10èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 29 août 2008, de 17 h 30 à 19 h

 

Jean-José Boutaric,

médecin, humoriste, conteur, etc.

Portrait de Jean-José Boutaric par Catherine Réault-Crosnier.

 

Lire la présentation de cette « rencontre ».

 

Présentation de Jean-José Boutaric par Catherine Réault-Crosnier

 

Jean-José Boutaric est un ami et je le remercie de l’honneur qu’il nous fait de sa présence dans le cadre de ces rencontres. Médecin, historien, conteur, président du Groupement des Écrivains Médecins français, membre de l’Union Mondiale des Écrivains Médecins, secrétaire de l’Académie Littré, il a un lien avec la Touraine, tout d’abord car il est né à Tours ensuite parce qu’il y est revenu de nombreuses fois. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un de ses passages en Touraine que j’ai fait sa connaissance, dans le cadre d’un colloque sur Rabelais, à Chinon en 1993. Nous avons de suite sympathisé et eu du plaisir à échanger ; je lui avais offert quelques poèmes, quelques-uns de mes écrits. C’est grâce à lui que je suis devenue membre du Groupement des Écrivains Médecins français car il avait alors accepté de me parrainer. Nous nous sommes donc retrouvés à nouveau en Touraine, en 1994, dans le cadre du congrès de l’Union Mondiale des Écrivains Médecins (qui s’est déroulé à Tours) et c’est le début d’une longue et fidèle amitié.

Le public lors de la Rencontre littéraire du 29 août 2008, consacrée à Jean-José Boutaric.

 

Sa biographie :

Jean-José Boutaric est né à Tours le 11 janvier 1938 et a passé sa petite enfance à Chinon. Il nous explique qu’il est né à Tours et non à Chinon car son père craignait pour la santé de sa mère qui avait un certain âge. Il est donc fier de pouvoir annoncer qu’il est né à la clinique des Ursulines, « au chevet de la cathédrale Saint-Gatien ». Marié, il est le père de trois enfants et grand-père de huit petits-enfants dont deux sont présents avec nous, aujourd’hui. Il a des origines quercynoises (Figeac) du côté paternel, et de Haute-Provence (Digne) du côté maternel. Il a fait ses études au lycée de Tulle (Corrèze), puis ses études de médecine à Lyon. En 1962, il a passé sa thèse (de docteur en médecine) dont le titre était « Contribution à l’étude des premiers soins et du transport des traumatisés de la route ». Il a exercé quelques années dans l’Armée de l’Air. Il a alors effectué de nombreuses évacuations aériennes sanitaires d’Algérie en métropole (300 heures de vol environ) ce qui lui a inspiré certaines nouvelles. Il est devenu ensuite médecin-chef de la base aérienne d’Étampes, médecin du personnel navigant à la base aérienne de Villacoublay.

Ayant démissionné de l’armée, il s’est spécialisé en anesthésie-réanimation à Paris. Il a exercé en anesthésie à l’hôpital de Créteil, puis dans une clinique privée en banlieue parisienne ; enfin il a exercé la médecine générale de 1980 à 1996.

À l’âge de la retraite, il a continué à s’intéresser à la médecine, allant à l’hôpital trois fois par semaine, par goût, en médecine interne, dans le service du Professeur Capron, à l’Hôtel-Dieu. En outre, en juin 2000, il a obtenu le diplôme d’Université d’immunologie.

