Dossier Maurice Rollinat

 

LA MUSIQUE DE MAURICE ROLLINAT

VUE PAR SES CONTEMPORAINS

Portrait de Maurice Rollinat au piano par Catherine Réault-Crosnier.

 

Recherche documentaire

non exhaustive, réalisée par Régis Crosnier.

 

Version au 13 février 2022.

 

 

- Émile Goudeau
Les Hydropathes, n° 8, 5 mai 1879, page 2.

L’HYDROPATHE ROLLINAT

(…)
Sur ces compositions bizarres, Rollinat met une endiablée musique, que repousse violemment le musicien de profession ; mais que la foule applaudit.

Je préfère le jugement de la foule, comme me le disait Rollinat : Les règles et règlements doivent nous importer peu ; il y a ce qui plait ou empoigne, il y a ce qui fait rire ou pleurer. – Le reste n’est que fadaise.

Bientôt, du reste, doit paraître un album d’une douzaine de compositions faites sur des paroles de Baudelaire ; le public pourra juger ; mais s’il applaudit les artistes qui interpréteront cette musique, nous ajouterons comme Eschine : Qu’est-ce que cela aurait été, si vous aviez entendu le monstre lui-même ?
(…)

 

- Léo Goudeau
Les Hydropathes, n° 8, 5 mai 1879, page 2.

LA MUSIQUE DE ROLLINAT

(SIMPLE NOTE)

La mélodie chez Rollinat a quelque chose de bizarre, qui frappe par le caractère éminemment original.

Il emploie de préférence les intervalles les plus vibrants et les plus inattendus, et constamment se sert du triton en descendant, et de l’intervalle d’un ton et demi. Cela ne constitue point une originalité ; mais où il est étrange, c’est quand il attaque avec vigueur des modulations très-éloignées, et, le plus souvent, par des appogiatures ; celles-ci quelquefois d’une hardiesse extrême, le chant faisant deux notes diatoniques étrangères à l’harmonie.

L’harmonie, du reste, est en rupture de banc avec toutes les règles établies : elle présente des successions sans liaison ; elle abandonne le chant qui alors lutte contre elle, ou s’en fait une esclave absolue, modulant sous chaque degré nouveau même dans un chant rapide, et alors avec un débordement de richesse et de libertinage qui donne une frissonnante sensation.

J’ai ouï dire à bien des gens, après avoir entendu Rollinat : « Il n’y entend rien ! » mais ils partaient émus. – Pourquoi donc disaient-ils : Il n’y entend rien ? Grave question !

 

- Félicien Champsaur
Le Figaro du mercredi 8 octobre 1879, pages 3 et 4.
« Le Quartier latin ».

(…)
Il a mis en musique des sonnets de son maître [Baudelaire], et il a posé entre les vers des airs fantastiques, heurtés, saccadés, avec des notes criardes, des airs d’enfer. Il fait sentir parfois le frisson.(…)

 

- Jules Barbey d’Aurevilly
Lyon-Revue, n° 17 de novembre 1881, pages 629 à 635.
« Rollinat – Un poète à l’horizon ! »

Cet article sera publié à nouveau dans Le Constitutionnel du 2 juin 1882, page 3, et dans Le Parnasse du 15 juin 1882, pages 4 à 6. L’auteur reprendra avec de légères modifications cet article pour constituer les points I à III (pages 321 à 331) de la partie consacrée à Maurice Rollinat dans son livre Les Œuvres et les Hommes - Les Poètes (Alphonse Lemerre éditeur, Paris, 1889, 361 pages).

(page 629)
(...) L’auteur de ces poésies a inventé pour elles une musique qui fait ouvrir des ailes de feu à ses vers et qui enlève fougueusement comme sur un hippogriffe, ses auditeurs fanatisés. Il est musicien comme il est poète, et ce n’est pas tout, il est acteur comme il est musicien. Il joue ses vers ; il les dit et il les articule aussi bien qu’il les chante. (...)

