13èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 12 août 2011, de 17 h 30 à 19 h

 

Descartes et la raison

Portrait à l'encre de Chine de Descartes, par Catherine Réault-Crosnier.

Lire la présentation de cette « rencontre».

 

 

Descartes, l’homme de la raison, aime sa Touraine. Lorsqu’il est tenté de partir pour rejoindre la reine de Suède qui l’invite, il écrit : « J’avoue qu’un homme qui est né dans les jardins de la Touraine… ne peut pas si facilement se résoudre à la quitter pour aller vivre au pays des ours, entre des rochers et des glaces. » (Jacques Quéron, Philosophes en Touraine, p. 7)

Le public lors de la rencontre littéraire consacrée à René Descartes, le 12 août 2011, dans le jardin des Prébendes à Tours.

Sa biographie

Sa famille constituée principalement de marchands, médecins (son grand-père paternel Pierre Descartes était médecin à Châtellerault et fut anobli du temps du roi François Ier), magistrats, faisait partie de la bourgeoisie.

René Descartes naît le 31 mars 1596, chez sa grand-mère maternelle à La Haye qui deviendra La Haye-Descartes, petite ville aux confins de la Touraine et du Poitou. Il est baptisé trois jours plus tard (3 avril 1596).

Son père, Joachim Descartes, Conseiller au Parlement de Bretagne, s’était marié à Jeanne Brochard qui eut cinq enfants (dont trois vécurent) et René est le quatrième. Elle meurt l’année suivante durant l’accouchement d’un dernier fils (qui ne survécut pas). Après la mort de sa grand-mère maternelle, il vit chez sa grand-mère paternelle, rue de Bourbon, à Châtellerault (86). Il a une enfance chétive et a « une toux sèche et un teint pâle ». (André Bridoux, Descartes, La Pléiade, p. 9)

Vers 1606, son père se remarie et se fixe en Bretagne. Il a déjà reconnu les dons de son fils qu’il appelle familièrement son « philosophe ». (Pierre Joulia, Les années de jeunesse de Descartes, p. 5) Son éducation faite (de 1606 à 1614) par les Jésuites au collège de La Flèche où il est un élève surdoué. Il leur rend hommage : « Je dois rendre cet honneur à mes maîtres, que de dire qu’il n’y a lieu au monde, où je juge qu’elle s’enseigne mieux qu’à La Flèche. » (Descartes, Lettres, La Pléiade, p. 1023) Le latin est la langue principalement utilisée. L’enseignement de chaque élève chez les Jésuites est réglé de manière immuable et fait penser à une vie de moine : réveil à cinq heures, prière, étude au cours de laquelle les élèves récitent leurs leçons, déjeuner, classe de huit à dix heures, messe, repas à onze heures, travail dans leur chambre jusqu’à quatorze heures, reprise des cours, souper à six heures, répétition et approfondissement des leçons jusqu’à neuf heures du soir. La philosophie (celle d’Aristote et de Saint-Thomas) a une grande place dans ces études, la logique, la morale, la métaphysique puis la physique et les mathématiques enfin la géographie et la musique. Descartes gardera l’empreinte de cette éducation, recherchant la solitude pour penser, aimant philosopher et attiré par la beauté musicale. Il sera reconnaissant toute sa vie, de l’enseignement qu’il a eu en ce collège et le conseillera aux autres pour leurs fils. (Michel Laurencin, Descartes à La Flèche et le collège de La Flèche au temps de Descartes, pp. 13 et 14)

De 1610 à 1614, René passe une partie de ses vacances à Châtellerault chez sa grand-mère paternelle puis il étudie le droit et la médecine à l’Université de Poitiers.

En 1616, il est reçu bachelier et licencié en droit. À vingt-deux ans, il part avec l’accord de son père, en Hollande pour s’engager comme volontaire dans les armées du prince protestant Maurice de Nassau. Il voyage beaucoup. En 1618, il est en Hollande qu’il quitte un an après pour le Danemark et l’Allemagne, où il ralliera les troupes catholiques du duc Maximilien de Bavière.

Le 10 novembre 1619, à vingt-trois ans, dans « son poêle », sorte de pièce exigüe chauffée par un immense poêle, il a une révélation admirable sous forme de trois songes successifs et décisifs sur sa carrière. (Émile Aron, Descartes et la médecine, p. 37 et Descartes, Discours de la méthode, La Pléiade, p. 132). Ces songes lui montrent l’importance de lier l’ordre des raisons mathématiques et celui des effets de la nature. Il met alors sa foi dans les sciences, les mathématiques, la physiologie, la métaphysique pour chercher par lui-même, la vérité. À partir de sa formule « Je pense donc je suis », (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 147 et Principes de la philosophie, La Pléiade, p. 573), il devient philosophe et s’applique à penser par lui-même et à cultiver la raison. C’est le début du récit de ses réflexions personnelles et songes.

En 1620, il renonce à la vie militaire et voyage dans toute l’Europe, en Suisse, en Italie, en France… Le régime français avec Richelieu n’était pas ouvert à ceux qui ne partageaient pas l’acceptation des principes des anciens comme vérité absolue. D’ailleurs Galilée fut condamné pour ses idées. En 1628, Descartes compose Règles pour la direction de l’Esprit, et retourne en Hollande où il y reste vingt ans et rédige toute son œuvre : « Quel autre pays où l’on puisse jouir d’une liberté si entière (…) ? » écrit-il à Guez de Balzac en 1631. (Lettres, La Pléiade, p. 942)

Il réside en 1629 à Franeker « dans un petit château qui est séparé avec un fossé du reste de la ville, où l’on disait la messe en sûreté ». (Lettres, La Pléiade, p. 922) Tout en poursuivant des études universitaires, il apprend le flamand et l’écrit. Mais il recherche surtout la solitude pour se consacrer à ses réflexions et écrits. Ensuite, à Amsterdam, il habite tout d’abord dans une maison de marchand de drap, dans la Kalverstraat, la rue des Veaux où se trouvaient de nombreux bouchers. Il pouvait ainsi facilement disséquer des organes frais d’animaux. (Jean-Henri Roy, Sur les pas de Descartes aux Pays-Bas, p. 27) Il considère que « ce n’est pas un crime d’être curieux de l’anatomie ». (Lettres, La Pléiade, p. 1063)

En 1935, naît à Amsterdam, son seul enfant, Francine qui mourut à cinq ans ; la mère Hélène était hollandaise, une servante probablement (André Bridoux, Descartes, La Pléiade, p. 11).

