6èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 13 août 2004, de 17 h 30 à 19 h
CATHERINE D’AMBOISE, poète mystique, contemporaine de Ronsard (1481 ou 1482 – 1550) |
Catherine d’Amboise mérite d’être connue et reconnue en tant que prosatrice et poète du XVIème siècle de part son originalité et sa sensibilité.
Sa vie :
Elle est issue d’une grande famille de Touraine. Par la lignée de son grand-père, Pierre d’Amboise, seigneur du Bussy et de Chaumont (mort en 1473), il y aura comme personnages connus, Georges d’Amboise, cardinal et ministre d’État sous Louis XII et un grand maître de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem à Rhodes.
Le père de Catherine, Charles Ier d’Amboise (mort à Tours en 1481), est un seigneur de grande importance, distingué par Louis XI qui le fit gouverneur de l’Île-de-France, de Champagne et de Bourgogne.
Sa mère, nièce du cardinal Georges d’Amboise, se nomme Catherine de Chauvigny. Elle est la sœur du célèbre Chaumont d’Amboise et de Louis d’Amboise, évêque d’Autun puis d’Albi. Catherine d’Amboise décrit ses parents comme « l’escrin pectoral du roi ».
Catherine d’Amboise a pour neveu, Michel d’Amboise (vers 1505 – 1547), poète, traducteur et fils naturel de son frère Chaumont d’Amboise. Cet écrivain fut un temps à son service puis chassé de chez elle, il passa sous la protection de la nièce de Catherine, Antoinette d’Amboise. Plusieurs de ses poèmes parlent de ses déboires et des misères du monde.
Catherine d’Amboise est née en 1481 ou 1482. Elle est la cinquième de six enfants. Elle fut trois fois mariée : d’abord à Christofle de Tournon (dont elle eut un enfant qu’elle perdra ensuite) puis veuve à dix-sept ans, elle épousa en 1501 Philibert de Beaujeu, enfin elle se remaria à soixante ans avec Louis de Clèves, comte d’Auxerre (dont elle sera veuve une troisième fois en 1545) ce qui pour l’époque, était un fait exceptionnel pour deux raisons, celle de sa longévité inhabituelle et celle de l’âge de ce troisième mariage. Elle mourut en 1550, âgée de soixante-huit ou soixante-neuf ans, sans laisser d’enfants.
De par son deuxième mari, elle était alliée à l’une des plus anciennes familles du Berry. À partir de ce mariage, elle se retira dans son château fortifié, le château de Lignières-en-Berry (ou Linières) pour se consacrer à la poésie et à la prière.
Suite à des décès successifs d’héritiers mâles de sa famille, elle se retrouvera à la tête d’un patrimoine considérable avec en particulier les seigneuries de Chaumont-sur-Loire, de Meillant, de Lignières ainsi que de nombreuses terres en Champagne.
Catherine d’Amboise a vécu à cette époque de transition entre la fin du Moyen Âge et le début d’un renouveau marqué par l’essor de l’Humanisme contrebalancé par le spectre des guerres de religion. Elle a pu être attirée par la démarche de renouveau de Calvin qui a séjourné à Bourges mais dans ses écrits, elle s’est rapidement tournée vers un mysticisme de renonciation.
Catherine d’Amboise a été intéressée par de nombreuses formes d’art, sa famille s’illustra dans des chantiers de reconstruction dont celui de Chaumont-sur-Loire, d’hôtels, de commandes d’œuvres à des peintres dont Léonard de Vinci. Son goût pour les riches enluminures vient certainement de là. Par exemple, de sa première union, restent des Heures aux armes de Tournon-Amboise avec les armes du couple et dix-sept miniatures à pleine page. Catherine d’Amboise aimait à faire peindre ses armes sur ses manuscrits généralement (sauf le dernier).