Par ailleurs, Jean-José Boutaric a fait des études d’histoire de la médecine à l’école pratique des Hautes Études en Sorbonne, pendant une douzaine d’années et a obtenu en 1991, un DEA d’histoire et de philosophie des sciences. Son mémoire s’intitulait « Observation médicale de Ludwig van Beethoven ». En 2003, il a soutenu une thèse de doctorat sur « La diffusion de l’auscultation médiate durant la première moitié du XIXe siècle » qu’il a ensuite publiée en livre. Il fait de nombreuses conférences d’histoire de la médecine et d’histoire des sciences pour des sociétés et diverses associations de la région parisienne et en province. Les sujets en sont très variés, de l’histoire du calendrier au baquet de Mesmer en passant par les prémices de la guerre de cent ans, le chevalier d’Éon ou les chansons populaires évoquant la médecine. Il a écrit de nombreux articles d’histoire de la médecine pour des revues médicales (Revue du praticien, Le Généraliste, Revue de médecine de catastrophe, etc.). Ses études reflètent bien la personnalité de cet auteur : sa passion pour la médecine, son intérêt pour l’histoire et la musique, sa soif de connaissance.

Sur le plan associatif, après avoir été secrétaire général du Groupement des Écrivains Médecins français, Jean-José Boutaric a été élu Président en 2005. Sur le plan musical, il est pianiste et a pratiqué plusieurs années le chant lyrique (baryton basse), participant à plusieurs opérettes dans une troupe d’amateurs et semi-professionnels de l’Île de France. Il est également membre du bureau de l’Association des Médecins Mélomanes Européens (AMME).

Côté théâtre, il a obtenu un diplôme de fin d’études des conservatoires d’Art dramatique des Hauts de Seine et un prix de diction et d’Art dramatique au concours Léopold Bellan. Il est président des « Tréteaux de Rabelais », association de comédiens amateurs, mais ayant tous passé des examens de fin d’études dans les conservatoires de l’Île de France. Ces acteurs jouent bénévolement dans les hôpitaux et les services de long séjour, des pièces en un acte (Courteline, Feydeau, Guitry, etc.), pour distraire les malades ou les convalescents. C’est la facette d’humaniste de cet auteur, qui transparaît ici, toujours prêt à rendre service et à amuser en bon disciple de Rabelais.

Jean-José Boutaric est aussi membre de la Société Française d’Histoire de la Médecine et du Mouvement Universel de la Recherche Scientifique. Il participe chaque année, au congrès annuel de l’Union Mondiale des Écrivains Médecins, par exemple en 2006 en Suisse, en 2007 en Hongrie.

 

Son œuvre :

Sur le plan littéraire, Jean-José Boutaric a publié en 1990, « En s’amusant avec l’histoire » (éditions Massin). Faire intervenir le SAMU pour sauver ceux qui sont morts. Impossible me direz-vous ? Non, pas pour le Dr Jean-José Boutaric qui s’est servi de son expérience de médecin au SAMU pour essayer de sauver avec les moyens actuels, quatorze personnages illustres. Ceci lui a permis par la même occasion de retracer leur histoire dans le contexte de l’époque. Nous partons donc en compagnie d’Antoine et Cléopâtre, du duc de Berry, du président Sadi Carnot, de Charles VIII, du président Paul Doumer, de Sissi, impératrice d’Autriche, du président Félix Faure, de Philippe de France, fils aîné du roi Louis VI, d’Henri II, d’Henri III, d’Henri IV, du président Abraham Lincoln, d’Aristote, de Socrate pour vivre un moment avec eux à mi-chemin entre l’histoire et la fiction.

En 2004, il publie « Histoires Macabrantes » (éditions Glyphe), recueil de contes et nouvelles. Le Dr Gilbert Schlogel, qui a été président du Groupement des Écrivains Médecins français et est l’auteur de romans très cotés, a préfacé ce livre. Ces nouvelles, dont une se situe en Touraine, se déroulent dans la campagne française (Provence, Dauphiné, région lyonnaise, Bourgogne, région parisienne, Nord, Normandie, Touraine, Limousin, Périgord, Quercy, région toulousaine, Ariège). Elles témoignent de l’attirance de Jean-José Boutaric pour la nature. Dans ce livre, l’auteur transforme des histoires en succulentes nouvelles, nous entraînant dans la campagne, faisant revivre les traditions, sachant manier l’humour pour nous distraire. Le burlesque se mêle à l’imprévu nous entraînant vers la surprise finale, (la chute de la nouvelle). L’émotion est bien présente par exemple quand il décrit la trachéotomie sans anesthésie, pour sauver un enfant du croup (diphtérie) :

