Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Lemouzi : organe mensuel de l’École limousine félibréenne

N° 46, mai 1899

Pages 66 à 68.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

(page 66)

 

Portrait graphologique de M. Maurice ROLLINAT

 

Fac-similé du manuscrit du poème « Le chat-huant » de Maurice Rollinat.

 

Le spécimen ci-dessus n’est pas bien bon pour tenter l’épreuve graphologique. Les vers, par suite de leur présentation calligraphique, enlèvent, à l’examen, plusieurs pistes assez importantes. Mais n’importe.

L’écriture étant très harmonique donne pour caractéristique l’amplitude de l’intelligence.

Le sens esthétique est merveilleux. La forme, la ligne, l’étendue, les tonalités, les fusions, les contrastes, le silence, le bruit, l’ordre, les ruptures d’équilibre, les saveurs et les sons, tout, pour ce cerveau, est facteur d’images, d’idées, au lieu d’être simplement moteur de sensations. Entre ce cerveau et la chose aperçue il y a toujours mariage de produit. Tout poète qu’il est, il n’est point spéculatif mais positif. Il ne vole pas, il monte. C’est un sensuel ; il entre en vibrations avant d’entrer en rêverie ou en raisonnement.

Le courage est grand sans être actif. C’est un énergique plutôt qu’un militant.

L’écriture (puisse le cliché être exact – ce qui n’est pas probable !) dénonce une dualité : la bienveillance et le pessimisme – c’est forcé : la curiosité cérébrale mène à l’indulgence par l’éclectisme et le sens passionnel du tempérament conduit à la tristesse défiante.

Par résultante la volonté est faite d’à-coups, plus forte envers les idées et les choses qu’envers les gens et les bêtes. Si le tempérament et la nervosité ne la combattaient point, elle serait despotique.

La vue d’ensemble est rapide et le don d’analyse cruellement aigu. L’esprit a pour devise un point d’interrogation. Non point le « que sais-je ? » du douteur résigné mais le « qu’y a-t-il ? » du curieux autoritaire. Pour cette vue subtile et mécontente, la chose aperçue n’est jamais qu’un voile en cachant une autre.

Les goûts physiologiques découlant de cette entité morale et physique sont la prédilection pour les (page 67) sites mariniers, le goût des sports les plus contraires : escrime et pêche à la ligne, par exemple (sans prétention de déterminer ce constraste plutôt qu’un autre), appétit faible, sensation de la soif assez facilement éveillée ; dégoût des aliments trop gras ; amour de la campagne. Vue peu forte ; sensibilité de l’ouïe très aiguë ; il y a sans doute horreur du bruit, de la foule. Santé délicate.

Les prédilections affectueuses vont à la femme d’intelligence inférieure et de volonté effacée.

Les goûts et les habitudes sont simples non par avarice, mais par désintéressement et horreur des complications.

Le côté le plus extérieur du caractère est la réticence de l’élan. Il y a sensibilité combattue, besoin d’expansion et crainte de se livrer, désir de société et hantise de la solitude ; amour de l’indépendance et recherche des responsabilités.

– De quoi être quelqu’un….. et malheureux.

Georges de Beauchamp.

 

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La Graphologie et les Limousins

 

Le portrait graphologique de Maurice Rollinat, d’après un sonnet inédit, introduisant dans Lemouzi un nouveau et piquant genre d’articles, lui vaut un nouveau collaborateur auquel nous souhaitons avec plaisir la bienvenue.

Georges de Beauchamp – pseudonyme de compatriote briviste – est du reste un nom fort connu dans les lettres, qu’ont popularisé d’étincelantes chroniques et nouvelles dans les périodiques dirigés avec succès par son aimable porteur. C’est sous cette signature qu’ont paru, il y a quelques années, l’opuscule si répandu : Les Indiscrétions de l’Écriture, et le volume renommé : Traité de Graphologie théorique et pratique (Henri Gautier, éditeur). Ces œuvres ont, à Paris, mis en vogue une curieuse et récente science, déjà cotée en Sorbonne, et l’ont vulgarisée dans la société moderne, déterminant la grande presse boulevardière à publier toute une série de célèbres « portraits » d’actualité, faits par le même auteur.

En Limousin également, depuis douze ans, le public du Bulletin de la Société historique et archéologique de la Corrèze se plait à suivre dans cette revue briviste une véritable galerie rétrospective d’illustrations locales. C’est au tour de nos concitoyens vivants d’être déchiffrés….. D’ailleurs, notre pays a donné naissance, à la Roche-près-Feyt, au fondateur même de la Graphologie, l’abbé Michon, et nous sommes heureux aujourd’hui d’avoir la collaboration d’un de ses plus distingués émules.

