5èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 8 août 2003, de 17 h 30 à 19 h

 

Menie GRÉGOIRE,

une femme de Lettres

Ménie GRÉGOIRE, aux 5èmes Rencontres littéraires dans le jardin des Prébendes à Tours, le 8 août 2003

 

NB : En deuxième partie de la Rencontre, Menie Grégoire a répondu aux questions du public.

 

Marie Laurentin, Madame Roger Grégoire, dite Menie Grégoire est née en 1919 à Cholet en Vendée mais elle est aussi tourangelle par sa mère ; ses grands-parents ont vécu à Rochecorbon où elle a passé ses vacances chaque année durant son enfance. Elle vivait le reste de l’année à Cholet. À dix-huit ans, après le bac, elle a séjourné six mois à Tours, à cette époque elle faisait des aquarelles. Elle a toujours aimé la Touraine ce qui explique que plusieurs de ces romans y sont situés, en particulier « Les Dames de la Loire » qui se passe à Chinon et « La fortune de Marie » dont l’histoire se déroule à Tours. Elle aime même tellement la Touraine qu’elle a choisi d’y habiter. Elle réside à Rochecorbon, dans la demeure familiale emplie de souvenirs de jeunesse, en alternance avec Paris. Elle ne se lasse pas de la Touraine, « de son côté « ancien domaine royal où tout est propre, beau, soigné. » » (Extrait de l’article de La Nouvelle République du 22 avril 2002). Menie Grégoire a donc de toute évidence, un rapport direct avec notre région et nous allons lui rendre hommage en analysant sa vie passionnante et ses écrits qui sont des plaidoyers de défense de la condition féminine.

5èmes Rencontres littéraires au jardin des Prébendes à Tours, le 8 août 2003 avec Menie GRÉGOIRE.

Sa biographie :

Le prénom Menie signifie Marie en vendéen. Elle a une licence d’histoire et a suivi des études d’égyptologie à Paris. Elle a écrit un premier livre, « Le métier de femme » aux éditions Plon, qui l’a fait connaître par la presse en 1965. C’est une longue psychanalyse sur dix ans.

Pendant quinze ans, de 1967 à 1981, elle a « inventé la radio moderne, donnant la parole au public », animant une tribune tous les jours sur RTL de 15 h à 15 h 30, pour répondre aux angoisses des gens qui lui téléphonaient et auxquelles pour certains, elle répondait en direct avec assurance, disponibilité, courage pour les aider à faire face à leurs problèmes et les résoudre. Menie Grégoire a donc inventé la radio moderne, donnant la parole au public. Dominique Cardon, sociologue, chercheur au CNET, service de France Télécom recherche et développement, membre de Prisme, relate avec justesse, l’expérience radiophonique de Menie Grégoire, à travers plusieurs articles dont en 1995, celui intitulé « « Chère Menie… » Émotions et engagements de l’auditeur de Menie Grégoire ». Dominique Cardon a documenté ses recherches à partir des archives de l’émission radiophonique, archives déposées au Centre d’archives contemporaines d’Indre-et-Loire. Voici un résumé de ses impressions et réflexions :