« Tant pis : les bras puissants du garde-champêtre feraient office d’analgésiant : mieux vaut la vie, après une brève souffrance, que la mort sans douleur. » (page 44)

L’humour est omniprésent pour le plus grand plaisir du lecteur. En voici un exemple dans la description de la nouvelle race de pères :

« Mais on oublie que le père, désormais, participe d’une manière fort active à l’évènement : non seulement il prépare la chambre du bébé, c’est-à-dire nettoie, tapisse, peint et met en place le mobilier, mais encore il seconde sa tendre épouse pour les courses, le ménage, la cuisine, voire le téléphone, bref s’agite en tous sens comme une particule animée d’un mouvement aléatoire – ce qui lui permet de se rendre compte, discrètement, de la tâche habituellement accomplie en silence par sa jeune moitié… Pour corser le rythme, il convient aussi qu’il accompagne la gestante à ses cours de gymnastique, voire répète avec elle, le soir venu, les mouvements propres à assouplir les muscles abdominaux, s’adonne lui aussi à la connaissance ésotérique de la grossesse et pour couronner le tout, manifeste sa passion pour l’obstétrique et la néo-natalité en faisant preuve d’une assiduité irréprochable aux cours d’accouchement. Quel exemplaire parcours du combattant ! Sans crainte des douleurs de l’enfantement, certes, puisqu’elles sont, jusqu’à présent, épargnées à l’héroïque « primipère ». Mais tout de même : il faut en toute honnêteté reconnaître que le géniteur ne manque pas, lui aussi, de mérite et qu’il sort en général de l’épreuve aussi éreinté que s’il venait de subir les affres d’un sévère examen. Sans parler des risques de s’étaler sur le carrelage de la salle de travail avec la sueur au front et les cloches qui tintent aux oreilles. » (page 88)

Jean-José Boutaric fait aussi revivre des paysans, avec leur accent et leur patois, des patrons de bistrot, des pêcheurs de truites et des châtelains et même des fantômes et des voleurs de poireaux, car cet écrivain sait rire et faire rire, sans pour cela délaisser le rêve, bien au contraire, puisque nous nous évadons aussi sous le ciel d’Italie.

En 2004 également, il publie sa thèse d’histoire de la médecine aux éditions Glyphe sous le titre « Laennec, Balzac, Chopin et le stéthoscope ». Il y a deux techniques d’auscultation : l’une immédiate et directe, en mettant son oreille sur la peau du patient à la manière d’Hippocrate, l’autre médiate, par l’intermédiaire d’un instrument, mise au point par Laennec. La deuxième partie de ce livre est consacrée à l’étude des « dossiers médicaux » de Balzac et de Chopin.

Là encore Jean-José a l’art d’associer le monde médical et l’histoire au monde littéraire, en faisant un clin d’œil à la Touraine avec Balzac et à la musique qui lui tient tant à cœur, avec Chopin. Car il est certain que Balzac et Chopin ont été tous deux longuement auscultés par leurs médecins ; mais, selon Jean-José Boutaric, si la maladie de cœur qui a emporté Balzac est bien attestée, il n’est pas certain que Chopin ait été victime d’une tuberculose pulmonaire mais peut-être, lui aussi, d’une cardiopathie due à une atteinte (peut-être tuberculeuse) du péricarde…

 Médecin, historien, écrivain, musicien, comédien… Jean-José Boutaric aime varier les sujets. Nous lui laissons la parole pour qu’il nous divertisse en nous instruisant, ce qu’il sait si bien faire, avec adresse, avec ou sans stéthoscope, en analysant le monde.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

- Jean-José Boutaric, En S’amusant avec l’Histoire, éditions Massin, 1990, 336 pages

