Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Écho de Paris

Dimanche 13 mai 1894

Page 1

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

FEUILLETON DE L’ÉCHO DE PARIS

du 13 mai 1894

 

JOURNAL DES GONCOURT

1886

(suite)

 

Jeudi 18 mars. – (…)

Des cheveux annelés, un peu à la façon des cheveux-serpents d’une tête de Gorgone, l’œil à l’enchâssement mystérieusement profond, des yeux ombreux d’une sibylle dans une peinture de Michel-Ange, une beauté de lignes grecques dans un visage à la chair nerveuse, tourmentée, comme mâchonnée, et sous cette chair une cervelle qu’on sent hantée par des pensées biscornues, perverses, macabres, ingénues, enfin un mélange de paysan, de comédien, d’enfant : c’est l’homme ; un être compliqué mais d’où se dégage un charme, – quand ce ne serait que celui de cette musique littéraire de son invention.

Au fond, ce Rollinat est un curieux produit de cette maison Callias, de cet atelier de détraquage cérébral, qui a fait tant de toqués, d’excentriques, de vrais fous. Il nous parle de la séduction à la Circé, de la séduction fascinatoire de cette maison, qui lui faisait passer toute la journée à la mairie, en regardant, à tout moment, sa montre, en appelant l’heure où il lui serait donné de prendre son envolée vers ce Portique Batignollais, où, du dîner jusque bien avant dans la nuit, un cénacle de jeunes et révoltées intelligences se livraient, fouettées par l’alcool, à toutes les débauches de la pensée, à toutes les clowneries de la parole, remuant les paradoxes les plus crânes et les esthétiques les plus subversives, dans la surexcitation d’une jolie femme, d’une Muse légèrement démente.

Une sorte d’ivresse intellectuelle, haschichée, dit Rollinat, qui empêchait tout travail, le mettant tout entier dans la dépense orgiaque de la conversation, en ce logis, où il se disait qu’on causait comme en nul autre endroit de Paris.

(…)

 

Mercredi 24 mars. – Bourget sur un bout de divan, dans un coin de salon de la princesse, me conte une de ces vivantes et spirituelles biographies d’excentriques, que sa parole sait si alertement enlever.

Aujourd’hui, c’est le tour de Rollinat, du macabre, ainsi qu’on l’appelait, et chez lequel l’a mené Ponchon. Un hôtel étrange, un hôtel donnant l’impression d’une localité choisie par Poë pour un assassinat, et au fond de cet hôtel, une chambre où parmi les meubles trainaient des vers écrits sur des feuilles à en-tête de décès, et dans cette chambre une maîtresse bizarre, et un chien rendu fou, parce qu’on le battait, quand il se conduisait en chien raisonnable, et qu’on lui donnait du sucre quand il commettait quelque méfait, – enfin, le locataire fumant une pipe Gamba à tête de mort.

Bourget avait passé une soirée musicale inénarrable, en compagnie de la maîtresse bizarre, du chien détraqué, et de l’artiste macabre.

 

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Nous n’avons aucun témoignage de Maurice Rollinat maltraitant un de ses chiens. Au contraire, il les aimait beaucoup et à Fresselines, en a toujours eu plusieurs : « Maurice Rollinat est incapable de faire du mal aux bêtes, il les aime trop pour cela ; il couvre de caresse et même de baisers son cheval, ses quatre chiens et son beau chat Tigheto, chat angora noir et fauve qui a un air de pacha et parfois un dédain digne de Byron. Maurice Rollinat respecte même la vie des vipères. » déclare Alphonse Ponroy (article « Chronique régionale en Berry – Maurice Rollinat, L’Homme et l’Artiste », L’Hirondelle, n° 44 du 31 octobre 1885, page 346.) – Le chat appelé dans cet article « Tigheto », est dénommé « Tigreteau » par Maurice Rollinat.

