9èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 31 août 2007, de 17 h 30 à 19 h

 

Charles d’Orléans,

un poète prisonnier

Portrait de Charles d'ORLÉANS par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

Lire la présentation de cette « rencontre ».

 

Charles d’Orléans, prince et poète remarquable, a un lien avec la Touraine puisqu’il est mort à Amboise, ville de rois et qu’il vivait en alternance entre ses châteaux de Blois et de Tours. Il était d’ailleurs à Tours, en 1444, dans le cadre de la réception d’une ambassade anglaise conduite par Suffolk, conte qui l’a gardé durant son emprisonnement, en son château de Wingfield.

Tout poète est prisonnier, prisonnier des mots, prisonnier de ses idées mais Charles d’Orléans l’est de plus au sens concret du terme, ayant vécu vingt-cinq ans en captivité en Angleterre ; ses nombreux poèmes portent l’empreinte de cet emprisonnement qui lui fait encore plus apprécier la nature. Voici un de ses rondels les plus connus, « Le Printemps » ou « Renouveau » :

« Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie
De souleil luisant, cler et beau.
Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chante, ou crie :
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Riviere, fontaine et ruisseau,
Portent, en livrée jolie,
Goutes d’argent d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau.
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

(Poésies de Charles d’Orléans par J. Marie Guichard, page 423)

Je pense que le rêve d’une beauté dont il a été privé, lui a permis d’être encore plus sensible devant le frémissement de la nature. Poète dans l’âme, il va être mis à l’honneur en cette rencontre, à travers ses écrits.

Le public lors de la Rencontre littéraire du 31 août 2007, consacrée à Charles d'Orléans.

Sa biographie :

Charles d’Orléans est né à l’hôtel de Saint-Pol, à Paris, le 24 novembre 1391 ou 1393 (selon Du Tillet) ou 1394 (selon Juvénal des Ursins). Il est le petit-fils de Charles V dit « Le Sage », roi lettré, et fils de Louis de France, duc d’Orléans. Son père avait la passion des beaux livres, des peintures, des tapisseries et des fins joyaux. Sa mère, Valentine Visconti, duchesse de Milan, était douce et lettrée. Ils ont certainement transmis ces goûts à leur fils.

En 1406, il épouse sa cousine germaine, Isabelle de Valois qui a dix-sept ans. Elle est la fille du roi Charles VI dit « Le Fou », et elle est veuve de Richard II d’Angleterre. Elle va mourir en couches, à vingt-et-un ans en donnant le jour à une fille. En 1410, Charles se remariera avec Bonne d’Armagnac, fille du comte Bernard VII d’Armagnac, grand féodal du Sud-Ouest.

En 1407, son père est assassiné sur l’ordre de Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Sa mère en mourra de douleur, un an plus tard. À seize ans, il est alors à la tête d’un parti puissant et l’un des chefs de la féodalité française. Il recueille alors, en tant qu’aîné, la plus grande part de l’héritage dont le duché d’Orléans, les comtés de Valois et de Blois, et les seigneuries de Coucy et de Chauny.

En 1415, pendant la guerre de Cent Ans, Charles d’Orléans est blessé et fait prisonnier à la bataille d’Azincourt, puis emmené en Angleterre, étroitement surveillé, allant de château en château. Il est d’abord enfermé à Windsor puis ramené à Londres. Sa libération étant conditionnée par le paiement d’une rançon, il attendra vingt-cinq ans avant d’être libéré. Pendant ces années de captivité, il cultive la poésie, compose un chant patriotique, « La Complainte de France » puis d’autres complaintes mélancoliques et des ballades dont il fera un livre.

Le 5 novembre 1440, à quarante-neuf ans, il est libéré. La rançon énorme de 200 000 écus d’or, est payée sur la dot de sa nouvelle épouse, Marie de Clèves, une très jeune femme coquette et lettrée, qu’il épouse en troisième noce. Âgée de quatorze ans, elle est la nièce du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, et la petite-fille du meurtrier de son père, Jean Sans Peur. Il se retire en ses châteaux de Blois et de Tours, recherchant le « repos » et « la paix ».