 

 

– Fernand Crésy (pseudonyme utilisé par Fernand Icres)
Le Réveil
du 31 mai 1882, pages 2 et 3.
Article « Musique »

(…)
Réunissant en lui le musicien et le poète, Rollinat conjugue si étroitement ces deux arts et les mène de front avec tant de puissance et d’habileté que l’un n’est, pour ainsi dire, que la continuation et le complément de l’autre. Et de même qu’il excelle à dire ces vers admirables, il n’a pas son pareil, quand il chante ses étonnantes compositions. C’est là, c’est ainsi qu’il faut le voir et l’entendre pour le connaître et éprouver dans toute leur intensité les effets qu’il tire de ses merveilleuses facultés. Il sait par ses gestes et ses attitudes, par les mille aspects de sa physionomie, par les variations à l’infini du timbre et de l’intonation de sa voix, donner une plus profonde pénétration à la triple impulsion des paroles, du chant et de l’accompagnement qui, multipliant ainsi le nombre et l’éclat de leurs beautés particulières, forment déjà par leur accord un ensemble vraiment inouï.

Comme tous les 3 artistes, Maurice Rollinat n’a pas dans le choix de ses sujets une spécialité déterminée. La sensibilité délicate et raffinée de son tempérament étant accessible à toutes les émotions, il les rend toutes avec une rare supériorité. Il possède au plus haut degré, l’expression de toutes les impressions dont est susceptible sa nature si complexe, et quel que soit le genre qu’il aborde, il pose dans chacun de ses morceaux le sceau d’une originalité saisissante et d’une incontestable maestria.

Assistez au développement de son œuvre entier, et vous serez surpris de la diversité des passages, vous passerez par toutes les sensations de votre corps et par tous les sentiments de votre âme. Tout ce que peut éprouver votre cœur dans ses affections les plus intimes, tout ce que votre cerveau peut imaginer dans ses plus nobles conceptions est reproduit devant vous dans sa forme la plus accomplie et avec l’observation minutieuse des insaisissables nuances.
(…)

 

- Léon Bloy
Le Chat Noir des 2 septembre, 9 septembre et 16 septembre 1882.
« Maurice Rollinat ».

(Ces trois textes, légèrement modifiés, vont constituer le début d’un article beaucoup plus long qui sera publié en trois parties dans Le Foyer illustré des 17 septembre, 24 septembre et 1er octobre 1882. Celui-ci sera intégré dans Propos d’un entrepreneur de démolitions (Librairie Stock, Paris, 1925, 296 pages), pages 257 à 294.)

N° 34 du 2 septembre 1882, page 2.

(…)
Il s’assit au piano et chanta pendant près d’une heure. Il chanta des vers de Baudelaire et quelques-uns de ses propres vers. Dès les premières notes, je vis une chose que je ne me croyais pas destiné à jamais voir : une foule, à la lettre, ne respirant plus, comme si les doigts de ce très savant magicien, mis en contact avec les touches, faisaient couler sur nous tous qui étions là, un fluide extatique et stupéfiant. Pour moi, je ne conçois pas que la première impression de cette musique et de cette poésie puisse jamais s’effacer de l’âme, tant elle est inattendue, violente et profonde. J’étais assis solitairement dans un coin de cette salle, devenue soudainement le palais sonore du vertige, haletant, épouvanté, brisé. La musique, infiniment étrange, tour à tour suave et déchirante, s’enroulait à la plus cruelle et à la plus navrée des poésies dans une étreinte et dans un enveloppement si serrés et si forts, elles adhéraient et se collaient l’une à l’autre si tenacement, si inflexiblement, dans le centre d’un tourbillon si surhumain de clameurs, de sanglots et de prières, qu’on pouvait croire vraiment qu’à force d’intensité et à force d’art, une nouvelle espèce d’art androgyne et miraculeux, à la fois terrestre et angélique, venait enfin combler l’implacable abîme de deux milliards de cœurs humains qui sépare la réalité du rêve.
(…)

 

N° 35 du 9 septembre 1882, page 2.

(…) D’ailleurs, avec sa double face de poète et de musicien et son indépendance absolue de toute confraternité littéraire, il est destiné à recevoir d’innombrables conseils. Les musiciens se rempliront de miséricorde pour sa poésie et les poètes émus de sollicitude lui recommanderont de soigner sa musique. Tous l’égorgeront avec la plus suave frénésie, parfaitement assurés qu’il est aussi impossible de dédoubler en lui le poète du musicien que le musicien du poète.

