5èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 22 août 2003, de 17 h 30 à 19 h
2ème partie de la séance sur Eugène
BIZEAU,
consacrée à
Anne BIZEAU, son épouse et Max BIZEAU, son fils
Anne BIZEAU,
épouse d’Eugène BIZEAU
(1882 – 1973)
Anne CHAMBONNIÈRE, est née en 1882, en Auvergne ; elle se marie avec Eugène BIZEAU en 1916. Elle est institutrice et partage ses convictions. Elle est d’ailleurs engagée dans le syndicalisme. Eugène et Anne passeront trente ans en Auvergne et auront deux enfants, Max puis Claire. Ils seront vingt-six ans en Touraine, à Véretz, 27 rue Chaude. Anne est aussi poète et a publié deux recueils : « Les ailes de soie » et « Souvenance ». Ce dernier livre est préfacé par Paul GUTH et illustré de dessins originaux de TOUCHAGUES.
Anne BIZEAU fait paraître son deuxième livre à quatre-vingt-huit ans, trois ans avant sa mort. Elle est toujours belle et mince et Paul GUTH la surnomme la fée d’Auvergne. Elle dédie ce livre à son mari, ses enfants, ses amis d’« Art et Poésie », à tous ceux qui lui sont chers. Ce recueil est divisé en cinq chapitres : Monts et merveilles, Enfances, Monuments aux Morts d’Auvergne, Voyages, Tourments.
Dans la première partie, la plus importante en quantité puisqu’elle contient cinquante-neuf poèmes, c’est l’amoureuse de la nature qui parle et l’âge n’a pas effacé son regard émerveillé. Ce trait de caractère se retrouve aussi chez son mari d’ailleurs. La douceur, la pureté de la nature, les genêts, le vent, un nid, un ruisseau, l’odeur des pins, les nuages, elle admire toutes les choses simples que la nature met à portée de notre regard. Elle garde aussi la nostalgie de son pays natal, l’Auvergne, par exemple dans « Montagnes que j’aimais » :
« (…) Montagnes que j’aimais
Pardonnez, j’ai trahi…
C’était pour un mari ! » (page 17)
Délicatesse, sensibilité féminine sillonnent ces pages comme avec l’image :
« Ne coupez pas encor vos nattes, jeunes filles » (page 15)
qui est le titre et le leitmotiv d’un de ses poèmes.
Dans le chapitre suivant, « Enfances », elle célèbre à travers 17 poèmes, la maternité là où son mari célébra la « Paternité » dans un livre de poèmes ayant ce mot pour titre. Anne s’émerveille des gestes d’un bébé, comme dans « Sommeil d’enfant » :
« Sa peau de pêche mûre éclaire son visage
Son front calme et sans ride et ses beaux cils ne
bougent
Il est charme et fraîcheur, comme un ange à son âge
Son oreille, au repos, se plisse en ourlet rouge… » (page 149)
Ce poème s’adresse à son fils Max né en 1918 à Massiac. Ce paragraphe est aussi un hommage aux rêves où les contes de fées ne sont pas exclus ainsi dans le poème « Le prince charmant » :
« (…) Soyez plus sages mes enfants
Nous jouerons… au prince charmant ! » (page 137)
Là, c’est l’institutrice qui parle à ses bambins et essaie de captiver leur attention.
Ensuite, avec « Monuments aux Morts d’Auvergne », Anne nous montre son côté antimilitariste tout comme son mari, encore un point de ressemblance ! Elle se souvient d’un frère qu’elle a ainsi perdu à la guerre en 1917 et crie son opposition à la guerre comme dans « Le temps des heures de folie » :
« (…) Ils attendaient qu’on les désarme
Ces enfants de leur chair meurtrie,
On les coucha dans la prairie…
Ah maudit soit le temps des armes !
