Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Écho de Paris

Vendredi 17 mars 1899

Page 1.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

VISIONS DE NOTRE HEURE

CHOSES ET GENS QUI PASSENT

5 mars. – Maurice Rollinat. – Chacun de nous est unique, écrivait Emerson. Il eût pu ajouter : chacun de nous dégage sur autrui une action exceptionnelle, fait naître une sensation qui lui est propre, quelquefois un étonnement qui est comme une involontaire louange à celui qui nous le procure. Ce soir, en une maison amie, Rollinat est au piano ; il nous dit le Meneur de loups, le Fou, le Mort dans le brouillard, le Cimetière aux violettes, et voici aussitôt, à l’audition de ce verbe macabre, de cette poésie spéciale des mots et des sons évoquant des joies flétries, des angoisses éperdues, des douleurs convulsées, épileptiques, que s’exhume en moi un état d’être et de sensorium depuis longtemps relégué dans ces limbes des enthousiasmes accessoires de la jeunesse où la vie nous donne si peu d’occasions de ressusciter nos flammes défuntes.

Le chantre des Brandes, des Névroses et de l’Abîme à Paris, quelle surprise ! Le poète de la Nature, en rupture de son Berry, nous clamant, comme naguère aux Hydropathes ou dans la tabagie d’arrière-boutiques d’estaminet, ses compositions démoniaques, pleines de glas poignants, de vertige mortuaire, de terreur et de pittoresque démence, quel imprévu retour au vieux quartier Latin !

Il nous récite le Mort joyeux de cette même voix sardonique et falote qu’il sait encore couper par des rictus d’hébétude, de délire ou de diabolisme ; il nous chante les Blanchisseuses du paradis avec une pénétrante microphonie souple et agréablement flûtée ; il nous mime enfin une pièce de son prochain volume Paysages et Paysans, une pièce intitulée la Belle-Mère dont il dessine à l’aide de gestes secs, précis, découpeurs de silhouettes, l’obsédante idée tyrannique et le fatalisme illusoire.

Physiquement Rollinat a conservé cette tête inspirée et fatidique rappelant à la fois les physionomies de Paganini, de Baudelaire, de Rubinstein et de l’acteur Taillade. La moustache a blanchi, apaisant de sa neige le gouffre amer de sa bouche, cratère de Lamentos, Etna de De profondis mélodieux ; mais la chevelure noire abonde et cascade toujours sur le front lumineux. Le masque est puissamment modelé avec les plis, des déplis, les replis et les froncements qui accidentent et ennoblissent la mobilité de traits ; le regard plus subtil que jadis, moins phallique et vitriolesque, s’est attristé et résigné aux solitaires horizons de la torpeur rurale, mais toutes les agonies d’âme du poète y transparaissent, la flamme visionnaire y brûle toujours sans s’y consumer ; tout l’être de Rollinat reste un falot amoureux des ténèbres qu’il épouse et pénètre de son humanité vacillante. – Nul homme mieux que lui-même n’explique son œuvre, – à ce point qu’il en exagère et en magnifie la valeur par sa propre interprétation triomphante.

(…)

LA CAGOULE.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – « La Cagoule » est un pseudonyme utilisé par Octave Uzanne (né le 14 septembre 1851 à Auxerre, Yonne, et décédé le 31 octobre 1931 à Saint-Cloud, Seine-et-Oise (https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12115423s).

– 2 – Maurice Rollinat avait dû se rendre à Paris pour la publication de son livre Paysages et Paysans, sorti à la mi-avril 1899.

– 3 – En ce qui concerne le poème intitulé dans ce texte « la Belle-Mère », il s’agit vraisemblablement de « Gendre et Belle-mère » publié pages 81 à 85 de Paysages et Paysans.