Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La République des Lettres

Dimanche 16 juillet 1876

Page 63.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

LA SEMAINE PARISIENNE

 

Dimanche 9 juillet. – Les Dizains réalistes paraissent chez l’éditeur Richard Lesclide, en un joli cahier long, sur papier jaune. Cinquante dizains, huit ou dix poètes. Une rangée de petits flacons ingénieusement ciselés, qui contiennent chacun une liqueur différente. Plusieurs de ces dizains sont fort jolis, mais je n’en connais pas de mieux réussi, comme parodie juste et aimable que celui-ci :

Je la voyais souvent au bureau d’omnibus
A l’heure de l’absinthe, après tous les bocks bus,
Quand je rentrais trouble, fiévreux de la journée.
Et c’était un repos pour mon âme fanée
De rencontrer parfois cet ange en waterproof.
Sa forme jeune et pure, ignorante du pouf.
Ses tresses sans chignon, son front sans maquillage,
Et les réalités chastes de son corsage
M’ont fait rêver, portant le bouquet nuptial,
A la vierge qui lit mon nom dans un journal.

Cette petite pièce, qui est de Mme Nina de Villard, ne manquera pas de plaire à tout le monde, et François Coppée en sourira le premier. – D’autres dizains encore sont amusants, ceux, entre autres, de MM. Jean Richepin, Charles Cros, Germain Nouveau. On nous permettra de regretter pourtant que, parmi ces pastiches d’une forme inventée par l’auteur du Luthier de Crémone, se soient, çà et là, glissées quelques amertumes inutiles. Il nous semble que M. Maurice Rollinat, – un poète de talent, – eût mieux fait de ne pas dépasser les limites de la parodie courtoise, et qu’il est certaines choses dont il ne faut pas rire, même pour rire.

(…)

Jean Prouvaire

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Jean Prouvaire est un pseudonyme utilisé par Auguste Fourès (cf. Dictionnaire des pseudonymes page 438, de Georges D’Heylli, Dentu et Cie éditeurs, Paris, 1887, 561 pages). Cependant, certains auteurs attribuent cet article à Catulle Mendès (voir par exemple l’article « Le parnasse fantaisiste » de Pierre Dufay, paru dans Le Mercure de France du 1er octobre 1932, pages 91 à 109)

Auguste Fourès publiera (sous son nom) une présentation du premier livre de Maurice Rollinat, Dans les Brandes, dans Le Moniteur de la Lozère du 15 juillet 1877. Celle-ci est globalement positive et met en valeur le côté champêtre du livre. Nous n’avons pas trouvé d’autres liens avec Maurice Rollinat.

Quant à Catulle Mendès, il connaissait Maurice Rollinat depuis au moins 1875. En effet, Maurice Rollinat écrit dans une lettre à son ami Raoul Lafagette expédiée le 16 octobre 1875 (collection particulière), alors qu’il sait qu’il sera publié dans le troisième volume du Parnasse contemporain prochainement édité par Lemerre : « Tous les poëtes parnassiens savent déjà ce qui se passe, bien que je ne leur en aie pas soufflé un mot. Il faut voir comme ils sont obséquieux maintenant ! – J’ai reçu de Catulle Mendès une invitation en forme à ses soirées du mercredi. (…) »

Baude de Maurceley, dans son article « Un salon disparu – Souvenirs personnels » paru dans Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche du 12 avril 1890, pages 1 et 2, confirme que les deux hommes se rencontraient alors : « J’avais connu Villiers dans les bureaux de la République des lettres, revue hebdomadaire fondée par Catulle Mendès, sous les hauts patronages de Victor Hugo et de Leconte de Lisle. Là, vers quatre heures, presque quotidiennement, il venait parler de la vie. Stéphane Mallarmé, Léon Dierx, Jean Marras, Henri Roujon, Léon Cladel, Maurice Rollinat, Maurice Bouchor et, quelquefois, Paul Bourget se donnaient rendez-vous dans l’étroite salle de la rédaction, où, alors, on combinait le prochain numéro, tout en devisant sur les romans nouveaux et les poétiques recueils venus des écoles adverses. »

En tant que corédacteur en chef de la revue La République des Lettres, Catulle Mendès publiera dans celle-ci quatre poèmes de Maurice Rollinat :  « La lune » (30 juillet 1876), « Jalousie féline » (19 novembre 1876), « Les Loups » et « L’Hôte suspect » (25 mars 1877), et un texte en prose : « La Passante » (4 mars 1877). Alors, rien d’étonnant qu’il qualifie Maurice Rollinat, de « poète de talent ». Mais on comprend aussi qu’il soit choqué par les derniers vers de certains dixains réalistes de Maurice Rollinat, car il était très attaché à la doctrine parnassienne.

L’auteur de l’article fréquentait le salon de Nina de Villard et ne manquait pas de faire les louanges de celle-ci. Dans ce même numéro de La République des Lettres, il poursuit sa « Semaine parisienne », avec à la date du mercredi 12 juillet, le récit d’une soirée chez Nina de Villard, où nous pouvons lire : « (…) M. Jean Richepin, l’auteur du drame qu’on jouait là, n’a pas prétendu faire une œuvre ; il a voulu fournir à la maîtresse de la maison l’occasion de faire applaudir la grâce et la justesse de sa diction ; (…) ». Or, Catulle Mendès était un habitué de ce salon.

Tout ceci nous amène à penser que l’auteur de l’article est bien Catulle Mendès et non Auguste Fourès.

– 2 – Le titre exact du livre est « Dixains réalistes par divers auteurs » et non « Dizains réalistes ».

– 3 – Le Luthier de Crémone est une comédie en un acte en vers de François Coppée. Ce n’est pas François Coppée qui a inventé le dizain. Par exemple, bien avant lui, Maurice Scève utilise uniquement cette forme poétique pour son livre Délie, objet de plus haute vertu (composé de 449 dizains). François Coppée a écrit sous forme de dizains, entre autres, les 39 poèmes de Promenades et Intérieurs (situés à la fin du livre Les Humbles, Alphonse Lemerre éditeur, 1872).

– 4 – Les Dixains réalistes sont plutôt considérés comme une sorte de pastiche, en réaction avec la poésie parnassienne. Ils se situent dans la lignée parodique des dizains écrits dans l’Album zutique (1871-1872). (Voir le livre Rimbaud, Verlaine, Cros… Album zutique – Dixains réalistes, présentés par Daniel Grojnowski et Denis Saint-Amand, éditions Flammarion, Paris, 2016, 301 pages.) Les poèmes de Maurice Rollinat publiés dans les Dixains réalistes ne sont pas représentatifs de son œuvre. Sur les dix « dixains » inclus, un sera repris dans son livre Dans Les Brandes, et deux dans Les Névroses.