10èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 22 août 2008, de 17 h 30 à 19 h
François Villon,
(1431 – 1463 ou 1480 ou 1489 ?)
poète de l’émotion |
Lire la présentation de cette « rencontre ».
François Villon peut être considéré comme un poète éprouvant intensément les émotions dans le sens où il a toujours frôlé la mort, la pauvreté, la malchance de par ses origines et de par sa conduite.
Il n’a qu’un lien lointain avec la Touraine mais ses rapports avec Charles d’Orléans l’en rapprochent ; il a vécu un moment de paix, à la cour de Charles VII, à Blois ; il y a composé la « Ballade des contradictions », « Je meurs de soif aupres de la fontaine », lors du concours de Blois organisé par Charles d’Orléans ; c’est une sorte de jeu d’esprit mais qui montre bien la proximité de ces deux poètes :
« Ballade Villon
Je meurs de soif auprès de la fontaine,
Chauld comme feu, et tremble dent à dent,
En mon païs, suis en terre loingtaine;
Lez un brazier frissonne tout ardent,
Nu comme ung ver, vestu en president;
Je ris en pleurs, et attens sans espoir;
Confort reprens en triste desespoir;
Je m’esjouys et n’ay plaisir aucun;
Puissant je suis, sans force et sans povoir,
Bien recueilly, debouté de chascun.
Rien ne m’est seur que la chose incertaine;
Obscur, fors ce qui est tout evident;
Doubte ne fais, fors en chose certaine;
Science tiens à soudain accident;
Je gaigne tout, et demeure perdant;
Au point du jour, diz: «Dieu vous doint bon soir!»
Gisant envers, j’ay grant paour de cheoir;
J’ay bien de quoy, et si n’en ay pas un;
Eschoicte attens, et d’homme ne suis hoir,
Bien recueilly, debouté de chascun.
De riens n’ay soing, si metz toute ma paine
D’acquerir biens, et n’y suis pretendant;
Qui mieulx me dit, c’est cil qui plus m’attaine,
Et qui plus vray, lors plus me va bourdant;
Mon amy est, qui me fait entendant
D’ung cygne blanc que c’est ung corbeau noir;
Et qui me nuyst, croy qu’il m’aide à povoir.
Verité, bourde, aujourd’uy m’est tout un.
Je retiens tout; riens ne sçay concepvoir,
Bien recueilly, debouté de chascun.
ENVOI.
Prince clement, or vous plaise sçavoir
Que j’entens moult, et n’ay sens ne sçavoir;
Parcial suis, à toutes lois commun.
Que fais-je plus? Quoy? Les gaiges ravoir,
Bien recueilly, debouté de chascun. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 200 à 202)
Le biographe Auguste Longnon (professeur à la Sorbonne et membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui publia une étude biographique sur Villon) nous relate qu’ « Il fut emprisonné à Rouen, à Tours et à Bordeaux. » (Auguste Longnon, Étude biographique sur François Villon, page 72) mais nous n’avons aucun autre détail sur son passage dans les prisons de Tours. François Villon qui a bien connu les prisons, a aussi été incarcéré à Meung-sur-Loire en 1461 et a été libéré par la grâce de Louis XI. (Auguste Longnon, Étude biographique sur François Villon, page 79)
Villon a beaucoup voyagé en Orléanais, en Anjou, dans le Poitou, le long de la Loire en Berry, en Bourbonnais ; nous le savons car il en parle spontanément dans ses poèmes, en particulier dans le Grand Testament. Il a rendu visite au duc d’Orléans qui sans doute habitait alors un de ses châteaux des bords de Loire. Tous ces petits détails le rapprochent de la Touraine. (Auguste Longnon, Étude biographique sur François Villon, pages 82, 83 et 84)
Sa biographie :
François Villon est né à Paris en 1430 ou 1431. D’après l’état civil, il se nommait François de Montcorbier. (Auguste Longnon, Étude biographique sur François Villon, page 13) Ses parents étaient pauvres comme il nous le dit spontanément :
« XXXV.
Povre je suys, dés ma jeunesse,
De povre et de petite extrace.
Mon pere n’euct oncq grant richesse,
Ne son ayeul, nommé Erace.
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 74 et 75)
Il garda toute sa vie, beaucoup d’amour et de respect pour son père et sa mère, comme il l’écrit dans ses poèmes :
« XXXVIII.
Si ne suis, bien le considere,
Filz d’ange, portant dyademe
D’estoille ne d’autre sydère.
Mon père est mort, Dieu en ayt l’ame!
Quant est du corps, il gyst soubz lame...
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 76)
Son père est mort très tôt. Sa mère illettrée a vécu longtemps puisqu’elle était paroissienne d’une église quand Villon a écrit le Grand Testament, à plus de trente ans. (Auguste Longnon, Étude biographique sur François Villon, page 31). Il a célébré sa mère comme dans « BALLADE QUE VILLON FEIT A LA REQUESTE DE SA MÈRE, POUR PRIER NOSTRE-DAME », en se mettant à sa place :
« (…)
Femme je suis povrette et ancienne,
Qui riens ne sçay, oncques lettre ne leuz;
Au monstier voy dont suis parroissienne,
Paradis painct, où sont harpes et luz,
Et ung enfer où damnez sont boulluz:
L’ung me faict paour, l’autre joye et liesse.
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 76)
François Villon a été élevé par Maître Guillaume de Villon, personne d’importance : « prestre, exécuteur testamentaire », (Marcel Schwob, Villon François, page 114), chapelain de l’église collégiale de Saint-Benoît le Bétourné, à qui il doit son nom :
« LXXVII.
