Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Gil Blas

Mardi 14 août 1883

Page 3.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

LES LIVRES

(…)

II

Le dernier recueil de vers de M. Rollinat a fait un bruit du diable, il y a quelque temps, et tout-Paris, emballé un instant – ces instants-là suffisent à faire une popularité – a frissonné à la lecture de ses Névroses.

Le second volume aura-t-il la même fortune que le premier ? Le poids d’un grand succès est quelquefois lourd à porter. Le livre tout entier est d’ailleurs dans une note plus douce, plus apaisée

Je ne parle, au reste, que de son sort auprès du grand public ; car, auprès des artistes, auprès de ceux qui aiment la poésie pour elle-même, et qui n’ont pas besoin, pour admirer, d’être entraînés par le bruit déchaîné des mille trompettes de la Réclame, sa destinée n’est point douteuse. Ce sont là encore des vers de maître-ouvrier, d’une intensité singulière, et d’une allure étrangement personnelle.

La plupart des pièces qui composent Dans les Brandes sont des paysages, des « griseries d’herbe et de ciel bleu », des souvenirs du Berry et de Sologne dans lesquels le poète se retrempe – comme pour fuir l’hallucination menaçante :

Paris, c’est l’enfer, – sous les crânes
Sous les cerveaux sont desséchés…
Oh ! les meunières, sur leurs ânes,
Cheminant au flanc des rochers !

Oh ! le vol des bergeronnettes,
Des linottes et des piverts !
Oh ! le cri rauque des rainettes
Vertes au creux des buissons verts !

Mon âme devient bucolique
Dans les chardons et les genêts
Et la brande mélancolique
Est un asile où je renais !

Ne vous fiez point trop, cependant, à ces promesses d’idylles ! Le vieil homme reparaît subitement, de temps en temps, même après avoir chanté les violettes, et la douceur des molles après-midi d’été, et les libellules qui rasent l’eau de leurs ailes irisées par le soleil. Et voici qu’après ces tableaux calmes, on trouve, en tournant la page, ces strophes saisissantes, d’où un vague effroi émane, et qui, dans le rythme bizarre que donne le vers de neuf pieds, ont quelque chose de puissamment plaintif.

le chien enragé

Le chien noir me poursuit dans l’orage,
A travers les hideux plateaux plats,
Et tous deux, tristes comme des glas,
Nous passons labour et pâturage…

Il franchit buisson, mer et barrage,
Et je n’ai pas même un échalas…
Le chien noir me poursuit dans l’orage,
A travers de hideux pays plats.

Et, songeant aux martyrs de la rage,
Qu’on étouffe entre deux matelas,
Je chemine, effroyablement las,
Presque à bout de force et de courage…
Le chien noir me poursuit dans l’orage !

Voilà une épouvantable évocation de cauchemar, n’est-ce pas ? Est-ce donc à tort que le poète a dit au début du volume :

Au village, on a des ampoules,
Mais aussi, l’on a du sommeil…

 

Paul Ginisty.

 

Remarque de Régis Crosnier : Attention, les exemples de poèmes comportent de nombreuses fautes.