Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Fronde

Mardi 6 juin 1899

Page 7.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

Causerie Littéraire

(…)

Paysages et Paysans, poésies par Maurice Rollinat. (Fasquelle éditeur).

L’auteur des Névroses et des Apparitions, le poète hanté par les visions fantastiques d’Edgar Poë et par le satanisme citadin de Baudelaire se souvient cette fois qu’il publia aussi Dans les brandes, volume de vers où le berrichon qu’il est, le filleul de la glorieuse Mme Sand, l’admirable auteur de la Mare au Diable et de La petite Fadette décrivait la campagne en homme amoureux des horizons paisibles et des ciels sans fumée.

Ayant déserté à peu près définitivement la grande ville mangeuse de cervelles, la névrosante cité parisienne, Maurice Rollinat donne aujourd’hui Paysages et Paysans qui sont, pour ainsi dire, le second volume de Dans les brandes.

Et voici des descriptions villageoises, des anecdotes paysannesques, des devis alertement écrits en vers limpides – parfois, peut-être, trop simples à notre goût accoutumé à plus d’épices. – Cependant, en certains passages, se retrouve le Maurice Rollinat du Névrose connaissant et exprimant avec une intensité communicative le sentiment de la peur, l’horreur qui vient de la nuit, de la solitude, l’inquiétant frisson que donne dans l’obscurité un linge blanc étendu sur une haie et qui de loin ressemble à un fantôme, ou le sec craquement d’une branche éveillant en l’esprit affolé l’idée de quelque passant suspect.

Le poète a encore le sentiment du contraste, plus saisissant à la campagne qu’à la ville, de la gaieté bruyante et des douleurs qui se juxtaposent en brutale antithèse. Ainsi ces strophes de l’Assemblée :

Parmi châtaigniers et genêts
Où s’émouchaient, sans pouvoir paître,
Des montures sous le harnais,
Ronflait l’humble fête champêtre.

Les crincrins et les cornemuses,
La ripaille, un soleil de feu,
Allumaient tout un monde bleu
A faces longues et camuses.

Et tandis que ce flot humain
– L’enfance comme la vieillesse –
Battait les airs de sa liesse…
En grand deuil – au bord du chemin,

Les yeux fermés, – morte aux vacarmes,
Une femme étranglait ses larmes
A genoux devant une croix.

Rien n’aura l’horreur et l’effroi
De ces pleurs gouttant, sans rien dire,
Dans cet énorme éclat de rire.

Nous terminons en félicitant M. Maurice Rollinat de poursuivre cet unique labeur d’être poète et pas autre chose, à une époque où, hélas ! la poésie tout en étant estimée du bout des lèvres par les réalistes de ce temps, n’obtient pas du public le sort qu’elle mériterait.

Manoel de Grandfort.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Manoël de Grandfort est un pseudonyme utilisé par Marie-Antoinette Barsalou (de son nom de naissance), née le 6 mai 1829 à Casteljaloux (Lot-et-Garonne) et décédée le 28 juin 1904 à Ville-d’Avray (Seine-et-Oise). Manoël de Grandfort est le nom de son deuxième mari ; elle utilisera de nombreux autres pseudonymes. Elle est connue comme romancière et journaliste. Après un séjour aux États-Unis, veuve pour la deuxième fois, elle rentre en France en 1855. Elle sera l’amie de Nina de Villars ; elle a certainement rencontré Maurice Rollinat dans le salon de celle-ci lorsque Maurice Rollinat y est allé au cours de l’année 1875. À partir des années 1880 et jusqu’à sa mort, Manoël de Grandfort sera la compagne d’Émile Goudeau de vingt ans son cadet. Elle a donc pu rencontrer Maurice Rollinat à la fin de sa période parisienne ; elle a pu aussi en entendre parler par son compagnon.

– 2 – Les Névroses et Les Apparitions sont deux livres distincts de Maurice Rollinat.

– 3 – Maurice Rollinat n’est pas le filleul de George Sand ; sa marraine religieuse est sa tante, Emma Didion. George Sand peut être considérée comme sa marraine littéraire.

– 4 – L’auteur écrit « le Maurice Rollinat du Névrose » ; il aurait été plus juste de dire « le Maurice Rollinat des Névroses ».

– 5 – L’expression « l’inquiétant frisson que donne dans l’obscurité un linge blanc étendu sur une haie et qui de loin ressemble à un fantôme, » fait certainement référence au poèmes « Les Grands Linges » (Paysages et Paysans, page 36), mais les linges ne sont pas étendus sur une haie, mais une corde ; ils ne ressemblent pas à des fantômes mais à des linceuls. Quant aux autres allusions, il est difficile de les rapprocher d’un poème précis.

– 6 – Les vers « Parmi châtaigniers et genêts (…) Dans cet énorme éclat de rire. » correspondent à la totalité du poème « A l’Assemblée » (Paysages et Paysans, pages 195 et 196).