Item, et à mon plus que père
Maistre Guillaume de Villon,
Qui m’a esté plus doulx que mère
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 109)
Il réussit son baccalauréat en 1450 (ou en 1449 selon Marcel Schwob, page 38) et obtient une maîtrise ès arts en 1452 à l’Université de Paris. (Jules de Marthold, Le Jargon de François Villon, page 26) Mais on ne sait pas si « Le Legs » qu’il s’attribue, n’est pas une plaisanterie de Villon. Parallèlement il mène une vie de bohême ; il connaît l’amour mais nous propose divers noms dans ses poèmes : Denise, Roze, Katherine de Vauzelles. Il fréquente les tripots, les maisons closes ce qui lui attire bien des ennuis ; sa « Ballade de la Grosse Margot » nous montre bien la vie de ce poète alors. D’après ses écrits, il semblerait que Villon ait beaucoup dépensé pour les femmes sans en avoir les avantages ; il eut beaucoup de désillusion et même des avanies par vengeance, accusation, passage en justice, condamnation par exemple à être battu au fouet. Avec l’âge, il regrette son mode de vie mais garde rancune envers sa cruelle maîtresse. (Œuvres complètes de Villon par Pierre Jannet, pages VIII et IX)
En 1455, il commence sa vie errante. Le 5 juin 1455, il tue un prêtre au cours d’une rixe et doit fuir Paris. Entre juin 1455 et janvier 1456, Villon est en relation avec la compagnie de La Coquille, bande de malfaiteurs à langage codé. (Marcel Schwob, Villon François, page 17). En janvier 1456, une lettre du roi lui épargne les rigueurs de la justice. Ce serait à partir de cette époque, qu’il aurait commencé à écrire « Le Jargon ou Jobelin de Maistre François Villon » bien que ce livre ne soit retrouvé édité qu’en 1489. Le fait que Villon en soit l’auteur est contesté par certains.
En 1456, François Villon se rend à Angers. Il est possible qu’il ait rencontré le roi René qui versifiait et s’y trouvait alors (A. Lecoy de la Marche, Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, page 179). Il compose dans cette période « Le Lais François Villon » dit « Le Petit Testament » (Le Legs).
Peu après (en décembre 1456), (Marcel Schwob, Villon François, page 57), il participe à un cambriolage au Collège de Navarre, à Paris. En 1457, il est dans les prisons du Châtelet ; après avoir subi la question de l’eau, il est condamné à mort, certainement pour avoir trempé dans une affaire de crimes avec d’autres compères mais il est impossible de savoir jusqu’où va sa culpabilité. Il obtient le soutien du roi et poète Charles VII, en louant en vers, sa fille Marie d’Orléans juste née, dans « Le Dit de la naissance de Marie » (situé page 195 dans Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, mais avec une erreur dans le titre). Sa peine se transforme alors en un bannissement de Paris.
De 1457 à 1461, Villon erre dans l’Ouest de la France, à Angers chez un parent, à Moulins à la cour de Jean II de Bourbon, puis à la cour de Charles d’Orléans. Il a séjourné dans la vallée de la Loire du côté de Sancerre. C’est donc vers fin décembre 1457 que François Villon est à la cour du prince-poète, Charles d’Orléans. François Villon a participé au manuscrit de Charles d’Orléans avec plusieurs poèmes. Villon qui était frondeur, est impliqué dans une prise de position délicate. Charles d’Orléans le réprimande. Villon quitte alors la cour de Blois (avant 1458).
Il eut un autre protecteur, le duc de Bourbon jusqu’à la mort de celui-ci en 1465. François Villon ayant dépensé tout son argent, en demande à Monseigneur de Bourbon qui lui prêta six écus. Cette pratique était courante chez les poètes de cette époque : Marot qui escomptait ses Espitres sur la bourse de François Ier, Charles d’Orléans qui lui aussi demanda qu’on paie sa rançon.
On retrouve les traces de Villon en 1461 dans la prison ecclésiastique de l’évêque d’Orléans (Thibaut d’Aussigny) à Meung-sur-Loire. Villon avait l’art de dire des plaisanteries à la limite du sacrilège, qui pouvaient le faire condamner, de même il avait des aventures galantes avec des dames douteuses ou mariées ; il fréquentait des compères prêts à tuer et à se décharger d’une partie de leurs crimes sur lui au besoin, si bien qu’il pouvait être condamné facilement, sans que nous sachions jusqu’où va sa responsabilité. Par exemple, il est amoureux de Katherine de Vauselles, femme mariée et sans scrupules ; il en parle dans ses poèmes et elle s’est moquée bel et bien de lui à ses dépens. C’est ainsi que Villon languit en prison un certain temps, plongé dans un cul de basse-fosse, nourri au pain et à l’eau. Ce traitement ne devait pas l’aider à être en bonne santé ni à vivre vieux.
Heureusement Louis XI, proche de son peuple, venait de succéder à Charles VII en 1461 ; il s’intéressa à Villon et le fit délivrer comme de nombreux prisonniers, lors d’une mesure de clémence. Villon chanta les louanges de son roi et composa à cette période, son œuvre principale, le « Grand Testament ».
En 1462, il est à nouveau emprisonné au Châtelet, accusé d’un vol. Il est aussi accusé d’avoir trempé dans une affaire criminelle et est condamné à la pendaison. C’est alors qu’il a écrit sa Ballade des Pendus (« L’épitaphe en forme de ballade que feit Villon pour luy et ses compagnons, s’attendant estre pendu avec eulx », située page 189 dans les Œuvres de François Villon par Paul Lacroix) et la Ballade de l’Appel (« Ballade de l’appel de Villon », située page 192 dans les Œuvres de François Villon par Paul Lacroix). Cet appel est entendu, il est acquitté mais il doit quitter Paris pendant dix ans. On perd sa trace après cette date.
Quand est-il mort ? Certains auteurs le font vivre longtemps jusqu’en 1480 ou 1489 mais d’autres pensent qu’il est mort vers 1463. Ce qui est sûr, c’est que Villon a regretté ses erreurs de jeunesse, aimé son pays comme il nous le confie dans ses écrits. Il était miné par la maladie, vieilli par les souffrances, alors il m’est personnellement difficile de croire qu’il a pu vivre jusqu’à un âge avancé.
D’autres auteurs le font voyager à travers toute la France, à Bruxelles et même, en Angleterre mais où est la réalité ? Pour ma part, je me fie à ses écrits dans lesquels il parle d’un voyage à Angers et du pays poitevin ; la « Ballade Villon » et la « Double Ballade » prouvent qu’il a séjourné quelque temps à Blois, à la cour de Charles d’Orléans. Pour le reste, l’imagination a pris beaucoup de place et rien n’est sûr.
Sa biographie est empreinte d’une légende qui lui construit une image qui n’est pas forcément celle de la réalité : par exemple, il aurait été un grand « farceur », le directeur d’une troupe de théâtre et faiseur de bons tours selon Rabelais, voleur et fripon selon Étienne Fasquier, mais aussi le meilleur poète parisien qui se « trouve » selon Clément Marot. (La poésie médiévale, page 260)
Villon a connu un succès immédiat qui a duré après sa mort. Il a été régulièrement réédité. De 1489 à 1532, seize éditions se succèdent. En 1532, Clément Marot présente ses œuvres. Rabelais, Anatole de Montaiglon, puis les Romantiques avec Théophile Gauthier dans ses « Grotesques », ont pris le relais pour célébrer ce poète. Baudelaire et Verlaine ont eu un véritable culte pour lui.