En 1441, il arrive à Blois, lieu de sa résidence préférée ; il retrouve sa cour de lettrés, protégeant les poètes dont un temps, François Villon. En avril-mai 1444, il est à Tours où il reçoit une ambassade anglaise conduite par Suffolk chez qui il avait été prisonnier. En 1444, il réunit en un volume les poèmes qu’il avait composés en prison et, dès lors, il ne cessa plus de l’augmenter de nouvelles pièces.

En 1447, il récupère son comté d’Asti et rentre en France en 1448, pour finir sa vie, retiré à Blois.

Il a 63 ans lorsque sa femme accouche d’une fille, Marie d’Orléans et 68 ans, lorsque naît son fils, Louis, le futur roi Louis XII. En 1464, il a une fille, Anne d’Orléans.

La même année, Louis XI tient des états généraux à Tours en vue de dépouiller le duc de Bretagne de son duché et Charles d’Orléans ose lui faire quelques remontrances ce que le roi n’accepte pas. Il l’accable d’insultes. Charles d’Orléans repart de Tours précipitamment et expire à Amboise le 5 janvier 1465, dans sa soixante-neuvième année ; il est inhumé en l’église du Saint-Sauveur à Blois.

Un peu comme Ronsard, Charles d’Orléans a été oublié de son temps, en tant que poète et s’il n’avait pas pris soin de réunir ses essais poétiques dans de beaux manuscrits, jamais nous n’aurions connu son talent. Parmi ceux qui sont arrivés jusqu’à nous, il y a celui de Grenoble sur vélin, traduit en latin, relié à Blois en 1461. Il a fallu attendre le XVIII° siècle pour que l’abbé Sallier (en 1740) le découvre par hasard à la Bibliothèque royale et le considère comme un des plus élégants et des plus accomplis de notre belle langue française. Il a proposé un classement différent des poèmes, tout d’abord ceux concernant la nature puis ceux liés aux circonstances de la vie de Charles d’Orléans enfin ceux qui regardent les auteurs français que le commerce de ce prince a honorés. Cet abbé a remarqué l’élégance, la délicatesse, la naïveté de ces vers.

Dès lors, Charles d’Orléans sort de l’oubli et est admiré, recherché et édité. Il est d’ailleurs en vente actuellement dans la collection Poésie/Gallimard, sous le titre « En la forêt de longue attente et autres poèmes ». Son œuvre intégrale publiée par Joseph-Marie Guichard en 1842 est téléchargeable en format image sur Gallica et en format texte sur le projet Gutenberg.

 

Son œuvre :

Son œuvre est considérable : 131 chansons, 102 ballades, 7 complaintes et pas moins de 400 rondeaux. Un rondeau, appelé à cette époque rondel, est un poème lyrique qui comprend généralement quatorze vers de huit ou dix syllabes sur deux rimes, répartis en trois strophes, avec un refrain.

Au sujet de la forme de ses écrits, ses « Ballades » ne comportent pas d’envoi, mode facultatif à cette époque. Ses Chansons représentent une originalité car les recueils de chansons sont rares au XV° siècle ; ses Complaintes de forme irrégulière rappellent parfois le rythme des Lays. Il a aussi écrit des Caroles, pièces composées à l’approche de Noël et de nombreux Rondeaux gracieux. Charles d’Orléans a écrit principalement en français mais aussi en latin et en anglais. Le français utilisé est celui parlé dans l’Orléanais, langue qui gardera une primauté pendant tout le XVI° siècle.

Les poésies de Charles d’Orléans se divisent en deux parties. La première est constituée de ses poèmes écrits en captivité et désignée par « Le Livre que monseigneur d’Orléans écrivit dans sa prison ». La seconde partie a été écrite après sa libération et son retour en France ; elle comprend plusieurs centaines de ballades, chansons et rondeaux sur des sujets très variés, pour la plupart amoureux.

Dans la première partie de son œuvre, l’allégorie amoureuse, mise à la mode par Guillaume de Lorris, tient la place la plus importante. Elle comprend les pièces amoureuses de sa jeunesse, les longs poèmes d’exil avec des ballades, des chansons, des complaintes. On y retrouve des personnages du Roman de la Rose (Vénus, Amour, Cupidon, Espoir, Bel-Accueil, Plaisance, Pitié, Danger, Tristesse, Soin, Mélancolie, etc.), comme dans la ballade XLIII :

« Mon cueur est devenu hermite
En l’ermitaige de Pensee ;
Car Fortune la tres despite
Qui l’a haÿ mainte journee,
S’est nouvellement aliee,
Contre lui, avecques Tristesse,
Et l’ont banny hors de Lyesse ;
Place n’a où puist demourer,
Fors ou boys de Merencolie :
Il est content de s’i logier ;
Si lui dis je que c’est folie.
(…) »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 1, page 64).