Elle dialoguait en direct avec trois ou quatre interlocuteurs anonymes, préalablement filtrés par le standard de l’émission. C’était une innovation de par le côté privé des confidences, les questions « intimes » étant débattues en public, une innovation aussi de par la réponse en direct sur des sujets parfois délicats et demandant du tact, de par enfin le recours à la psychologie et la psychanalyse. Menie Grégoire essayait ainsi d’aider directement les gens, avec une réponse qui ne faisait pas déni du vécu de chacun, essayait de se mettre à la portée de tous et surtout de redonner confiance même si tout n’était pas résolu. Les souffrances les plus cachées pouvaient ainsi s’exprimer et trouver une écoute attentive ce qui est déjà une partie de la réponse. L’engagement émotionnel des appelants était intense ; c’était un appel à l’aide et Menie Grégoire savait comprendre, consoler, aider ou accuser comme un avocat des causes délicates. L’anonymat préservait de l’utilisation publicitaire, du voyeurisme déplacé. Il permettait aussi la confiance, la confidentialité étant respectée. Quand on sait que le meilleur traitement de la névrose consiste à écouter l’autre attentivement ce qui lui permet de faire le point et de prendre du recul par rapport à ses problèmes, on comprend mieux le sens de la démarche de Menie. Bien sûr trouver les bons mots, n’est pas une tâche facile et le savoir-faire de Menie n’est pas donné à tout le monde. C’est un art que Menie utilise avec beaucoup de justesse. Soutenue par les uns, dénigrée par les autres, Menie Grégoire n’a jamais laissé les gens indifférents. On lui reprochait son appartenance à la bourgeoisie, son statut de vedette, son recours à la psychanalyse, la dangerosité de ses réponses chez les névrosés, sa relation avec ses auditeurs. Heureusement les courriers de très nombreux auditeurs vinrent la soutenir et l’aidèrent dans ces moments de remise en cause. Sa récompense a été la fidélité des auditeurs et les témoignages de remerciements. Menie parle d’abord avec son cœur puis comme une mère. Elle s’engage au niveau émotif en face de ses appelants. Elle est un « baume », « une de mes meilleures joies de la journée », confie une auditrice, un moment « où l’on s’oublie pour fraterniser avec les autres êtres humains ». Dans l’expérience de l’attendrissement, il y a la « vérité des cœurs » (cité par Dominique Cardon dans l’article ci-dessus référencé, page 12). Elle s’approprie alors le malheur des autres pour pouvoir consoler. Elle dit d’ailleurs elle-même, qu’elle est « de tout cœur » avec l’appelant.

À partir de 1973, elle est accompagnée d’un médecin homme dans son émission quotidienne sur la « responsabilité sexuelle ». Son émission a une vertu de reconstruction à travers les questions de Menie Grégoire, par le fait que de nombreuses personnes prennent conscience que leur problème n’est pas unique, que puisque d’autres plus atteints s’en sortent, pourquoi pas eux. Certains se sont élevés contre l’étalage de la vie privée, contre l’impudeur des confidences car bien sûr, elle n’a pas pu répondre à tous. Vu le bénéfice qu’elle a apporté à un grand nombre, cela relativise les critiques. Les femmes battues ont la parole pour parler de sujets tabous, par exemple de la frigidité devant tout le monde et d’en débattre. Cette prise de conscience de la frustration, de la dépendance, est un grand pas vers l’émancipation de la femme et de tout être diminué par un autre. Même les prostituées s’expriment ! Il n’y a pas de paroles impures, il y a une société avec ses déviations et on ne peut nier ses scandales. Menie Grégoire a été un véritable phénomène de société. Elle a servi à l’identification sexuelle des adolescents. Elle a tissé des liens émotionnels forts et a essayé d’aider à la construction de l’individu dans la société, par un échange de réflexions.

Dans sa célèbre émission du 10 mars 1971 en direct de la salle Pleyel à Paris, Menie Grégoire a donné la parole aux homosexuels. Elle a servi de déclic à la formation du mouvement homosexuel militant français (FHAR : Front homosexuel d’action révolutionnaire). Un psychanalyste, un prêtre, un journaliste, répondent à Menie et aux auditeurs pour donner leur point de vue respectif.

Le psychanalyste dit en particulier :

« l’amour est une attirance irrésistible qui pousse deux êtres l’un vers l’autre et les amène à certains actes dits sexuels et normalement cet élan se passe de l’être d’un sexe à un être de l’autre sexe, et il arrive que par accident, cet élan se passe entre deux individus de même sexe. » (retranscription de l’émission, page 2/9)

Le prêtre dans un but charismatique, veut aider l’homosexuel :

« (…) j’accueille beaucoup d’homosexuels, mes confrères également, et qui viennent parler de leurs souffrances, cette souffrance-là, on ne peut pas y être insensible. » (retranscription de l’émission, page 8/9)

Le journaliste, Pierre Hahn, est frappé par un certain type de vie dépendant de chaque société, par exemple l’homosexualité dans la Grèce antique ou certaines tribus indiennes, faisaient partie intégrante de la société ; de même certains animaux le font naturellement. Donc pour lui comme pour Freud, « la sexualité n’est pas fixée au départ, c’est une chose qui se porte, c’est une force. » (retranscription de l’émission, page 5/9)