Villon reste moderne spontanément car il parle directement au cœur. Les chanteurs contemporains n’ont pas oublié Villon et ses ballades ont inspiré un certaine nombre d’entre eux, par exemple Félix Leclerc a chanté « Le Testament » (dans L’Héritage, en 1968), Brassens la « Ballade des dames du temps jadis » et Serge Reggiani « La ballade des pendus » ; Léo Ferré a réalisé une relecture mémorable du poème de Villon, « Frères humains » (en 1980).
Un timbre de la poste française représentant Villon est paru en 1946.
Des écrivains du monde entier se sont intéressés à Villon. Récemment l’américaine Nancy Freeman Regalado, a publié un article sur « La fonction poétique des noms propres dans le testament de François Villon », qui a été publié dans le cahier n°2 de l’Association des Études françaises. (http://www.oboulo.com/fonction+poetique+noms+propres+testament+ francois+villon+nancy+freeman+regalado) Un allemand, Gert Pinkernell, Professeur d’histoire littéraire à l’université de Wuppertal, a consacré un article à sa vie et son œuvre sur son site. Il rapproche ses écrits de son vécu et de son époque faisant un lien avec l’histoire de son temps. Il loue aussi la précision, la vivacité et l’expressivité de Villon. (http://www.pinkernell.de/villon/)
Son portrait :
Dans « Le petit testament », François Villon se présente lui-même :
« I
Mil quatre cens cinquante et six,
Je, François Villon, escollier,
Considérant, de sens rassis,
Le frain aux dents, franc au collier,
Qu’on doit ses œuvres conseiller,
Comme Vegèce le racompte,
Saige Romain, grand conseiller,
Ou autrement on se mescompte.
VIII
Et puisque departir me fault,
Et du retour ne suis certain:
Je ne suis homme sans deffault,
Ne qu’autre d’assier ne d’estain.
Vivre aux humains est incertain,
Et après mort n’y a relaiz.
Je m’en voys en pays loingtain:
Si establiz ce present Laiz. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 40, 41 et 43)
L’écrivain actuel, Pierre Michel, qui a préfacé l’édition en Livre de poche des poésies complètes de Villon, s’étonne de la diversité de cet écrivain qui peut être « étudiant, farceur, truand, meurtrier à l’occasion, polémiste et contestataire politique, (…) véritable Arlequin modelé par le metteur en scène. » (Villon, Poésies complètes par Pierre Michel, page XI)
Si l’on écoute Villon, il nous dit ses regrets d’avoir vécu avec insouciance en sa folle jeunesse. Il est vrai que Villon a courtisé de nombreuses femmes ce qui l’a mis dans des situations délicates. :
« XXVI.
Ho Dieu! se j’eusse estudié,
Au temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes meurs dedié,
J’eusse maison et couche molle!
Mais quoy? je fuyoye l’Escolle,
Comme faict le mauvays enfant...
En escrivant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fend. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 71)
Sa « Ballade de merci » nous montre bien le style de vie de sa jeunesse et ses centres d’intérêt. Elle pétille de spontanéité.
« BALLADE
Pour laquelle Villon crye mercy à chascun.
A Chartreux et à Celestins,
A Mendians et à devotes,
A musars et cliquepatins,
A servans et filles mignottes,
Portants surcotz et justes cottes ;
A cuyderaulx d’amours transis,
Chaussant sans meshaing fauves bottes:
Je crye à toutes gens merciz!
A filles montrans leurs tetins
Pour avoir plus largement hostes,
A ribleux, meneurs de hutins,
A basteleurs traynant marmottes,
A folzs et folles, à sotz et sottes,
Qui s’en vont sifflant cinq et six ;
A veufves et à mariottes:
Je crye à toutes gens merciz!
Sinon aux traîtres chiens mastins,
Qui m’ont fait manger dures crostes
Et boire eau maintz soirs et matins,
Qu’ores je ne crains pas trois crottes.
Pour eulx je feisse petz et rottes;
Je ne puis, car je suis assis.
Au fort, pour eviter riottes,
Je crye à toutes gens merciz!
ENVOI
Qu’on leur froissoit les quinze costes
De gros maillets, fortz et massis,
De plombée et de telz pelottes,
Je crye à toutes gens merciz! »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 176 et 177)
Son œuvre :
François Villon est l’auteur principalement de deux dits. Le premier composé en 1456 est intitulé « Le Lais François Villon dit Le Petit Testament » (Le Legs), il comprend quarante huitains d’octosyllabes. Il est surtout destiné à ses compagnons de débauche, pour se moquer des autorités, de la police, des ecclésiastiques, des bourgeois, des usuriers… Il écrit ensuite des ballades et poésies diverses, et enfin son œuvre principale en 1461 « Le Grand Testament » composé de ballades, d’épîtres où il parodie la justice, crie son angoisse de la mort, de la fuite du temps, sans perdre son côté paillard ou ironique. D’autres œuvres sont attribuées à Villon sans qu’on en soit sûr, en particulier les ballades écrites dans l’argot de la « Coquille », association de malfaiteurs et nom d’une confrérie de joueurs de farces, société criminelle, bande qu’il a côtoyée.
Il fut considéré comme un bon poète versificateur à l’époque classique. Il a porté la Ballade à sa perfection et a accordé une importance considérable à lui-même, ce qui était rare au Moyen Âge. « La langue de Villon est encore la vieille et bonne langue française, riche et simple, claire, naturelle, à l’allure vive et franche. C’est encore la langue des fabliaux, assouplie, mais presque entièrement préservée de l’invasion des mots pédantesques forgés dans la seconde moitié du XVe siècle », nous dit Pierre Jannet (Œuvres complètes de Villon par Pierre Jannet, page XXIII). Villon était sévère pour la rime et s’il nous paraît à la sonorité qu’il y ait des erreurs, il faut revoir notre jugement au vu que l’accent parisien n’était pas le même et correspondait à ce que Villon écrit pour les rimes. Par exemple, s’il fait rimer « prophètes » avec « fesses », c’est encore une affaire de prononciation parisienne. (Œuvres complètes de Villon par Pierre Jannet, page XXIV)
Son livre intitulé « Le Jargon ou Jobelin de Maistre François Villon », est un recueil de mots savoureux dont se servaient les truccheurs et les couppeurs de bourses de son temps, dans un langage codé, intelligible seulement aux vauriens, comme il le dit en introduction :
« (…)
Brouez-moy sur ces gours passans,
Advisez-moy bien tous le blanc,
Et pictonnez au large sur les champs:
Qu’au mariage ne soyez sur le banc,
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 214)
Jules de Marthold a écrit un livre intitulé « Le Jargon de François Villon, Argot du XVe siècle ». En effet, après la guerre de cent ans (1328 – 1452), la France est pauvre, fragilisée par les famines, le brigandage et la misère, et la langue française doit se reconstruire. Elle est disloquée, déformée par les patois et les conquérants. Dans « Le Jargon », Villon a écrit dans une langue presque étrangère par rapport au Français, la langue de la pègre et des truands.