Ces rimes amoureuses sont adressées à la dame Beauté, comme au travers d’une vision idéalisée de la Beauté ; la France pourrait être personnalisée avec un corps et une âme. Charles d’Héricaut pense qu’il a plutôt chanté toute sa vie amoureuse et la femme en général mais aucune thèse ne peut être affirmée et chacun reste seul juge.

Charles d’Orléans même s’il écrit alors dans un style en vogue à l’époque, manie avec dextérité la plume. Son aisance est évidente, alliée à beaucoup de grâce et de légèreté inhabituelles à cette époque, comme dans la ballade LXXXVI :

« Dame qui cuidiez trop savoir,
Mais vostre sens tourne en folie,
Et cuidiez les gens decevoir
Par vostre cautelle jolie.
Qui coiroit vostre chiere lie
Tantost seroit pris en voz las :
Encore ne m’avez-vous mie,
Encore ne m’avez-vous pas !
(…)
 »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 1, page 137).

Charles d’Orléans est resté un optimiste lucide puisque ni la mort de son père lorsqu’il avait treize ans, ni sa mère morte de douleur, ni son séjour en captivité qui a duré vingt-cinq ans, n’ont pu le faire sombrer dans la dépression. Il a bien sûr chanté la nostalgie du temps qui passe mais la beauté a retenu toute son attention, la beauté de la femme et celle de la nature et avec elles, il a pu s’échapper de ses soucis quotidiens et garder toujours un espace pour le beau et le rêve. C’est certainement le fait qu’il soit poète dans l’âme qui lui a permis de dépasser le côté négatif de sa vie, côté qu’il ne nie pas comme dans cette « Chançon » qui est très moderne dans sa façon de poser des questions :

« Qui? quoy? comment? à qui? pourquoi?
Passez, presens, ou avenir,
Quant me viennent en souvenir,
Mon cueur en penser n’est pas coy.
Au fort, plus avant que ne doy,
Jamais je ne pense en guerir.
Qui? quoy? comment? à qui? pourquoi?
Passez, presens, ou avenir,

On s’en peut rapporter à moy
Qui de vivre ay eu beau loisir,
Pour bien aprendre et retenir,
Assez ay congneu, je m’en croy.
Qui? quoy? comment? à qui? pourquoi?
Passez, presens, ou avenir. »

(Poésies de Charles d’Orléans par J. Marie Guichard, page 202)

Dans la seconde partie de son œuvre, écrite en France après sa captivité, on retrouve l’aisance et le naturel, la clarté et l’élégance, la fraîcheur et la sensibilité qui sont typiques de cet auteur. Gaston Paris écrit dans « Le monde poétique » en 1886, au sujet de ce poète :

« (…) la personnalité charmante du poète renouvelle tout cela ; jamais on n’a dit des riens avec plus de grâce et de finesse ; jamais les sentiments doux, tendres sans vraie passion, mélancoliques sans vraie tristesse, n’ont trouvé un interprète plus délicat, jamais l’ironie sur soi-même et sur les autres n’a été plus légère et plus bienveillante ; jamais avant lui le français n’avait été manié avec cette aisance et cette adresse. » (cité dans la page http://www.cosmovisions.com/CharlesOrleans.htm).

Douceur, délicatesse et beauté caractérisent bien son œuvre comme dans « Le temps a laissié son manteau ».

Charles d’Orléans est aussi proche des petites gens ; il nous décrit avec minutie, la vie de son époque, par exemple dans le rondeau CCCXXX, il évoque les petits merciers qui déballaient parfois devant lui leurs marchandises au château de Blois. L’un lui vendait des cordes pour son harpeur, des peignes d’ivoire, des patenôtres de verre, un signet d’ambre. De Jacob Henri, mercier, Monseigneur achetait trois boites dorées, trois paires de lunettes, un fouet avec une dague, des crapaudines pour faire l’épreuve du poison, de petits cadres, etc. Voici ce poème si spontané :

« Petit mercier, petit pannier !
Pour tant se je n’ay marchandise
Qui soit du tout a vostre guise,
Ne blasmez, pour ce, mon mestier.