Menie Grégoire est au croisement de toutes ces réflexions comme lien de jonction pouvant unir les homosexuels mal dans leur peau à ceux qui réfléchissent pour essayer de les aider chacun à sa manière à sortir de l’impasse et à trouver leur épanouissement, sans annihiler leur personnalité :

«  (…) vous pensez qu’il y a dans notre société une morale qui condamne, qui est répressive. Que si on sortait de notre société pour aller dans d’autres il n’y aurait pas la même morale, la même répression. » (retranscription de l’émission, page 5/9)

Puis elle donne sa position personnelle :

« (…) je suis toute prête à apporter le respect et la compréhension, mais je n’irais pas jusqu’à dire que ça peut être un modèle social. » (retranscription de l’émission, page 8/9)

Menie Grégoire prend donc une position active dans ses émissions ; elle laisse chacun exprimer ses convictions, les respecte mais donne sa propre opinion sans tenir compte des préjugés.

Elle a aussi été éditorialiste de France-Soir et elle a animé une émission de télévision « Avec le temps » en 1987. Dans celle-ci, elle reprenait, de dos, les grands cas de l’antenne pour faire savoir que la vie pardonnait tout. Dans cette émission, elle a abordé de nombreux sujets délicats, controversés dont la sexualité, la contraception, l’inceste, les femmes battues… et elle a reçu des milliers de témoignages bouleversants. Elle a écrit de nombreux articles dans Elle et Marie-Claire.

À partir de 1965, elle a écrit de nombreux essais et romans.

Elle est membre de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine depuis 1996.

Elle partage actuellement son temps entre son appartement de Paris et sa maison de Rochecorbon.

 

Son œuvre :

Son premier livre Le métier de femme aux éditions Plon en 1965, a été un « événement » car c’était le premier ouvrage sur ce thème. Il est dans la lignée de ses idées, en particulier dans son soutien absolu à l’émancipation obligatoire de la femme. C’est grâce à ce livre qu’elle est rentrée à RTL.

Suivront de nombreux ouvrages dont :

  • en 1966, un roman, La Belle Arsène aux mêmes éditions,

  • en 1968, Menie Grégoire. Passeport de couple au Club Français des bibliophiles,

  • en 1971, Les Cris de la vie aux éditions Tchou,

  • en 1972, Menie Grégoire raconte chez Hachette,

  • en 1976, Telle que je suis chez Laffont,

  • en 1978, Les Contes de Menie Grégoire chez Nathan,

  • en 1981, Des Passions et des rêves chez Laffont (constituées de 13 histoires vraies),

  • en 1983, un roman Tournelune chez Flammarion,

  • en 1985, Sagesse et folies des Français aux éditions Lattès qui rassemble un choix de « éditoriaux » de 8 heures du matin diffusées sur RTL de 1981 à 1985,

  • en 1987, Nous aurons le temps de vivre chez Plon,

  • en 1988, La France et ses immigrés, livre constitué de lettres réunies et présentées par Menie Grégoire aux éditions Carrère,

  • en 1990, un roman, La Dame du Puy du Fou aux éditions de Fallois, dont le journal France-Soir fait l’éloge sous le titre « Vie et mort d’une grande amoureuse » ; ce livre sortira ensuite en livre de poche, permettant une diffusion de masse,

  • en 1991, Le petit roi du Poitou (roman),

  • en 1993, La magicienne (roman),

  • en 1996, Le Bien Aimé, représentant les mémoires apocryphes de Jeanne Antoinette Poisson, marquise de Pompadour,

  • en 1998, François Furet, recueil d’allocutions prononcées au cours de l’hommage rendu dans le grand amphithéâtre du Domaine universitaire de Cholet la même année,

  • en 1999, Les Dames de la Loire

  • en 2002, La fortune de Marie

  • en 2003, Une affaire de famille, ces trois derniers livres formant une saga familiale publiée aux éditions Plon.