En 1637, il publie en français, le Discours de la Méthode suivi de Dioptrique, les Météores et la Géométrie. Dans Dioptrique, il diffuse la formule de réfraction, explore la nature de la vision, formule des raisonnements mathématiques pour démontrer ses thèses. (Pierre Amalric, L’optique oculaire de Léonard de Vinci à Descartes, pp. 38 et 39)

En 1641, il se retire à Leyde puis dans un petit château, celui d’Endegesst (transformé ensuite en asile d’aliénés). (Émile Aron, Descartes et la Médecine, pp. 45 et 46) où il publie Les Méditations et commence à devenir célèbre.

En 1643, il entre en relations avec la princesse Élisabeth, première fille de Frédéric, roi de Bohême alors en exil. Elle est très cultivée mais aussi mélancolique et malheureuse ; elle est frappée par les Méditations de Descartes. Ainsi débuta entre eux, une longue et riche correspondance de cinquante-neuf lettres et réponses entre 1643 et 1649. Ce fut pour cette princesse, une direction spirituelle en même temps qu’un soutien et un réconfort. Parlant philosophie, géométrie, métaphysique, distinction de l’âme et du corps, il loue sa facilité à le comprendre et elle, la richesse de ses apports. Elle appelle Descartes, « le médecin de son âme ». (Pierre Joulia, Descartes et la sagesse mésooccidentale, p. 16)

En 1644, il fait paraître les Principes de la Philosophie.

Il ne reviendra en France que trois fois (en 1644, en 1647 et en 1648). Il rédige en 1646 Passions de l’Âme, pour la princesse Élisabeth de Bavière ; il l’envoie aussi à la jeune reine Christine de Suède.

En 1649, il est invité par la reine Christine de Suède qui a vingt-trois ans et est très cultivée. Il la rejoint dans son château à Stockholm où il lui donne des leçons de philosophie. Il publie le Traité des Passions (en 1649) pour traiter de l’union de l’âme et du corps. La reine exige qu’il vienne chaque matin, à cinq heures, avant sa journée de travail. Le climat froid lui fait regretter sa Touraine natale et il écrit : « il me semble que les pensées des hommes se gèlent ici pendant l’hiver aussi bien que les eaux ; (…) » (Lettre au Vicomte de Brégy, La Pléiade, p. 1346) Il donne à la reine des leçons de philosophie, lui apprend que le siège des passions n’est pas dans le cœur mais dans le cerveau. En février 1650, il ressent de grands frissons et est certainement atteint d’une pneumonie ; il refuse la saignée « Messieurs, épargnez le sang français » (Baillet, La mort de Monsieur Descartes, La Pléiade, p. 1409) Neuf jours après, il meurt (le 11 février 1650) à cinquante quatre ans ; la reine pleura son « illustre maître ». (Émile Aron, Descartes et la Médecine, p. 58) En 1667, le corps de Descartes est ramené en France et inhumé à Sainte-Geneviève-du-Mont.

 

Descartes au fil des siècles

Descartes est resté un écrivain reconnu de tout temps. De nombreux travaux et thèses lui sont consacrés. Actuellement l’association des Amis du musée Descartes (29, rue Descartes, 37160 Descartes), créée en 1965, a pour but de valoriser la maison natale de Descartes, d’organiser des rencontres universitaires destinées aux étudiants de Tours et Poitiers, aux enseignants des académies d’Orléans-Tours et de Poitiers, et au grand public. Des professeurs d’université du monde entier publient des articles de qualité tels M. le Pr coréen Choe Myung Kwan de l’Université Soong Jun de Séoul, venu en France en 1985 pour parler de la « Voix cartésienne de Corée », de l’idée de Dieu chez Descartes et de la générosité cartésienne. (Bulletin des Amis du Musée Descartes n° 2, p. 10)

En 1996, Émile Aron, membre de l’Académie de médecine, a écrit un livre Descartes et la Médecine dans lequel il allie la précision des faits à une verve humoristique savoureuse. Émile Aron nous explique que Descartes par la logique de son raisonnement, aide à la connaissance de l’homme et s’intéresse à la médecine pour traiter l’homme en essayant de comprendre le fonctionnement du corps.

Descartes est honoré en terre tourangelle : c’est grâce à une souscription ouverte par la Société archéologique de Touraine que Descartes a sa statue à Tours, inaugurée en 1852. Elle fut installée tout d’abord place de l’hôtel de ville alors sur les bords de la Loire ; elle est actuellement près de la bibliothèque municipale.

Le musée Descartes est une autre preuve de l’attachement des tourangeaux à ce philosophe. Il est situé à Descartes, dans sa maison natale, celle de sa grand-mère maternelle, veuve du sieur Brochard, lieutenant-général du Poitou. Cette maison était située rue Saint-Lazare, actuellement rue Descartes (musée Descartes, 37160 Descartes, tél. : 02 47 59 79 19). C’est une maison bourgeoise du XVIème siècle, avec « (…) pignon sur rue, orné de deux petites fenêtres sobrement décorées ; au-dessus de la façade s’élèvent deux jolies lucarnes. Dans la chambre natale, une belle cheminée (…) » a remplacé un coffrage. (Bulletin des Amis du Musée Descartes, n° 1, p. 8) Ce musée est ouvert au public depuis 1974 et a été rénové en 2005 avec une scénographie riche, colorée, accueillante, pédagogique et ludique, évoquant dans son contexte, l’histoire et l’aspect culturel ainsi que la vie et l’œuvre de l’auteur. De nombreuses animations sont proposées, des cafés philos, des visites pour les élèves, les groupes, les associations. C’est un lieu convivial et bien animé.

 

Son portrait

Nous pouvons constater sur un portrait de jeunesse que Descartes a des traits doux, un beau port de tête, une petite moustache, une petite barbe triangulaire, de longs cheveux ondulés.

Descartes souligne son caractère : « Pour moi je ne recherche que le repos et la tranquillité, qui sont deux biens qui ne peuvent être possédés par ceux qui ont de l’animosité ou de l’ambition ; (…). » (Lettre à Marin Mersenne, La Pléiade, pp. 949 et 950) Il nous confie qu’il aime : « vivre aussi solitaire et retiré que dans les déserts les plus écartés. » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 146)

Curieux de la connaissance du fonctionnement du corps humain, il veut par ses études, conserver la santé et rendre l’homme « maître et possesseur de la nature » par la connaissance de la science. (Jean Lafond, Descartes et l’esprit de la Renaissance, pp. 11 et 18) Grand voyageur, il aime s’isoler pour réfléchir et méditer. Mais il est avant tout un philosophe. Il a écrit le premier ouvrage de philosophie en français se basant uniquement sur sa réflexion personnelle.