Je gangne denier a denier,
C’est loings du tresor de Venise,
Petit mercier, petit pannier !

Et tandiz qu’il est jour ouvrier,
Le temps pers a vous devise :
Je voys parfaire mon emprise
Et par my les rues crier :
Petit mercier, petit pannier
 ! »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 2, page 480 pour le texte et 590 pour les commentaires).

Poète de la nature, Charles d’Orléans l’est à part entière si l’on en juge par le nombre de poèmes s’y référant comme cette Ballade (LXXIX) dont voici un extrait :

« Bien moustrez, printemps gracieux,
De quel mestier savez servir,
Car yver fait cueurs ennuieux,
Et vous les faictes resjouir ;
Si tost, comme il vous voit venir,
Lui et sa meschant retenue
Sont contrains, et prestz de fuir,
A vostre joyeuse venue.
(…)
 »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 1, page 129).

Le premier paragraphe de ce poème exprime aussi la légèreté, le mouvement d’un poème plein de vie, avec le jeu des oppositions, « cueurs ennuieux » et « resjouir », « meschant retenue » et « joyeuse venue ». La fraîcheur de ce poème nous réveille et nous entraîne vers le printemps et la vie.

Ce poète recherche la délicatesse, le raffinement courtois, la perfection du langage. Il discipline l’émotion par la rhétorique et la tempère par l’humour. Ici, se trouvent aussi la confidence, la pudeur, le pathétique et l’ironie, en bref, une poésie bien vivante et émouvante. De plus comme ses vers coulent de source, avec élégance, donnant une impression de limpidité, le lecteur a beaucoup de plaisir à se laisser bercer par la douceur des mots et la musique des sentiments comme dans le rondeau CCLIX dont voici un extrait :

« Allez vous musser maintenant,
Ennuyeuse Merencolye,
Regardez la saison jolye
Qui par tout vous va reboutant.
(…) »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 2, page 439)

Durant sa captivité, Charles d’Orléans écrivit en anglais quelques-unes de ses poésies ; d’autres furent traduites. George Watson Taylor les a fait publier en 1827, sous le titre « Poems written in English by Charles duke of Orleans during his captivity in England, after the battle of Azincourt » (Londres 1827).

Les pièces lyriques que Charles d’Orléans a écrites, étaient destinées à être chantées. Il était aussi musicien et c’était certainement pour lui, un attrait supplémentaire pour mettre en valeur ses œuvres.

CHANCON XIX

« Ma Dame, tant qu'il vous plaira
De me faire mal endurer,
Mon cueur est prest de le porter,
Jamais ne le refusera.

En espérant qu'il guerira,
En cest estat veult demourer,
Ma Dame, tant qu'il vous plaira
De me faire mal endurer.

Une fois pitié vous prandra,
Quant seulement vouldrez penser
Que c'est pour loyaument amer
Vostre beaulté qu'il servira
Ma Dame, tant qu'il vous plaira ! »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 1, page 215)

Le caractère autobiographique de ses œuvres est indéniable et la chronologie est déterminée par l’étude et l’âge des manuscrits et l’étude des pièces elles-mêmes.

Avec la vieillesse, viennent des pièges à déjouer, des coups bas autour de lui. Charles d’Orléans doit se préoccuper de son héritage d’Italie, déjouer les intrigues de Bretagne et de Bourgogne, suivre le procès de son gendre d’Alençon, faire face à la ligue des princes du nouveau règne. Il exprime son angoisse, avec beaucoup de sincérité comme par exemple dans le rondeau CCCCXXV :

« Mentez, menteurs à carterons,
Certes point ne vous redoubtons,
Ne vous, ne voustre baverye ;
Loyaulté dit, de sens garnye :
« Fy de vous et de voz raisons ! »
(…)

Voz parlez, pires que poizons,
Boutent par tout feu en maisons ;
Que voulés vous que l’en vous die ?
Dieu tout puissant si vous mauldie,
Vous donnant de maulx jours foisons !
Mentés, menteurs a carterons !
 »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 2, pages 538 et 539).