- Jean-José Boutaric, Laennec, Balzac, Chopin et le stéthoscope ou la diffusion de l’auscultation médiate durant la première moitié du XIXe siècle, éditions Glyphe, 2004, 413 pages

- Jean-José Boutaric, Histoires Macabrantes, contes et nouvelles, éditions Glyphe, 2004, 262 pages

Pages trouvées sur Internet :

- Catalogue Opale Plus de la Bibliothèque Nationale de France, http://www.bnf.fr

- Éditions Glyphe, présentation de Jean-José Boutaric et des livres « Histoires Macabrantes » et « Laennec, Balzac, Chopin et le stéthoscope », http://www.editions-glyphe.com/

- Colette Dehalle, « Culture, le congrès ausculte la littérature », article paru dans Le petit journal de Budapest, édition du 25 octobre 2007, http://www.lepetitjournal.com/content/view/20174/956/

 

 

Intervention de Jean-José Boutaric

 

Merci, Catherine, pour cette élogieuse présentation.

Chers amies, chers amis, je tiens tout d’abord à vous exprimer toute la joie que j’éprouve à me trouver parmi vous, ce soir. Comme l’a dit Catherine, je suis né voici quelques décennies presque au chevet de la cathédrale Saint-Gatien, à la clinique Saint Augustin et j’ai sans doute ouvert les yeux sur la rue du Petit Cupidon…

J’ai écrit, pour la circonstance qui nous réunit en cette superbe après-midi du jardin de la France – et qui plus est, de celui des Prébendes – une nouvelle intitulée La belle Tourangelle où je m’étais donné comme challenge de réunir plusieurs personnages qui me sont chers et dont j’ai étudié la « pathographie » c’est à dire la biographie axée sur les maladies. Il s’agit de deux Tourangeaux : Rabelais et Balzac auxquels j’ai adjoint un célèbre touriste tourangeau : Chopin, ainsi qu’un non moins illustre voisin qui a passé sa jeunesse à Nantes : René Théophile Hyacinthe Laennec. J’avais trouvé amusant d’essayer de réunir ces personnages, au moins en les citant, dans une nouvelle, y mêlant la médecine, la Touraine et l’amour. Cela va bien ensemble puisqu’il y a à Tours, une école de médecine de toute première qualité au sein d’un pays idyllique.

Jean-José Boutaric et Catherine Réault-Crosnier lors de la rencontre littéraire dans le jardin des Prébendes du 29 août 2008, à Tours.

Pourquoi ces grands auteurs ? Rabelais en premier ? Parce que si ma mère a accouché à la clinique de la rue des Ursulines, nous habitions Chinon ; d’ailleurs je tiens à rendre un vibrant hommage au Docteur Roy qui a sauvé la vie de ma mère à la suite d’une hémorragie de la délivrance. Elle a vécu jusqu’à quatre-vingt-quatre ans ! Sous ce ciel tourangeau ensoleillé, je suis content de rendre hommage aux qualités morales et professionnelles de ce grand praticien que fut le docteur Roy, à la nombreuse progéniture. Donc nous habitions à Chinon, où mon père était conservateur des Hypothèques et dans ma prime enfance je passais souvent au pied de la statue de Rabelais que j’appelais « le gendarme » à cause de son tricorne professoral. Quand je n’étais pas sage – ce qui m’arrivait très rarement, bien sûr – mes parents me disaient «prends garde : le gendarme te surveille ». En fait, cela ne m’inquiétait guère car je me doutais bien qu’une statue ne pouvait guère me réprimander et comme par ailleurs, mon père humaniste distingué, parlait souvent de Rabelais, je ne craignais rien, tout au contraire. Par contre, j’ai été bercé, plongé tout petit, dans la potion magique de la Rabelaisie : le gué de Vède, Cravant, Panzoult, les caves painctes. Plus tard, étudiant en médecine à Lyon – dont Rabelais fut médecin à l’Hôtel-Dieu – je travaillais avec plusieurs copains à la bibliothèque municipale, où les œuvres de Maître François étaient en libre communication. Nous commentâmes bruyamment, « pour ce qui est de rire » le passage de « L’oison torchecul », ce qui faillit nous faire mettre plusieurs fois à la porte de la bibliothèque. Et puis j’ai eu encore l’occasion de retrouver notre grand humaniste en région parisienne, habitant à Saint-Maur-des-Fossés, à quelques pas de l’abbaye dont il était prébendier. Hélas, si j’ai un peu marché dans les pas de notre exceptionnel Chinonnais, je suis bien loin d’avoir acquis son style, son talent et son érudition !