L’œuvre de Catherine d’Amboise :
Catherine d’Amboise a écrit principalement trois ouvrages : les deux premiers en prose, le « Livre des prudens et imprudens » (1509), œuvre de compilation tournée vers le passé récent, et la « Complainte de la dame pasmee contre Fortune » (1525 – 1535), chef d’œuvre de concision tournée vers l’avenir, laissant place à une nouvelle sensibilité littéraire et emplie d’allégories et d’idées nouvelles (dont celles de la Réforme), puis son œuvre poétique avec « Les Devotes Epistres ».
Ce dernier livre, écrit à la fin de sa vie, se présente sous la forme d’un in-quarto de 18 feuillets de vélin non chiffrés et comporte trois enluminures en tête des épîtres I, III et VI. Le manuscrit a appartenu à la Bibliothèque de Mazarin et se trouve actuellement à la Bibliothèque Nationale de France. Il comprend 662 vers formant un ensemble cohérent et d’une naïve originalité d’empreinte toujours religieuse comme en témoigne les titres de chaque épître :
I, « Epistre à mon tresdoulx, tresgracieulx et tresdebonnaire Sauveur et Seigneur Jhesus Christ »,
II, « Adresse »,
III, « Epistre à la Mere de Dieu, la Vierge benigne, Mere de paix, Pucelle de concorde, mon advocate, ma dame, maistresse et amye »,
IV, « Chant royal »,
V, « À mon bon Ange »,
VI, « Epistre de mon trespuissant Seigneur et Sauveur Jhesus Christ ».
Cet ouvrage fut réhabilité par l’abbé Jean-Jacques BOURASSÉ, érudit tourangeau qui assura une publication sous la forme d’une plaquette tirée à 180 exemplaires en 1861.
Catherine d’Amboise est aussi arrivée jusqu’à nous, grâce à la réédition de cette œuvre en 2002, par les Éditions Universitaires de Fribourg en Suisse, sous la forme d’une reproduction intégrale du manuscrit accompagnée d’une transcription annotée et d’une présentation de Yves GIRAUD, professeur à l’Université de Fribourg. C’est le seul livre de poésie de Catherine d’Amboise que nous pouvons lire actuellement. Les deux autres œuvres en prose demeurées à l’état de manuscrit, « Le Livre des prudens et imprudens des siècles passés » et la « Complainte de la Dame pasmée contre Fortune », viennent d’être éditées en 2002, dans le cadre d’une thèse en Sorbonne soutenue par Ariane BERGERON-FOOTE, dont un résumé est consultable sur Internet. Catherine d’Amboise a donc tendance à redevenir à la mode et ses écrits à intéresser les écrivains contemporains.
Au sujet de ses œuvres en prose :
Le « Livre de prudens et imprudens », daté de 1509, est un manuscrit unique, conservé à la bibliothèque nationale de France. Il a été composé durant les guerres transalpines dont la lutte contre Venise. Catherine d’Amboise avait vingt-huit ans et y traite de la prudence et de l’imprudence comme le titre l’indique, de la vertu qui préserve du vice, à travers les portraits de personnages illustres ou dépréciés, les opposant à une fin de morale. Son recueil est structuré en douze livres, divisés en six chapitres donc garde un aspect mathématique dans son organisation.
La « Complainte de la dame pasmee contre Fortune » est un texte anonyme, attribué à Catherine d’Amboise grâce à des indices héraldiques et autobiographiques contenus dans l’œuvre. C’est un « récit allégorique en prose à fin d’édification spirituelle et religieuse » et qui a plusieurs dimensions : « poétique, autobiographique, fictionnelle et allégorique » (cf. Ariane BERGERON-FOOTE). Dans le deuxième chapitre de ce recueil, elle évoque en particulier, la douleur des deuils successifs qui ont frappé sa famille, en particulier la mort de son frère, Charles Chaumont d’Amboise, la mort du fils de son frère mort à Pavie en 1525… Catherine d’Amboise se présente dans ce livre, comme narratrice, actrice et aussi héroïne du récit. Dans la Complainte, elle présente trois « allégories : Raison, Prudence et Patience » (cf. Ariane BERGERON-FOOTE) qui ont toutes trois l’autorité de la parole à la manière d’un sermon. L’extase côtoie le dolorisme, concept de la douleur et de la souffrance portée à son paroxysme car pour Catherine d’Amboise, si la chair est immonde, la communion mystique de l’âme sauve. L’écrivain fait passer dans ses écrits, ses convictions personnelles de croyance, tout en intériorisant les normes religieuses.