Durant toute sa vie, Charles d’Orléans, a dédié ses poèmes à des personnes qu’il a côtoyées, permettant de mieux connaître les gens de son époque et de créer une véritable galerie de portraits.

Par exemple dans les ballades LXXXIII, LXXXIV et LXXXV, il s’adresse à son cousin, le duc Jean de Bourbon, soldat courageux mais prince sans caractère, qui fut allié du duc de Berry et d’Orléans :

LXXXIII

 

« Puis qu’ainsi est que vous alez en France,
Duc de Bourbon, mon compaignon treschier,
Ou Dieu vous doint, selon la desirance
Que tous avons, bien povoir besongnier,
Mon fait vous vueil descouvrir et chargier
Du tout en tout, en sens et en folie ;
Trouver ne puis nul meillieur messagier :
Il ne fault ja que plus je vous en die.
(…) »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 1, pages 134 pour le poème et 612 pour les commentaires)

On peut aussi citer Charles de Nevers, cousin germain de Philippe le Bon, prince bourguignon :

Extrait d’un RONDEL d’Orleans a Nevers.

« Pour paier vostre belle chiere,
Laissez en gaige vostre cueur,
Nous le garderons en doulceur
Tant que vous retournez arriere.
(…) »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 2, pages 291 pour le poème et 624 pour les commentaires)

Dans le domaine religieux, on peut citer Monseigneur de Beaujeu qui est Pierre de Beaujeu, quatrième fils du duc de Charles de Bourbon et d’Agnès de Bourbon ; il est considéré comme l’enfant adoptif de Charles d’Orléans et de Marie de Clèves, ayant à Blois sa propre maison :

RONDEAU CCLXXXII

Pour Monseigneur de Beaujeu.

« Puis qu’estes de la confrarie
D’Amours, comme moustrent voz yeulx,
Vous y trouvez vous pis, ou mieulx ;
Qu’en dictes vous de telle vie ?
(…) »

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 2, pages 452 et 453 pour le poème et 610 pour les commentaires)

Au niveau du personnel de la famille, Gilles Des Ormes est un poète qui a épousé une demoiselle d’honneur de Marie de Clèves et qui sera doté de nombreux cadeaux par Charles d’Orléans. Charles d’Orléans lui a dédié un rondeau (CCCIX) qui a pour refrain :

« Hola ! hola ! Souspir, on vous oyt bien »

 

RONDEAU CCCIX

De Gilles des Ormes.

« Hola ! hola ! Souspir, on vous oyt bien,
C’est a ung sourt a qui il le fault faire ;
Retrayez vous et pensez de vous taire,
Car Dangier oit si cler qu’il n’y fault rien.
(…)

(Poésies de Charles d’Orléans, Les Classiques, tome 2, pages 468 et 469 pour le poème et 617 et 618 pour les commentaires)

Parmi ses amis, il y avait des gens de tout milieu, François Faret, écuyer de Charles d’Orléans qui lui demandait de remplir des missions de confiance, Étienne Le Gout et Hugues Le Voys, tous deux secrétaires du duc, Antoine de Lussay, échanson du duc et serviteur bien aimé puisque le duc lui donna en 1457, 50 écus d’or pour avoir un cheval.

Dans le monde poétique, nous pouvons citer Benoist Damien, Anthoine de Cuise, le roi René d’Anjou qui se faisait appeler Cecile, Pierre Chastelain dit Vaillant et de nombreux autres.

 

Charles d’Orléans et les poètes de son époque :

De nombreux poètes de cette époque mentionnent leurs difficultés financières : François Villon (1431-1463) ayant dépensé tout son argent, en demandait à Monseigneur de Bourbon qui lui prêtait six écus ; Marot escomptait ses Espitres sur la bourse de François Ier. Charles d’Orléans lui aussi demanda qu’on paie sa rançon.

Villon a adressé une ballade, « Je meurs de soif aupres de la fontaine », à Charles d’Orléans lors du concours de Blois ; c’est une sorte de jeu d’esprit mais qui montre bien que ces deux poètes ont partagé leur manière de voir la poésie. Villon est très proche du peuple. Il s’exprime d’une manière très concrète comme par exemple dans sa ballade si célèbre, celle qui lui a évité la pendaison :

« Je suis Françoys, dont il me poise,
Né de Paris emprès Pontoise,
Et de la corde d’une toise
Sçaura mon col que mon cul poise. »

(Villon, poésies complètes, Le livre de poche, page 269)

Charles d’Orléans, à l’opposé, est issu de l’aristocratie de son temps mais ils se rejoignent dans leur grande sensibilité, chacun ayant été prisonnier de sa condition, à une période de sa vie.