Fin 1882 et au premier semestre 1883, lorsqu’il habitait 6, rue Oudinot à Paris, « il vit seul avec Louise sa bonne, et son chien Pluton qu’il a fait venir de Bel-Air et qui le distrait un peu par sa joie turbulente et sa bonne drôlerie. » nous indique Émile Vinchon (page 144 de La vie de Maurice Rollinat, Documents inédits, Laboureur & CIE, Imprimeurs-Editeurs, Issoudun, 1939, 337 pages.). Il y a aussi le chat Tigreteau car Charles Buet écrit à propos de la soirée du 5 novembre 1882, chez Sarah Bernhardt : « Un soir donc, Rollinat laissa au logis, non sans regrets, son chien Pluton et son chat Tigroteau et s’en vint avenue de Villiers » (article « Les artistes mystérieux, M. Maurice Rollinat », Revue politique et littéraire – Revue bleue n° 14 du 6 octobre 1888, page 445).

– 2 – Dans l’article « In memoriam… - Le 20me Anniversaire de Rollinat » paru dans La France du 26 octobre 1923, page 1, l’auteur cite un extrait du texte d’Edmond de Goncourt daté du 24 mars 1866, puis interroge Paul Bourget et Raoul Ponchon :

Sur la foi de cette page qui, en le comprendra, nous faisait ardemment désirer d’en savoir davantage, nous fûmes, rue Barbet-de-Jouy, prier M. Paul Bourget de laisser parler ses souvenirs.

- Rollinat, fit de sa voix un peu basse l’auteur du Disciple, mais je ne puis rien vous dire sur lui…

Et, devant notre surprise, amusé, éclairant d’un sourire ce qu’a d’un peu sévère son visage, notre interlocuteur précisa :

- Je ne puis rien vous dire parce que je ne sais rien. Je ne suis jamais allé chez Rollinat, je l’ai à peine connu… Du reste, il n’est pas très connu…

- Mais le récit des Goncourt ?

- Il est inexact. Ils ont confondu… On a pu leur dire que Bourget avait dit… On va loin comme cela… Et puis, n’oubliez pas que les Goncourt étaient des imaginatifs.

Ayant ajouté à ces mots quelques-uns des conseils qu’il a accoutumé de donner à ses jeunes visiteurs, M. Paul Bourget, jouant avec son monocle, retourna travailler.

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- Stupide ! Stupide ! fit à la lecture du même texte goncourtien le bon poète Raoul Ponchon, attablé devant un « demi » en l’aimable café de Cluny, - stupide ; Comment penser que je me serais permis de présenter à Rollinat un écrivain de la notoriété de Bourget ? C’est risible ! Ah ! ces Goncourt !… Ce récit, c’est un récit « arrangé »… Rollinat se servait de papier à en-tête de décès ? Bien sûr, il était employé au bureau des décès dans une mairie…

» Au fait, je l’ai peu connu. Ce que je puis dire, c’est qu’il ne battait pas son chien (d’abord, je crois que ce chien était un chat). Sa maîtresse bizarre : Elle était un peu borgne, et voilà tout… Mais, lui l’aimait pour cela… Stupide ! Stupide !… »

Et sur son nez, rougi par le froid, les binocles de Raoul Ronchon frémissaient d’indignation…

– 3 – Nous sommes bien évidemment dans une action de dénigrement de Maurice Rollinat, comme on peut en lire dans la presse à la fin de l’année 1882 et en 1883. Le mot « macabre » figure deux fois dans le texte d’Edmond de Goncourt ; si cet aspect avait plu dans les années 1870, il était passé de mode au moment où Maurice Rollinat publiait Les Névroses. Par ailleurs, suite à la soirée chez Sarah Bernhardt du 5 novembre 1882 et à l’article d’Albert Wolff dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, des remarques négatives sur Maurice Rollinat sont apparues, parlant de « réclame », disant qu’il a été « lancé » par des journaux parisiens, ou regrettant que d’autres jeunes auteurs n’aient pas eu droit aussi aux mêmes honneurs. Jusqu’à sa mort, Maurice Rollinat sera assimilé au contenu de certaines de ses poésies, par rapport à la névrose, voire la folie, ou le suicide.

 

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L’Écho de Paris

Jeudi 17 mai 1894

Page 1

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

FEUILLETON DE L’ÉCHO DE PARIS

du 17 mai 1894

 

JOURNAL DES GONCOURT

1886

(suite)

 

(…)

Jeudi 20 mai. – Rollinat a la plus curieuse, la plus amusante, la plus originale causerie, sur les habitants du Berry. Il devrait lâcher le macabre, et écrire un livre de prose, sur ce dont il cause d’une manière si spéciale.