Analyse des Devotes Epistres :
Catherine d’Amboise aime ciseler ses vers ; il suffit de la lire pour le comprendre. Elle a choisi la forme du décasyllabe pour l’ensemble de ses épîtres sauf pour le « Chant royal » qui est certainement son œuvre la plus accomplie et où elle utilise une forme fixe, considérée comme la plus élaborée, forme amplifiée de la ballade, comprenant cinq strophes de onze vers sur quatre rimes et un envoi de cinq à sept vers, avec un refrain en conclusion.
Ce poète se remémore la Création du monde par Dieu. Elle nous relate l’histoire depuis Adam et Ève, un peu comme Grégoire de Tours le fit de son temps. Comme lui, elle garde toujours confiance en la générosité de Dieu :
« Lors pour mon corps nourrir en cestuy monde
Tu me baillas la terre necte et monde
Et comme mere divers fruicts produysans,
Les eaues aussi qui me sont tresduysans,
Le clerc soulail, lequel marche tousjours
Pour mesurer et compasser mes jours,
Les moys, les ans pour chacun fruict produyre
Par sa challeur, la lune pour nous luyre
Et esclaircir les tenebres nocturnes :
Le tout as faict en fassons taciturnes.
Oultre as creés les quatre elemens
Pour me donner vie et nourrissemens. »
(page 6, épître I, vers 37 à 48)
La première épître est une confession de l’âme pécheresse. Ce thème du péché et du repentir, est un pilier de sa création religieuse et est contrebalancé par la force de l’amour de Dieu. Catherine d’Amboise se sent petite et faible et en même temps, forte d’une foi dont elle veut témoigner :
« Je devins lors par ort péché lepreuse,
Hydeuse à veoir en face tresorrible,
Plus que nul autre infaicte et corruptible. »
(page 10, épître I, vers 72 à 74)
(…)
« O doulz Jhesus, tu fus si amyable
De moy meschante et si trespiteable
Que tu voullus de ton throsne descendre
Et mortel corps pour l’amour de moy prendre. »
(page 12, épître I, vers 95 à 98)
Catherine d’Amboise demande d’avance pardon pour ses fautes :
« Mais je sçay bien pour vroy que prens
plaisir
À ceulz qui ont douleur et deplaisir
De leurs pechés et s’en vont repentant.
O bon Jhesus, las, il m’en deplaist tant ! »
(page 16, épître VI, vers 151 à 154)
Et un peu plus loin :
« Te suppliant avoir pitié de moy
Et me donner par amour et par don
De tous mes maulz et ordz pechés pardon,
(…) »
(page 20, épître I, vers 182 à 184)
Elle se remémore la Création du monde par Dieu et l’histoire d’Adam et d’Ève mais elle garde confiance.
Si Catherine reconnaît sa petitesse, elle aime aussi à dire la noblesse de son nom qu’elle est fière de porter ce qui explique qu’elle le cite plusieurs fois :
« Escript au lieu segrect de ta maison
De Lynneres, où souvent oraison
Te presente Katherine d’Amboyse,
Que trouveras au tems qui vient courtoyse, »
(page 20, épître I, vers 195 à 198)
Son nom conclut aussi l’épître III « Epistre à la Mere de Dieu, (…) » :
« Pour ceste cause et la raison preveue
De Katherine d’Amboyse au vroy congneue,
D’ung franc voulloir en toute humilité
T’a bien voullu escrire ce traicté
Comme le voys couché par inventoyre,
Te suppliant d’icelle avoir memoyre. »
(page 42, épître III, vers 169 à 174)
Son nom sert aussi de signature à la fin de l’épître IV :
« Fin par moy K. d’Amboyse ».