Il ne veut pas s’engager dans les controverses théologiques ; il se reconnaît croyant mais garde une certaine neutralité : « Je révérais notre théologie, et prétendais, autant qu’un autre à gagner le ciel. » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 130)

 

Son œuvre

Son œuvre est vaste et variée puisqu’il aborde la philosophie, l’anatomie, la musique, la morale, la religion… Il n’a pas copié les écrivains de son temps et a sa propre personnalité dans le sens où il n’a pas voulu s’appuyer sur les écrivains de l’antiquité mais sur ses propres pensées. Il a toujours utilisé la méthode et la logique dans sa réflexion : « Enfin il faut se servir de tous les secours qu’on peut tirer de l’entendement, de l’imagination, des sens et de la mémoire, (…). » (Règles pour la direction de l’esprit, La Pléiade, p. 75) Dans son livre Règles pour la direction de l’esprit, il numérote des règles pour procéder de manière mathématique par ordre croissant de logique et d’importance : dans la règle I, il recherche « des jugements solides et vrais » (id., p. 37), dans la règle II, « une connaissance certaine et indubitable » (id., p. 39), dans la III, « l’intuition claire et évidente ou ce que nous pouvons déduire avec certitude » (id., p. 42), et ainsi de suite jusqu’à la règle XXI, « S’il y a plusieurs équations de cette sorte, il faut les ramener toutes à une seule » (id., p. 119). Ces règles sont caractéristiques de son esprit mathématique.

Descartes écrit de manière raffinée mais non précieuse (sans se délecter de l’analyse des sentiments) : « J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et pour ce qu’on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie (…). » (Discours de la méthode, La Pléiade, pp. 127 et 128) Il veut être accessible à tous dans un langage beau, clair et fort. Nous parlerons de chacune de ses œuvres avant de traiter des thèmes les plus importants :

Le Traité de l’Homme (1633) avait pour titre d’origine L’Homme de René Descartes, et le Traité de la Formation du fœtus du même auteur. Il est paru en 1664, -après sa mort-. (La Pléiade, p. 805). Il expose sa conception du « corps-machine » : « Je suppose que le corps n’est autre chose qu’une statue ou machine de terre (…). » (id., p. 807) Il décrit les fonctions du corps humain, de l’âme, puis leur liaison pour composer des hommes. Il est intéressant de voir comment un scientifique de cette époque voyait le fonctionnement des organes, le cœur d’où sort le sang (id., p. 812), le cerveau et les esprits qui sont « une flamme très vive et très pure » (id., p. 813), les artères, les nerfs, la peau, les muscles…

Descartes n’oublie pas de parler de la nutrition et de la naissance du goût par les nerfs conducteurs puis il en tire des considérations philosophiques : « D’où il vous est aisé de juger, comment l’âme pourra sentir toutes les autres sortes de goûts (…). » (id., p. 826) Bien sûr tout n’est pas vérité dans ses constatations mais nous mesurons l’ampleur de ses recherches.

Dans le Discours de la Méthode pour bien conduire sa Raison et chercher la vérité dans les Sciences (1637), il veut prouver par la raison, sa foi en Dieu et dans les sciences. Il se base sur ses expériences associées à ses connaissances. Partant de sa proposition « Je pense donc je suis » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 147), vérité vécue, il fait acte de pensée personnelle donc d’expérience. Puis, il énonce les principes qui vont conduire sa démarche : « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; (…). Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, (…). Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. » (id., pp. 137 et 138)

Il exprime aussi l’idée d’un corps-machine ; il compare « divers automates, ou machines mouvantes » avec l’homme et l’animal puis montre combien l’être vivant est plus complexe « à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal » et il nous montre que Dieu étant au-dessus de tout, fait mieux que les hommes avec leurs automates, que cette « machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée ». (id., p. 164)

Il veut mettre en pratique ses théories. Ce Discours est donc suivi d’essais, La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie qui sont des compléments de cette Méthode pour rechercher la vérité. Dans La Dioptrique, Descartes consacre le premier chapitre de ce livre à « De la lumière » car pour lui la vue est de tous les sens : « le plus universel et le plus noble. » (id., p. 180) Après avoir soigneusement examiné l’anatomie de l’œil, il étudie les principes de la réfraction et envisage la construction de verres de lunettes. Dans Les Météores, il décrit la formation des couleurs de l’arc-en-ciel, les causes des vents, la grêle… Dans La Géométrie, il essaie de résoudre des problèmes insolubles auparavant.

Dans les Méditations, Objections et réponses (1641 en latin, 1647 en français), il souhaite « trouver quelque chose de constant et d’assuré dans les sciences » (Méditations, La Pléiade, p. 271) et démontrer par la philosophie, l’existence de Dieu, la distinction de l’âme et du corps. Ce traité de philosophie, communiqué à divers philosophes et théologiens, donna lieu à de nombreuses objections qui furent publiées avec les réponses de l’auteur, formant une partie importante des textes de Descartes.

Dans Les Principes de la Philosophie (1644), il a la « volonté ferme et constante d’user toujours de la raison le mieux qu’il est en son pouvoir(…). » (Principes, La Pléiade, p. 554) Ce livre est dédié à la princesse Élisabeth de Bohême. Deux cents sept principes y sont détaillés à l’intérieur de quatre parties comme un texte de loi avec ses articles : « Des principes de la connaissance humaine », « Des principes des choses matérielles », « Du monde visible » et « De la terre ». Les sujets en sont nombreux et détaillés comme dans le principe 1, « Que pour examiner la vérité il est besoin, une fois dans sa vie, de mettre toutes choses en doute autant qu’il se peut. » (id., p. 571) et le dernier est « Mais que je soumets toutes mes opinions au jugement des plus sages et à l’autorité de l’Église. » (id., p. 670) Nous remarquons que Descartes souhaite à la fois penser par lui-même et fidèle à l’enseignement reçu par les Jésuites dans son enfance, ne pas offenser l’Église. Descartes ne veut procéder que par « deux sortes de pensées, à savoir la perception de l’entendement et l’action de la volonté. » (id., p. 585)

Descartes écrit Les Passions de l’âme (1649) pour donner des éclaircissements à la princesse Élisabeth sur la discipline des passions et la technique de la maîtrise de soi. Ce traité correspond à sa philosophie personnelle, alliance de morale définitive, éclairée par la physique véritable et la métaphysique.