Je voulais aussi citer Balzac dont les derniers moments ont été décrits d’une façon magistrale par Victor Hugo. Un modèle d’observation médicale. Balzac, tous les Tourangeaux le savent, est né ici, tout près du Jardin des Prébendes, rue Nationale. Il y a vécu son enfance, et par la suite fut un hôte assidu du château de Saché où il présenta d’ailleurs ses premiers malaises…

Mon troisième personnage n’est pas Tourangeau de souche : c’est Chopin. J’ai beaucoup travaillé sur Chopin. Le jeune Frédéric, à vingt-trois ans, vint en 1833, en Touraine chez son ami Franchomme, violoncelliste qui avait une très belle voix de basse et qui l’avait invité dans sa famille, à Azay-sur-Cher, pour qu’il y reprenne quelques forces. Je pense que Chopin avait une maladie de cœur plutôt qu’une tuberculose pulmonaire. Quoiqu’il en soit, ici, il aimait inviter ses amis dans un restaurant qui s’appelait « La Boule d’or » et se trouvait rue Nationale. Ce célèbre établissement a été détruit lors de l’incendie de 1944. Chopin, de retour à Paris après un séjour de plus d’un mois à Azay, écrivit à Franchomme : « Je n’oublierai jamais mon séjour en Touraine. On me trouve engraissé et bonne mine. Je me porte à ravir grâce aux voisines du dîner qui m’ont donné des soins vraiment maternels ». Il avait préféré l’hospitalité de Franchomme à celle des Liszt-Marie D’Agoult dans leur château de la banlieue parisienne. Et Liszt écrivit à George Sand : « Fréderic Chopin se trouve probablement en ce moment-ci à Tours, en compagnie de son ami Franchomme, auprès de belles tourangères [sic], simples et naïves ». L’histoire ne dit pas ce qu’ont fait à Chopin ces « tourangères », belles et naïves ; en tout cas, ce fut du bien puisqu’il est revenu ragaillardi à Paris.

Enfin, m’étant consacré à l’étude des maladies de Chopin et de Balzac, j’aurais voulu dire aussi quelques mots sur Laennec, un des plus grands médecins non seulement français mais au monde. Je vais vous poser une question : y a-t-il une rue Laennec à Tours ? Non ? Laennec était breton, natif de Quimper, élevé à Nantes par son oncle Guillaume. Poursuivant ses études médicales à Paris, il devint un des piliers de la célèbre école anatomo-clinique de Paris. En trois ans, il a découvert et mis au point l’auscultation, écrivant mille-quatre-cents pages pratiquement toujours d’actualité sur le sujet. Et le symbole de la médecine, qui fut la ventouse dans l’antiquité puis le fait de mirer les urines au Moyen-Âge, est devenu désormais le stéthoscope. Et bien à Paris, illustre lieu de la découverte de l’auscultation, il n’y a ni une rue ni une statue de Laennec. Pour la petite histoire, j’ai envoyé au maire de Paris ma thèse sur Laennec, assortie de mes regrets concernant cette incompréhensible lacune depuis deux-cents ans. J’ai reçu en retour une belle réponse me promettant de réparer cette injuste négligence remontant à deux siècles. Cinq années se sont écoulées et les quelques nouvelles rues voisines de la Bibliothèque nationale ne portent toujours pas le nom de l’inventeur de l’auscultation. Enfin : à l’emplacement des bâtiments vétustes de l’ancien hôpital Laennec qui ont été démolis, un quartier nouveau est prévu avec une place Laennec et une statue de Laennec. Tout n’est pas perdu. En tout cas, preuve de l’humour – involontaire – de nos sympathiques édiles, il y avait à Paris un hôpital Broussais et un hôpital Laennec. Vous savez que nos deux Bretons ne s’entendaient pas, pour de multiples raisons. Ils ont eu cependant chacun à Paris, un hôpital. On a démoli l’hôpital Broussais, on a démoli l’hôpital Laennec pour réunir le tout en un superbe et moderne établissement : l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Comme ça, on a renvoyé dos à dos nos deux ennemis irréductibles dans les oubliettes inhospitalières de Paris. Laennec méritait mieux que ça. Alors, regardez bien, et si vous n’avez pas de rue Laennec à Tours – vous avez des excuses : il n’était pas Tourangeau, et n’est jamais venu ici –, pensez-y…