Il suffit en effet de l’avoir entendu une seule fois pour sentir l’étrange exception de cette nature si extraordinairement complexe par les facultés et si merveilleusement simple par l’expression. Assurément la musique et les vers de Rollinat peuvent très bien se passer d’être ensemble et vivre encore très glorieusement. Mais ils n’auront pas toute la vie que ce profond artiste a voulu souffler en eux. Comme je l’écrivais tout à l’heure, il a osé faire ce rêve de réunir – par l’infini dans la profondeur et l’intensité – en un seul art d’une espèce inconnue, deux arts aussi nettement distincts et d’y surajouter une interprétation assez puissante pour les souder et les cadenasser ensemble dans l’unité absolue de l’expression tragique. Et ces trois choses sont pour lui comme les trois rayons tordus de la foudre du vieux Pindare pour le sourcilleux Jupiter !
(…)

 

- Charles Buet
Le Gaulois du 6 novembre 1882, page 1.
« Une Célébrité de demain » signé « TOUT-PARIS »
(pseudonyme de Charles Buet qui reprendra cet article dans son livre Médaillons et camées pages 275 à 278).

(…)
D’une puissante originalité, d’un esprit profondément imbu des plus hautes pensées, il chante les désenchantements de la vie, les horreurs de la mort, la paix du sépulcre, les espérances futures, les déchirements du remords. La musique avec laquelle il interprète la Mort des pauvres, la Cloche fêlée, le Flambeau vivant, l’Idéal de ce grand Baudelaire que je vis mourir, n’appartient assurément à aucune école « conservatoresque », dit-il lui-même en son langage singulièrement imagé.

C’est le cri de l’âme, c’est l’envolée de la conscience, c’est une mélodie extra-humaine, toute de sensation, de raffinement, qui parle aux cœurs ensevelis dans le scepticisme égoïste du siècle, et qui fait, sous sa voix aiguë, jaillir la douleur. (…)

 

- Gustave Geffroy
La Justice du 25 novembre 1882, page 1.
« Chronique – Boniments ».

(…) Il se trouve que Rollinat, acteur et musicien, dit et chante ses vers en s’accompagnant d’une musique étrange et improvisée. (…)

 

– Spiridion (pseudonyme utilisé par Frantz Jourdain)
Le Phare de la Loire du 2 mars 1883, page 2.
« Lettres parisiennes ».

(…)
Dans la musique de M. Rollinat, on retrouve la même émotion, violente, nerveuse, exaspérée [que dans sa poésie]. Toutes ses mélodies ont une couleur spéciale, qui traduit avec une grande netteté et une justesse d’expression remarquable les paroles qu’elles accompagnent. Et aucune ne se ressemble, aucune n’a même l’air de famille que l’on retrouve dans différentes pièces des Névroses ; 1’inspiration a été unique, franche, facile et distincte. La Cloche fêlée, l’Idiot, l’Ame des Fougères, le Serpent qui danse, que je prends au hasard, n’ont aucun lien île parenté.

Comme impression générale, je ne vois guère que les Mélodies de Schumann qui pourraient en donner une idée. L’accompagnement, qui est toujours orchestral, possède des sonorités et des recherches harmoniques d’autant plus étonnantes que M. Rollinat n’a jamais étudié la fugue ni le contrepoint et qu’il laisse l’inspiration aller à son gré et à son caprice. Sous ce rapport, je n’ai jamais rencontré une organisation musicale pareille. Le poète et le musicien sont, enfin, doublés et presque complétés par un incomparable talent de diseur et de chanteur. Le plus grand comédien, le plus irréprochable virtuose ne parviendront jamais à interpréter ses œuvres comme lui-même, et cela justement parce qu’il ne les dit pas en acteur, mais en poète, en artiste, comme il les a senties, et qu’il arrive ainsi à une intensité d’impression inimaginable et indescriptible.
(…)

 

– Marie Krysinska
L’Impartial
du 2 mai 1883, page 1.
« Silhouettes – Maurice Rollinat ».

(…)
Ce poète, intense compliqué et coloriste qui, avec le charme tout puissant des mots, donne tour à tour le frisson le plus suave et le frisson de l’étrange, de l’angoisse et du vertige, est encore un musicien plus intense et plus irrésistible, si deux manières différentes dans un art aussi complet et aussi définitif peuvent être comparées.

Il y a deux ans, Rollinat faisait paraître chez Hartman six mélodies.