Le roman Les Dames de la Loire se situe à Chinon et à Tours. C’est l’histoire de son arrière-grand-mère tourangelle, née à Chinon et celle de sa grand-mère tourangelle On cueille les impressions au cours des évènements, comme par exemple :

« Les deux jours passés à Tours laissèrent après tout un bon souvenir : on s’en fut en voiture, sur la demande de Julie, visiter Amboise, dont le château était en parfait état, contrairement à celui de Chinon qui achevait de perdre ses toitures et dont les poutres menaçaient de s’écrouler. La forêt avec sa pagode chinoise et son immense bassin, enchanta Julie. » (Les Dames de la Loire, page 54)

Le personnage principal, Julie Guiet de la Gravière est issue d’une famille de petite noblesse provinciale, ruinée sous la Révolution. La Touraine est la reine du paysage, toute en subtilité, à travers ses vins et ses fromages, comme par ses paysages décrits avec la passion d’une amoureuse. Oui, Menie GRÉGOIRE sait faire glisser ici la Loire, dans la trame de la vie qui passe, au fil de l’histoire :

« De sa fenêtre, elle apercevait la Loire, somptueuse et royale, sous les arches exquises du pont de pierre et la longue rangée des façades Renaissance sur le quai. » (Les Dames de la Loire, page 387)

La tradition tourangelle a aussi sa place comme dans ces deux passages :

« - La beauté d’une femme ne fait jamais tort à aucune cause, coupa gaiement le maître de maison en débouchant son précieux vouvray (1848, dix ans d’âge).

- La tradition, dit-il : du vouvray avec les fromages de chèvre. » (Les Dames de la Loire, page 8)

« Le fromage arrivait : sainte-maure, valençay, selles-sur-cher, un beau plateau de chèvres mûrs à point. » (Les Dames de la Loire, page 10)

Ce roman a des points communs avec La jeune fille bien élevée de René Boylesve qui se déroule à Chinon et aborde le thème de l’éducation des jeunes filles et avec Mademoiselle Cloque du même auteur qui parle de la guerre des partis pour la reconstruction de la basilique Saint-Martin à Tours. Menie Grégoire cite cette fameuse Mademoiselle Cloque :

« Si Marie préférait, elle pourrait, bien sûr, passer la journée avec Mlle Cloque. (…) Paris construisait à Montmartre une immense basilique, en expiation des crimes de la Commune, Tours se devait donc de reconstruire la basilique historique de Saint-Martin, orgueil des chrétiens depuis plus de mille ans et livrée aux vautours de la Révolution. » (Les Dames de la Loire, page 358 et 359)

Dans Mademoiselle Cloque de René Boylesve, cet écrivain décrit très bien cette guerre d’opinion qui ébranle la société tourangelle avec les partisans pour ou contre la basilique à l’identique, en laissant Mademoiselle Cloque s’élancer dans de grands discours :

« leur église bâtarde, une église de quatre sous, une baraque informe qui sera une humiliation pour les fidèles en même temps qu’une victoire pour toute la franc-maçonnerie !… Vous comprenez bien que ces gens-là périraient de dépit si nous relevions la grande Basilique ! Ha ! ha ! cela les gênerait ce monument qui doit englober tout un quartier et qui serait plus grand que la cathédrale ! Vous connaissez les deux tours, la tour de l’Horloge et la tour Charlemagne, n’est-ce pas ? Eh bien, ces tours forment les deux angles de la construction qu’on projette : on bâtirait deux autres tours pareilles, aux deux autres coins, le tout réuni par un bâtiment à cinq nefs, gigantesque !… » (René Boylesve, Mademoiselle Cloque, page 29)

Julie comme Menie est un être passionné. Ses parents veulent la marier sans son avis comme c’était la coutume de l’époque. Ils lui cherchent un homme qui a des biens et on lui fait la morale :

« Le mariage a été fondé par Dieu tout d’abord pour procurer la persévérance de la race humaine par la procréation des enfants. C’est là l’idée essentielle de toute formation de l’épouse. » (Les Dames de la Loire, page 28 et 29)

Julie ne peut accepter la rigueur de cette conception, elle qui a soif d’amour passionné. Cependant elle acceptera comme un moindre mal, le mari qu’on lui propose et qui l’aime. Elle aura un premier enfant, Marie, dont la vie d’adulte servira de trame au prochain roman de Menie ; suivra Eugénie puis Julie fait une fausse couche et sur les conseils d’une vieille tante, elle s’affirme et fait chambre à part :