(page 48, épître IV)
Catherine d’Amboise garde l’espérance et livre au papier, des vers ardents de confiance en particulier dans l’épître III à la Vierge Marie, qui commence ainsi :
« Vierge Royal, des anges l’outrepasse,
Plus radiant que rubbiz ne thopasse,
Ouseray je bien la hardiesse emprendre
Te requerir ? je doubte de mesprendre,
Veu les pechés et esnormes deslys
Qu’ay perpetrés encontre ton cher Filz. »
(page 27 et 28, épître III, vers 1 à 6)
En contrepartie, certains textes de ce poète sont empreints de monotonie par exemple lors d’énumérations de personnages bibliques mais il reste malgré tout, la présence d’une force de douceur et de confiance absolue en la religion comme l’achèvement triomphal que l’on trouve dans le chant royal et dans son envoi :
« Esperits devotz, fidelles et loyaulx,
En paradis beaux manoirs et chasteaulx
Au plaisir Dieu la Vierge pour nous fonde,
Où la verrés en ces palais royaulx
La plus belle qui jamais fut au monde. »
(page 48, épître IV, vers 56 à 60)
De même que Dieu et Marie pardonnent, dans l’épître V, l’ange est là pour intercéder pour nous et apporter son message d’amour et de paix qu’elle intitule « À mon bon ange » et que voici :
« O mon bon ange, tu soys le bien venu !
Je apersoy bien, voyant le contenu
Par cest anneau dequoy present me fais,
Que de peché ne porte plus le fais. »
(page 48, épître V)
Dans l’épître VI à Jésus-Christ, l’ « aneau de paix et de remission » (vers 63) est une image utilisée comme symbole de l’alliance, sorte de mariage mystique avec Dieu et l’image reste belle de pureté avec sa notion de sacrement :
« Plus, si d’amour il te vouloist blasmer,
Fay leur responce que suis digne d’aymer
Et que l’aneau pourteras dans ton doy
En despit de eulx et pour l’amour de moy. »
(page 58, épître VI, vers 85 à 88)
Le rapport de mysticisme de Catherine d’Amboise est primordial. C’est l’essence de ses écrits fondés sur la reconnaissance de ses fautes, la demande d’intercession et de pardon. Ces trois étapes se trouvent dans les poèmes de cet auteur comme un fil conducteur toujours présent. La crainte de l’enfer était bien vivante en son temps. Son vocabulaire se réfère à la Bible mais ce poète ne lasse pas car elle est en même temps qu’un habile versificateur, un écrivain dont la sensibilité n’a d’égale que la douceur et la fermeté de ses idées :
« Aux deffectifz estre doulz et propice,
Non pas user de rigueur de justice : »
(page 64, épître VI, vers 137 et 138)
Son rapport avec d’autres poètes :
Catherine d’Amboise excelle dans l’épître, c’est une forme à la mode à son époque. Clément MAROT (1497 – 1544) en était le maître dans sa forme revisitée, adressée à un personnage célèbre ou imaginaire. Clément MAROT s’adresse à quelqu’un comme par exemple, dans son « Épître au roi » dont voici le début puis la fin :
« En m’ébattant je fais rondeau en rime
Et en rimant bien souvent je m’enrime ;
(…)
Fassiez avoir un jour par sa rime heur
Afin qu’on die en prose ou en rimant,
Ce rimailleur qui s’allait enrimant
Tant rimassa, rima et rimonna,
Qu’il a connu quel bien par rime on a. »
(Anthologie de la poésie française, page 484 et 485)
Au sérieux de Catherine d’Amboise, Clément MAROT répond par l’humour ; il se moque de lui et joue avec les sons. Tous deux utilisent l’épître de manière différente, Clément en riant de lui, Catherine d’une manière posée, réfléchie, avec un ton noble et respectueux qui reflète la puissance de sa foi face à sa petitesse et face à l’Éternel. Clément MAROT reste le poète du peuple qui aime s’amuser comme dans sa ballade intitulée « Du jour de Noël » dont j’extrais ce vers :
« Chantons, sautons, et dansons ric à ric »
(Anthologie de la poésie française, page 483)