Le dialogue La recherche de la vérité par la lumière naturelle, resté inachevé, est paru après sa mort, en 1701. Descartes l’aurait écrit en 1641. (Présentation de La recherche de la vérité, La Pléiade, p. 877) Trois personnages Poliandre, Epistemon, Eudoxe, se répondent dans un dialogue philosophique. Ils se posent de nombreuses questions, celles de l’importance des livres grecs et latins, de l’âme raisonnable, des passions, de l’homme-machine, des illusions, du Créateur, de la connaissance des hommes, de l’entendement, de l’instinct, de la crédulité, de ce qui est vrai… À vouloir tout expliquer, Poliandre en tire une conclusion : « je serai non seulement incertain si vous êtes au monde, s’il y a une terre, s’il y a un soleil ; mais encore, si j’ai des yeux, si j’ai des oreilles, si j’ai un corps, et même si je vous parle, si vous me parlez, et bref de toutes choses. » (id., p. 891) En effet, à vouloir tout démontrer, tout remettre en cause, nous pouvons perdre le fil de la réalité.

Le livre Entretien avec Burman (1648), Descartes a alors cinquante-deux ans, correspond à son échange avec un jeune homme de vingt ans, Burman dans sa retraite à Egmond, par le jeu des questions-réponses. Descartes donne de nombreux éclaircissements sur ses livres dans ce dialogue très riche en idées.

 

La correspondance de Descartes

Il consacre de longues heures à écrire à de nombreuses personnalités ; ses lettres représentent un tiers de son œuvre. Il reste en liaison avec les gens, par ses lettres et encore plus après sa retraite en Hollande et dans les vingt dernières années de sa vie.

Présentons certains de ses nombreux amis et correspondants de France et d’Europe :

des savants :

- Beeckman, recteur du collège de Dort (Lettres, La Pléiade, p. 910) ;
- Villebressieu, ingénieur très fécond en idées d’inventions comme celle de la chaise roulante pour mutilés (id., p. 943) ;
- Jean de Silhon, secrétaire du cardinal Mazarin et auteur philosophique (id., p. 962) ;
- Fermat, conseiller au Parlement de Toulouse et grand géomètre (id., p. 996) ;
- Thomas Campanella, philosophe sensualiste et mystique, poète, réformateur, -il fut persécuté par les Espagnols, emprisonné vingt-sept ans puis protégé par Richelieu- (id., p. 1009) ;
- Jean-Baptiste Morin, mathématicien et astronome français contre la thèse de Copernic (id., p. 1012)
- Lazare Meyssonnier, médecin français, professeur de chirurgie à Lyon, médecin du roi en 1642 (id., p. 1066)…

des prédicateurs :

- le père Mersenne, son condisciple au collège de La Flèche avec lequel il entretient une amitié intellectuelle pendant près vingt ans ; il est appelé le « résident de Descartes à Paris » car il servait d’intermédiaire entre les savants de nombreux pays (id., p. 911) ;
- le père Étienne Noël, répétiteur de Descartes au collège de La Flèche (id., p. 981) ;
- le Révérend Père Vatier, professeur au collège de La Flèche (id., p. 990) ;
- le Révérend Père Étienne Charlet, recteur au collège de La Flèche puis assistant du Général des Jésuites. Descartes l’appelait « son second père » (id., p. 1107),
- le père Mesland très proche de Descartes et certainement trop zélé à propager sa doctrine ; il fut envoyé au Canada (id., p. 1223) ;

des gens haut placés :

- Constantin Huygens, seigneur de Zuylichem, homme d’état et poète hollandais (id., p. 955) ;
- Alphonse de Pollot, gentilhomme d’origine piémontaise qui a fait sa fortune à l’armée et à la Cour de Hollande (gentilhomme du prince d’Orange) (id., p. 1108) ;
- Hector-Pierre Chanut, ambassadeur de France à Stockholm ; cet ami lui sert d’intermédiaire pour correspondre avec la reine Christine de Suède, le décide à venir auprès d’elle et l’assiste juste avant sa mort (id., p. 1235).

Descartes aime côtoyer l’aristocratie de son époque. À Élisabeth, princesse de Bohême qui est triste, il envoie une lettre pour l’aider à voir le beau, pour retrouver courage : « (…) imiter ceux qui, en regardant la verdeur d’un bois, les couleurs d’une fleur, le vol d’un oiseau (…) se persuadent qu’ils ne pensent à rien. Ce qui n’est pas perdre le temps, mais le bien employer ; car (…) on recouvrera une parfaite santé, laquelle est le fondement de tous les autres biens qu’on peut avoir en cette vie. » (id., p. 1187) Descartes est sensible à la beauté simple de la nature et à l’apaisement qu’elle nous procure ; il veut partager avec la princesse, cette sagesse retrouvée dans la contemplation : « (…) lorsque l’esprit est plein de joie, cela sert beaucoup à faire que le corps se porte mieux, (…). » (id., p. 1244). Il écrit aussi à la reine Christine de Suède pour lui faire partager ses idées philosophiques.

Descartes a aussi dans ses amis, des gens simples :

- l’excellent ouvrier opticien, Ferrier qu’il estime car il polit les lentilles avec précision et délicatesse (id., p. 909) ;
- des paysans et même des disciples notamment Dirck Rembrantsz, cordonnier de son état, dont il fit un astronome (id., p. 1290).

 

Par la diversité de ses correspondants et la richesse de ses échanges, ces lettres nous permettent de mieux cerner les pensées de Descartes, sa logique, sa philosophie.

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Abordons maintenant les POINTS IMPORTANTS DE SON ŒUVRE : la conscience, la méditation, la vision, la musique, la médecine, les mathématiques, la physique, l’esprit inventif, la philosophie, la générosité, l’âme, la morale, la religion, la passion, la vérité et la raison.

