Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Dépêche (Toulouse)

Vendredi 2 août 1895

Page 1.

(Voir le texte d’origine sur RetroNews)

 

 

PROFILS

M. MAURICE ROLLINAT

Le poète Maurice Rollinat serait agréablement surpris s’il revenait pour quelques jours à Paris. Sa photographie s’étale à toutes les vitrines et ses livres flamboient à tous les étalages, grâce à l’heureuse idée qu’eut M. Poincaré de le décorer. D’où il suit que les décorations servent à quelque chose. Mais j’imagine que le poète des Névroses serait médiocrement flatté d’en pouvoir porter une, si elles ne valaient à ceux qui les portent que cette gloire vaine et à la vérité méprisable d’être incorporés au bataillon des hommes du jour. De cette gloire, M. Rollinat doit, en effet, médiocrement se soucier, lui qui eut autrefois une bruyante notoriété, qui fut un citadin furieux, capable d’avoir des hallucinations à la brasserie et de trouver quelque mystère aux bocaux versicolores des pharmaciens, lui qui n’osait pas rentrer à son domicile la nuit venue par crainte d’écraser des légions de crapauds horrifiques sur les trottoirs où il marchait ; lui, le poète exaspéré, angoissé ; lui, le musicien neurasthénique, il est devenu, grâce au tout-puissant exorcisme de la sauvage et vivifiante nature, un bon paysan sain et fort, un gentilhomme campagnard, et les hantées de son esprit doivent être à présent d’un ordre assez aimables. Ne cherche-t-il point si Galathée ne serait pas toujours sous les saules où elle se réfugia, et si les bois ne sont pas encore peuplés de nymphes et de faunes ? Ce désespéré a bien tourné. D’autres auraient fui vers les Chartreuses hospitalières ; il a mieux aimé faire une cure libre en plein champs.

Dans les Brandes avait fait prévoir la possibilité de cette conversion, si les Névroses ne l’indiquaient guère. Il y eut, en effet, un rustique et un païen dans la genèse de M. Maurice Rollinat. Le rustique restait visible sous le paletot de fourrure du poète tourmenté de cauchemars, et à travers les strophes du citadin on sentait toujours circuler l’odeur salubre et chaude de la forêt. Le masque lui-même n’était qu’à moitié trompeur : d’âpres cheveux tordus sur un front au dessin calme ; des yeux noirs très beaux et très doux malgré la fièvre qui perpétuellement presque s’y allumait. L’ossature solide et les épaules larges. En somme, un robuste qui fit dans une période de crise la musique douloureuse de « Vive la Mort ! » et qui doit aujourd’hui avoir entièrement repris goût à la vie.

Nick.