Ainsi Villon réussit à créer une œuvre personnelle et intime, oscillant entre le français parlé par le peuple et ce jargon. Il est le créateur de l’esprit de France, à la fois revendicatif, aimant contourner les interdits et en même temps, demandant que justice soit faite pour les gens fourbes, bien installés, qui sont aussi souvent des hors-la-loi respectés et bien pensants. (Jules de Marthold, Le Jargon de François Villon, pages 17, 26 et 41)
D’autres auteurs comme Auguste Vitu, se sont intéressés en particulier au « Jargon ». (Le livre d’Auguste Vitu, « Dictionnaire analytique du Jargon » a été couronné par l’Académie française en 1889). On y trouve une mine de renseignements sur la vie et le parler des truands de l’époque. En voici un exemple savoureux en langage codé. Si nous ne connaissons pas ce jargon, il nous est impossible de comprendre que Villon s’adresse aux trompeurs appelés « joncheurs », qui doivent regarder où ils trompent sinon la corde du gibet peut être fixée, là où sont leurs aînés. Ils leur conseillent de se sauver :
« BALLADE V.
Joncheurs, jonchans en joncherie,
Rebignez bien où joncherez,
Qu’Ostac n’embroue vostre arrerie,
Où acollez sont vos aisnez.
Poussez de la quille et brouez,
Car tost seriez roupieux.
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 214)
Villon a de nombreuses facettes. Redécouvert au XIXe siècle, il fut considéré par les romantiques comme le précurseur des poètes maudits. Ce qui est sûr, c’est qu’il écrit des poèmes profonds et émouvants.
La simplicité, la sincérité et l’humilité caractérisent son œuvre et c’est certainement l’une des raisons pour lesquelles il nous émeut, par exemple lorsqu’il nous parle de sa famille :
« XXXV.
(…)
Povreté tous nous suyt et trace.
Sur les tumbeaulx de mes ancestres,
Les ames desquelz Dieu embrasse,
On n’y voyt couronnes ne
sceptres. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 75)
« XXIII.
(…)
Qui n’ay cens, rente, ne avoir :
Des miens le moindre, je dy voir,
De me desadvouer s’avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faulte d’ung peu de chevance. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 70)
Son parler populaire lui fait utiliser des formules savoureuses comme « Il n’est bon bec que de Paris. » Le bec signifie le nez et la figure assimilés à un bec d’oiseau et on peut y associer parallèlement l’image de « clore le bec à quelqu’un », « se prendre de bec »... ce qui donne un côté attachant et spontané à cette formulation de Villon. Cette expression est le refrain de la « Ballade des femmes de Paris » que voici mise en musique par Richard Oullié :
« BALLADE DES FEMMES DE PARIS
Quoy qu’on tient belles langagieres
Florentines, Veniciennes,
Assez pour estre messaigieres,
Et mesmement les anciennes;
Mais, soient Lombardes, Rommaines,
Genevoyses, à mes perilz,
Piemontoises, Savoysiennes,
Il n’est bon bec que de Paris.
De beau parler tiennent chayeres,
Ce dit-on, les Neapolitaines,
Et que sont bonnes caquetieres
Allemandes et Prussiennes;
Soient Grecques, Egyptiennes,
De Hongrie ou d’autres pays,
Espaignolles ou Castellennes,
Il n’est bon bec que de Paris.
Brettes, Suysses, n’y sçavent gueres,
Ne Gasconnes et Thoulouzaines;
Du Petit-Pont deux harengeres
Les concluront, et les Lorraines,
Angloises ou Calaisiennes
(Ay-je beaucoup de lieux compris?),
Picardes, de Valenciennes…
Il n’est bon bec que de Paris.
ENVOI
Prince, aux dames Parisiennes,
De bien parler donnez le prix.
Quoy qu’on die d’Italiennes,
Il n’est bon bec que de Paris. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 151 et 152)
La pauvreté, l’amertume reviennent dans ses œuvres comme un leitmotiv ; elle lui colle à la peau. François Villon se présente tel qu’il est avec ses défauts et sa franchise. De même il nous parle spontanément de son amour malchanceux :
« (…)
De moy, povre, je vueil parler :
J’en fuz batu, comme à ru telles,
Tout nud, ja ne le quiers celer.
Qui me feit mascher ces groiselles,
Fors Katherine de Vauselles?
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 99 et 100)
Dans « Le petit testament », François Villon aborde l’amour, à sa manière, au fil des saisons et la froidure de l’hiver, les loups lui rappellent que la mort est proche puisque l’on peut mourir d’amour aussi bien que de pendaison. Il utilise un langage direct contrairement à l’amour courtois et il sait nous émouvoir sur son sort.
« II.
En ce temps que j’ay dit devant,
Sur le Noël, morte saison,
Lorsque les loups vivent de vent,
Et qu’on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison,
Me vint le vouloir de briser
La tres-amoureuse prison
Qui souloit mon cueur desbriser.
V.
Le regard de Celle m’a prins,
Qui m’a esté felonne et dure:
Sans ce qu’en riens aye mesprins,
Veult et ordonne que j’endure
La mort, et que plus je ne dure:
Si n’y voy secours, que fuir.
Rompre veult la vive souldure,
Sans mes piteux regrets ouir! »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 42 et 43)
Poète de la nature, Villon l’est aussi à part entière et les saisons font le lien entre le temps qui s’écoule et la beauté de la nature, l’amour et la mort.
« BALLADE
DES DAMES DU TEMPS JADIS.
Dictes-moy où, n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine ?
Archipiade, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ?
(…)
Mais où sont les neiges d’antan!
