14èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 10 août 2012, de 17 h 30 à 19 h

 

« Enfances »

à travers l’œuvre de Catherine Réault-Crosnier

Dessin à l'encre de Chine de Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de la rencontre.

 

J’aborde le thème du Printemps des poètes 2012 « Enfances », avec humour dans mon CD Poèmes pour rire en famille, avec malice dans Le chat du poète, en me rapprochant de la nature dans Loire, miroir du ciel, avec l’empreinte de la maternité dans Entre Insouciance et Violence et enfin avec philosophie dans Psychologie et poésie en famille, douleur et douceur. C’est pourquoi je vous propose ce récital en poésie et littérature.

Le public lors de la rencontre littéraire sur le thème Enfances, le 10 août 2012, dans le jardin des Prébendes à Tours.

Dans mon CD Poèmes pour rire en famille, l’enfance est abordée indirectement par le biais du rire pour partager avec l’enfant, des moments de connivence, se décontracter, mimer les scènes, ne pas toujours être sérieux, trop sérieux. L’enfant peut aussi apprendre ces poèmes comme « La tortue bossue », « La peinture fraîche », « Le footing de la vache », « La dame au caniche », « le roi Dagobert », « L’araignée maquillée ».

L’ARAIGNÉE MAQUILLÉE

L’araignée a mis son rouge à lèvres,
Son fard à paupières,
Son rose aux joues
Et elle a enfilé sa perruque
Car elle est chauve et complexée
De n’avoir aucun cheveu sur la tête,
Elle qui a du poil aux pattes.

Son corps velu la rend mal à l’aise
Alors elle met son pull
Pour avoir l’air plus présentable.

Les pattes poilues dépassent un peu,
Elle enfile ses huit chaussettes,
Dans ses huit pattes bien sûr.

La voilà prête à se montrer.
Elle a l’air chic dans son complet.
Alors elle se suspend au plafond,
La miss France araignée
Sélectionnée pour le concours de beauté !

 

LE ROI DAGOBERT

C’est le roi Dagobert
Qui avait mis sa tête à l’envers
Et il ne s’en inquiétait pas.
Si la lune était de travers,
Il la voyait comme il se doit.
Si une maison avait le toit en bas,
Il ne la montrait pas du doigt.
Si les gens tenaient sur leurs bras,
Il ne se tourmentait pas.
Mais si tout était à l’endroit,
Alors il ne comprenait pas.
Et voilà que le bon Saint Éloi
Arriva sur son cheval, bien droit,
Pour lui dire d’enfiler sa culotte à l’endroit
Ce qui mit le roi dans un grand embarras.
Envers, endroit, devant, derrière,
Il ne savait vraiment pas comment faire
Car enlever sa culotte à l’envers
Avec la tête en bas,
Essayez comme le bon roi Dagobert
Et vous verrez le résultat.

 

Dans mon enfance, j’ai eu régulièrement des chats autour de moi, mes parents aimant beaucoup ces bêtes ronronnantes, chassant les souris. Dans mon livre Le chat du poète, deux poèmes « Un chat et un enfant » (p. 12) et « Un sac à malices » (p. 14) sont en relation avec l’enfant dans la spontanéité de sa vie quotidienne. Dans le premier, le chat découvre le bébé et s’étonne. Ce qui est réciproque car le tout petit est spontanément fasciné par l’animal. Mais lorsque l’enfant a faim, plus rien d’autre n’a d’importance alors il ne reste plus au chat qu’à attendre de pouvoir reconquérir les « genoux de sa maîtresse » lorsque l’enfant s’endort, repu. Dans le second, le chat se fait remarquer simplement parce qu’il ne veut pas qu’on l’oublie comme un enfant vis-à-vis d’un frère et d’une sœur. Alors il peut accumuler les bêtises. S’il mord le bavoir du tout petit, c’est pour revendiquer sa place comme un autre enfant accaparerait un jouet du bébé ou l’abîmerait. Tout est dans l’art de la relation mère-enfant, enfant-animal familier afin que la jalousie ne soit pas envahissante et que chacun trouve sa place.

UN CHAT ET UN ENFANT

Le chat est intrigué
Par un petit être bizarre
Qui le regarde, droit sur le nez
Sans arrêter de gesticuler.

Soudain, Claire bouge un pied,
Et lui, le chat, le reçoit sur le nez,
Pourtant il n’avait pas remué
Mais s’était simplement intéressé.

Ses maîtres sont très attentionnés
Envers ce petit bébé
Qui ne sait pas le caresser
Et pourtant le regarde, droit sur le nez.