Pour en revenir au début de mon laïus, le challenge que je m’étais proposé, c’était de réunir un peu tout ce petit monde : Rabelais, Balzac, Chopin, Laennec, sans oublier les Tourangelles. Mais, oh disgrâce de l’informatique, la nouvelle ad hoc (comme le capitaine), que j’avais écrite : « La belle Tourangelle » est partie avant-hier en fumée électronique avec le ramollissement inconsidéré de mon disque dur. Sans sauvegarde préalable.

À défaut, je vais vous lire « La Bariotte », une des nouvelles de mon recueil de contes et nouvelles : « Histoires macabrantes ». L’intrigue se situe en Provence. Oui, mes nouvelles sont un peu macabres car quand on exerce la profession médicale, hélas, on est constamment en contact avec la camarde. On ne peut pas toujours l’empêcher de faucher nos patients pour lesquels on a toujours eu de l’amitié, voire de l’affection. Autant le prendre à l’ironie, en la défiant comme « nos ancêtres les Gaulois » censés tirer des flèches vers les cieux. Alors, macabres, ces nouvelles en ont quelques relents ; marrantes, elles essaient de l’être parfois… D’où : « macabrantes ».

Pour la lecture, je vais essayer de prendre l’accent du midi afin d’y ajouter une pincée de sel.

 

Lecture de « La Bariotte ».

 

Ces contes et nouvelles sont pour la plupart tirées de faits divers dont Romi, écrivain journaliste spécialiste de la petite histoire du XIXe, à qui je dois beaucoup, m’avait donné les coupures de journaux. En malaxant le tout, j’en ai tiré plusieurs nouvelles. Puisque, ayant tous les courages, vous en redemandez, je vais vous lire une histoire plus courte, quelque peu scatologique. Voici « La pince à sucre », qui se passe en Limousin. Je l’avais présentée à un concours de nouvelles. Je n’ai pas été primé : on m’a dit que ce n’était pas mauvais mais quand même d’un goût douteux.

 

Lecture de « La pince à sucre ».

 