Les yeux des vieux sont pleins de larmes… » (page 171)
Les titres se succèdent et font choc comme des boulets : « Ils sont tombés… », « La colombe de la Paix ! », « Automne 1914 », « La bête humaine ! », « Les jouets guerriers »…
Vient ensuite le temps des « Voyages » car Anne n’a pas été insensible au charme tourangeau comme par exemple avec « Ballade tourangelle » ou « Châteaux de Rois… » dont voici un extrait :
« Touraine, sœur de poésie
Douce lumière
Châteaux royaux
Vins d’ambroisie… (…) » (page 191)
Là où elle passe, elle s’imprègne du lieu et laisse un poème comme à Nice ou en Provence avec « Le miroir aux cigales » ou « Salut à vous Nice et Provence ».
Anne BIZEAU termine ce recueil par le chapitre « Tourments » qui contient neuf poèmes. Chaque vie a son bonheur et son malheur. Elle fixe là ses regrets, ses moments difficiles, ses espoirs déçus comme avec « Que sais-je ? » :
« (…) Alors j’ai résolu d’aimer l’homme
mon frère
À la vie à la mort,
Jusque dans ses erreurs, jusque dans ses misères,
L’amour est le plus fort !… » (page 205)
Le destin est ce qu’il est mais on peut garder l’espoir et Anne veut le garder dans la vieillesse, même si la nostalgie pointe son nez comme dans l’avant-dernier poème qui a pour titre « Que ne peut-on vanner son cœur, son âme », tout un programme difficile à réaliser mais qui allie son amour de la nature à la volonté de donner le meilleur d’elle-même.
Anne a bien choisi le titre de son livre « Souvenance », mot à l’allure « vieille France ». Ce poète veut rattraper les mots, les assembler, chanter la beauté, savoir toujours s’émerveiller même à quatre-vingt-huit ans ! « Où sont nos bergères gentilles ? » est le premier vers du refrain du premier poème de ce livre (page 11). Il n’est pas sans nous rappeler le refrain médiéval du poème « Ballade des dames du temps jadis » de François VILLON : « Mais où sont les neiges d’antan ? ». Le même type d’impression ressort dans la « Ballade du temps de neige et de froidure » d’Anne BIZEAU qui se plaît à unir les temps lointains et les souvenirs (page 121). Cet aspect vieillot n’est pas à négliger. Anne ne renie pas le passé ; elle le fait revivre et garde la nostalgie du passé qui ne reviendra pas ainsi dans le dernier poème de ce recueil qui a pour titre « Je garde tes grands yeux pour sourire et rêver » qui est un hommage à sa mère comme le soulignent les derniers vers :
« (…) Je garde tes grands yeux pour rêver
qu’en ce monde
Cruel à mes chimères,
Les hommes font enfin la ronde
La ronde, pour l’amour qui luit aux yeux des
mères... » (page 223)
Anne BIZEAU sentait peut-être la mort la frôler ; elle se rapproche alors de sa mère pour la rejoindre mais sans quitter le rêve et l’amour qui l’ont habitée toute sa vie et qui ont su si bien imprégner ses poèmes. Anne BIZEAU est morte à Véretz, en 1973. Mais ses vers n’ont pas perdu de leur délicatesse et de leur vérité.
Si Eugène et Anne BIZEAU ont été passionnés de poésie durant toute leur vie adulte et même leur vieillesse, le virus de la poésie a été bien transmis à leur descendance puisque leur fils Max BIZEAU a édité trois recueils de poèmes : « La mère inachevée » préfacé par Paul GUTH, aux éditions Saint-Germain-des-Prés, « Éclats » chez le même éditeur en 1991, avec des illustrations de Léonor Fini et « Au nom d’un fils » aux éditions Christian Pirot. Ce livre a été préfacé par Françoise CHANDERNAGOR et contient des dessins de CABU. On remarque donc que le père et le fils ont eu le même éditeur, Christian Pirot et le même illustrateur, CABU qui nous régale de délicieux croquis humoristiques et satiriques.