Puis c’est l’heure du bain
Et l’enfant aime barboter,
Mais lui, le chat reste hors de portée,
Méfiant de ce qui pourrait lui arriver.

Fripounet entend crier à toute volée
Et rien ne peut calmer bébé
Si ce n’est l’heure de la tétée,
Alors il se sent en sécurité.

Claire se repose, repue,
Sur l’épaule de sa maman,
Maintenant, il n’y a plus de danger
Bientôt l’enfant ira se reposer.

Fripounet refait la conquête
Des genoux de sa maîtresse,
Et va ronronner s’il lui plaît,
Plus de pied sur le bout du nez !

 

LE SAC À MALICES

Il ronronne et me regarde
Aves des yeux rusés.
Il mordille le bavoir de Claire
Et baisse les oreilles
En vue d’une petite tape.
Il s’en va lentement, innocent…
Il mâche les feuilles en matières plastiques,
Renverse la pile de journaux
Et part, apeuré.
Puis il revient
En se frottant à mes jambes
Pour se faire pardonner.
Il monte sur le dessus du meuble,
S’élance sur le tissu mural
Puis se laisse retomber
En déplaçant les cadres.
Il court se cacher
Sachant que je vais le chercher.
Il grimpe l’escalier
Pour redescendre entre mes jambes
Dès que je l’ai trouvé.
Il saute sur la poignée de la porte
Et miaule sans arrêt
Pour ensuite s’enfuir à notre arrivée.
Puis il vient se faire cajoler
Et s’installe sur nos genoux ;
Alors, c’est une petite bête si mignonne
Que l’on oublie tout
Puisqu’il ronronne
En nous faisant les yeux doux.

 

Dans Loire, miroir du ciel, mon enfance est abordée indirectement à travers ce fleuve lié à mon passé. En effet, quand j’accompagnais mon père à la pêche, près de notre jardin, au lieu-dit « Le Sauget », entre La Riche et Saint-Genouph, la Loire me faisait rêver. Dans « Coins de mon enfance » (p. 41), ces souvenirs remontent à la surface par bouffées. Des images de sable, d’herbes, de mouvance sauvage affleurent ; elles me donnent souvenance de mon corps immobile, à l’affût du paysage quand j’étais assise sur les bords de Loire. La beauté des lieux suffisait à remplir mes journées.

D’autres endroits prennent le relais dans « Promenade au bord de Loire » (p. 31) qui rassemble mes impressions lors d’une sortie dominicale habituelle dans mon enfance, celle qui longe la Loire, le long de l’allée de platanes en ville de Tours.

COINS DE MON ENFANCE

Le chemin de terre
Est toujours là,
Le chemin de terre
Et les acacias.
La plage et les pierres,
La Loire plus bas,
La plage et les pierres
Et les îles de la rivière.
La Loire a changé
Le cours de son rivage
Mais j’ai retrouvé
L’onde où se baignent les nuages.

Les coins de pêche de mon enfance
Se cachent parmi les herbes sauvages
Et les églantiers de mes amours
Se hissent au-dessus de ces entrelacements.

Le chemin de terre
Est toujours là,
Le chemin de terre
Et les acacias.

 

PROMENADE AU BORD DE LA LOIRE

Les platanes plus que centenaires
Tendent leurs bras nus
Le long de la rivière
Et leur peau grise
Se craquelle de taches blanches.
Alignement de troncs
Tordus, échevelés,
Le long de la digue de pierre.

Promenade dominant la Loire,
Masse sombre contre
L’éclat du tuffeau
Du pont de pierre,
Sur fond de bibliothèque au toit vert.

Plus bas, un saule pleure
Et sa chevelure danse
Au rythme du vent.

Plus loin encore, la silhouette fine
Du pont de fil
Et toujours la Loire
Qui coule, coule,
Masse sombre,
Perpétuel mouvement.

 

Dans Entre Insouciance et Violence, (Médaille d’argent de l’Académie internationale de Lutèce en 1996), l’enfance a la première place. Ce recueil oscille entre la joie de la naissance, la beauté des moments partagés et la dureté de la vie qui nous fait côtoyer des faits graves que nous ne devons pas effacer. Seule la prise de conscience peut aider à trouver des solutions devant l’inacceptable cruauté sur l’enfant ou de l’enfant.