Catherine me demande de parler de mon livre : « En s’amusant avec l’histoire ». Je vais vous donner quelques détails. J’ai fait ma thèse de médecine (pas celle d’histoire) il y a quelques lustres sur ce qui est devenu ensuite le SAMU ; puis, anesthésiste confirmé, j’ai œuvré au SAMU du Val-de-Marne. D’où l’idée de commenter les morts brutales de plusieurs personnages célèbres, choisissant comme « critères d’inclusion » le fait d’être morts – évidemment, je m’en excuse : c’est un peu triste – d’être morts dans l’heure qui a suivi l’agression de façon à permettre au SAMU d’arriver. On a ainsi ressuscité Socrate. Pour lui, cela a été un peu difficile car Socrate a bu le poison, la ciguë… volontairement. J’ai dû avoir recours à un stratagème. Socrate boit la ciguë, tombe dans le coma et à ce moment-là, ses élèves l’emmènent chez Hippocrate qui va le ranimer – ce qui n’était pas trop difficile d’ailleurs, car il s’agissait somme toute d’une simple insuffisance respiratoire. Pour Aristote, dont la cause de la mort est discutée, j’ai opté pour la noyade ; quant à la série des Henri : Henri II, Henri III, Henri IV, ils sont tous remis sur pieds ; j’ajoute au sujet du bon roi Henri – en fait le plus absolutiste de tous – qu’il y a quinze jours, dans le village d’où je reviens, en haute montagne, j’ai eu l’honneur de jouer le rôle d’Henri IV dans un spectacle « son et lumière » fort bien monté. J’ai fini comme notre héros sur une méchante charrette en guise de carrosse. À la fin du spectacle, tandis que comédiens et spectateurs bavardaient, une petite fille s’approche, me toise longuement du haut de ses cinq ans et s’écrie : « Mais il n’est pas mort, le Monsieur… ». Belle récompense pour un cabotin !

Et bien, Henri IV, dans mon livre, je l’ai sauvé, ce qui n’était pas facile non plus car Ravaillac lui avait fait une « belle » plaie de l’artère pulmonaire. Ça saigne beaucoup. Mais enfin, je l’ai fait transporter par le SAMU à la Pitié où le professeur Cabrol, anagrammé en Lobrac, a suturé brillamment l’artère. J’ai offert mon livre au professeur Cabrol qui m’a dit : « Je suis vraiment fier d’avoir sauvé Henri IV ».

Pour Henri II, ce fut autre chose. On croit en général qu’il est mort d’une plaie de l’œil provoquée par le pennon de la lance du duc de Montgomery, lors d’un tournoi à Paris. Pas du tout. Le brillant quadragénaire avait tournoyé trois fois et la règle voulait qu’on ne se batte que contre trois adversaires seulement. La troisième fois, le duc de Montgomery avait réussi à le faire « esbranler » sur son siège. Alors le roi considéra que lui, le roi chevalier par excellence, aurait dû renverser le duc de Montgomery. D’autant que sa femme et sa maîtresse Diane de Poitiers – de vingt ans son aînée – étaient dans l’assistance. Henri II s’est écrié : « Je vais recommencer ». Les autres tournoyeurs n’étaient pas contents : « Mais non ! Sire, les règles du tournois, c’est trois assauts, un point, c’est tout. » Il a dit : « Non, je recommence. » Henri II, tel un gamin, et craignant peut-être qu’épouse et maîtresse ne lui fassent des recommandations de sagesse, remet son heaume en vitesse sans même prendre le temps d’en lacer la visière. Galopade face à face : le duc de Montgomery pointe sa lance vers la poitrine du roi, le touche, l’épieu remonte, soulève la visière et crève l’œil du monarque qui, désarçonné, tombe de son cheval. On le transporte en son château des Tournelles – à l’emplacement de la place des Vosges –. Pendant plusieurs semaines, Henri a de la fièvre. On fait venir plusieurs médecins célèbres : Vésale, de Bruxelles et Ambroise Paré qui était encore relativement jeune. Au bout de quelques semaines, le roi meurt sans avoir repris connaissance. Cependant la plaie de l’œil, elle, est guérie. En réalité, grâce à la description précise d’Ambroise Paré, on comprend très bien ce qui s’est passé : le roi a dégringolé de sa monture, son crâne a heurté le heaume – qui n’était pas prévu comme les casques des motocyclistes pour ce genre de protection – et a été victime d’un bien classique traumatisme crânien. Il est mort d’un hématome sous-dural, c’est-à-dire assez profond dans le crâne, sous les méninges. Il n’est pas mort de sa plaie de l’œil qui était guérie, comme le fut celle de Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand. Mais pour les médias de l’époque c’était plus beau, plus grandiose de décrire le sang qui giclait de la plaie de l’œil. Et puis on pouvait ainsi interpréter un des quatrains de Nostradamus.