1. Chanson d’automne ;
2. Ballade de l’arc-en-ciel ;
3. Les Corbeaux ;
4. Le Cimetière aux violettes ;
5. Les Demoiselles ;
6. Le Convoi.

Les deux premières sont prises dans les Névroses, les autres dans son premier volume, les Brandes.

Un peu plus tard, chez le même éditeur, six poésies de Baudelaire, puis trois valses.

O triomphe des critiques, ce ne sont plus deux notes différentes, ni plusieurs notes, ce sont toutes les notes.

Les paysages les plus radieux sont envahis par une mélancolie infinie, et la grâce la plus exquise y donne la main au fantastique et au formidable.

C’est un mélange extraordinairement subtil du beau et du joli.

Les harmonies sont compliquées, savantes, riches et d’une audace qui fera souvent crier au scandale ces messieurs du Conservatoire, dont la plupart ont, dans les oreilles et dans le cœur, un métronome pour toute esthétique, mais qui plongera toujours dans le ravissement les artistes avides d’émotions inéprouvées ; car, avec une originalité absolue, Rollinat, même dans ses outrances, est toujours rigoureusement préoccupé de l’effet juste.

C’est à la fois de la musique littéraire, paysagiste, moderniste et surtout perpétuelle.

Comme musicien, Rollinat est encore, sous le rapport de l’interprétation, un artiste sans précédent ; lorsqu’il chante, il semble avoir tout un orchestre dans la poitrine, et beaucoup de ses compositions ne pourront jamais plus être chantées après lui, mais celles-là sont des œuvres symphoniques formidables, et sont destinées a avoir – peut-être bien tard – des succès fous chez quelque Colonne de l’avenir, qui ne serait pas esclave de ses Premiers violons et vassal de ses Flûtistes, lesquels pousseraient aujourd’hui des cris de paons hydrophobes si on leur donnait une partition de Rollinat.
(…)

 

- Jules Barbey d’Aurevilly
Le Constitutionnel du 6 juillet 1883, page 3.
« Les Névroses par M. Maurice Rollinat ».

(Cet article est paru à l’identique dans Le Pays du 6 juillet 1883, page 3.)

(…) Talent à triple face, M. Maurice Rollinat, trois fois poète, l’était deux fois trop dans un pays où c’est même souvent trop que de l’être une fois. Il était poète, comme tous les poètes, mais il était le grand diseur et le grand acteur de ses vers comme il en était le musicien. Il les chantait lui-même sur une musique jumelle, puisée à la même source d’inspiration que sa poésie… (…)

 

- Alphonse Ponroy
L’Hirondelle
– Revue littéraire, pédagogique et artistique – Organe hebdomadaire de l’Académie de l’Ouest, n° 44 du 31 octobre 1885, pages 345 et 346 et n° 45 du 7 novembre 1885, pages 354 et 355.
« Maurice Rollinat – L’Homme et l’Artiste ».

(page 354) (…)
Maurice Rollinat n’est pas seulement un grand poète, c’est un musicien et un grand ; il est autant musicien que poète, et sa musique a la même étrangeté que sa poésie. C’est là plus que jamais que l’on se dit quand on l’entend devant son piano : Rollinat n’est pas de ce monde ; car sa musique est si extraordinaire, si étrange que l’on ne peut pas se figurer où il a pu découvrir de tels sons, de tels accords. C’est tantôt la compassion, comme dans la Mort des Pauvres, paroles de Baudelaire ; c’est tantôt la peur, comme dans les Chauves-souris ; c’est le froid du couteau dans le Guillotiné ; c’est le charme dans la Fille aux Pieds nus ; ailleurs, c’est le frétillement du plaisir. Si j’étais seul pour parler ainsi de la musique de Rollinat, je pourrais dire que je m’abuse ; mais il n’y a pas que moi qui en parle ainsi de sa musique, il y a tous ceux qui l’ont entendue, artistes connus ou inconnus. Mais si la musique de Rollinat est extraordinairement belle, elle est pour ainsi dire ininterprétable ; car il faut une âme de Rollinat pour la chanter, il faut être comme lui un pâle voyant.
(…)

 

- Jules Lemaitre
Journal des débats politiques et littéraires du 19 avril 1886, page 1.
« La semaine dramatique ».