Tout d’abord, il y a l’attente de la conception dans les poèmes « Aimé avant d’être conçu » (p. 5), « Interrogation maternelle » (pp. 6 et 7), « Est-ce toi, mon petit ? » (p. 12) puis la découverte avant la naissance par « Première échographie » (p. 8), moment d’intensité, d’émotion devant un petit qui bouge, tète, se caresse. Dans « Amour maternel », il y a l’interrogation sur le bébé pas encore né (p. 14).

INTERROGATION MATERNELLE

Mon corps est las, courbaturé ;
Aurai-je un enfant dans mon corps fatigué ?
Saura-t-il sourire ?
Quel sera son avenir ?
Il faut encore attendre
Et garder patience.
Il doit encore grandir
Pour pouvoir s’épanouir.

Un tout petit à naître,
Un être né de ma chair,
Formé au fil des jours,
Par la force de notre amour.
Pourrai-je le nourrir
Et le voir grandir ?
Sera-t-il à notre ressemblance,
Comblera-t-il nos espérances ?
(…)

 

EST-CE TOI, MON PETIT ?

Est-ce toi qui bouges, petit enfant,
Sous ma peau, au plus profond de mon être ?
J’ai hâte de te savoir en vie,
À côté de tous mes gargouillis,
De mes yeux lourds, de mon nez pris,
Et de ma toux qui te secoue avec bruit.

Est-ce toi qui bouges, petit enfant,
Malgré tous mes soucis,
Toi pour qui je rêve,
Toi pour qui je vis,
Toi pour qui j’espère une belle vie ?

Est-ce toi qui bouges, petit enfant,
Dans mon ventre qui grandit
Et avance un peu plus,
Chaque jour, chaque nuit ?

Est-ce toi qui es là, petit enfant,
À me dire tout bas :
« Ne te tracasse pas ;
Je suis bien nourri,
Je remue, je vais bien,
Ne crains rien. »

Est-ce toi qui bouges, petit enfant,
Sous ma peau, au plus profond de mon être,
Toi pour qui je rêve,
Toi pour qui je vis,
Toi pour qui j’espère une belle vie ?

 

AMOUR MATERNEL

J’ai du mal à imaginer
Que je te tiendrai bientôt dans mes bras,
Tout contre moi,
Petit enfant,
Je te murmure des mots tout bas
Et je t’apprends des chansons déjà.

J’ai du mal à comprendre
Que je pourrai bientôt te prendre
Et te serrer tout contre moi,
Petit enfant,
Je ne sais pas pourquoi
Je t’aime tant déjà.

Je ne t’ai pas encore vu naître
Je ne connais pas ton visage,
Il est fuyant comme un mirage,
Petit enfant,
Je ne connais pas ton image,
Mais tu vis au plus profond de moi.

Je ne sais pas ton caractère,
Mais je suis déjà ta mère
Inquiète de tes moindres ébats,
Petit enfant,
Tu bouges souvent contre moi,
Sans que je te voie.

J’ai du mal à comprendre
Qu’il te reste encore beaucoup à apprendre,
Je t’aime tant déjà,
Petit enfant,
Je ne sais pas pourquoi,
Je suis si folle de toi.

 

Puis l’enfant paraît et c’est l’attente comblée, l’émerveillement de la découverte de notre fille « Claire » (pp. 16 et 17). Le temps passe, l’enfant grandit. Le père prend une place plus importante comme « Dans les bras de papa » (p. 21). L’enfant découvre le monde et nous le fait redécouvrir comme dans « Une petite fleur à la main » (p. 32), « Le caillou » (p. 25) qui sont des trésors pour les tout petits.

UNE PETITE FLEUR, À LA MAIN

Claire sourit
Et brandit
Une fleur de pissenlit
Que je lui ai cueillie.

Elle la regarde :
Qu’elle est belle !

Elle la caresse :
Qu’elle est douce !
Elle lui enlève les pétales
Petit à petit
Et me les donne.
Je lui dis merci
Et elle me sourit.

 

Puis Claire réalise ses premiers dessins dans « L’enfant magicien » (pp. 24 et 25), forme son caractère, s’affirme « Dans la peau de Claire » (p. 26) mais recherche toujours la tendresse de sa mère dans « Une tête d’enfant » (pp. 28 et 29).

 

La deuxième partie de ce livre aborde des thèmes plus durs. Nous ne pouvons pas les annihiler. Il y a les cas de conscience par exemple dans « Les sœurs siamoises » (pp. 30 et 31) quand il faut tuer l’une des deux pour que l’autre vive ou dans « Naître de la mort » (pp. 36 et 37) quand une femme est maintenue en coma artificiel car elle attend un enfant. Il y a aussi la violence sur l’enfant dans « Jamais plus » (p. 34) ou de l’enfant dans « L’enfant assassin » (pp. 38 et 39). Jusqu’où ira la violence et que faire pour l’enrayer ?

