Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Écho de Paris

Mardi 27 octobre 1903

Page 1.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

MAURICE ROLLINAT

 

C’est une curieuse figure que celle de Maurice Rollinat, que la mort a frappé, hier, à Ivry, dans la maison de santé du docteur Moreau de Tours, où il avait été transporté, tout récemment, atteint d’une maladie cérébrale. Combien, en apprenant cette triste nouvelle, se souviendront nettement de celui dont on leur annonce la disparition ? On s’apitoiera une minute sur cet homme enlevé par une neurasthénie exacerbée, sans se rappeler peut-être que, toute une année, Paris avait célébré son bizarre et émouvant talent de poète.

Il était né en 1853, à Châteauroux. Il avait tout d’abord subi l’influence de George Sand, liée d’amitié avec son père, et par un recueil passé inaperçu, Dans les Brandes, il s’était montré son disciple studieux. Déjà cependant il sentait en lui une inspiration moins paisible, qui devait bientôt devenir maladive et macabre. Nos aînés le virent alors dans de petits cénacles de la rive gauche, maigre et assez grand, les cheveux noirs et abondants, rejetés en arrière à la Beethoven, le visage blanc et mat aux traits accentués, une vraie figure d’homme fatal enfin. Rue Visconti, chez Mario Proth, il commençait à réciter ses vers étranges, douloureux, sataniques, glacés tout ensemble et frénétiques. Cependant, le succès ne venant pas, il regagne sa Creuse verdoyante, puis un beau jour il reparut. C’était en 1883 : un matin, Albert Wolff lui consacra, dans le Figaro, une enthousiaste chronique, et Sarah Bernhardt conviait toutes les notoriétés littéraires à écouter, dans son salon, le poète lui-même réciter quelques-unes des pièces dont se composaient les Névroses, publiées la veille. Le lendemain, Rollinat était célèbre. La gloire – et la plus bruyante des gloires – lançait son nom à tous les échos. L’excentricité de ses vers, sa diction chantante et onomatopique, rendirent aussitôt l’objet de la curiosité publique l’ancien membre des Hirsutes et des Hydropathes. Chacun voulut réciter ses rondels funèbres, ou les chanter, car il avait, pour certains, écrit de la musique. A Sèvres, à la villa Bel-Accueil, Mme Léon Cladel fut une géniale interprète, tandis qu’ailleurs Pugno lui servait d’accompagnateur. On cria que Poe et Baudelaire étaient dépassés : Mademoiselle Squelette, la Ballade du cadavre, la Folie, les Yeux morts, la Buveuse d’absinthe, le Magasin des suicides étaient dans toutes les mémoires.

Le triomphe néanmoins ne grisa pas Rollinat. Peut-être comprit-il qu’il était surtout la proie de la curiosité, et que l’admiration qu’on lui témoignait n’était pas de qualité supérieure. Le mot terrible d’un invité, qui lui demandait s’il était content de son exhibition, anéantit sans doute l’ivresse à laquelle il avait cédé. Il quitta Paris retourna en Province. Il ne devait plus retrouver les heures de griseries que lui avait accordées la grande ville. Ses cimetières, ses cadavres, ses squelettes ne furent plus que dédaignés. On le vit encore dans la capitale, à différentes reprises ; le Théâtre d’Application donna en son honneur une soirée avec le concours de tous les poètes. Ses recueils suivants : l’Abîme, la Nature, les Apparitions, Paysages et Paysans ne suscitèrent plus de transports ni d’acclamations. Alors, sagement, il passa son temps à pêcher, à jardiner, n’abandonnant la rivière ou les jardins que pour sa table de travail. C’est là que le mal l’a touché pour la première fois, et il n’a déserté son pays natal que pour venir mourir à deux pas de la ville capricieuse qui l’avait gâté de tout son enthousiasme et qui l’avait oublié aussitôt.

PAUL ACKER.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Maurice Rollinat n’est pas mort d’une maladie cérébrale, mais vraisemblablement d’un cancer colorectal.

– 2 – Maurice Rollinat n’est pas né en 1853, mais le 29 décembre 1846.

– 3 – Mario Proth (1832-1891) est un journaliste et écrivain, historien et critique d’art, qui habita 21, rue Visconti. Ce nom est cité dans une lettre que Maurice Rollinat envoya à son ami Raoul Lafagette le 5 juin 1873 (collection particulière), il le qualifie ainsi : « un banal écrivailleur qui veut poser pour l’amphytrion littéraire ». Maurice Talmeyr dans un article intitulé « Souvenirs de Journalisme – Lancement d’une bière… », paru dans Le Matin (Derniers télégrammes de la nuit) du 4 mars 1901, page 1, raconte une soirée chez Mario Proth au cours de laquelle Maurice Rollinat chantait.

– 4 – Maurice Rollinat habita Paris de juin 1871 à début septembre 1883, date à laquelle il s’installa à Fresselines. La Creuse n’est pas son pays d’origine puisqu’il est né et a vécu son enfance et sa jeunesse à Châteauroux.

– 5 – Maurice Rollinat ne se produisit qu’à une seule soirée chez Sarah Bernhardt, c’était le 5 novembre 1882. Albert Wolff était présent ; son article est paru dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre Courrier de Paris.

– 6 – Les Névroses sont parues en février 1883.

– 7 – Maurice Rollinat est un des membres fondateurs des Hydropathes. Quant aux Hirsutes, Léo Trézenik dans son livre Les Hirsutes (Léon Vanier éditeur, Paris, 1884, 47 pages), cite Maurice Rollinat pages 8, 24 et 44, plutôt comme quelqu’un qui était de passage sans faire partie du groupe.

– 8 – Judith Cladel dans son Maurice Rollinat paru dans Portraits d’Hier, n° 31 du 15 juin 1910, raconte des soirées avec Maurice Rollinat chez ses parents à Sèvres. Elle ne dit pas si sa maman a interprété des poèmes de Maurice Rollinat.

– 9 – Quant à Pugno, s’agit-il de Raoul Pugno (1852-1914), compositeur et pianiste ? Ce nom n’est cité, à notre connaissance, ni dans la correspondance de Maurice Rollinat, ni chez ses biographes, ni dans des articles de presse relatant des concerts comprenant des œuvres de Maurice Rollinat.

– 10 – La phrase « Le mot terrible d’un invité, qui lui demandait s’il était content de son exhibition, (…) » renvoie à l’article d’Adolphe Brisson « Promenades et visites – Maurice Rollinat, pêcheur de truites » paru dans Le Temps du 25 octobre 1899, page 2, où on peut lire : « Un vieillard, ancien magistrat, grand dignitaire de la Légion d’honneur, lui demanda avec une exquise politesse : – Eh bien ! monsieur, vous devez être satisfait de votre exhibition ? ».

– 11 – La soirée au Théâtre d’Application a eu lieu le dimanche 14 février 1892.