Max BIZEAU fils d’Eugène BIZEAU (1918 - ) |
C’est grâce à l’accord de Max BIZEAU que j’ai pu réaliser cette rencontre littéraire ; il est donc normal qu’il trouve ici sa place. Né à Massiac, dans le Cantal, en 1918, Max BIZEAU est de sang tourangeau et auvergnat de part ses origines. Il a aussi été longtemps parisien d’adoption sur la colline Saint-Cloud. Licencié ès lettres, enseignant rue Saint-Dominique et au quai d’Orsay, il a aussi été un haut fonctionnaire. Dans ses poèmes, il allie la « douceur angevine » à la rudesse auvergnate sans omettre de laisser une place à l’amour, à l’humour et à la philosophie.
Il a quatre enfants et partage son temps entre Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et Véretz où il restaure la maison familiale avec sa femme Olga TKACHENKO-BIZEAU, elle-même poète de qualité dont les haïkus sont une de ses recherches. Le dos du livre « Éclats » de Max BIZEAU est orné d’un court poème de celle-ci, caractéristique de son style :
« Poèmes détachés du corps par la violence des
émotions,
polis pour faire clarté
de souffrances opaques ou de joies éphémères,
éclats de rire, d’indignation,
éclat de la femme aimée,
pierre à aiguiser la pensée,
éclats du Verbe. »
Tous les deux s’investissent activement dans l’association parisienne « Poésie sur Seine », restant unis à la Touraine, à travers l’association « Art et Poésie de Touraine », association dans laquelle Eugène BIZEAU avait aussi joué un rôle. Le flambeau de la poésie sera-t-il transmis ? L’espoir est permis puisque Pauline GIRAULT une arrière-petite-fille de Claire, la sœur de Max, aime la poésie et en écrit. En tout cas, déjà par le fils aîné d’Eugène, la poésie reste reine par exemple dans son livre « Éclats » qui contient cent-vingt-trois poèmes. Les titres de chapitres permettent d’apprécier la variété des thèmes abordés : Poétique, Époque, Paternité, Amour, Sourire, Érotiques, Pierre philosophale. Je ne peux pas m’empêcher de rapprocher le chapitre « Paternité » de Max BIZEAU du livre d’Eugène qui porte le même nom. Tous deux ont voulu marquer de leur empreinte de père, la poésie et c’est à leur honneur. Un autre point commun les rapproche, celui de l’amour où l’éternel féminin a bonne place. À travers le poème « Monument aux morts » de Max BIZEAU, l’engagement pacifiste est abordé et le fils rejoint là, son père et sa mère puisqu’Anne avait donné ce titre à un chapitre de son livre « Souvenance ». Étrange coïncidence ? mais est-ce vraiment une coïncidence que cette proximité, ce frôlement de mots si proches ?
Le côté antimilitariste se retrouve donc chez le fils comme chez ses parents, par exemple dans le poème « Monument aux morts », avec des mots qui frappent pour éviter les guerres :
« (…)
Bienheureux, bienheureux les morts
Ils ne souffrent plus
Tant et tant sont revenus
De guerre les yeux perdus
Pour tendre la main le dimanche
Sous un vitrail flammé
Insultant à leur tare… »
Ou encore le terme « lèpre de la guerre » (dans le même poème)
(page 26 et 27)
L’amour de la Touraine est ici aussi présent comme dans le sonnet « Loire » qui commence ainsi :
« Loire, à l’image d’une vie
Liseré blond au creux du fleuve
Les basses eaux, la Loire veuve
De barques à son cours ravies
Comme espérances enfuies
Au fil du temps, au fil de l’eau,
Que lui sert de rouler des flots
En crue, à la saison des pluies… » (page 110)
L’amour de la femme revient au gré des poèmes comme dans « Mystère » qui se termine ainsi :
« Amour à mort que rien n’efface
pas même le temps, ni l’espace… » (page 159)
Des thèmes éternels chez les poètes reviennent ici de génération en génération, dans cette famille, comme la nature et l’amour, avec la hantise de la guerre et avec chacun sa personnalité, paroles simples chez le père, douceur féminine chez la mère, recherche plus intellectuelle chez le fils pour une poésie de caractère qui s’affirme comme une route à suivre. Chez tous les BIZEAU, le même élan passionné à la gloire de la poésie et pour crier la vérité.
Catherine RÉAULT-CROSNIER
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