NAÎTRE DE LA MORT

Enfant,
Tu n’auras pas ton père,
Enfant, tu n’auras pas ta mère,
Enfant,
Tu apprendras que ta mère
Était célibataire,
Oui, était
Car elle n’est plus.
Tu avais… zéro an.
Tu as vécu dans le ventre
De ta mère morte d’un accident,
En attendant de naître
Et de connaître ta vie d’orphelin
Sans père ni mère.
Enfant,
Quelle sera ta souffrance
Et ta tolérance
Devant cet amour tué
Bien avant la naissance ?
Enfant,
A-t-on le droit
De te laisser devant l’angoisse de ton avenir,
De t’engendrer de la mort,
De te créer à tout prix ?

 

JAMAIS PLUS

Jamais plus !
Le cri d’un enfant innocent,
Le corps déchiré,
L’esprit déchiqueté
Par la sauvagerie d’un homme.

UN HOMME…

Est-ce un homme
Que cet être qui n’a rien d’humain,
Qui leurre d’amitié un enfant
Pour mieux le tuer ?

Est-ce un homme
Que cet être de chair
Qui ne sait dominer ses pulsions,
Qui ne sait vaincre ses instincts de destruction ?

Jamais plus !
Les pleurs d’épouvante d’un enfant innocent,
Les regards d’angoisse
Et le corps violé
Dans un tête-à-tête meurtrier.

Ne reste plus
Qu’un tas de chair sous les gravats de pierre,
Ne reste plus
Qu’un corps enseveli au fond d’un puits
Pour mieux cacher l’infamie.

Oh ! Jamais plus !
L’homme assoiffé de sang,
L’homme tuant l’enfant,
Recherchant l’innocence,
Pour l’entendre pleurer,
Pour l’entendre crier.

Oh ! Jamais plus !

 

Le premier pas devant un crime, est de ne pas l’occulter et de chercher des solutions même si nous savons que nous ne règlerons pas tout d’un coup de baguette magique. Nous devons faire face en gardant un espace d’amour et de confiance pour l’entourage qui est sous le choc de l’agression et en soignant le corps malade du criminel et son esprit pour prévenir l’engrenage de la répétition.

La vie oscille entre insouciance et violence. Essayons de profiter pleinement des moments de joie et de faire face à la dureté de l’injustice sans nous détruire ni sans crier vengeance, réaction habituelle mais non constructive. Laissons toujours une place à la réparation, au pardon pour que l’amour ait toujours le dernier mot.

 

Dans Psychologie et poésie en famille, douleur et douceur, nous partons sur le chemin de la vie dès l’aube de la naissance jusqu’après la mort. Nous nous interrogeons sur le sens de l’existence, en restant émerveillé devant l’éclosion de l’enfant.

La famille existe depuis la création du monde et dès qu’un être perçoit le désir d’une union pour vivre ensemble.

Dès le questionnement sur la transmission de la vie, naît l’aube de la famille :

AIMÉ AVANT D’ÊTRE CONÇU

Quand on ne sait
Si son corps a formé
Un autre petit être
De la rencontre
Dans le monde
De l’infiniment petit,
De deux êtres qui s’étreignent,
De deux graines
Qui s’unissent
Pour révéler le mystère
De la conception…

L’âme espère
La création
D’une autre âme,
D’une autre vie,
D’un autre être
Issu de la chair,
Nourri de notre sang,
Espéré, aimé
Avant d’être conçu,
Quand on ne sait
Si son corps a formé
Un enfant…

 

Dès la rencontre visuelle avec un nouvel être créé, c’est le frémissement de la famille qui apparaît (p. 5). L’enfant dans le ventre de sa mère, entend sa voix, les battements de son cœur ; il sent quand on le touche à travers la paroi abdominale. C’est la douceur d’une première rencontre et déjà la prise de conscience de la différenciation d’avec sa mère, son père, sa famille. Il sent à travers ces caresses, qu’on pense à lui, qu’on l’aime même s’il ne peut pas l’exprimer. De même si on lui fait écouter de la musique douce, il en gardera le souvenir et nouveau-né, il s’apaisera en l’entendant à nouveau.