 

Descartes et la conscience

Toute son œuvre est basée sur la conscience subjective et individuelle, sa propre expérience intuitive. Il crée ainsi la pensée moderne en utilisant le « Je », alliant intuition, méditation et logique : « Je ne laissais pas toutefois d’estimer les exercices auxquels on s’occupe dans les écoles. Je savais que les langues qu’on y apprend sont nécessaires pour l’intelligence des livres anciens ; (…). J’estimais fort l’éloquence, et j’étais amoureux de la poésie ; mais je pensais que l’une et l’autre étaient des dons de l’esprit, plutôt que des fruits de l’étude. (…) Je me plaisais surtout aux mathématiques, (…). Je révérais notre théologie (…). Pour les autres sciences, (…), je jugeais qu’on ne pouvait avoir rien bâti qui fût solide sur des fondements si peu fermes. (…) C’est pourquoi, (…) je quittai entièrement l’étude des lettres. Et me résolvant de ne chercher plus d’autre science que celle qui se pourrait trouver en moi-même, (…). » (Discours de la méthode, La Pléiade, pp. 128 à 131)

 

Descartes et la méditation

Les méditations sont requises pour bien connaître « la distinction d’entre l’âme et le corps. » (Lettres, La Pléiade, p. 1159) Descartes a écrit un livre, Méditations sur ce thème et a « tâché de faire concevoir les notions qui appartiennent à l’âme seule » (id., p. 1153). Il procède par ordre mathématique, la première conclusion débouchant sur la seconde et ainsi de suite. Il a l’art des phrases longues, s’enchaînant logiquement avec politesse et respect vis-à-vis de son interlocuteur mais cette habitude est devenue rébarbative à notre époque. En voici un exemple dans une explication délicate sur l’existence de Dieu : « J’avoue aussi que cette obscurité vient en partie, comme vous avez fort bien remarqué, de ce que j’ai supposé que certaines notions, que l’habitude de penser m’a rendu familières et évidentes, le devaient être aussi à un chacun ; (…). » (id., p. 991)

Méditer est pour Descartes fondamental. Lorsqu’il n’est pas sûr de quelque chose, il réfléchit, par exemple sur la conception de l’âme : « Je ne vois aussi aucune difficulté à entendre que les facultés d’imaginer et de sentir appartiennent à l’âme, à cause que ce sont des espèces de pensées ; et néanmoins n’appartiennent qu’à l’âme en tant qu’elle est jointe au corps, à cause que ce sont des sortes de pensées, sans lesquelles on peut concevoir l’âme toute pure. » (id., p. 1142) Méditer ne veut pas dire conclure. Descartes ne donne pas forcément de solution s’il n’a pas fini d’en débattre.

 

Descartes et la vision

Il nous décrit l’œil en anatomiste puis en philosophe. Il parle des peaux successives de l’œil, de petits filets du nerf optique, des veines, des artères, de trois sortes de glaires, de l’humeur cristalline… (La Dioptrique, La Pléiade, p. 199 et Traité de l’homme, pp. 830 et 831) Dans la Dioptrique, il décrit l’anatomie de l’œil avec précision, étudie les fonctions oculaires, la réfraction, la netteté des images. Descartes a démontré que « La petitesse de la prunelle sert à rendre la vision plus distincte ; » (Traité de l’homme, La Pléiade, p. 834). Il constate : « En sorte qu’il semble que les yeux se forment au commencement un peu plus longs et plus étroits qu’ils ne doivent être, et que par après pendant qu’on vieillit, ils deviennent plus plats et plus larges » (Dioptrique, édition de 1668, p.170)

Il propose : « Or afin que nous puissions remédier par art à ces défauts, il sera premièrement besoin que nous cherchions les figures, que les superficies d’une pièce de verre, ou de quelque autre corps transparent doivent avoir pour courber les rayons (…) » (id., p. 170). Il propose des lunettes d’approche pour mieux distinguer les choses : « (…) il me semble qu’on doit composer chaque espèce de lunettes, pour les rendre les plus parfaites qu’il est possible. » (id., p. 222)

Descartes décrit le fonctionnement de l’image comme représentation non ressemblante. Le plus important est selon lui, le contenu de l’information. (Dioptrique, La Pléiade, p. 201 à 205) Dans les Météores, il donne la seule explication valable de l’arc-en-ciel qu’il poétise en « merveille de la Nature si remarquable », « gouttes d’eau éclairées par le soleil », donnant de belles couleurs, rouge, jaune, bleu, etc., selon l’angle de vue. (Les Météores, La Pléiade, pp. 230 et 231). Descartes tire de ses enseignements, des propos philosophiques. Ainsi le beau n’existe pas en soi ; il prend son sens avec la vue.

 

Descartes et la musique

Il rédige un Abrégé de la Musique pour être offert à un savant des Pays-Bas, Isaac Beeckman. Il traite des écarts de notes et de la composition tout en recherchant le plaisir sensible : « Sa fin est de plaire, et d’exciter en nous diverses passions » (Abrégé de la Musique, édition de 1668, p. 53) Il classe ses pensées en les enchaînant dans un ordre logique pour arriver à sa conclusion : « Enfin, il faut remarquer que la variété est très agréable en toutes choses (…) » (id., p. 55)

La recherche du beau par tous les sens, dont l’ouïe, l’intéresse seulement si elle sert à trouver la vérité : « (…) pourquoi un son est plus agréable que l’autre, (…). Mais généralement ni le beau, ni l’agréable, ne signifient rien qu’un rapport de notre jugement à l’objet ; (…). » (Lettres, La Pléiade, p. 924)

 

Descartes et la médecine

Il étudie l’anatomie et la physiologie et pratique la dissection. Il s’est passionné pour la médecine, car la : « conservation de la santé est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 168). Il se range parmi les disciples d’Hippocrate, considérant que la connaissance du corps et de l’esprit peut aider à mieux vivre. Sa foi en la raison est remarquable à une époque où la maladie était conçue comme un châtiment.

Il se moque de nombreux traitements de son époque dont la saignée. Contre les saignements de nez, il préconise des conseils assez sages même s’ils sont plus à visée préventive que curative : « S’abstenir de vinaigre, moutarde, épicerie, sel ; qu’on s’abstienne aussi de vin, mais surtout de safran et de toute émotion forte tant d’esprit que de corps (…). » (cité par Émile Aron, Descartes et la Médecine, p. 52)

Il s’est trompé comme dans sa description du fonctionnement du système respiratoire et cardio-vasculaire ; par exemple il veut que : « (…) le sang qui y vient de la concavité droite du cœur, où il a été raréfié et comme changé en vapeurs, s’y épaississe et convertisse en sang derechef, avant que de retomber dans la gauche, sans quoi il ne pourrait être propre à servir de nourriture au feu qui y est. » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 162) Mais il a le mérite de réfléchir sur la circulation cardio-respiratoire et d’émettre une thèse ; c’était déjà un pas en avant dans la connaissance anatomique basée sur l’observation après dissection. Il affirme aussi que les animaux n’ont pas d’âme. Il voit dans le cerveau « des nerfs, qui sont étendus, comme des filets très déliés, depuis le cerveau jusques à toutes les parties des autres membres, (…) » (Principes, La Pléiade, p. 654). Tout cela peut nous paraître aberrant mais Descartes émet l’idée d’une liaison entre le cerveau et les autres parties du corps. Il a toujours cherché par lui-même et analysé ce qu’il observait pour en tirer des déductions.

