Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Phare de la Loire

Vendredi 2 mars 1883

Page 2.

(Lire le texte d’origine sur Retronews.)

 

 

Lettres parisiennes

 

Paris, 28 février.

Monsieur le rédacteur,

(…)

Que Monsieur le Ministre [comédie en 5 actes de M. Jules Claretie, donnée au Gymnase] arrive donc à la centième, cela en somme, ne me gêne pas, puisque je ne suis pas obligé de passer mes soirées au Gymnase et, au lieu de nous en occuper plus longtemps, je vais vous parler, si vous le permettez, du héros du jour, de l’homme à la mode, du clou de la saison, de M. Maurice Rollinat.

Rassurez-vous, mon cher rédacteur, je ne vais pas refaire l’article plein de verve de mon confrère Séché. J’ai vu que nous n’avions pas la même manière de voir au sujet des Névroses, mais je ne veux pas ennuyer vos lecteurs d’une polémique purement littéraire et, d’ailleurs, je ne me sens pas le poignet assez solide pour engager le combat avec un gaillard qui a beaucoup plus d’années de salle d’armes que moi à son service.

Ce n’est donc pas le livre que je tiens à vous présenter, mais bien l’homme et le musicien qui, moins connu que le poète, n’est cependant pas moins intéressant.

La personnalité de M. Rollinat me paraît excessivement curieuse parce qu’elle rompt brutalement – et sans crier gare – avec les tendances et les principes de la poésie moderne. L’auteur des Névroses est un enfant trouvé. Baudelaire est peut-être son parrain, mais, en tout cas, ce n’est pas son père. Quand est-il venu, d’où arrive-t-il ? Je crois que notre poète n’en sait rien lui-même. Il y a là une note spéciale qui, encore une fois, est on ne peut plus intéressante. Avant tout, M. Rollinat n’est pas un Parnassien et sa lyre vibrante nous venge et nous délivre de cette bande de chanteurs de la Chapelle-Sixtine, pléïade d’impassibles qui se vantent de rester insensibles tout simplement, je crois, parce qu’ils sont impuissants. En voulant escalader l’Olympe, ils sont montés si haut qu’ils se sont gelés et qu’ils sont immobiles comme des banquises – réduction Colas. – Le nouveau venu, lui, s’émeut, souffre, pleure, rit, chante et vit ; c’est certainement un poète, mais c’est surtout un homme, et voilà pourquoi il me charme et fait passer en moi les frissons qui ont passé sur sa chair. Ce que je dis là prêterait à rire à MM. Sully-Prud’homme, Paul Arène, de Hérédia, Catulle Mendès et tutti quanti ; eux ne sont jamais parvenus à autre chose qu’à me faire bâiller, c’est une compensation.

Dans la musique de M. Rollinat, on retrouve la même émotion, violente, nerveuse, exaspérée. Toutes ses mélodies ont une couleur spéciale, qui traduit avec une grande netteté et une justesse d’expression remarquable les paroles qu’elles accompagnent. Et aucune ne se ressemble, aucune n’a même l’air de famille que l’on retrouve dans différentes pièces des Névroses ; 1’inspiration a été unique, franche, facile et distincte. La Cloche fêlée, l’Idiot, l’Ame des Fougères, le Serpent qui danse, que je prends au hasard, n’ont aucun lien île parenté.

Comme impression générale, je ne vois guère que les Mélodies de Schumann qui pourraient en donner une idée. L’accompagnement, qui est toujours orchestral, possède des sonorités et des recherches harmoniques d’autant plus étonnantes que M. Rollinat n’a jamais étudié la fugue ni le contrepoint et qu’il laisse l’inspiration aller à son gré et à son caprice. Sous ce rapport, je n’ai jamais rencontré une organisation musicale pareille. Le poète et le musicien sont, enfin, doublés et presque complétés par un incomparable talent de diseur et de chanteur. Le plus grand comédien, le plus irréprochable virtuose ne parviendront jamais à interpréter ses œuvres comme lui-même, et cela justement parce qu’il ne les dit pas en acteur, mais en poète, en artiste, comme il les a senties, et qu’il arrive ainsi à une intensité d’impression inimaginable et indescriptible.

Et maintenant si les Nantais ne connaissent pas M. Rollinat autant qu’un habitué du salon de MM. Charpentier, Eudel et Daudet, ce ne sera vraiment pas de la faute de Séché, ni de la mienne.

Croyez, Monsieur le rédacteur, à mes meilleurs sentiments.

SPIRIDION.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – « Spiridion » est un pseudonyme utilisé par Frantz Jourdain (https://data.bnf.fr/fr/12751466/frantz_jourdain/).

– 2 – Dans l’avant-dernier paragraphe, Frantz Jourdain évoque la connaissance de Maurice Rollinat par les Nantais. Il fait vraisemblablement référence à deux articles récents publiés dans Le Phare de la Loire : une partie de l’article de Léon Séché « Le mouvement parisien » paru dans l’édition du 25 décembre 1882, pages 1 et 2, et toute la première partie de l’article de Léon Séché « Le mouvement parisien » paru dans l’édition du 25 février 1883, pages 1 et 2.