PREMIÈRE ÉCHOGRAPHIE

Dans le liquide amniotique,
L’enfant remue
Bras et jambes.
Il est encore tout petit,
Il mesure dix centimètres de long.
Mais déjà il se gratte la tête,
Et de la main, se caresse
Le visage
Pour commencer à se connaître.
Déjà il recherche la tendresse.
Il se laisse bercer
Dans ces flots secrets
Où il est protégé de tout danger,
Dans le ventre de sa mère.
(…)
Ce tout petit si bien façonné
Remplit déjà toutes nos pensées.

 

À cet âge intra-utérin, les chocs émotionnels ont un très fort impact sur lui et peuvent le marquer intensément. Il partage d’une certaine manière, la souffrance physique de sa mère battue, la souffrance psychique d’une mère perturbée ou délaissée par son conjoint, un décès ou un accident grave. Tout ce qui est anormal dans la régularité de sa vie, le touche. L’amour ressenti est indispensable à la construction de tout être, en son corps et en son esprit.

Un enfant peut être déprimé ou anorexique dès le début de sa vie s’il a déjà sur ses épaules, le poids d’un vécu traumatique intense. Il n’a pas envie de vivre. À l’opposé, l’enfant attendu, bercé, choyé, pousse un cri perçant, énergique, ouvre de grands yeux, sourit très vite car il a hâte de découvrir le monde. Il s’investit dans le positif car il se sent aimé.

Après l’accouchement, « Et l’enfant paraît », comme dirait Françoise Dolto. C’est un tremblement de terre par le changement de vie familiale qu’il déclenche. Habituellement, il y a en premier, l’émerveillement devant cet enfant attendu. J’ai écrit un poème au premier jour de vie de ma fille Claire et je me rappelle avoir attrapé un torticolis à force de regarder toujours du même côté et ce n’était pas celui de la fenêtre !

CLAIRE

Qu’elle est belle
Avec ses grands yeux étonnés,
Sa peau douce
Et ses cheveux comme un duvet !

Elle nous regarde, bien éveillée,
Tète son pouce à volonté,
Caresse sa peau pour se calmer,
Puis s’endort pour se reposer.
(…)

Qu’elle est belle
Quand elle est éveillée
Et gigote sans arrêt,
En essayant de nous regarder !

 

La naissance, c’est la métamorphose complète de la vie et les parents doivent comprendre très vite que ce petit être ne sera jamais l’image parfaite de l’enfant idéal parce qu’il sera lui-même, un autre être à part entière, dépendant de nous puis qui va peu à peu prendre son indépendance, faire ses expériences pour voler de ses propres ailes.

Les parents vont osciller entre l’émerveillement de leur enfant au fil des acquisitions et l’incompréhension d’une volonté dont il ne comprenne pas la finalité. Mais sommes-nous nous toujours logiques ?

L’émerveillement correspond à des moments de partage, souvent à partir d’un vécu quotidien :

CLAIRE A UN MOIS ET DEMI

Elle me regarde,
Elle me sourit
Mais je ne sais pas
Ce qu’elle me dit.

Elle me parle
En gazouillis,
Sort des « gle », des « re »,
Son vocabulaire s’élargit.

Elle me regarde
De ses yeux bleus,
Elle me découvre,
S’étonne et rit.
(…)

 

La maladie ou l’annonce d’un handicap ouvre la porte d’un gouffre. La vision de la différence est lourde à accepter mais si les parents en sortent vainqueurs, alors il n’y a ni handicapés ni normaux. Il n’y a que le don de l’amour.

Peu à peu, la place du père se concrétise. Le père a actuellement une place grandissante dans la famille et c’est très bien car il a beaucoup à apporter, en particulier une autre vision du monde plus tournée vers l’extérieur et cela permet à l’homme d’être activement le père comme dans mon poème :

DANS LES BRAS DE PAPA

Claire aime à se promener,
Se laisser doucement bercer
Dans les bras de papa.
Le bruit des vagues au loin,
Les empreintes dans le sable,
Le vent dans les dunes de pins,
La laisseraient indifférente ?
(…)
On ne sait si elle remarque
Ce qui l’entoure…
Mais son attention capte
Un doux bercement,
Elle se laisse câliner tendrement
Presque sans y penser,
Pour s’endormir et sourire
Dans les bras de papa.

 

Le partage avec le père peut éviter bien des dérives, par exemple qu’une mère devienne trop possessive ou trop proche de son enfant, qu’elle étouffe son développement. Dans les familles monoparentales surtout si le couple est en souffrance, celui qui a la charge de l’enfant peut reporter sur celui-ci, son manque de l’autre créant un univers narcissique malsain.