Il considère le corps comme une machine : « Dieu a fabriqué notre corps comme une machine et a voulu qu’il fonctionnât comme un instrument universel (…). » (Entretien avec Burman, La Pléiade, p. 1380)

Il étudie le fonctionnement de la veille et du sommeil : « D’où vient que pour lors cette machine, étant disposée à obéir à toutes les actions des esprits, représente le corps d’un homme qui veille. Ou du moins ils ont la force d’en pousser ainsi et faire tendre quelques parties, pendant que les autres demeurent libres et lâches (…). » (Traité de l’homme, La Pléiade, pp. 847 et 848)

Il conseille à Élisabeth de Bohême qui a des indispositions d’estomac de choisir « la diète et l’exercice » qui sont les remèdes « les meilleurs de tous, après toutefois ceux de l’âme, (…). » (Lettres, La Pléiade, p. 1280) Le Professeur Émile Aron nous dit que Descartes guérit Élisabeth, de ses hémorroïdes en lui conseillant : « quelque léger purgatif ou bouillon rafraîchissant (…), et en s’abstenant de manger des viandes où il y aurait trop de sels ou d’épiceries » (Émile Aron, Descartes et la médecine, p. 48). Descartes la guérit aussi de sa fièvre en lui expliquant : « La cause la plus ordinaire de la fièvre lente est la tristesse ; (…). » (Lettres, La Pléiade, p. 1182)

Descartes veut prouver par sa connaissance et son raisonnement, les vérités premières, base de la physiologie métaphysique : « (…) tous ces sentiments (…) ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l’union et comme du mélange de l’esprit et du corps. » (Méditations, La Pléiade, p. 326) Il est en quête d’un équilibre de l’âme et du corps nécessaire « pour la conservation du corps humain lorsqu’il est en pleine santé. » (id., p. 332).

 

Descartes et les mathématiques, la physique

Il a soif de logique mathématique dans tous les domaines. Il énumère des règles à respecter : « Le but des études doit être de diriger l’esprit pour qu’il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui. » (Règles pour la direction de l’esprit, La Pléiade, p. 37) et par un enchaînement logique, l’homme « ne doit songer qu’à accroître la lumière naturelle de sa raison, (…). » (id., p. 38) Sa deuxième règle est de « ne s’occuper que des objets dont notre esprit paraît capable d’acquérir une connaissance certaine et indubitable. » (id., p. 39) Si « les premiers principes eux-mêmes ne peuvent être connus que par intuition », alors Descartes affirme que « les conséquences éloignées ne peuvent l’être que par déduction. » (id., p. 45) Cette manière de penser peut sembler en opposition avec la logique cartésienne de départ mais elle permet de continuer d’appliquer le raisonnement là où c’est encore possible.

En tant que mathématicien, il veut que sa méthode soit la base du fondement de sa réflexion car « La méthode est nécessaire pour la recherche de la vérité. » (id., p. 46). Il en déduit : « ne jamais supposer vrai ce qui est faux, et parvenir à la connaissance de toutes choses. » (id., p. 46)

Il pense que « parmi les sciences déjà connues seules l’arithmétique et la géométrie sont exemptes de fausseté et d’incertitude, (…). » (id., p. 41) Il consacre donc une grande réflexion à ces deux matières et crée l’algèbre des polynômes, et, avec Fernat, la géométrie analytique. Il énonce les propriétés fondamentales des équations algébriques. Il découvre les principes de l’optique géométrique. Sa physique mécaniste et sa théorie des animaux-machines ont posé les bases de la science moderne. (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 164)

Descartes consacre un livre à la Géométrie avec une argumentation concernant les lignes courbes dont le cercle, la parabole (La géométrie, La Pléiade, pp. 245 à 252) mais nous trouvons de nombreux schémas géométriques au fil de son œuvre, qu’ils l’aident à soutenir ses thèses dans de très nombreux domaines, par exemple pour expliquer le mouvement des balles et leur rebondissement, chemin pour aborder concrètement la réfraction (La dioptrique, La Pléiade, pp. 186, 188 et 196), pour représenter les couleurs à l’aide de quadrillages (Règles pour la direction de l’esprit, La Pléiade, p. 77), pour mieux comprendre la généalogie (id., p. 104), pour détailler le fonctionnement de la vision binoculaire (Traité de l’homme, La Pléiade, p. 856), pour expliquer que « le mouvement (…) unique en chaque corps, peut aussi être pris pour plusieurs ». (Principes, La Pléiade, p. 629)

Pour la physique, il énonce aussi des principes : « Qu’on ne peut pas dire proprement qu’un corps dur se meut, lorsqu’il est emporté par un corps fluide », « D’où vient qu’il y a des corps si durs, qu’ils ne peuvent être divisés par nos mains, bien qu’ils soient plus petits qu’elles. » (id., p. 650) Nous remarquons la précision de ces énoncés, la logique, l’utilisation de termes concrets comme les mains pour aider à mieux saisir son idée, éléments si caractéristiques de sa philosophie.

Le raisonnement de Descartes est étonnamment basé sur la logique mathématique et tend vers la perfection de ce style adapté à la vie concrète, comme lorsqu’il parle d’un feu de cheminée et explique comment éviter le retour de fumée : « si A est la cheminée, B l’un des chenets, D le feu, CC le trou qui vient de derrière la muraille, et conduit l’air vers le feu D à mesure que ce feu chasse la fumée par A vers E. » (Lettres, La Pléiade, p. 1149) Il fallait simplement y penser.

 

Descartes et l’esprit inventif

De ses considérations mathématiques et géométriques, il déduit des inventions. Même s’il n’a pas créé d’objet proprement dit, il explique le fonctionnement de nombreux engins par exemple une poulie pour soulever des poids très lourds, un plan incliné, le coin, la roue ou le tour, la vis, le levier. (Lettres, La Pléiade, pp. 973 à 978)

 

Descartes et la philosophie

Il part de la philosophie d’Aristote (pour l’Être en tant qu’être) adaptée par Saint Thomas d’Aquin vers la connaissance rationnelle du divin pour créer sa propre métaphysique, vers la connaissance des vérités premières par le raisonnement. D’où découle sa formule « Je pense, donc je suis » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 147) dans laquelle il privilégie son expérience personnelle plutôt que les écrits anciens, réputés vrais sans être vérifiés ; sa philosophie est universelle et tournée vers l’avenir. Elle reste concrète tout en étant imbibée de mathématiques d’une manière étonnante : « (…) moi, je dis qu’il y a continuité lorsque les surfaces de deux corps sont jointes d’une manière tellement immédiate qu’ils entrent simultanément en mouvement ou en repos ; ceux qui se comportent autrement sont contigus. » (Entretien avec Burman, La Pléiade, p. 1381)