« Vous ne me toucherez plus. Je ne veux plus d’enfant, c’est fini. » (Les Dames de la Loire, page 91)

René Boylesve dans La jeune fille bien élevée qui se passe à Chinon, était lui aussi un avant-gardiste de la condition féminine avant l’heure, comme dans ces extraits successifs dont la répétition est là pour bien insister sur les idées habituelles de l’époque :

« une jeune fille élevée comme je l’étais ne devant guère causer, je n’eus pas de maladresse à éviter » (René Boylesve, La jeune fille bien élevée, pages 143 et 144)

« Une jeune fille élevée comme il faut doit, sans cesse, surveiller ses sentiments… » (René Boylesve, La jeune fille bien élevée, page 153)

« Les familles s’entendaient par l’intermédiaire d’une commune maison amie, pour présenter l’un à l’autre un jeune homme et une jeune fille jugés capables de faire des époux assortis » (René Boylesve, La jeune fille bien élevée, pages 155 et 156)

« Alors, tout à coup, j’eus l’impression que j’étais amenée au mariage comme une bête de somme à l’abattoir. » (René Boylesve, La jeune fille bien élevée, page 249)

De René Boylesve à Menie Grégoire, il y a continuité de pensées autour de la femme.

Dans le roman Les Dames de la Loire, Julie apprend alors ce que tout le monde savait autour d’elle, que son mari s’était amouraché dans sa jeunesse d’une bonne de qui il a eu un enfant, Firmin, copie presque parfaite de sa fille Marie. L’humiliation passée, son courage reprend le dessus et contrairement à son mari qui veut effacer toute trace de ce passé, elle s’affirme, indépendante et aide ce jeune, garçon de ferme, matériellement puis lors de son mariage. Son mari le saura plus tard par elle. Autre preuve d’indépendance, elle écrit, fait paraître ses romans dans un journal, Le Journal des Modes, est rémunérée et arrive à mettre son mari devant le fait accompli sans qu’il se fâche, usant pour cela de toute sa ruse féminine. Bien sûr, elle écrit sous un nom d’emprunt, Madame Juliane. Sa vie passe. Elle découvre l’amour fou avec un peintre d’avant-garde, Édouard et elle arrivera à cacher ses amours à son entourage, sans pour autant se débarrasser d’un sentiment de culpabilité omniprésent, en particulier par rapport à son éducation religieuse mais l’impulsion de l’amour est plus forte que tout. :

« Elle apprit cette chose incroyable, qu’un homme et une femme peuvent passer une journée entière dans un lit, sans rien d’autre qu’eux-mêmes et une bouteille de champagne, et que les femmes qui ne le sauront pas ignoreront à jamais le bonheur. » (Les Dames de la Loire, page 186)

Si sa vie passe, l’histoire avance et change. De la déroute financière de son mari qui a fait de mauvais placements à la soif de liberté entraînant la foi en la République, puis la déception, de l’arrivée de l’Empire qui apportera la guerre à la Commune et au temps des réquisitions, l’histoire valse comme Julie dans un tournoiement difficile à contrôler, valse jusqu’à la mort de son mari puis de son amant et enfin de Julie qui part avec ses secrets :

« La dernière lettre s’envolait en fumée, le soleil se couchait, si rouge qu’on aurait cru un incendie. Et puis la nuit tomba d’un seul coup, comme une caresse, comme la paix de l’oubli, comme une absolution… mais comme le mystère éternel de ceux qui ne sont plus. » (Les Dames de la Loire, page 398)

Si Julie meurt, la vie continue et Marie en est une preuve. Le deuxième volet de cette saga, est intitulé La fortune de Marie. Marie volontaire comme sa mère, mettra toute sa ténacité à reconquérir le prestige disparu. Elle y arrivera au prix de nombreux sacrifices et aura une boutique d’avant-garde « Tout pour la maison » mais sa vision de l’amour reste morale et ne peut se permettre aucun écart ; elle ne pourra donc pas comprendre son fils René qui a soif de liberté. Celui-ci sera honni pour avoir choisi une femme mariée, battue, qui s’est réfugiée sous sa protection. Ils vivront un amour interdit et fidèle ; il partira au Maroc avec sa bien aimée Wanda où il servira le général Liautey ; il deviendra conservateur des arts mauresques avec l’appui de ce dernier. Mais la guerre se déclare en France et en bon patriote, il décide de s’engager. Il mourra sur le champ de bataille :