Catherine d’Amboise, elle, garde un ton sérieux, empli de sensibilité :
« Le doulz espoir de ta misericorde,
De ta doulceur et grant benignité,
Veu que j’ay tant vers toy desmerité. »
(page 16, épître I, vers 144 à 146)
Catherine a des intonations de vérité qui ne trompent pas et par là, elle rappelle François VILLON (1431 - ?) ce qui est encore plus compréhensible lorsque l’on connaît la proximité entre Clément MAROT et François VILLON. En effet, Clément MAROT a préfacé le livre de poésie de VILLON sous le titre « Éloges et réserves de Marot ». Cette préface est une critique où il aborde aussi bien les qualités que les imperfections du poète, comme par exemple :
« Entre tous les bons livres imprimez de la langue Françoise ne s’en veoit ung si incorrect ne si lourdement corrompu, que celuy de Villon ; et m’esbahy (veu que c’est le meilleur poète Parisien qui se trouve) (…) » (préface, page V, Villon, Poésies complètes)
VILLON, comme MAROT, ont chacun composé une ballade sur le thème de Noël. Si la forme de Clément MAROT a pu nous surprendre, celle de VILLON a aussi son originalité, comme dans cet extrait :
« Tant grate chievre que mal gist,
Tant va le pot a l’eaue qu’il brise,
(…)
Tant parle on qu’on se contredist,
Tant vault bon bruyt que grace acquise,
Tant promet on qu’on s’en desdist,
Tant prie on que chose est acquise,
Tant plus est chiere et plus est quise,
Tant la quiert on qu’on y parvient,
Tant plus commune et moins requise,
Tant crie l’on Noël qu’il vient. »
(Villon, poésies complètes, page 227)
VILLON, poète du peuple, utilise les mots de tous les jours, parfois crus, parfois des faits divers contrairement à Catherine d’Amboise qui garde toujours son calme, son côté intellectuel dominé par l’empreinte de la foi comme dans cette « Adresse » :
« Mere des anges, ma maitresse et amye,
Du bon du cueur humblement te supplie
Une epistre que t’envoye recepvoir,
Acomplissant du dedans le vouloir. »
(page 24, épître II)
Là où Clément MAROT et VILLON rejettent leurs fautes sur eux et ne cherchent pas plus loin que d’éviter la potence, Catherine d’Amboise, elle, part dans de grands élans mystiques :
« J’ay transgressé tous les commandemens
De ton cher Filz. De cella je ne mens :
Pour abreger, aucun je n’en excepte,
Comme imprudente, à tout mal faire experte. »
(page 30, épître III, vers 27 à 30)
(…)
« Tu ayderas à mon excuse faire,
Toy presentant à l’eure que livrée
Sera icelle à ton Filz deslivrée, »
(page 30 et 32, épître III, vers 48 à 50)
Catherine d’Amboise a certainement connu les ballades de Charles d’ORLÉANS (1394 – 1465), certains érudits en sont convaincus. Il y a des similitudes de style entre eux. Charles d’ORLÉANS chante ses belles comme dans la ballade 45 dont voici l’envoi :
« De reconfort mon cueur aura
Autant que nul dessoubz les cieulx,
Belle, quant vous regardera
Par les fenestres de mes yeulx. »
À l’amour humain, Catherine écrit en miroir sur l’amour divin. Dieu est son amour pur :
« O deffective, quant ce pourpos escoutte,
Seulle arrequoy, et que bien je le gouste,
Non une goutte de joye ne respendent
Mes povres yeulx : ung millier en descendent (…) »
(page 38, épître III, vers 117 à 120)
« Misericorde, où tous biens sont comprins,
Misericorde, dont mainctz fruicts sont venus,
Par son moyen en ce monde advenus. »
(page 38, épître III, vers 132 à 134)
Marie intercède pour nous comme dans son poème du Chant royal où une phrase revient comme un refrain :
« La plus belle qui jamais fut au monde »
(page 44, 46 et 48, épître IV, vers 11, 22, 33, 44, 55 et 60)
Dans ce chant royal, Catherine d’Amboise allie la perfection formelle à la recherche du raffinement et ce poème intitulé « La plus belle qui jamais fut au monde » est considéré comme un véritable chef d’œuvre.