L. N.

 

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LA CHATAIGNERAIE

 

Gloire à cette rencontre, en ces fonds de la Marche,
Surgissant, après tant de tours et contremarches,
D’une châtaigneraie immense, en vétusté,
Comblant tout un ravin de son énormité !

Vivent ces châtaigniers, monstres et patriarches,
Lugubres frères noirs en la difformité,
Horrifiant l’endroit par la solennité,
Le morne, et le croulant de leurs rameaux en arches !

Grave, tombe au sol frais leur grande ombre qui marche
Sur des cèpes suintant leur venin fermenté.
Vivent ces châtaigniers, monstres et patriarches,
Lugubres frères noirs en la difformité !

Leurs troncs où les renflés d’écorce font des marches,
Moussus, ont pour l’orfraie un escalier ouaté,
Et la sifflante bête, à la torse démarche,
Trouve, en leur gros pied cave, abri, sécurité,
Vivent ces châtaigniers, monstres et patriarches !

Maurice Rollinat.

 

Cette pièce de vers est extraite de Paysages et Paysans, le nouveau recueil de vers que le poète de Fresselines vient de publier chez Fasquelle (11, rue de Grenelle, Paris).

Continuant Dans les Brandes et La Nature, M. Rollinat, dans sa nouvelle œuvre, essaie de rendre cette nature robuste, âpre et charmante à la fois, au milieu de laquelle il vit, qui l’enveloppe et qui l’impressionne fortement. Il a réussi à en noter tous les aspects, à en percevoir toutes les vibrations, à en subir l’altière et prenante influence. Aussi ne veut-il point quitter ce coin de Marche limousine, qu’il a fait sien, de son libre arbitre, qu’il aime d’un amour sincère et profond, et à celui qui l’exhorte à le fuir, à revenir à l’existence tumultueuse et fiévreuse de la grande ville, il répond en sage :

Vos noirs fourmillements humains
Courant d’incertains lendemains ?..
J’aime mieux ces nuages roses !

Et je finirai dans ce coin,
Mon court passage de témoin
Devant l’éternité des choses.

A l’agitation parisienne, aux déambulements nocturnes, de tavernes en tavernes, le poète préférera toujours pénétrer la pensée de la nuit, en la solitude des champs :

A quoi pense la nuit, quand l’âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu’avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?..

A quoi pense la nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des irissons d’émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphir qui rôde,
Traversent l’ombre vague où la tiédeur descend ?

Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu’elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.

Il veut aussi, dans les frais et clairs ma-(page 68)tins, surprendre le secret des genêts et des bruyères qui ont

….. tout couvert – fougeraies,
Ronce, ajonc, l’herbe, le chiendent.

Et qui

Sans un vide, ils vont s’étendant
Des quatre côtés jusqu’aux haies.

Il lui plaira toujours de voir des enfants jouer à la glissoire :

En tas, casquette sans visière,
Bérets bâillants, chapeaux tordus,
Ils arrivent, les reins battus
Par leur petite carnassière.

Et, de ci, de là, tout heureuse,
Chaque troupe se met en jeu,
Sillonnant, à la queue leu leu
La belle surface vitreuse.

Et il évoquera, sans se lasser, en de beaux vers, la forêt magique qui songe, bleue et pâle, la tristesse des bœufs, le val des ronces, les meules de foin,

Où saigne le soleil croulé qui se dilate

comme en une vision d’un paysage de Monet, le frère et la sœur, qui vont

Tout au rhythme pressé de leurs bras qu’ils balancent,

le grand cercueil, le bon fou, les tas de pierres, le petit loup, la plaine, le lutin, l’extase des soirs, les noyers, la grande cascade, l’ormeau, le braconnier, la pitié des pâquerettes, la prière du silence, l’éternité !..

Qui peut faire un crime à M. Rollinat de toutes les joies qu’il éprouve, en son humble retraite, devant les grands spectacles de la nature et d’essayer de nous les faire partager ? N’est-ce pas précisément parce que son âme d’artiste a su l’affranchir des étreintes mondaines que sa muse s’élève, qu’elle plane, qu’elle chante à pleine voix, dans le mystère des choses, les gloires de l’œuvre de Dieu ?

Pierre L’Escurol.

 

 

Remarque de Régis Crosnier : Pierre L’Escurol a écrit de très nombreux textes dans Lemouzi. Dans un article de la revue Temporalités n° 4, 2007, du Centre de Recherche historique de l’Université de Limoges, des notes en bas des pages 168 et 172 nous indiquent que Pierre L’Escurol est un pseudonyme utilisé par Johannès Plantadis. Celui-ci, sous un autre pseudonyme : Frédéric Glane, avait déjà écrit « Rollinat musicien », article paru dans Lemouzi n° 45 d’avril 1899, page 46. Nous avions alors présenté des éléments de biographie le concernant.