« Il a sept balles dans le corps. C’est ce qu’on a appelé la « Victoire de la Marne ». » (La fortune de Marie, page 278)

Le personnage de René provient de sa famille. C’est une histoire vraie. René était le frère de la mère de Menie Grégoire. Il habitait à Tours, rue Descartes.

Dans ce roman qui suit les traces de Julie, l’émancipation de la femme est aussi abordée. Marie est une maîtresse qui dirige l’entreprise. Les tensions entre l’église et le gouvernement trouvent à s’exprimer par la voix de la romancière, comme par exemple l’attachement au culte catholique de Marie, l’angoisse de l’avenir devant la séparation de l’Église et de l’État :

« Mais les choses allaient de mal en pis. Les évènements se succédaient sans interruption : séparation de l’Église et de l’État, rupture du Concordat, encyclique « véhémente » du pape, tout cela suivi par l’horreur : les inventaires des biens d’Église, du mobilier et des objets de culte ! » (La fortune de Marie, pages 107 et 108)

La vie de Marie continue contre vents et marées et elle essaie d’effacer de sa mémoire ce fils, René, qui ne s’est pas réconcilié avec elle parce qu’elle a refusé sa femme, Wanda. Celle-ci revient en France, veuve de l’homme dont elle est restée l’amante, enceinte de lui. Elle aura une fille qu’elle appellera Renée et qui aura les yeux bleus de la famille de la Gravière. Leur amour illégitime sera concrétisé par elle et Menie va continuer avec sa verve habituelle en créant une suite à ce roman par cet enfant. Tout a une fin, c’est vrai, ou plutôt rien n’a une fin car la vie continue toujours dans les méandres de l’histoire où chaque personne n’est qu’un frêle esquif ballotté au gré des conventions morales, religieuses, éthiques, façonné par l’éducation et par les expériences de chacun. Qui nous est le plus attachant, l’austérité à la loi ou la soif de liberté et la passion avant tout ? Menie Grégoire nous trace une route à suivre, à chacun de trouver son équilibre contre l’adversité qui est le lot obligatoire de toute vie.

 

Son portrait :

À quatre-vingt-trois ans, elle reste une femme courtoise, posée, souriante dont les yeux pétillent de vivacité intellectuelle. Avec toujours un projet en tête, Menie efface le temps. D’allure distinguée, mince, de taille moyenne, elle est à l’écoute de l’autre. Toujours prête à échanger, à essayer de comprendre, je pourrais presque dire qu’elle n’a pas changé puisqu’elle a toujours tenu le même cap : elle reste une battante et un écrivain passionné.

Menie est une femme d’action. Ce n’est pas un hasard si elle se réfère à Simone de Beauvoir. Féministe, elle veut que la femme soit libre, émancipée, épanouie comme elle nous le dit :

« Simone de Beauvoir a compté plus pour les femmes de ma génération que ne le diront jamais les historiens. (…) Elle nous a mises au pied du mur, nous qu’on avait formées pour une autre vie que celle de nos mères. » (citée par Sylvie Chaperon dans Simone de Beauvoir, cinquante ans après page 4/6)

Menie et Simone de Beauvoir ont bien des points communs en particulier le combat singulier pour qu’avance la reconnaissance de la condition féminine. Féministes toutes deux, l’une d’une manière médiatique fait écho à l’autre sous un aspect plus philosophique. Ainsi voici quelques citations de Simone de Beauvoir tout à fait dans la lignée des pensées de Menie sur le mécanisme du mariage et son aspect lucratif dans la société et sur les possibilités d’épanouissement de la femme :