Son mysticisme la rapproche de Marguerite de Navarre (1492 – 1549) qui était de la même époque mais les accents de sincérité de Catherine d’Amboise, sa candeur naïve et sa sensibilité féminine nous la rendent proche de nous. Ce sont des accents de vérité qui ne trompent pas et font vibrer l’intimité de son être :
« Temptation faict à cueur retourner
Bon gré mal gré le pecheur destourner.
Temptation qui faict crier helas
Faict plus de bien à la fin que soulas.
Mais que pascience conduyse en bon espoir
Le desvoyé, esvitant desespoir. »
(page 64, épître VI, vers 151 à 156)
Les écrits de Marguerite de Navarre relèvent plus de platonisme et de « philosophie évangélique ». C’était la sœur de François Ier ; elle était engagée en politique ce qui explique que certaines de ses œuvres furent même condamnées par la Sorbonne (« Le Miroir de l’âme pécheresse », de tendance réformatrice par exemple). Ses sujets religieux la rapprochent de Catherine d’Amboise mais son ton emphatique la différencie comme dans cet extrait de « Chansons spirituelles » de son livre « Les Marguerites de la Marguerite des princesses » dont le titre déjà annonce la complexité de la compréhension :
« De Christ, duquel sera femme
Jointe inséparablement,
L’âme étant Rien, sera dame
De tout par son Tout, vraiment.
Descendons. »
(La Bibliothèque de Poésie, éditions France Loisirs, La poésie de la Renaissance, page 48)
La simplicité noble de Catherine est loin de ce style plus sophistiqué, précieux et qui plaisait aussi à cette époque.
Certains érudits la rapprochent de son contemporain, Étienne de LA BOÉTIE (1530 – 1563). Il est vrai que cet auteur cherchait à montrer la beauté du monde sans renier son intérêt pour la religion à une époque où l’esprit de Réforme commençait à prendre de l’importance. Ses poèmes étaient adressés à son épouse Marguerite de Carle, sous forme de sonnets, là où ceux de Catherine d’Amboise s’adressaient à Dieu, mais Étienne de LA BOÉTIE montre une sensibilité proche d’elle :
« Quoi ? qu’est-ce ? ô vents, ô nues, ô l’orage ?
A point nommé, quand, moi d’elle approchant,
Les bois, les monts, les baisses vais tranchant,
Sur moi d’aguet vous passez votre rage :
Ores mon cœur s’embrase davantage.
Allez, allez faire peur au marchand
Qui dans la mer les trésors va cherchant :
Ce n’est ainsi qu’on m’abat le courage.
Quand j’ois les vents, leur tempête et leurs cris,
De leur malice en mon cœur je me ris.
Me pensent-ils pour cela faire rendre ?
Fasse le ciel du pire, et l’air aussi.
Je veux, je veux et le déclare aussi.
S’il faut mourir, mourir comme Léandre. »
(« Vingt-neuf sonnets », 1580, La Bibliothèque de Poésie, éditions France Loisirs, La poésie de la Renaissance, page 246)
L’amour galant était un thème apprécié alors et nous ne pouvons passer sous silence, le poète de Touraine qui a marqué son époque, le chef de file de ce XVIème siècle, celui qui reste encore de nos jours, le poète des « Amours », je cite bien sûr, Pierre de RONSARD (1524 – 1585). Lui aussi s’engagea au niveau religieux même si ses œuvres les plus connues demeurent celles où il chante ses belles. La fuite du temps l’a toujours marqué ; voici son expression dans ce passage où il pleure la mort de Cassandre, dans les Odes au livre III :
« Ainsi après un siècle ou deux
Plus ne sentirai rien sous terre.