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 78)
« Mais où sont les neiges d’antan! » est un refrain qui rappelle la fuite inexorable du temps, comme celle de la beauté, de la grandeur, du pouvoir, de la gloire. Villon aime se servir des saisons et plus particulièrement de l’hiver pour nous faire réfléchir à notre fragilité et à notre devenir. Tout fond comme neige au soleil. Par cela, il se rapproche de Ronsard qui nous dit à travers les roses :
« Quand vous serez bien vieille, au soir, à la
chandelle,
Assise auprès du feu, devisant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant:
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.
(…)
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »
(Pierre de Ronsard, Les Amours, Sonnets pour Hélène, IX, page 113)
Tous deux pensent qu’ils ne sont pas éternels et que tout retourne à la terre. Mais à l’inverse de Ronsard, Villon regrette le temps passé et les fautes de sa jeunesse :
« XXII.
Je plains le temps de ma jeunesse,
Ouquel j’ay plus qu’autre gallé,
Jusque à l’entrée de vieillesse,
Qui son partement m’a celé:
Il ne s’en est à pied allé,
N’a cheval, helas! Comment donc?
Soudainement s’en est vollé,
Et ne m’a laissé quelque don. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 70)
Dans la « Ballade des dames du temps jadis », Villon unit les personnages du passé et ceux du présent. Par exemple, il nous parle des amours contrariées d’Héloïse et d’Abélard au XIIème siècle, qui symbolisent la passion fidèle et malheureuse, l’amour du philosophe Buridan, amant de la reine jeté dans la Seine puis finalement sauvé, Berthe au grand pied qui serait la mère de Charlemagne et qui aurait eu un pied plus grand que l’autre, Jeanne d’Arc brûlée l’année de la naissance de Villon.
Le thème des condamnés revient lancinant comme :
« (…)
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu’Anglois bruslerent à Rouen:
(…) »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 80)
Lui aussi, se sent condamné à l’errance, aux amours malheureux, au mal de vivre, à la mort.
Ce poète a gardé son attachement patriotique et son positionnement envers Jeanne d’Arc, à une époque où les avis étaient partagés. Il a aussi loué Marie, fille de Charles VII, à sa naissance puis à la mort de Charles VII, il a écrit des vers pour le nouveau roi Louis XI. Il a aussi remercié Louis XI de l’avoir fait sortir de prison :
« XI.
Escript l’ay l’an soixante et ung,
Que le bon roy me délivra
De la dure prison de Mehun,
Et que vie me recouvra :
Dont suis, tant que mon cueur vivra,
Tenu vers luy me humilier,
Ce que feray jusqu’il mourra:
Bienfaict ne se doit oublier. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 65 et 66)
Sa ferveur religieuse ne fait pas de doute dans son livre « Le Grand Testament » où l’on trouve des ballades à Dieu, à Notre Dame, à la Vierge :
« VII.
Je prie au benoist Filz de Dieu,
Qu’à tous mes besoings je reclame,
Que ma bonne prière ayt lieu
Verz luy, de qui tiens corps et ame,
Qui m’a préservé de maint blasme
Et franchy de vile puissance.
Loué soit-il, et Nostre-Dame,
Et Loys, le bon roy de France! »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 64)
D’ailleurs son esprit de repentance est bien de la même veine chrétienne ainsi que son désir de demander pardon de ses erreurs de jeunesse.
Son mal d’être se retrouve dans sa célèbre « Ballade des pendus », qui lui a évité la pendaison. Villon très proche du peuple, spontanément concret, trouve les mots justes. Cette ballade est précédée d’un quatrain. Ces deux poèmes auraient été écrits dans la prison du Châtelet.
« LE QUATRAIN
Que feit Villon quand il fut jugé à mourir. »
Je suis François, dont ce me poise,
Né de Paris emprès Ponthoise.
Or d’une corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 187)
François Villon peut être considéré historien en même temps que poète, car il a décrit la vie et les gens de son époque d’une manière détaillée. Il nous permet d’accéder à la vie de tous les jours des familles et à la topographie de Paris d’alors, comme par le biais d’un journal en poésie.
De nombreux hommes sont cités, de gros financiers, des employés du trésor, des receveurs et généraux de finance, des banquiers, des changeurs, des spéculateurs, des hommes dont il a eu à faire en prison :
- Jacques Cœur, considéré comme l’homme le plus riche de son temps, argentier du roi Charles VII puis prisonnier du roi, évadé et réfugié à Rome (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 75) ;
- Genevoys, le Procureur du chapitre de Notre-Dame au Châtelet (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 140) ;
- Pierre Basanier (Basannier ou Basanyer), notaire, dont il se moque en le gratifiant d’un panier d’épices, et en le nommant « greffier criminel » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 51 et 141) ;
- Jehan Mautaint, notaire du roi au Châtelet (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 141) ;
- Jean de Calais, notaire au Châtelet et poète qualifié d’ « honnorable homme » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 169) ;
- Jehan de Pontlieu, docteur de l’Université de Paris, prédicateur réputé, adversaire des moines mendiants ; Villon se moque de lui car il fut condamné en 1321 par le pape Jean XXII à faire amende honorable et dut se rétracter dans ses ouvrages. Cet exemple montre le conflit entre le clergé régulier et le clergé séculier. (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 129)
Ses rapports avec les ecclésiastiques étaient délicats car il aimait utiliser une langue acerbe et directe, ce qui le conduisit à passer en justice et à être emprisonné :
- il nous parle des « Contredictz Franc-Gontier » écrits par Philippe de Vitré, mort évêque de Meaux en 1351, poète et musicien. Villon en profite pour railler la vie oisive et confortable du chanoine (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 148) ;
- il se moque de Jehan Laurens (promoteur de la cour de l’archidiacre, promoteur de l’officialité), chapelain de la cathédrale et juge, qu’il décrit ainsi :
« CXIV.
Item, à maistre Jehan Laurens,
Qui a les povres yeulx si rouges,
Par le peché de ses parens,
Qui beurent en barilz et courges,
Je donne l’envers de mes bouges,
Pour chascun matin les torcher...
S’il fust archevesque de Bourges,
Du cendal eust, mais il est cher. »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 132)
- les « Célestins et les Chartreux », communautés fort riches où la règle s’était relâchée, sont aussi une des cibles préférées de Villon qui les accuse d’avoir des maîtresses (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 153 et 154).
