne se tiendront plainement satisfaictz, tant pour la breveté dont j’ay voulu user, que pour la diversité des espris, dont les uns treuvent bon ce que les autres treuvent mauvais. » (id., pp. 90 et 91).

Il fait la différence entre les poètes de peu d’intérêt qui font honte à la langue française et ceux qui l’honorent dont Guillaume de Lorris par son écrit Le Roman de la Rose (id., p. 92). Il demande le respect des règles d’alternance des vers masculins et féminins sans les entremêler (id., p. 164). Il méprise la vulgarité (id., p. 114) et veut la réhabilitation du sonnet tant à la mode du temps de Pétrarque (id., p. 122) et le respect de l’apport des poètes de l’antiquité (id., p. 143).

Il recherche la pureté du style et donne des conseils à tout poète : « Parquoy je renvoye tout au jugement de ton oreille. Quant au reste, use de motz purement Francoys, non toutesfois trop communs, non point aussi trop inusitez, (…) quasi comme enchasser, ainsi qu’une pierre precieuse et rare, quelques mots antiques en ton poëme à l’exemple de Virgile (…). » (id., pp. 142 et 143)

Après avoir insisté sur l’importance de parler un français d’excellence, il vante les mérites de la France :

« Je ne parleray icy de la temperie de l’air, fertilité de la terre, abundance de tous genres de fruictz (…), tant de grosses rivieres, tant de belles forestz, tant de villes (…), tant de metiers, arz et sciences, qui florissent entre nous, comme la musique, statuaire, architecture et autres (…). (id., p. 185)

Il termine en louant le vrai poète, « qui me fera indigner, apayser, ejouyr, douloir, aymer, hayr, admirer, etonner, bref, qui tiendra la bride de mes affections, me tournant ça et là à son plaisir. » (id., p. 179)

En conclusion, nous sommes étonnés par la richesse des apports de du Bellay, par sa volonté affirmée de montrer la valeur de la langue française, par son érudition et la minutie de son argumentation, par son patriotisme aussi. Oui, Joachim du Bellay a bien été un ardent défenseur de notre langue, de la France et il a su l’affirmer avec art.

 

De septembre à avril 2015

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

Bibliographie :

Livres de Joachim du Bellay en téléchargement sur Gallica utilisés pour les citations :

– Joachim du Bellay, L’Olive et quelques autres oeuvres poeticques, Imprimé à Paris pour Arnoul L’Angelier, 1549, 80 pages (non paginé)
– Joachim du Bellay, L’Olive augmentée depuis la premiere edition, La Musagnoeomachie & aultres oeuvres poëtiques, à Paris, chez Gilles Corrozet & Arnoul L’Angelier, 1550, 112 pages (non paginé)
– Joachim du Bellay, Recueil de poésie présenté à tresillustre princesse Madame Marguerite seur unique du Roy, et mis en lumière par le commandement de madicte Dame, à Paris, chez Guillaume Cavellat, 1549, 98 pages
– Joachim du Bellay, Le quatriesme livre de l’Eneide de Vergile, traduict en vers Françoys – La complaincte de Didon à Enée, prinse d’Ovide – Autres oeuvres de l’invention du translateur, à Paris, Vincent Certenas libraire,
1552, 199 pages
– Joachim du Bellay, Les Regrets et autres oeuvres poetiques, à Paris, de l’imprimerie de Federic Morel, 1558, 103 pages (non paginé)
– Joachim du Bellay, Le premier livre des Antiquitez de Rome (…) plus un Songe (…), à Paris, de l’imprimerie de Federic Morel, 1558, 27 pages (non paginé)
– Joachim du Bellay, Divers Jeux rustiques, et autres oeuvres poetiques, à Paris, de l’imprimerie de Federic Morel, 1560, 147 pages (non paginé)

Autres ouvrages et article

– Joachim du Bellay, La Deffence et Illustration de la Langue francoyse, édition critique publiée par Henri Chamard, Société des textes français modernes, Paris, librairie Marcel Didier, 1966, 206 pages
– Joachim du Bellay, Œuvres poétiques IV, Recueils lyriques, édition critique publiée par Henri Chamard, Société des textes français modernes, Paris, librairie E. Droz, 1934, 227 pages
– Joachim du Bellay, Divers Jeux rustiques, édition critique publiée par Henri Chamard, Société des textes français modernes, librairie Marcel Didier, Paris, 1947, 200 pages
– Joachim du Bellay, Les Regrets, Les Antiquités de Rome, Collection des Cent chefs-d’œuvre, Paris, Robert Laffont, 1958, 251 pages
 – Jean-Antoine de Baïf, Euvres en rime de Jan Antoine de Baïf, secrétaire de la chambre du Roy. Tome 3, Alphonse Lemerre éditeur, Paris, 1886, 392 pages
– Guillaume Colletet, L’art poétique – Discours de l’Épigramme, chez Antoine de Sommaville et Louis Chamhoudry, Paris, 1658, 80 pages
– Guillaume Colletet, Traité du sonnet, chez Antoine de Sommaville et Louis Chamhoudry, Paris, 1658, 126 pages
– Émile Faguet, Seizième siècle – Études littéraires, Lecène, Oudin et Cie éditeurs, Paris, 1894, 425 pages
– Pierre de Ronsard, Les quatre premiers livres des Odes de P. de Ronsard Vandomois, chez la Veuve Maurice de La Porte, Paris, 1555, 270 pages
– Pierre de Ronsard, Les oeuvres de P. de Ronsard… reveues et corrigées par l’autheur…, rédigées en X tomes, tome I, chez Nicolas Buon, Paris, 1604, 716 pages
– C.-A Sainte-Beuve, Nouveaux lundis – Tome treizième, Michel Levy frères libraires éditeurs, Paris, 1870, 483 pages
– Sainte-Beuve, Joachim du Bellay, Revue des deux mondes, Tome XXIV, 15 octobre 1840, pages 161 à 190
– DU BELLAY, Actes du Colloque International d’Angers du 26 au 29 mai 1990, textes réunis par Georges Cesbron, Presses de l’Université d’Angers, 1990, tome 1, 341 pages et tome 2, pages 351 à 757

Sur Internet :

– http://catalogue.bnf.fr
– http://www.comoria.com/434410/Joachim_du_Bellay
– http://www.leslyriades.fr/spip.php?article102
– http://www.lespoetes.net/poete-3-Joachim-du%20BELLAY.html
– http://www.culture.gouv.fr/documentation/memoire/LISTES/bases/france-dpt.htm
– http://www.tombes-sepultures.com/crbst_1421.html
– http://www.litterature-lieux.com/fiche-site-196.htm
– http://www.museejoachimdubellay.com/
– http://www.turmeliere.org/
– http://www.bnf.fr/fr/collections_et_services/anx_bibliogr_poetes/a.maulpoix.html
– http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/publications_Perrine_janv_2008.pdf
– http://books.openedition.org/pupvd/761?lang=fr
– http://www.projet-voltaire.fr/blog/actualite/ces_poemes_devenus_chansons
– https://www.youtube.com/watch?v=WefxVZLhm9U
– http://www.chaletroux.org/sejours/stages/jazz/professeurs/
– https://www.youtube.com/watch?v=fSplJ8y78H4
– http://www.michelereverdy.com/oeuvres_detail.php?id=66
et de nombreux autres sites.