Pour éviter ce repli sur soi, nous pouvons lire le livre Invulnérables du Professeur Gilbert Lelord, spécialiste mondial de l’autisme. Ce Professeur nous montre combien certains enfants sont sensibles au moindre choc là où d’autres ont subi des évènements très graves et ont su trouver des moyens de défense pour conserver leur intégrité psychique et même se tourner vers l’écoute des autres. Il s’agit de l’invulnérabilité de l’esprit. La sociabilité, la bienveillance et la prévenance de l’entourage sont fondamentales dès le début de la vie.

Les premiers gestes ont pour le petit, la saveur de la nouveauté, de la découverte car il voit avec des yeux neufs. Puis l’enfant grandit, fait ses expériences, en tire des conclusions. Bref, il se construit et s’affirme.

C’est la phase d’opposition (vers dix-huit mois) qui n’est pas toujours facile à gérer. L’enfant sait dire non vers seize – dix-huit mois et ne dira oui que vers deux ans. Il veut tout voir, tout faire ; les parents, la famille lui donnent des limites qu’il accepte difficilement. C’est l’âge des colères, des spasmes du sanglot. La famille proche, les parents et grands-parents doivent faire face à cette affirmation de la personnalité en essayant d’associer tendresse et fermeté. Le mieux est le calme aimant, la patience qui ne brusque pas l’enfant qui veut décider seul.

DANS LA PEAU DE CLAIRE

Je veux et je ne veux pas,
Je sais et je ne sais pas,
Je pose question sur question,
Je m’oppose et hurle sans raison,
Pour le plaisir de dire
Mon caractère
Obstiné
Qui s’entête
À vouloir être le maître,
Malgré mes trois ans.

 

Les parents doivent être d’accord. Que leur oui soit oui, que leur non soit non, car sinon l’enfant ne pourra pas se construire des repères et entrera dans le cercle vicieux des cris, des larmes. On dira qu’il est capricieux, coléreux, larmoyant, qu’il fait du chantage et ce sera vrai mais nous avons notre part de responsabilité. Parfois, il vaut mieux décompresser, ne pas s’obstiner, prendre du recul, mettre un peu son enfant dans un lieu convivial comme chez les grands-parents, une tante ou à la garderie. L’enfant va rire, se détendre et il acceptera mieux les contraintes de la vie.

L’amour est de tout âge. Ainsi certaines mères appellent encore leur enfant « mon petit » lorsqu’il grandit. La tendresse discrète est gage de bon équilibre et de joie. Elle apaise celui qui donne et celui qui reçoit.

UNE TÊTE D’ENFANT

Sous un rideau de cheveux,
Une tête lourde
Appuyée sur un genou,
Une tête d’enfant
Pesamment endormie,
Une tête partie
Dans le rêve,
(…)
Un corps confiant
Qui dort contre sa mère,
Une tête lourde,
La tête d’un enfant,
Le sien,
Pesamment endormi
Sans souci.

 

Abordons les troubles de l’alimentation. Les repas doivent être des moments de plaisir et non des séances de forcing, de lutte pour faire avaler de force quelque chose ou à l’inverse, un moment de solitude où l’on laisse l’enfant seul dans son transat prendre son biberon sans un regard aimant (la télévision n’en est pas un).

Les troubles du sommeil, les cauchemars sont une pathologie fréquente ayant un impact important sur la vie familiale quand les troubles sont répétitifs et empêchent toute la famille de dormir. Être au calme le soir, dans une ambiance sécurisante, est indispensable.

Personnellement, je crois à la vertu des histoires racontées. Les contes ont le pouvoir de dépasser le vécu inexprimable. L’enfant s’identifie aux personnages, se décharge de son angoisse indirectement. Le phénomène répétitif chaque soir procure un côté sécurisant. L’enfant a besoin de magique et d’extériorisation de son vécu.

Abordons maintenant les cas de conscience quand le handicap conduit parfois à la question de la conservation ou non de la vie, quand il est très lourd, trop lourd, à la limite du supportable ; il nous entraîne alors sur le chemin (de croix) du choix du maintien ou non de la vie à tout prix, comme dans mon poème : « Les sœurs siamoises » où deux sœurs venaient d’être séparées chirurgicalement. L’une avait été sacrifiée pour des raisons anatomiques pour permettre à l’autre enfant Amy de survivre, sachant qu’actuellement la survie maximum est de six mois. Jusqu’où doit-on maintenir la vie ?