Il s’intéresse aux hommes de son temps comme :
- les drapiers dont Jacques Cardon (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 48 et 167) ;
- Michault Culdou, riche bourgeois qui a vraiment existé (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 139) ;
- Noë le Jolys, acteur ou spectateur de la correction que Villon reçut par le mari trompé, celui de Katherine de Vauselles (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 157) ;
- Angelot Baugis, herboriste. À cette époque, le domaine des herbiers était limité par la faculté de médecine, à préparer emplâtres et clystères, à les administrer et à tenir du sucre dans leurs boutiques en plus des simples. (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 158, et Villon, Poésies complètes, Le livre de poche, page 186) ;
- Guillaume Tirel, dit Taillevent, chef de cuisine de Philippe VI, premier écuyer de cuisine de Charles VI, auteur du premier livre de cuisine, « Le Viandier » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 145).
D’autres hommes essayaient comme lui, de vaincre la pauvreté :
- Étienne Garnier, geôlier de la Conciergerie du palais, truand qu’il fréquente et qui sera emprisonné au Châtelet. Villon le met en scène dans la « Ballade de l’appel de Villon » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 192) ;
- Colin de Cayeulx, fils de serrurier et adroit crocheteur, bien qu’il ait fait ses études avec Villon, se servait plus de ses mains adroites que de ses études (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 159) ;
- les pipeurs de dés qui trichaient pour essayer de gagner de l’argent (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 161).
Villon s’est intéressé aux femmes de son temps :
- tout d’abord les prostituées auxquelles il a consacré la « Ballade de la belle heaulmiere aux filles de joie » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 93) ;
- des courtisanes aux noms évocateurs comme « Marion l’Ydolle » ou « la grant Jehanne de Bretaigne » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 157) ;
- une certaine Denise qui le fait comparaître en justice, et qu’il maudit dans un poème (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 133).
Parmi celles qu’il n’a pas courtisées, il y a :
- « Madamoyselle de Bruyeres », veuve en 1454 de Girard de Béthisy, notaire et secrétaire de Charles VI qu’il présente comme dévote, (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 150) ;
- l’abbesse de Pourras, de fort mauvaise réputation, emprisonnée pour son inconduite à l’abbaye de Pont-aux-Dames, qui défraya la chronique par sa vie scandaleuse (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 127).
Par ailleurs, Villon cite de nombreuses femmes respectueuses dans sa « Ballade des femmes de Paris » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 151).
François Villon a beaucoup parlé des lieux qu’il a bien connus comme le Châtelet, le Petit Pont qui reliait la rue Saint-Jacques et l’île de la Cité et était protégé sur la rive gauche par le Petit Châtelet, forteresse. De même il parle de la chapelle de l’Hôtel-Dieu et des cloches si connues des parisiens comme celles du Beffroy, la Marie et la Jacqueline. Villon nous aide à mieux imaginer les lieux parisiens de l’époque : les ponts Saint-Michel et de Notre-Dame, rue de la Juiverie devant le Palais, le Petit-Pont avec la robuste souricière des étudiants qui formait le Petit-Châtelet, le cloître de Saint-Benoît, les ruelles tortueuses de la montagne Sainte-Geneviève, le cimetière des Innocents, la Cité. Villon oppose à la rive gauche, la rive droite où demeuraient les riches, changeurs, trafiquants, gens du Châtelet, noblesse de finance, belles filles (Pierre Champion, La Cité au temps de François Villon, page 617 et 618) :
- « l’Hostel-Dieu » contenait 500 lits en 1462 et était proche de l’Hôtel-Dieu actuel (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 157) ;
- « Montmartre » où il y avait une abbaye de femmes aux mœurs dissolues et « le mont Valerien » où était située une vieille chapelle de Notre-Dame, lieu de pèlerinage (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 152) ;
- le « marché au filé » qui avait lieu aux Halles et où les fileuses et lingères y étaient réputées légères (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 150).
Ce poète utilise des expressions typiques de son époque et par ce biais, leur fait traverser les siècles jusqu’à nous, par exemple :
- « Un jeu de trois mailles », sachant qu’une maille correspond à la plus petite pièce de monnaie (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 159) ;
- « le chant Marionnette,/ faict pour Marion la Peau-Tarde », certainement une chanson grivoise pour une prostituée (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 167) ;
- un proverbe de cette époque : « A menues gens menue monnoye » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 158) ;
- « Ilz (…) ont bien de quoy » locution encore usitée, qui signifie être riche (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 174)…
Ses références en mythologie et théologie, nous montrent ses connaissances universitaires. Par exemple, il cite :
- les légendaires amours de Didon et d’Énée célébrées par Virgile : « Dido la royne de Carthage » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 159) ;
- « Orpheus, le doulx menestrier », c’est-à-dire Orphée, le légendaire héros de la mythologie grecque, poète et musicien, fils du roi de Thrace, descendu aux enfers pour en ramener sa femme Eurydice mais il manqua sa mission car il se retourna pour la voir (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 98) ;
- « Chien Cerberus » était le chien qui dans la même légende, gardait les enfers (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 98) ;
- « Sardana, le preux chevalier,/ Qui conquist le regne de Cretes, » est-ce Sardanapale, roi légendaire de Ninive en Assyrie, mais celui-ci ne conquit pas la Crète, ou est-ce que Villon a confondu avec Saturne ou Saladin ? (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 99) ;
- Echo, nymphe victime de la jalousie de Junon, a été chantée par Ovide (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 78) ;
- Pâris, fils de Priam, enleva Hélène, femme de Ménetas, ce qui déclencha la guerre de Troie, chantée dans l’Iliade (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 77) ;
- par rapport à l’ancien Testament de la Bible, il parle du roi Salomon (Livre des rois) : « Salmon en idolatrya », de Samson trahi par Dalila (Livre des Juges) : « Samson en perdit ses lunettes » puisqu’il eut les yeux crevés par les Philistins, ou de David qui s’éprit de Bethsabée en la voyant se mettre au bain : « David le roy, saige prophetes,/ Craincte de Dieu en oublya,/ Voyant laver cuisses bien faictes » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 98 et 99).
Tous ces derniers personnages cités se retrouvent dans la Double Ballade.
« DOUBLE BALLADE
SUR LE MESME PROPOS
Pour ce, aymez tant que vouldrez,
Suyvez assemblées et festes:
En fin ja mieulx vous n’en vauldrez,
Si n’y romprez, fors que vos testes.
Folles amours font les gens bestes:
Salomon en idolatrya,
Samson en perdit ses lunettes…
Bien heureux est qui rien n’y a!
Orpheus le doulx menestrier,
Jouant de fleutes et musettes,
En fut en dangier du meurtrier
Chien Cerberus à quatre testes,
Et Narcissus, beau filz honnestes,
En ung profond puys se noya,
Pour l’amour de ses amourettes…
Bien heureux est qui rien n’y a!