« Naguère, la jeune fille abritée par l’autorité des parents usait de sa liberté dans la révolte et l’espoir ; elle l’employait à refuser et dépasser une condition dans laquelle en même temps elle trouvait la sécurité ; c’était vers le mariage même qu’elle se transcendait du sein de la chaleur familiale ; » (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, page 689)

« Si en tant qu’épouse elle n’est pas un individu complet, elle le devient en tant que mère : l’enfant est sa joie et sa justification. » (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, page 735)

« C’est au sein du monde donné qu’il appartient à l’homme de faire triompher le règne de la liberté ; pour remporter cette suprême victoire, il est entre autres nécessaire que par-delà leurs différenciations naturelles hommes et femmes affirment sans équivoque leur fraternité. » (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, page 1056)

Oui, Menie et Simone de Beauvoir se rejoignent bien dans leur manière de voir la femme s’épanouir par l’usage réfléchi de sa liberté.

Menie, elle, a choisi les ondes pour diffuser son message ; elle fut ainsi la confidente des françaises entre 1967 et 1981 par son courrier et par ses échanges lors des émissions radiophoniques. Dans le mensuel « Les mécanismes de la croyance » (n° 053 de 1995), ces résultats ont été exploités au niveau sociologique, sous le titre « Les confidences des Françaises à Menie Grégoire » par Dominique Cardon et Smaïn Laacher pour les rendre accessibles au public.

 

Son avenir :

Menie Grégoire est toujours très active, très productive et ses livres se vendent bien. Elle aime le contact avec les gens et on peut la voir en Touraine dédicacer régulièrement ses livres, comme par exemple, le samedi 22 avril 2002, à La Maison de la Presse, rue de Bordeaux à Tours. Je l’ai retrouvée en août 2002, à « La forêt des livres » organisée par Gonzague Saint-Bris, à Chanceaux-près-Loches, où elle avait sa table à côté des grands comme René de Obaldia, membre de l’Académie française, Jean-Christophe Rufin, prix Goncourt 2001, Martine Le Coz, prix Renaudot 2001, Patrick Poivre D’Arvor et d’autres vedettes de la télévision. Elle y dédicaçait ses livres récents avec le sourire et beaucoup de délicatesse. Plus récemment encore, le vendredi 21 mars 2003, elle était l’invitée aux rendez-vous de la FNAC de Tours.

Si elle aime le contact, d’autres entretiennent sa connaissance comme par exemple Anne-Marie Sohn, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Haute Normandie à Rouen, féministe et érudite, lors d’un colloque à Bruxelles en 1998 (18 - 20 novembre 1998), où elle aborda le thème de « Les individus-femmes entre négation du moi et narcissisme » à propos des auditrices de Menie Grégoire.

Les journaux parlent d’elle, pas seulement les revues locales mais aussi des revues nationales comme par exemple, Le Nouvel Observateur du 15 avril 1999 (n° 1797), où des extraits de L’Écho du siècle - Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France dirigé par Jean-Noël Jeanneney, sont présentés ; à la lettre « M », Menie Grégoire a une place élogieuse :

« (…) L’émission, qui est la grande aventure de sa vie professionnelle, repose sur une alchimie bien dosée et sur un travail maîtrisé. (…) À l’antenne, Menie Grégoire fait parler, soutient, commente, réagit sans se cacher, sans neutralité ; comme l’écrit Catherine Clément dans « Le Monde » en 1976, « c’est une pratique de la compassion, au sens initial du terme : elle pâtit avec. » »

Voici un autre exemple : Dans la revue « L’école des parents », hors série n° 1 de 2001 (page 41 à 44), Dominique Cardon aborde les usages radiophoniques de la psychologie, à travers l’émission de Menie Grégoire.

Ce n’est pas un hasard aussi si les journaux Elle et Marie-Claire lui ont consacré de nombreux articles.

Menie Grégoire a reçu de nombreuses lettres au cours de sa carrière. Elle en a gardé 100 000 qu’elle a données aux archives contemporaines de Chambray-lès-Tours et le Conseil Général d’Indre-et-Loire a voté des crédits pour mettre tout cela en ordre. Ces lettres sont le reflet de la société et sont une mine de renseignements sur la vie de cette époque et l’émancipation de la femme.