LES SŒURS SIAMOISES

Deux personnes et un seul corps,
Deux pensées trop étroitement unies,
Deux âmes difficilement définies,
Deux têtes et un seul cœur,
Un seul foie, un seul corps,
Deux bras, deux jambes,
Deux êtres trop enlacés…
(…)

Faut-il respecter l’être,
Au plus profond de lui-même,
Laisser le corps
Tel qu’il est,
Même si l’homme ne peut comprendre
Pourquoi
De tels êtres sont formés ?
Serait-ce
Pour témoigner
Que le corps n’est qu’une enveloppe
Et que tout est
Dans l’âme créée ?

 

La douleur psychique marque aussi l’enfant comme toute la famille. Le divorce, la séparation des parents, la mort d’un être cher ou de son petit animal préféré marquent toujours l’enfant qui ne conçoit pas que son monde puisse changer. Il faut trouver la tendresse ou les mots qui apaisent sans cacher la réalité même cruelle. Il est normal que tout un monde s’écroule pour l’enfant qui voyait ses parents indissociables ou devant la perte d’un grand-parent qui lui était cher.

Si un père et une mère séparés se disputent la garde de l’enfant, si chacun dit que l’autre est mauvais parent, l’enfant devient otage ; il est un objet qu’on s’arrache, que l’on veut pour soi et dont on se sert pour faire souffrir l’autre. Cela peut être le début d’une maltraitance qu’il ne faut pas nier pour sauvegarder le psychisme de l’enfant et aider les parents.

ORPHELIN SANS L’ÊTRE

Je pense à toi,
Petit garçon,
Toi qui avais préparé
Un dessin
Pour la fête des mamans.

Comme tous les enfants de ta classe,
Tu y avais mis
Tout ton cœur
Et toutes les couleurs.

Tu as vu
En sortant de l’école,
Tous les enfants enlacés
Par les bras de leur maman.

Mais toi,
Tu ne sais pas
Où elle est ta maman,
Ni si elle reviendra
Un jour, te prendre
Dans ses bras.
Bientôt ce sera la fête
Des papas.
Tu l’as encore ton papa,
Mais tu écoutes les grands
Et ils disent
Que, si ta maman revient,
Elle va te reprendre,
Et que tu ne verras plus ton papa.
Alors pourquoi faire
Un beau dessin
Pour la fête des pères ?...

Peut-être n’auras-tu plus le tien ?

Et tes grands yeux tristes et rêveurs
Restent parfois des heures,
À essayer de comprendre…
Comment est fait le monde des grands.

 

Nous sommes tous démunis devant la violence, la séparation, la douleur ou la mort. En cas de conflit, la famille a souvent une position tranchée, pour ou contre l’un ou l’autre, souvent pour leur enfant. Mais faut-il choisir entre un bon et un mauvais ? Il faut aider chacun à se reconstruire pour que l’amour, l’écoute et la parole puissent prendre le relais.

Le monde moderne a un impact sur l’enfant et la famille : Nous sommes envahis par les biens de consommation. Jusqu’où irons-nous ? Si l’enfant passe ses après-midi devant la télé, que faire ? S’il ne veut pas partager le repas parce qu’il fait un jeu vidéo où il doit tuer le plus possible de gens et n’a pas fini sa partie ? Que dire ? Si on ne peut pas lui parler parce qu’il a sa musique à tue-tête dans les oreilles au risque de devenir sourd ou fou ? Si la communication est coupée, il faut essayer de la rétablir. Car autant les jeux modernes utilisés modérément ont leur place, autant si on ne peut plus se parler, se regarder, si on tue virtuellement avec plaisir, si on confond virtuel et réel, si l’on s’amuse à s’asphyxier en ne respirant plus ou comme avec le jeu du foulard pour voir, cela devient grave et le passage à l’acte arrive de plus en plus tôt. Les adultes doivent être vigilants, présents sans être collants, et se faire aider s’ils sont dépassés plutôt que de faire comme le canard et mettre la tête sous l’aile, pour ne rien voir, ni la drogue, ni les fugues, ni les déviations, ni les nuits hors du logis. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard.

Étonnamment la vieillesse rejoint l’enfance. C’est l’autre extrémité de la vie et il y a une connivence étonnante entre les tout-petits et les personnes âgées. Ils se rapprochent par leur fragilité d’être, leur dépendance aux autres, sans le savoir.