Sardana, le preux chevalier,
Qui conquist le regne de Cretes,
En voulut devenir moulier
Et filer entre pucellettes;
David le roy, saige prophetes,
Craincte de Dieu en oublya,
Voyant laver cuisses bien faictes…
Bien heureux est qui rien n’y a!
Ammon en voult deshonnorer,
Feignant de manger tartelettes,
Sa sœur Thamar et deflorer,
Qui fut inceste et deshonnestes;
Hérodes (pas ne sont sornettes)
Sainct Jean Baptiste en decolla,
Pour dances, saultz et chansonnettes…
Bien heureux est qui rien n’y a!
De moy, povre, je vueil parler:
J’en fuz batu comme à ru telles,
Tout nud, ja ne le quiers celer.
Qui me feit mascher ces groiselles,
Fors Katherine de Vauselles?
Noé le tiers ot, qui fut là,
Mitaines à ces nopces telles…
Bien heureux est qui rien n’y a!
Mais que ce jeune bachelier
Laissast ces jeunes bachelettes,
Non ! et le deust-on vif brusler,
Comme ung chevaucheur d’escovettes.
Plus doulces luy sont que civettes.
Mais toutesfoys fol s’y fia:
Soient blanches, soient brunettes,
Bien heureux est qui rien n’y a! »
(Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 98 à 100)
Voyons maintenant le rapport à l’alimentation de son époque :
- l’hypocras (ou vin d’Hippocrate) composé de vin, de sucre, de cannelle, de girofle, de gingembre, aphrodisiaque. Même si François Villon n’a pas mangé à sa faim, il a bu souvent plus qu’à sa soif et a aimé décrire les ébats amoureux qui peuvent suivre : « Boire ypocras, à jour et à nuyctée,/ Rire, jouer, mignoter et baiser, » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 149) ;
- le « mathon », lait caillé et la « potée », qui sont encore utilisés en Lorraine (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 149) ;
- les « tartes, flans et goyères », les gougères sont des entremets au gruyère (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 153) ;
- les « brouetz » qui signifient les potages (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 73) ;
- les « œufs fritz et pochez » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 73).
François Villon et les poètes qui (l’ont aimé) en ont parlé :
Clément Marot n’est pas resté indifférent devant la poésie de François Villon puisqu’il la publia en 1533. Dans le prologue, son avis peut nous étonner :
« Entre tous les bons livres imprimez de la langue françoise ne s’en veoit ung si incorrect ne si lourdement corrompu, que celluy de Villon, et m’esbahy (veu que c’est le meilleur poete parisien qui se trouve) (…) Tant y ay trouvé de broillerie en l’ordre des coupletz et des vers, en mesure, en langaige, en la ryme, et en la raison, que je ne scay duquel je doy plus avoir pitié, ou de l’œuvre ainsi oultrement gastée, ou de l’ignorance de ceulx qui l’imprimerent (…) » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, page 35)
Marot critique l’œuvre de François Villon et on peut se poser la question s’il n’y aurait pas premièrement une petite pointe de jalousie au cas où ce poète pourrait lui faire ombrage, et deuxièmement une peur de déplaire au roi devant ce poète qui frôle la potence. Clément Marot finit par trouver quelques qualités à ce poète :
« (…) sans avoir touché à l’antiquité de son parler, à sa façon de rimer, à ses meslées et longues parentheses, à la quantité de ses sillabes, ne à ses couppes, tant feminines que masculines : esquelles choses il n’a suffisamment observé les vrayes reigles de françoise poesie. » (Œuvres de François Villon par Paul Lacroix, pages 36 et 37).
Rabelais a parlé de Villon mais il est difficile de séparer la vérité de ses écrits de la fabulation, car l’imagination de Rabelais est débordante de détails sur la vie de Villon ; par exemple dans le Quart livre, le chapitre 13 est intitulé « Comment, suivant l’exemple de maître François Villon, le seigneur de Basché loue ses gens. » Il y dit par exemple que « Maistre François Villon, sus ses vieux jours, se retira à Saint-Maixent en Poictou, sous la faveur d’un homme de bien, abbé dudit lieu ». (François Rabelais, Le quart livre, chapitre 13, page 526) Mais il lui fait vivre aussi ses vieux jours en Angleterre chez le roi Édouard V, au chapitre 67, ce qui est invraisemblable. (François Rabelais, Le quart livre, chapitre 67, page 663)
François Villon a influencé l’écriture de Rabelais (né après sa mort) (vers 1490 - 1553) de par son côté satirique et goguenard et aussi parce qu’il s’engage dans ses poèmes, critiquant directement les gens de justice de la cour de France. Par exemple, on peut trouver des similitudes entre « Frères humains » de Villon et « Énigme en prophétie » de Rabelais :
« Pauvres humains qui le bonheur attendez,
Haut les cœurs ! Et mes paroles écoutez.
S’il est permis de croire fermement
Que, par les astres qui sont au firmament,
L’esprit humain puisse de lui-même parvenir
À prophétiser les choses à venir,
(…) Il surgira une race d’hommes
Qui, lassés du repos, dégoûtés de ne rien faire,
Iront franchement et en pleine lumière
Pousser les gens de toute condition
À s’affronter en rivales factions.
(François Rabelais, La vie très horrificque du Grand Gargantua, chapitre 58, page 151)
Bien sûr Rabelais écrit en intellectuel, même s’il reste spontané et direct comme Villon.