Dans la Quatrième Méditation, il oppose les limites de la volonté humaine à celle de Dieu qui n’a « aucune cause d’erreur ou de fausseté » (Méditations, La Pléiade, p. 302) et il affirme que notre nature « est extrêmement faible et limitée » face à celle de Dieu « immense, incompréhensible, et infinie ». (id., p. 303). Il fonde ainsi une nouvelle conception de l’esprit et de la matière et de leurs relations, du rapport de Dieu à l’homme et de l’homme au monde. (Bulletin des Amis du Musée Descartes n° 8, p. 29)

Pour le Pr coréen Choe Myung Kwan, Descartes a une idée très philosophique de Dieu, voit Dieu de manière abstraite en tant qu’infinité, perfection et simplicité et pense qu’un cœur très pur peut trouver Dieu. (Bulletin des Amis du Musée Descartes n° 2, p. 10)

Descartes insiste sur l’importance de réfléchir et déduire par soi-même et non pas de se fier « aux jugements inconsidérés de son enfance » mais « à sa raison, lorsqu’il est en état de la bien conduire. » (Principes, La Pléiade, p. 610). Le Moi est essentiel dans sa philosophie, le Moi qui pense, accepte, refuse.

 

Descartes et la générosité

Il aborde souvent ce thème qui lui est cher. La conscience de Descartes inclut la pitié vis-à-vis de ceux qui sont dans le malheur et dont ils cherchent à soulager les peines lorsqu’ils croisent sa route, demande la clémence d’un prince pour un petit à l’occasion : « Celle qui se présente maintenant est pour vous donner sujet d’exercer votre charité en la personne d’un pauvre paysan de mon voisinage, qui a eu le malheur d’en tuer un autre. » (Lettres, La Pléiade, p. 1290) Descartes défend alors sur une lettre d’une page et demi, les circonstances atténuantes de ce paysan, sa misère profonde, sa famille malade, le crime lié à la vengeance d’un cruel persécuteur. (id., pp. 1290 et 1291) Pour lui, un homme de générosité ne hait aucun homme, veut faire de grandes choses et la générosité soigne les maladies de l’âme. En ce sens, la générosité rejoint la morale.

 

Descartes et l’âme

Il est convaincu que la pensée n’est pas une partie de l’âme mais l’âme toute entière (André Bridoux, Descartes, La Pléiade, p. 17). Il croit naturellement en l’existence de l’âme et du corps.

Si le corps réagit comme une machine, il est malgré tout, tributaire de l’esprit, nous dit Descartes. L’âme est une substance pensante et l’homme une chose qui pense. De plus, Descartes différencie l’âme de l’homme de celle des bêtes qui n’est pas « de même nature que la nôtre » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 166) avec exemple à l’appui : « Que les chiens approuvent de la queue, ce sont là seulement des mouvements qui accompagnent les affections, (…) » car il faut « les distinguer du langage qui seul révèle la pensée latente dans le corps. » (Lettres, La Pléiade, pp. 1335 et 1336) Son exemple prête à sourire mais est bien argumenté.

Il considère l’âme à part : « la nôtre est d’une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent (…) n’est point sujette à mourir avec lui (…) ». Il en conclut donc qu’elle « est immortelle » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 167). Il situe le siège de l’âme, dans le cerveau au niveau de la glande pinéale nommée « conarium » car elle est double et que « puisque nous ne voyons qu’une même chose des deux yeux, ni n’oyons qu’une même voix des deux oreilles, et enfin que nous n’avons jamais qu’une pensée en même temps », il faut que le siège de l’âme soit en une partie double du cerveau (glande pinéale). (Lettres, La Pléiade, p. 1066)

Descartes écrit le traité des Passions de l’âme. Cette dernière œuvre est le fruit de toute sa philosophie. Si le corps réagit comme une machine, il est malgré tout, tributaire de l’esprit. Par ce raisonnement, il nous dit qu’âme et corps sont unis tout en étant distincts (Les Passions de l’âme, La Pléiade, p. 696) Pour lui, l’âme pense, est consciente, liée aux vécus (id., p. 704) mais elle reste immatérielle. (Lettres, La Pléiade, p. 1073)

 

Descartes et la morale

Pour lui, la morale a pour domaine propre, l’union de l’âme et du corps. Il reconnaît la fragilité de l’homme, sa facilité à l’égarement, ses « combats », son désir de bien faire. (Les passions de l’âme, La Pléiade, pp. 696, 718 et 719) La morale est pour lui, fondamentale : « Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. » (Principes, La Pléiade, p. 566)

 

Descartes et la religion

Il ne veut jamais mélanger la religion et la philosophie et pour cette dernière, il affirme confier ce débat aux théologiens : « (…) je m’abstiens, le plus qu’il m’est possible, des questions de théologie (…) » (Lettres, La Pléiade, p. 1168). Il a affirmé sa foi à nombreuses reprises : « Dieu est ou existe, (…) il est un être parfait, et (…) tout ce qui est en nous vient de lui. » (Discours de la méthode, La Pléiade, pp. 151 et 152) Descartes a aussi confié son amertume devant la remise en cause de ses œuvres par des religieux : « je suis accusé d’enseigner l’athéisme (…) mes opinions furent condamnées comme nuisibles à la religion sans que toutefois on en ait pu donner aucune preuve. » (Lettres, La Pléiade, p. 1155) Il prend ses précautions, ne voulant pas avoir ses livres censurés ou brûlés, être emprisonné, exilé ou tué par l’inquisition. Il se défend en respectant la pensée de chacun, en réaffirmant sa foi et en s’expliquant toujours très précisément mais il reste sur ses gardes : « On a fait taire les théologiens qui me voulaient nuire, mais en les flattant, et en se gardant de les offenser (…) » (id., p. 1279). C’est certainement l’une des raisons qui a poussé Descartes à partir en Suède.