Louis d’Orléans, père de ce poète, prince lettré, protégeait Christine de Pisan (1365-1430) qui fut veuve à vingt-cinq ans avec trois enfants à élever. Dans cette situation financière difficile, elle se consacre à l’écriture et est l’une des rares poétesses à avoir pu vivre de son art. Christine de Pisan nous confie ses états d’âme avec beaucoup de sensibilité, de douceur, se rapprochant par ce côté de Charles d’Orléans mais elle reste d’un esprit plus tourmenté comme dans un de ses poèmes les plus connus, « Ballade » :

« Seulete suy et seulete vueil estre,
Seulete m'a mon doulz ami laissiée,
Seulete suy, sanz compaignon ne maistre,
Seulete suy, dolente et courrouciée,
Seulete suy en languour mesaisiée,
Seulete suy plus que nulle esgarée,
Seulete suy sanz ami demourée.
(…) »

(Œuvres poétiques de Christine de Pisan publiées par Maurice Roy, tome 1, page 12)

Charles d’Orléans est le contemporain de Marie de France qui écrivit aussi de la poésie courtoise. Celle-ci vécut dans la seconde moitié du XII° siècle à la cour brillante de Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine. Ses « lais » sont des chansons relatant de vieilles légendes d’amour courtois, avec un charme et une délicatesse qui est proche du style de Charles d’Orléans ; sa féminité l’en différencie et transparaît comme dans le lai du rossignol :

« Tant veilla-t-elle et se leva
Que son seigneur s’en irrita
Et plus d’une fois il s’enquit
De ce qu’elle allait faire ainsi.
« Seigneur, s’il faut que je réponde,
Il n’a connu joie en ce monde
Qui rossignol n’a ouï chanter ;
C’est pourquoi je vais l’écouter
Chanter si doucement la nuit
Que je me sens le cœur ravi ;
(…) »

(Marie de France, Le lai du rossignol et autres lais courtois, pages 91 et 92)

Parmi les trouvères, Jean Régnier (v. 1390 – v. 1468) a été conseiller de Philippe le Bon et fut fait prisonnier par des brigands. En attendant que la rançon soit payée, il rima, déplorant la guerre civile, la ruine de la France. Sans avoir la diversité et la pureté de langage de Charles d’Orléans, ses poèmes qui restent concrets, sont poignants comme dans « Ballade du prisonnier » :

« Ami ! – Sire ? – Or me dis doucement. –
Que dirai-je ? – Conte-moi la manière. –
De quelle chose ? – De ton prisonnement,
Dis qu’on te fait ? – On me fait bonne chère. –
Paieras-tu bien ? – Oui, et bien brièvement. –
Vient ton argent ? – Oui, en une civière. –
Je n’en crois rien, certes, le ribaud ment.
(…) »

(La Bibliothèque de poésie, La poésie médiévale, page 221)

Le roi René, rimeur, était très lié à Charles d’Orléans.

Clément Marot (1496 – 1544) sera un ardent admirateur de Charles d’Orléans et il est intéressant de les comparer. Clément Marot est le poète de l’imprudence, de la provocation presque, comme dans l’épitaphe, « De frère André, cordelier » :

« Ci-gît qui assez mal prêchait
Par ces femmes tant regretté,
Frère André qui les chevauchait,
Comme un grand âne débaté.
 »

(Clément Marot, La Mort n’y mord, page 96)

Marot aima la vie, l’amour, mais il raille très facilement ce qui lui vaut bien des disgrâces là où Charles d’Orléans dit tout avec tact et légèreté. Marot parle avec ses entrailles et il veut s’affirmer par des dires qui mordent comme le suggère le titre d’un de ses livres « La Mort n’y mord ».