La douleur physique et morale est de tout âge ; elle peut devenir envahissante. Il est temps de garder la paix, c’est ce que veut dire ce poème « Entre le visible et l’invisible » que j’ai écrit après avoir vu le film « Oscar et la dame rose » d’après le livre d’Éric-Emmanuel Schmitt au sujet d’un enfant cancéreux en fin de vie :

ENTRE LE VISIBLE ET L’INVISIBLE

Personne ne peut éviter de souffrir,
Ni Dieu ni toi ni moi.

Jésus sur la croix,
Donne-t-il l’impression de souffrir ?
Non, il est en paix.

Il y a la souffrance physique
Et la souffrance morale,
Celle que l’on voit,
Dont on a pitié plus elle se voit,
Et l’invisible, la psychique,
D’autant plus douloureuse
Qu’elle est tue.

Jésus, il n’a ni peur ni mal
À l’idée de mourir
Car il garde confiance en Dieu.

Les gens craignent la mort
Parce qu’ils redoutent l’inconnu.

Mais justement faut-il avoir peur de l’inconnu ?
Ne soyons pas des vivants déjà morts
Par l’angoisse de mourir un jour.
Restons en paix
Puisque nous allons
Dans les bras de Dieu.

 

« Enfances », il y a mille et une manières de voir l’enfance, d’avant la naissance à après la mort, comme dans les contes des mille et une nuits. Notre propre enfance se déroule au fil du temps. Nous l’oublions pour devenir adulte puis nous la retrouvons avec l’âge. Elle remonte à la surface et les petits sont heureux de la découvrir à leur tour. Il y a l’enfance douloureuse avec la découverte d’un handicap, de la violence. Heureusement, il y a aussi l’enfance dans le partage du rire, de l’éclosion du rêve. Nous avons tous une part d’enfance à faire revivre pour garder un cœur qui s’émerveille devant les choses simples. L’enfance aux mille facettes, est un monde à sonder pour retourner aux sources, à la fraîcheur de la vie, à la beauté ; c’est un voyage accessible à tous ceux qui gardent encore un cœur d’enfant.

 

Janvier à mars 2012

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

Ouvrages de Catherine Réault-Crosnier :

Catherine Réault-Crosnier, Poésie de vie, 1985, 144 pages

Catherine Réault-Crosnier, Entre Insouciance et Violence, 1997, 40 pages

Catherine Réault-Crosnier, CD, Poèmes pour rire en famille, 44 poèmes de l’auteur, 3 d’Éric Pottier, 1999

Catherine Réault-Crosnier, Loire, miroir du ciel, 2009, 74 pages

Catherine Réault-Crosnier, Le chat du poète, 2010, 44 pages

Catherine Réault-Crosnier, Psychologie en famille, douleur et douceur, 2010, 40 pages

 

Ouvrages cités :

Marie de Hennezel, La Mort intime, Éditions France Loisirs, 1996, 269 pages

Gilbert Lelord, Invulnérables, L’Harmattan, 2004, 283 pages

 

 

À la fin de la rencontre, lors de l’échange avec le public, des questions ont été posées en premier sur l’impact de la violence sur l’enfant – avec le témoignage d’une personne aidant les familles de prisonniers – puis sur l’autisme. M. le Professeur Gilbert Lelord, spécialiste mondialement connu de l’autisme et ayant dirigé le service de pédopsychiatrie à l’hôpital Bretonneau de Tours pendant quarante ans, a donné des précisions sur cette maladie et plus particulièrement sur le travail de l’équipe de Tours, dirigée actuellement par le Pr Catherine Barthélémy. Il a invité les familles ayant un enfant autiste à contacter l’équipe de Tours. M. Le Pr Gilbert Lelord a expliqué que dans un premier temps, la mère avait été considérée par tous, comme responsable de l’autisme de son enfant et que l’équipe française a fait évoluer cette position, faisant participer la mère et la réhabilitant. Une autre facette de l’originalité du traitement de l’autisme en France actuellement, est de ne pas enfermer l’enfant malade dans un univers clos mais d’essayer de lui apprendre à avoir un contact avec les autres, par le regard, l’intérêt. Le Pr Lelord a insisté sur le fait que dans la méthode de l’échange, chaque pas était important – même s’il paraît petit comme apprendre à dire « areu » ou à lancer une balle – car c’est l’ébauche du rétablissement d’un contact humain. Le Pr Lelord insiste aussi sur le fait qu’il faut aider tous les autistes même ceux qui paraissent le plus profondément atteints.

Le Pr Gilbert Lelord lors des échanges avec le public, à la fin de la rencontre littéraire sur le thème Enfances, le 10 août 2012, dans le jardin des Prébendes à Tours.

Le Pr Gilbert Lelord lors des échanges avec le public.