Anatole de Montaiglon (1824 - 1895), un rabelaisant distingué, a analysé le rôle de Villon dans la poésie française :
« François Ier lui fit l’honneur de faire faire une édition de ses poésies par Clément Marot (…). La Fontaine l’admire ; Voltaire l’imite ; les érudits littéraires du XVIIe et du XVIIIe siècle (…) parlent de lui (…). MM. Sainte-Beuve, (...) et d’autres encore, l’ont bien caractérisé. (…) M. Théophile Gautier
Anatole de Montaiglon rapproche l’art de Villon et celui de Rabelais : « Il faut aller jusqu’à Rabelais pour trouver un maître qu’on puisse lui comparer, et qui écrive le français avec la science et l’instinct, avec la pureté et la fantaisie, avec la grâce délicate et la rudesse souveraine que l’on admire dans Villon, et qu’il a seul parmi les gens de son temps... » (cité par Pierre Jannet, dans Œuvres complètes de Villon, page XVIII)
Théophile Gauthier apprécie Villon et nous transmet son enthousiasme : « [Villon] sait sa potence à fond, et le pendu dans tous ses aspects, profils et perspectives, lui est singulièrement familier. » (Théophile Gauthier, Les Grotesques, pages 7 et 8) « (…) Après la bouteille et la marmite, une des idées qui le préoccupaient le plus, c’est l’idée de la mort. Il ne tarit pas sur ce sujet, et ses réflexions sont toujours hautes et philosophiques, rendues avec une énergie et une précision surprenante. Quelque dure qu’elle ait été pour lui, il tient à la vie, et s’écrie avec Mécénas : Qu’importe, pourvu que je vive !... » (Théophile Gauthier, Les Grotesques, pages 17 et 18)
En lisant Villon, l’un des plus grands poètes hongrois, Attila József (1905-1937) a appris la poésie ancienne, « capable de se passer des grands mots, des grands sentiments même, pourvu qu’elle veille à s’abreuver aux sources franches de l’existence. » Il s’en est inspiré pour trouver son style à la fois contemporain et proche de Villon, donc toujours très émouvant (présentation de « Ni père ni mère » par Georges Kassai et Jean-Pierre Sicre, page 248 de Aimez-moi d’Attila József) :
« Cœur pur
Je n’ai ni père ni mère,
Rien que je rêve ou j’espère,
Je n’ai ni Dieu ni patrie,
Berceau, cercueil, tendre amie.
(…)
Mais qu’on m’arrête et me pende
Et qu’à la terre on me rende,
Maléfique et sûre, une herbe
Sourdra de mon cœur superbe. »
(Attila József, Aimez-moi, page 252)
Conclusion :
François Villon, poète du réalisme et de l’émotion, était innovateur et humain. Il a su émouvoir les grands, évitant ainsi la pendaison. Il a vécu au jour le jour et nous a décrit avec minutie, la vie des gens qu’il a côtoyés, en particulier le peuple ; il peut être appelé historien car il a fait parvenir jusqu’à nous, une mine de renseignements qui nous permettent de mieux comprendre la vie de son époque. Il nous passionne par son côté mi-bouffon, mi-sérieux, par l’expression de son remords si sincère, par son regret des fautes passées, par son aveu public en toute humilité. Oui, François Villon parvient au premier rang des poètes du XVe siècle et est vraiment « Poète de l’émotion ».
Catherine RÉAULT-CROSNIER
Bibliographie :
Ouvrages :
Théophile Gauthier, Les Grotesques, Michel Lévy Frères éditeurs, Paris, 1853, 401 pages
Attila József, Aimez-moi – L’Œuvre poétique, Éditions Phébus, Paris, 2005, 704 pages
A. Lecoy de la Marche, Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, Librairie de Firmin-Didot Frères, Paris, 1875, 548 pages
Auguste Longnon, Étude biographique sur François Villon, Henri Menu, Libraire-éditeur, Paris, 223 pages
Jules de Marthold, Le Jargon de François Villon, Argot du XVe siècle, H. Daragon, Libraire-Éditeur, Paris, 1909, 143 pages
François Rabelais, Œuvres complètes, éditions France Loisirs, Paris, 1987, 815 + 31 pages
Pierre de Ronsard, Les amours, éditions France Loisirs, Paris, 1984, 189 + 35 pages
Marcel Schwob, Villon François, éditions Allia, Parsi, 1990, 182 pages
François Villon, Œuvres complètes, édition par Pierre Jannet, E. Picard, Paris, 1867, XXIV + 272 pages
François Villon, Œuvres, publiées par Paul Lacroix, Ernest Flammarion éditeur, Paris, 1926, 364 pages
Villon, Poésies complètes, édition présentée, établie et annotée par Pierre Michel, Le livre de poche, Librairie Générale Française, Paris, 1972, 337 pages
Auguste Vitu, Notice sur François Villon, Librairie des Bibliophiles, Paris 1973, 56 pages
Auguste Vitu, Le Jargon et Jobelin avec un Dictionnaire analytique du Jargon, Paul Ollendorff éditeur, Paris, 1889, 544 pages
La bibliothèque de poésie France Loisirs sous la direction de Jean Orizet, La poésie médiévale, éditions France Loisirs, Paris, 1992, 287 pages
Articles de revues :
Pierre Champion, La Cité au temps de François Villon, La Revue de Paris du 1er août 1913, pages 647 à 639
Henry-D. Davray, François Villon et sa biographie, L’Ermitage, n° 11, novembre 1903, pages 189 à 200
Sur Internet :
Archives de littérature du Moyen Âge, François Villon, biographie et bibliographie : http://www.arlima.net/eh/francois_villon.html (consulté le 19/02/2008)
Gert Pinkernell, François Villon (1431 – 1463 ?) : Sa vie et son œuvre, http://www.pinkernell.de/villon/ (consulté le 30/01/2008)
Nancy Freeman Regalado, Résumé de son article « La fonction poétique des noms propres dans le Testament de François Villon », http://www.oboulo.com/fonction+poetique+noms+propres+testament+francois+villon+nancy+freeman+regalado (consulté le 20/01/2008)
François Villon, un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Villon (consulté le 20/01/2008)
Villon François, 1993 – 2003, article de l’encyclopédie Microsoft Encarta
François Villon, article de Poésie sur la toile, http://www.anthologie.free.fr/anthologie/villon/villon.htm (consulté le 20/01/2008)
La France du Moyen Âge – François Villon, http://mboullic.club.fr/fra_vil.htm (consulté le 29/01/2008)
Balade des dames du temps jadis, chantée par Georges Brassens, http://www.georges-brassens.com (consulté le 20/01/2008)
Léo Ferré (a chanté « Frères humains » de François Villon), http://musique.fluctuat.net/leo-ferret.html (consulté le 20/01/2008)
Serge Reggiani (a chanté « La ballade des pendus » de François Villon), http://www.frmusique.ru/texts/r/reggiani_serge/balladedespendus.htm (consulté le 20/01/2008)
Félix Leclerc (a chanté « Le testament » de François Villon), http://www.retrojeunesse60.com/felix.leclerc.html (consulté le 20/01/2008)
Durant cette rencontre, Richard Oullié a chanté trois ballades de François Villon qu’il avait mises en musique. Vous pouvez le retrouver sur son site Internet : http://oullie.e-monsite.com/accueil.html, et écouter certaines de ses chansons à l’adresse suivante : http://www.myspace.com/richardoulli.
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