Mais de quoi sert de désirer
Sinon pour l’homme martyrer ?
Le désir n’est rien que martyre.
Content ne vit le désireux,
Et l’homme mort est bienheureux :
Heureux qui plus rien ne désire ! »
(La Bibliothèque de Poésie, éditions France Loisirs, La poésie de la Renaissance, page 183)
Si Catherine d’Amboise ne se plaint pas de vieillir et d’approcher la mort, elle parle d’une manière indirecte de ce thème dans ces poèmes, par exemple lorsqu’elle nous dit sa crainte d’aller en enfer mais celle-ci ne se sépare jamais de sa démarche de pitié et de demande de pardon. Dans sa vie comme dans ses écrits, les amours terrestres ont été fugaces et la foi passe avant la mort :
« Persevere tousjours de mieulx en mieulx :
Ung vray aymant a tousjours envieulx.
Notte ce point : je seray ton garent
En tous tes faictz aydable et secourant,
Mais que tu soys juste en ton maintenir :
Ceulx du jourduy promectent sans tenir.
Ne soys itelle, car c’est ruse evidente
De mocquerie voysine et parente. »
(page 60, épître VI, vers 93 à 100)
Dans cet extrait, Catherine d’Amboise met son amour en Dieu seul. L’amour terrestre et les amours galants sont donc loin d’elle. Catherine d’Amboise nous étonne donc ; elle n’a pas cherché à plaire ; elle a écrit du plus profond de son intérieur, de sa foi simple, naïve mais puissante de sa force d’âme.
Ainsi cette dame de piété de la première moitié du XVIème siècle nous apporte par son goût de l’écriture et de l’art, son témoignage personnel même si elle a subi l’influence de ses contemporains ; elle n’a jamais renié sa ligne de vie, est restée fidèle à son style et à son engagement mystique. Elle a suivi sa voie et même si elle n’est jamais devenue un poète très célèbre, elle n’est pas complètement tombée dans l’oubli. Rappelons-nous sa délicatesse envers Marie, « La plus belle qui jamais fut au monde ». Catherine d’Amboise allie la grâce à la noblesse, l’humilité à la force d’écriture. Gardons le souvenir de ses écrits raffinés d’une grande sensibilité comme un témoignage de plus sur la manière de vivre aux frontières de la Renaissance.
Catherine RÉAULT-CROSNIER
BIBLIOGRAPHIE :
- Catherine d’Amboise, Les Devotes Epistres, présentées et éditées par Yves Giraud, Éditions Universitaires Fribourg, Suisse, 2002, 71 pages + 27 pages de présentation
- Ariane BERGERON-FOOTE, Les œuvres en prose de Catherine d’Amboise, dame de Lignières (1481 – 1550), synthèse de la thèse de doctorat soutenue en 2002. Sur Internet : http://theses.enc.sorbonne.fr/document1.html (consulté le 25 mai 2004)
- Michel CAZENAVE, Anthologie de la poésie de langue française du XIIème au XXème siècle, Éditions Hachette, Paris, 1994, 1574 pages
- Charles d’ORLÉANS, En la forêt de longue attente et autres poèmes, Poésie/Gallimard, Paris, 2001, 519 pages
- Sur Internet : http://pages.infinit.net/biblisem/auteurs/autcatha.htm, notice biographique de Catherine d’Amboise, extraite de La poésie féminine de Jeannine MOULIN, Seghers, 1966.
- François VILLON, Poésies complètes, Le livre de poche, Paris, 1972, 337 pages
- La bibliothèque de poésie France Loisirs, tome 2 « La poésie de la Renaissance », France Loisirs, 1991, 285 pages
Sur le présent site, vous trouverez le "Chant royal" de Catherine d'Amboise, lu le 1er août 2003, lors des 5èmes Rencontres littéraires dans le jardin des Prébendes, à Tours. |
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