Charles VIII figure aussi parmi les réanimés ; il est mort en voisin, à Amboise, après s’être cogné le front contre le linteau d’une porte basse. Lui, c’est d’un hématome extra dural, c’est-à-dire entre la boite crânienne et les méninges, qu’il est mort en son château d’Amboise. De nos jours c’eut été bien plus facile à soigner que l’hématome d’Henri II. Charles VIII aurait été transporté à Tours, à l’hôpital Bretonneau par exemple et il aurait guéri. On n’aurait pas eu les Valois, donc ni François Ier ni les trois Henri. Donc il m’aurait manqué au moins trois personnages !

La sympathique impératrice Sissi fait aussi partie du lot. Elle fut même le déclencheur de la série. J’étais à l’hôpital, en train d’examiner un patient, au tout début des échographies cardiaques. Les appareils de l’époque (la mienne, pas celle de Sissi) étaient particulièrement volumineux. Le patient était étendu sur son lit et je lisais l’observation médicale avant de lui faire l’échocardiogramme. Le malade, lui, m’observait, un sourire au coin des lèvres en me voyant écarquiller les yeux. Je lui dis : « C’est extraordinaire ! » « Oui, répondit-il en riant : je stupéfie tous les médecins ». Ce monsieur, originaire d’Afrique du Nord, avait été poignardé par ses coreligionnaires dans les WC d’un bistrot parisien, à Pigalle. Le poignard s’était fiché entre les deux ventricules, provoquant ce qu’on appelle une « tamponnade », c’est-à-dire un considérable épanchement de sang dans le péricarde et comprimant le cœur. Or, j’étais en train de lire l’excellent ouvrage de Jean Des Cars sur Sissi, et notamment sur sa mort, cliniquement fort semblable. L’impératrice Elizabeth, en effet, a été poignardée à Genève, sur le quai du lac, alors qu’elle s’apprêtait à prendre le bateau. Elle est cependant montée à bord, s’y est évanouie et on l’a ramenée à son hôtel où elle est morte dans l’heure qui a suivi. À l’autopsie, on a constaté la présence d’une « tamponnade » mais pas de plaie des cavités cardiaques : le poignard de son agresseur s’était, lui aussi, fiché entre les deux ventricules. De nos jours, elle aurait pu être transportée et soignée à l’hôpital cantonal de Genève.

J’ai ainsi sauvé quatorze personnages célèbres et le Professeur Huguenard, mon maître en anesthésie réanimation qui a préfacé mon bouquin, a relevé qu’il s’agissait « d’un SAMU idéal – en tous cas très efficace (presque trop, puisque sa statistique totalise cent pour cent de guérisons…) ».

Cela dit, dans mon bouquin, après un remodelage de l’histoire à la suite de l’intervention du SAMU, le véritable déroulement des faits est décrit à la suite de chaque épisode. Ou tout au moins ce que les documents en notre possession permettent d’en connaître. Cette fantaisie médico-historique où figure aussi la belle Cléopâtre n’est peut-être pas très conforme à la présentation habituelle de l’Histoire, mais les historiens sérieux ne m’en ont pas encore fait de reproches…

Merci, chères amies, chers amis, pour votre écoute attentive de cette improvisation due à la trahison de la technique et aussi, je le reconnais à mon imprévoyance : de même qu’il vaut mieux prévenir que guérir, il vaut mieux sauvegarder que recommencer.

En tous cas, c’est une joie et un honneur pour moi, d’être à Tours parmi vous, dans ce jardin magnifique.

Je vous en remercie vivement ainsi que les organisateurs et en particulier le docteur – et remarquable poète – Catherine Réault-Crosnier.

 

Jean-José BOUTARIC