Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Figaro

Mardi 27 octobre 1903

Page 2.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

Maurice Rollinat

Le pauvre Maurice Rollinat est mort, dans le délire ; et il faudrait avoir son genre de talent pour évoquer sa destinée farouche et folle. Une lamentable destinée, au demeurant : un peu de génie, mais malsain ; un peu de gloire, dont lui-même se dégoûta ; de la tristesse sans douceur, de la rhétorique sans joie ; – et de l’hypocondrie qui s’exhiba dans les salons et puis s’alla terrer, très loin, dans l’ombre.

Il travaillait dans le macabre, le diabolique et le baudelairien. Il déclamait, il chantait ; et les cafés du quartier Latin l’applaudirent. On fit un succès à la Villanelle du Diable, aux Yeux morts et à Mademoiselle Squelette. Il était frénétique. Ses cheveux bouclés, ébouriffés, noirs, ses yeux fulgurants, son geste violent, sa voix acharnée plurent en faisant peur. Sa poésie, habile et harmonieuse, savait nuancer joliment l’émoi, l’effroi, l’horreur.

Un article d’Albert Wolff, qui parut ici même, le rendit célèbre. C’était aux environs de 1885. Les parnassiens semblaient fatigués et les symbolistes préludaient à peine. Rollinat parut neuf et quasi génial. On frissonna ; on aima frissonner. Depuis trop longtemps on était « impassible ». En attendant la neurasthénie, la névrose eut du succès. Dans les soirées, ce fut la mode d’avoir Rollinat, pour frémir.

Pauvre Rollinat !... Il est triste, à présent, de se demander s’il avait ce tempérament diabolique, si cette frénésie était dans sa nature même ou lui fut imposée par le caprice du public et devint, artificiellement, sa seconde nature... Il y a, dans son œuvre, de belles choses, simples et saines, des coins de campagne bien vus, des paysages justes et calmes, et des sentiments ordinaires... Le public exigea des Ballades du cadavre, des Rondeaux de la guillotine. Rollinat ne sut résister.

Un beau jour, il s’enfuit... Eut-il alors la conscience nette des dangers où sa funeste renommée le conduirait ? Il quitta Paris et se réfugia dans la Creuse, à Fresselines. On n’entendit plus guère parler de lui. On l’oublia. Récemment, un cruel chagrin l’alla frapper dans sa retraite, tandis qu’il soignait son esprit, alarmé de trop noires et rouges hantises. Et sa raison bientôt chancela. On dut l’enfermer. Il est mort.

Que restera-t-il de lui ? Un souvenir farouche et douloureux. Ses vers ne sont plus à la mode ; ils ont été trop à la mode, un instant, pour ne pas dater assez vite. Il y en a de beaux, de colorés, de puissants. Il y en a de médiocres. Et l’ensemble est artificiel, emphatique inutilement. La poésie qui dure est plus humaine.

Les vieux imagiers qui jadis ont sculpté dans le bois ou dans la pierre les danses macabres, hallucinés du trop mortel spectacle de la vie décevante et lugubre, usèrent de procédés moins faciles, plus ingénieux et divers. En outre, ils dénigraient les ici-bas au profit des espoirs ultérieurs. Une philosophie est là.

Rollinat, lui, répandait du lyrisme sépulcral, en pure perte. Il gaspilla des dons précieux.

André Nède.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – L’ « article d’Albert Wolff, qui parut ici même, [et] le rendit célèbre » a été publié dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris », suite à la soirée chez Sarah Bernhardt du 5 novembre 1882. C’est donc bien avant 1885 comme indiqué dans l’article.

– 2 – André Nède écrit : « Et sa raison bientôt chancela. On dut l’enfermer. » Maurice Rollinat est entré le 21 octobre 1903 à la maison de santé d’Ivry où il est décédé le 26 octobre 1903. Le Docteur Dheur, médecin-adjoint de la maison de santé d’Ivry, a rompu le secret médical, certainement pour couper court à tous les faux bruits qui couraient, dans l’article « La mort de Rollinat » paru dans Le Matin : derniers télégrammes de la nuit du 3 novembre 1903, page 2, où on peut lire : « Rollinat n’a jamais été privé d’aucune de ses facultés mentales. Il est mort d’un marasme physiologique contre lequel aucuns soins ne pouvaient prévaloir. » Il est vraisemblable qu’il était atteint d’un cancer colorectal.