Catherine RÉAULT-CROSNIER et Menie GRÉGOIRE, le 8 août 2003, lors des 5èmes Rencontres littéraires dans le jardin des Prébendes à Tours.

Catherine RÉAULT-CROSNIER et Menie GRÉGOIRE

Conclusion :

Le parcours de Menie Grégoire est époustouflant aussi bien en tant que femme qui a réfléchi sur la condition féminine dans le but de la faire évoluer, que par sa perspicacité qui lui a permis de tenir contre vents et marées, sachant passionner ses auditeurs pendant quinze ans, ne prenant jamais sa retraite, ayant toujours un projet de livre en tête, des rencontres littéraires programmées pour l’avenir. Menie Grégoire n’a jamais fini de vivre, avec son regard qui pétille de soif de créer, de partager. Elle ne vieillit pas car son expérience est toujours d’actualité et le combat pour l’épanouissement de la femme ne fait que commencer : il a fallu d’abord en faire prendre conscience la population puis réfléchir avant de proposer que la femme puisse décider et être une personne à part entière et non au rabais. En avant Menie dans le XXIème siècle, avec des projets comme votre dernier livre paru en juin 2003, Une affaire de famille. Avec Menie, le combat n’est jamais terminé !

Bravo et merci à Menie pour l’aide que vous avez apportée aux femmes en premier mais aussi aux délaissés de la vie et n’oublions jamais votre beau message de ténacité, d’encouragement qui a permis de donner la parole à tous, en particulier à ceux qui n’avaient jamais osé s’exprimer ouvertement auparavant.

 

Catherine Réault-Crosnier

 

 

NB : En deuxième partie de la Rencontre, Menie Grégoire a répondu aux questions du public.

 

NDLR : Nous avons employé l’orthographe « Menie » alors que l’on trouve fréquemment « Ménie ». Renseignement pris auprès de Menie Grégoire, il faut bien écrire et dire « Menie ».

 

BIBLIOGRAPHIE :

René Boylesve, La jeune fille bien élevée, H. Floury éditeur, Paris, 1909, 291 pages

René Boylesve, Mademoiselle Cloque, CLD, Chambray-lès-Tours, 1985, 265 pages

Dominique Cardon, « Chère Menie… » Émotions et engagements de l’auditeur de Menie Grégoire, Réseaux n° 70 CNET, 1995, 37 pages, disponible sur Internet : http://www.enssib.fr/autres-sites/reseaux-cent/70/02-cardon.pdf

Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, France-Loisirs, 1990, 1059 pages

Sylvie Chaperon, Simone de Beauvoir, cinquante ans après, Le Monde diplomatique, janvier 1999 page 27, disponible sur Internet : http://www.monde-diplomatique.fr/1999/01/CHAPERON/11516

Le Nouvel Observateur, n° 1797, dossier du 15 avril 1999, disponible sur Internet : http://www.nouvelobs.com/archives/nouvelobs_1797/dossier/art1.html (avec des extraits de L’Écho du siècle - Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France dirigé par Jean-Noël Jeanneney)

Menie Grégoire, Les dames de la Loire, éditions PLON, 2000, 399 pages

Menie Grégoire, La fortune de Marie, éditions PLON, 2002, 289 pages

Retranscription de l’émission de Menie Grégoire du 10 mars 1971 en direct de la salle Pleyel à Paris, disponible sur Internet : http://www.france.qrd.org/media/revue-h/001/probleme.html

La Nouvelle République du Centre-Ouest du 22 avril 2002, « Saga familiale saga tourangelle », compte rendu de l’après-midi de dédicace de Menie Grégoire à la Maison de la presse à Tours

La Nouvelle République du Centre-Ouest du 20 septembre 2002, « Rochecorbon, une soirée Menie Grégoire à la bibliothèque »

La Nouvelle République du Centre-Ouest des 8 et 9 mars 2003, « Lettres ouvertes sur la vie », article signé Marie Borius, à propos du don par Menie Grégoire de 100 000 lettres reçues aux archives contemporaines de Chambray-lès-Tours

Rendez-vous de la FNAC de Tours avec Menie Grégoire, le vendredi 21 mars 2003, notes prises en séance par Régis Crosnier