Pour lui, l’âme indivisible apporte à l’homme son individualité profonde : « l’âme est véritablement jointe à tout le corps (…). » (Les Passions de l’âme, La Pléiade, p. 710) Sa foi est du domaine de l’intuition : « La connaissance intuitive est une illustration de l’esprit, par laquelle il voit en la lumière de Dieu les choses qu’il lui plaît lui découvrir par une impression directe de la clarté divine sur notre entendement (…). » (Lettres, La Pléiade, p. 1300)

 

Descartes et la passion

À cette époque, le mot « passion » n’avait pas le sens actuel. Il voulait dire plutôt troubles, « affections du corps », émotions, aptitudes du sujet humain. (Jean-Claude Margolin, Érasme et Descartes : affectus et passions de l’âme, p. 12) Il analyse les passions en vue de les mettre sous la tutelle de la raison. Il explique que : « l’amour qu’on a pour un objet de peu d’importance, peut causer plus de mal, étant déréglée, que ne fait la haine d’un autre de plus de valeur » par la raison que « le mal qui vient de la haine, s’étend seulement sur l’objet haï, au lieu que l’amour déréglée n’épargne rien (…). » (Lettres, La Pléiade, p. 1267)

À son avis, les nerfs déclenchent les passions, « à savoir, celles de l’amour, de la haine, de la crainte, de la colère, etc., en tant que ce sont des sentiments ou passions de l’âme ; (…) » (Principes, La Pléiade, p. 655). Tous les sens extérieurs se mettent en action dans les passions, le toucher en premier, le goût, l’odorat, l’ouïe, la vue (id., pp. 657 et 658). Il démontre que le siège des passions n’est pas dans le cœur mais dans une glande située dans le cerveau (Les passions de l’âme, La Pléiade, p. 711). Il définit les passions de l’âme : amour, haine, désir, tristesse, langueur, pâmoison, rire, indignation, remords, repentir, colère...

Descartes veut soumettre les passions, les étudier, les apprivoiser pour qu’elles ne soient jamais excessives (Lettres, La Pléiade, p. 1204). Il se méfie des passions incontrôlables car « on peut dire que la volonté est corrompue par l’effet des passions. » (Entretien avec Burman, La Pléiade, p. 1373)

 

Descartes et la vérité

Il a toujours été honnête avec lui-même et a refusé de se fier aux traditions, aux apparences. Il met toute chose en doute c’est pourquoi il y a souvent deux lectures de sa pensée : « Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences. » (Méditations, La Pléiade, p. 267) Il est persuadé de posséder la vérité comme en témoigne par exemple, le titre de son livre « Méditations touchant la première philosophie dans lesquelles l’existence de Dieu et la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme sont démontrées ». (Méditations, La Pléiade, p. 267)

Il a voulu par la logique, parvenir à la vérité : « Et j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie. » (Discours de la méthode, La Pléiade, p. 131) Malgré son bon vouloir, cette recherche est ambivalente lorsqu’il nous dit qu’il veut : « obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès, (…). » (id., p. 141) Il prend la décision à la fois d’obéir aux lois de son pays, de garder des opinions modérées en toute chose et de rechercher la vérité. Il veut prouver l’existence de Dieu et de l’âme mais fait attention à ne pas être condamné. Il continue de défendre ses idées, expliquer ses très nombreuses prises de position. Sa pensée est ambiguë mais il parle avec humilité, amabilité, courtoisie et fermeté, choisissant la sagesse, persuadé de détenir la vérité.

 

Descartes et la raison

Il a foi en l’homme et la raison : « le vrai usage de notre raison pour la conduite de la vie ne consiste qu’à examiner et considérer sans passion la valeur de toutes les perfections, tant du corps que de l’esprit, qui peuvent être acquises par notre conduite, (…) » pour choisir « toujours les meilleures. » (Lettres, La Pléiade, p. 1204)

Par son intuition, son travail, ses recherches et son raisonnement, il a créé l’esprit cartésien, voulant tout vérifier par lui-même : « Je pense donc je suis » mais il oublie que la raison humaine n’est pas infaillible.

 

Conclusion

Expérimentateur génial, mathématicien, géomètre, physicien, philosophe, Descartes a cherché toute sa vie, la raison même lorsqu’il fait preuve de déraison, partant pour un pays froid et lointain alors qu’il vieillit. Il reste le plus grand penseur français, un chercheur d’exception et le fondateur de la philosophie moderne. Nous pouvons suivre sa démarche de déduction en nous basant sur l’art de penser par nous-mêmes. En ce sens, Descartes a sublimé la raison vers une plus grande sagesse de l’homme et nous lui donnons raison.

 

Janvier à juin 2011

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

Bibliographie :

 

Écrits de Descartes utilisés :

- René Descartes, Œuvres, lettres (Règles pour la direction de l’esprit, Discours de la méthode, Dioptrique, Météores, Géométrie, Méditations, Les Principes de la philosophie, Les passions de l’âme, Traité de l’homme, La recherche de la vérité par la lumière naturelle, Lettres choisies, Entretien avec Burman, La mort de monsieur Descartes) préfacé par André Bridoux, La Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 2008, 1423 pages

- René Descartes, Discours de la méthode pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique et les météores, Chez Théodore Girard, Paris, 1668, 410 pages

- René Descartes, Traité de la mécanique plus l’Abrégé de la musique, Chez Charles Angot, Paris, 1668, 128 pages

 

Documents concernant Descartes :

- Émile Aron, Descartes et la médecine, Éditions CLD, Chambray-lès-Tours, 1996, 157 pages

- Pierre Amalric, L’optique oculaire de Léonard de Vinci à Descartes, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, tome 4, 1991, pages 33 à 40

- Émile Aron, Le crâne de Descartes, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, tome 9, 1996, pages 15 à 23

- Jean Lafond, Descartes et l’esprit de la Renaissance, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, tome 3, 1990, pages 9 à 18

- Jacques Quéron, Philosophes en Touraine, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, tome 6, 1993, pages 7 à 17

 

- Bulletins des Amis du Musée Descartes n° 1 (1985), n° 2 (1986), n° 3 (1987), n° 4 (1988), n° 5 (1989), n° 6 (1990), n° 7 (1991) et n° 8 (1992), en particulier :

. Vingt-cinq ans d’histoire – Création et organisation du musée Descartes, Bulletin n° 1, pages 8 à 12

. Choe Myung Kwan, Voie Cartésienne de Corée – Idée de Dieu chez Descartes et générosité cartésienne, n° 2, p. 10

. Pierre Joulia, Les années de jeunesse de Descartes, Bulletin n°2, pages 4 à 6

. Pierre Joulia, Descartes et la sagesse mésooccidentale, Bulletin n° 3, pages 9 à 21

. Michel Laurencin, Descartes à La Flèche et le collège de La Flèche au temps de Descartes, Bulletin n° 4, pages 9 à 20

. Jean-Claude Margolin, Érasme et Descartes : affectus et passions de l’âme, Bulletin n° 6, pages 12 à 21

. Jean-Henri Roy, Sur les pas de Descartes aux Pays-Bas, Bulletin n° 4, pages 25 à 29