Marie de Clèves (1426 – 1487) que Charles d’Orléans a épousé, aimait aussi rimer. Son poème le plus connu est « La forest de Longue Attente » qui commence ainsi :

« En la forest de longue actente,
Entrée suis en une sente,
Dont oster je ne puis mon cueur,
Pourquoy je viz en grant langueur
Par Fortune qui me tourmente.
(…) »

(Poésies de Charles d’Orléans par J. Marie Guichard, page 321)

Dans ce poème mélancolique, Marie de Clèves aborde le thème de l’amour courtois, caractéristique de cette époque, avec beaucoup de fraîcheur et de féminité.

Charles d’Orléans a bien sûr des points communs avec les poètes de son siècle mais il a aussi son originalité.

Comme le dit Abel-François Villemain, universitaire littéraire et homme politique du XIX° siècle : « Il y a dans Charles d’Orléans, un bon goût d’aristocratie chevaleresque, et cette élégance de tour, cette fine plaisanterie sur soi-même, qui semble n’appartenir qu’à des époques très cultivées. Il s’y mêle une rêverie aimable, quand le poète songe à la jeunesse qui fuit, au temps, à la vieillesse. » (Tableau de la littérature au moyen âge, par M. Villemain, t. II, p. 228 et 234, cité par J. Marie Guichard dans Poésies de Charles d’Orléans, page XXII).

 

Conclusion :

Charles d’Orléans recherche avant tout la beauté, celle de la nature, des sentiments, des émotions. Il a écrit de petits chefs d’œuvre de spontanéité emplis de joie ou de mélancolie mais il a toujours gardé confiance en l’avenir. Poète gracieux, à l’âme tranquille, il a su nous transmettre comme des diamants, ses larmes, ses peines, ses espoirs avec une poésie qui coule de source, toute de douceur et de sensibilité. Après trois siècles d’oubli, il a été réhabilité et reste désormais un des plus grands représentants de la poésie du XV° siècle. Nous, gens du XXI° siècle, nous ressentons les mêmes émotions que lui car il garde tout son charme et sa fraîcheur. Non, sa poésie n’a pas vieilli au fil du temps. Charles d’Orléans reste le poète du beau français, de la courtoisie, de l’élégance.

 

31 août 2007

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

Bibliographie :

Charles d’Orléans, En la forêt de longue attente et autres poèmes, édition bilingue de Gérard Gros, postface de Jean Tardieu, Poésie/Gallimard 2001, 519 pages

Charles d’Orléans, Poésies éditées par Pierre Champion, Les Classiques français du Moyen-Âge, Librairie ancienne Honoré Champion, Paris, 1923 et 1924, tomes I et II, 664 pages

Poésies de Charles d’Orléans publiées par J. Marie Guichard, Librairie de Charles Gosselin, Paris, 1842, 440 pages + 23 pages de préface

Anthologie de la poésie française par Raymond Jacquenod, Éditions de la Seine, Maxipoche poésie, 2006, 319 pages

La Bibliothèque de poésie, La poésie médiévale, France Loisirs, Paris, 1992, 287 pages

Clément Marot, La Mort n’y mord, collection Orphée, Éditions de la Différence, Paris, 1996, 124 pages

Marie de France, Le lai du rossignol et autres lais courtois, Librio, Paris, 2001, 157 pages

Œuvres poétiques de Christine de Pisan publiées par Maurice Roy, Librairie de Firmin Didot et Cie, Paris, 1886, tome 1, 320 pages + 38 pages d’introduction

Villon, poésies complètes, Le livre de poche, Paris, 1972, 337 pages

 

Œuvres téléchargeables sur Internet :

Poésies de Charles d’Orléans publiées par J. Marie Guichard, Librairie de Charles Gosselin, Paris, 1842,

 

Articles sur Internet :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_d%27Orl%C3%A9ans_%281394-1465%29, Charles d’Orléans (1394 – 1465), un article de Wikipedia, l’encyclopédie libre (consulté le 2 octobre 2006)

http://www.cosmovisions.com/CharlesOrleans.htm, Charles d’Orléans, un article de l'Encyclopédie Imago Mundi (consulté le 9 octobre 2006)

http://francoism.ifrance.com/pages21a30/page27.html, présentation du timbre sur Charles d’Orléans, n° 1445 émis en 1965 (consulté le 9 octobre 2006)

http://gallica.bnf.fr/themes/LitMAz9.htm, Charles d’Orléans (consulté le 9 octobre 2006)