(…)

 

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L’Écho de Paris

Mercredi 6 juin 1894

Page 1

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

FEUILLETON DE L’ÉCHO DE PARIS

du 6 juin 1894

 

JOURNAL DES GONCOURT

1887

(suite)

 

Jeudi 29 décembre 1887 (suite)

(…)

Gustave Geffroy, qui vient de réveillonner chez Rollinat, racontait que le curé de l’endroit, qui leur a donné à déjeuner le lendemain de Noël, quand il se mettait à dire, ce curé singulier, quelque chose d’un peu vif, d’un peu audacieusement philosophique, jetait au commencement de sa phrase : « Si j’étais un homme ! »

C’est vraiment un intelligent et original commencement de phrase pour un curé !

(…)

 

 

Remarque de Régis Crosnier ; Le curé en question s’appelait l’abbé Daure.

 

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L’Écho de Paris

Jeudi 9 mai 1895

Page 1

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

Le Journal des Goncourt

 

(…)

Jeudi 10 octobre 1889. – Ce soir, Rollinat, qui se trouve à Paris, est venu dîner chez Daudet. Il a une figure toute jeune, toute rose, toute poupine, et le macabre de ses traits a disparu. Il parle, avec une espèce d’enthousiasme lyrique, de ses chasses, de ses pêches : des pêches au chevaine, où l’hiver il casse la glace, enfin de cette vie active et en plein air qui a remplacé la vie factice, artificielle, enfermée et sans sommeil de sa jeunesse : vie, il n’en doute pas, qui l’aurait tué. Maintenant, il ne sait plus travailler à une table ; et si on lui en apporte une il la brise et en jette les morceaux au diable. Il lui faut les chemins sauvages, sur les bords de la grande et de la petite Creuse, où il parle tout haut ses vers, où, comme disent les paysans, il plaide.

Il s’étend sur son bonheur dans la solitude, sur sa maison éloignée de toute habitation, où la nuit, au milieu de ses trois chiens couchant dans trois pièces, il a un espèce de frisson peureux agréable, au grognement, trois fois répété, annonçant un passant sur la route. Etrange maison, où se succèdent des peintres, où l’hospitalité est donnée à des montreurs d’ours, où le préfet vient déjeuner, où les gens d’alentour se rendent à la pharmacie : maison faisant l’étonnement des Berrichons de la localité.

Et sa compagnie et son intimité, le croiriez-vous ! c’est avec le curé ! Oh ! un curé de la cure de Rabelais et de Béranger, ayant la carrure d’un frère Jean des Entommeures et pouvant tenir une feuillette de vin. C’est lui qui, à une messe de minuit de Noël, où les paysans, qui s’étaient grisés avant, faisaient du bruit, son surplis déjà à moitié sorti de la tête, leur cria : « Eh là-bas ! Si vous continuez, vous savez que je suis capable de prendre l’un de vous par la moitié du corps et, avec lui, de jeter les autres à la porte ! » C’est lui encore qui, dans une chute, s’étant à moitié fracassé la tête et ayant à ses côtés un confrère poussant des hélas : « Ah ! je vois, vous voulez m’extrême-onctionner ; mais vous n’y entendez rien, mon cher, avec votre figure de De profundis ; moi, je fais cela à la gaîté. »

Mme Callias était devenue folle à la fin de sa vie, et sa folie consistait en ce qu’elle croyait qu’elle était morte. On lui demandait comment elle allait une, deux, trois fois. Elle ne répondait d’abord pas, mais enfin, à la troisième, fondant en larmes, elle vous soupirait, dans un rire de folle : « Mais je ne vais pas, puisque je suis morte ». Alors il était convenu qu’on lui disait : « Oui, oui, vous êtes bien morte… Mais les morts ressuscitent, n’est-ce pas ? – elle faisait un signe de tête affirmatif, – et peuvent jouer du piano ? » Alors, prenant le bras que vous lui tendiez, elle allait s’asseoir au piano, où elle jouait d’une manière extraordinaire.

Et l’on se sépare, en disant qu’il faut faire vulgariser par Gibert, dans les salons, la musique de Rollinat, qui ne lui aurait encore rapporté que cent soixante-quatorze francs.

(…)

EDMOND DE GONCOURT