Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Univers illustré

Samedi 21 avril 1883

Page 242 (deuxième du numéro).

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

COURRIER DE PARIS

 

(…) – Le poète Rollinat et les Névroses. – (…).

(…)

~~ Puisque nous parlons de poètes et de littérateurs, connaissez-vous Rollinat ? Peut-être avez-vous lu ses Névroses, mais lire ses vers n’est rien ; il faut, pour en avoir l’idée exacte, les avoir entendu déclamés ou chantés par lui. Ressemblant un peu à André Gill, mais en plus svelte, le cou maigre sortant d’un col de chemise trop large, une épaisse chevelure hirsute, rejetée en arrière, la moustache hérissée en chat, Rollinat se campe devant une cheminée, et là, sans apparence de fatigue, il récite ses vers pendant des heures entières, trouvant des gestes extraordinaires pour éclairer la phrase et soulignant parfois quelques vers magistral d’un mouvement de pouce à la rapin.

Il y a des pièces de vers terribles qui vous donnent la chair de poule. Je ne sais dans quel monde surnaturel et fou il a été chercher ses conceptions fantastiques. Tropmann, les Yeux de la morte, où le poète se demande ce qu’ont pu devenir les beaux yeux de sa maîtresse qui ressemblaient à

Deux bleuets sur leur tige,

et qui maintenant sont remplacés par deux trous. Et la chevelure, cette chevelure qui finit par absorber toute la sève vitale de la jeune femme, et pendant sa longue agonie les cheveux ont tellement poussé, l’entraînant vers la tombe, que lorsqu’elle meurt, on peut, pour ensevelir la morte, se servir de cette longue chevelure comme d’un linceul noir. Et la peur qui fait voir de si étranges choses la nuit dans la campagne déserte, entendre des bruits si bizarres, rencontrer des chevaux sans selle qui vous disent avec un mouvement d’épaule indescriptible : « Montez donc ! Montez donc ! » Que vous dirais-je encore ? une suite d’épouvantables cauchemars racontés dans une langue superbe et sonore.

A côté de cela, d’autres morceaux exquis de douceur, de poésie voilée, chantés sur une musique plaintive et mélancolique, appropriée aux paroles, dénotant une connaissance extraordinaire de la nature dans ses manifestations les plus grandioses et les plus farouches, comme par exemple le Taureau et la génisse, où l’on oublie le côté bestial et érotique pour ne plus voir que la grandeur du cadre.

C’est du Rosa Bonheur, disait M. Camille Doucet émerveillé.

Et le fait est qu’en faisant la part de certaines exagérations voulues, on ne peut nier que M. Rollinat ne soit quelqu’un et n’ait une personnalité des plus marquées et des plus attachantes.

(…)

Gérome.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Gérome est le pseudonyme utilisé par Anatole France pour L’Univers illustré, chronique « Courrier de Paris » (https://data.bnf.fr/fr/17082015/gerome/).

– 2 – Camille Doucet (1812 – 1895) est un auteur dramatique et un poète. Il a été élu à L’Académie française en 1865. Rosa Bonheur (1822 – 1899) est une artiste peintre et sculptrice qui s’est fait connaître grâce à la peinture animalière. « Proche du réalisme des peintres animaliers et de l’observation directe, sa croyance dans l’âme animalière se traduit dans toutes ses toiles par une extrême attention portée au regard des bêtes. (…) ce qu’elle aime : célébrer les animaux et décrire dans son style réaliste les travaux des champs et la vie rurale en France. » peut-on lire sur sa fiche figurant sur le site de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur.