Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Les Voix de la Patrie. Organe bi-mensuel de l’Académie poétique de France

N° 94 du 30 novembre 1882

Pages 253 et 254

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

CHRONIQUE PARISIENNE

 

J’ai l’honneur de présenter aux lecteurs des Voix de la Patrie, et à mes confrères de l’Académie poétique de France, Maurice Rollinat, petit-fils d’Edgar Poë, frère puîné de Baudelaire, cousin de Schopin et filleul de George Sand, auteur de Dans les Brandes, paru chez Fisbacher, et des Névroses, qui paraîtront en février 1883, chez Charpentier.

Ils sont célèbres à Paris ces mercredis de Charles Buet, le dramaturge du Prêtre et le romancier du Crime de Maltaverne, où l’on rencontre Barbey d’Aurevilly, François Coppée, le très-prochain auteur du Vice suprême et autres rares écrivains. C’est là que je vis Rollinat pour la première fois. Après avoir causé de tout aussi bien que tous, il se mit au piano quand on l’en pria et chanta diverses pièces des Fleurs du mal, entr’autres le Jet d’eau, la plus voluptueuse chose du monde. Oh ! pensai-je, c’est du Schopin pire ; puis il déclama le Corbeau ; l’horreur qu’il mettait dans le fameux « jamais, jamais plus » était indicible. Le ver triomphant vint après cette page où Poë égale Orcagna et qui dépasse Quotrèleth. – Oh ! pensai-je, Baudelaire n’avait pas osé traduire Poë en vers ! Enfin il se décida à dire quelques-unes de ses romances. Il chanta : les Violettes, l’Ame des Fougères, les Yeux, l’Arc-en-ciel. Jamais la mélancolie noire, la tristesse navrante de l’esprit ne m’étaient apparues exprimées avec une intensité si effrayante, car la musique de Rollinat est aussi singulière que ses vers, et son dire complète trois éléments de véritable fascination esthétique. Certes, ceux qui étaient là sont des augures qui savent tous les secrets littéraires et qui ne pouvaient être dupes du procédé, si habile qu’il soit. Eh ! bien, si le lustre eut été éteint quand Rollinat chanta le Revenant, ils eussent eu peur, ils l’ont avoué. C’est un mort qui revient régner par la terreur, sur celle qu’il n’a pu fléchir, durant sa vie. Sous ce triple rapport, poète, musicien, chanteur, Rollinat est unique ; l’entendre vous met dans un état d’énervement et de malaise indescriptible ; il vous tord les nerfs. Je l’avoue, jamais ni Berlioz, ni Schopin, ne m’ont donné une sensation si intense qu’elle devienne physique. Théodore de Banville me disait qu’un soir, il avait à la fois Rollinat et une célèbre cantatrice du Grand Opéra, et que le contraste produisait un indescriptible étonnement. En effet, cet art est anormal et d’une décadence extrême ; c’est même une maladie.

Rollinat, du reste, a eu le courage d’intituler médicalement ses poésies : les Névroses. Je ne crois pas qu’on puisse monter davantage les cordes de la lyre ; un cran de plus et toutes les sept cassent et les fibres du cerveau aussi. C’est le contre-ut de cet état psychique qui commence à René et qui finit à Baudelaire, dans le summum d’énervement où puisse atteindre un cerveau latin.

J’ai entendu de nouveau Rollinat et mon impression a été identique. J’ai lu son recueil Dans les Brandes dédié à George Sand, qui fut sa marraine et l’amie enthousiaste de son père, et ses vers, privés de son interprétation et de sa musique ont gardé leur prestige. Alors j’ai pensé ceci : « il y a du génie dans son affaire. »

Poë gênait Baudelaire, qui gênait Rollinat : évidemment. Mais Rollinat est encore plus suraigu, plus névropate. Sa muse est l’ange des effarements ; il produit la peur, la peur de l’invisible, de l’irréel. L’hallucination, l’obsession, la hantise, l’envoûtement, le sortilège passionnel, le remords, tous les monstres du mystère de l’âme décadente, dans toutes leurs ombres horribles, ont en lui un peintre prestigieux et subtil, C’est l’avis de gens qui tous savent la vie pour l’avoir menée, les livres pour en avoir fait.

Très-admiré des lettrés, la renommée de Rollinat est presque bornée aux cénacles, et la raison en est simple : il n’a trouvé personne, même au Conservatoire, pour interpréter ses œuvres. C’est, qu’à vrai dire, il faut avoir pour cela, littéralement, absolument, le diable au corps. Sur ce, je vous renvoie en février et aux Névroses, et dites-moi merci, Messeigneurs, car vous êtes les premiers de province à savoir une chose, plus importante qu’un changement de ministère ; que Poë a un petit-fils, Baudelaire un frère puîné, et que le nom de Rollinat vient former le ternaire du triangle macabre.

 

Joséphin Peladan.

 

 

Remarque de Régis Crosnier : George Sand n’était pas la marraine de Maurice Rollinat au sens religieux du terme, c’est sa tante Emma Didion. George Sand peut être considérée comme sa marraine littéraire.