(…) Je vais certainement blasphémer, mais je songeais l’autre jour à certaines mélodies sorties du cerveau de cette créature étrange, de ce faune hanté par le surnaturel, qui a nom Maurice Rollinat, à ces mélodies qui semblent vous couler comme une caresse inquiétante tout le long de la moelle épinière et qu’Alphonse Daudet compare à des « piqûres de morphine sympathiques ». (…)

 

- Vincent
Le XIXe siècle, 4 mai 1886, pages 2 et 3.
« Rollinat »

(…)
Ah ! cette musique ! Je ne vous conseille pas de dire jamais à M. Saint-Saëns ou à M. Delibes que Rollinat est un musicien ; vous seriez conspué de la belle façon ! Rollinat ne sait ni l’orthographe ni la grammaire ; il accumule les barbarismes les plus éhontés sur les solécismes les plus odieux ; tel de ses dièzes ferait frémir l’Institut, et je sais une de ses quintes que M. Pasdeloup ne lui pardonnera pas. Et cependant, s’il vous est un jour donné – ce que je vous souhaite – d’entendre la Causerie, ou les Promesses d’un beau visage, ou la Chanson d’automne, ou la Chanson de la perdrix grise, ou la Mort des amants, vous verrez de quelle émotion profonde et rare vous serez brusquement secoué. C’est que si Rollinat ignore ou veut ignorer les règles élémentaires, il sait l’art extraordinaire de nous tirer des larmes des yeux et aussi de nous faire sourire d’aise : la Mort des amants est un sanglot déchirant ; le Péché rose, une exquise bluette, aimable et fraîche, dans la manière du siècle dernier. Et que m’importent alors les bémols inutiles et les accords irréguliers !
(…)

 

- Francisque Sarcey
La France du 8 mai 1886, pages 1 et 2.
« Chronique ».

(page 2) (…)
J’ai lu dans les journaux que cette musique ne ressemblait à rien, qu’elle était étrange comme le poète lui-même. Mais point du tout. Elle est, au contraire, une application, instinctive si l’on veut, car je crois que M. Rollinat n’a point appris les règles de la composition, mais très ingénieuse, très maligne des procédés ordinaires de la déclamation notée. Cela consiste à bien se pénétrer du rythme d’un morceau, et à renforcer les syllabes accentuées. C’est après tout ce que fait Gluck ; rien n’est au fond plus classique. C’est de la diction, en musique tout bonnement.
(…)

 

– Le Chat Noir n° 309 du 10 décembre 1887, page 1032 (quatrième du numéro).
Article « Une émeute ! ».
[Présentation des dix mélodies de Maurice Rollinat qui viennent d’être publiées chez Félix Mackar.]

(…)
On connaît le style émotionnant, la couleur farouche ou le charme ensorcelant de cette harmonie toujours greffée sur d’admirables paroles.

Nous n’en dirons pas plus à nos lecteurs, pour qui le double talent de Rollinat est déjà synonyme de… génie.

 

– Le Soleil du 16 décembre 1887, page 4.
Rubrique « Petite Gazette des Théâtres » signée Petit-Jean.

– L’éditeur de musique, F. Mackar, vient de publier une série de morceaux qui ne sauraient manquer d’avoir un succès de curiosité. Ce sont dix poésies de Maurice Rollinat, l’auteur des Névroses, mises en musique par lui-même. Musicalement, c’est quelque chose d’entièrement nouveau et comme rythme et comme mélodie. Le musicien, dans l’occasion, est aussi original que le poète, et cette collaboration d’un seul artiste avec lui-même fournit des choses artistiques d’une extrême originalité.

 

– Frantz Jourdain
La Vie moderne du 14 janvier 1888, page 23 (7ème du numéro).
« L’œuvre nouvelle de Rollinat ».

[À propos des dix nouvelles mélodies de Maurice Rollinat qui viennent d’être publiées chez Mackar]

(…)
Et cependant, j’en suis convaincu, l’œuvre de Rollinat produirait un effet certain, considérable sur le public le moins prévenu. Cette musique possède le rare mérite d’être – à la fois – extrêmement chantante et claire et d’avoir été écrite par un harmoniste raffiné. Les accompagnements, nourris comme une orchestration symphonique, ont une coloration brillante, une sonorité étrange, un rythme original, un accent personnel, un charme plein d’une griserie délicieuse, auxquels il est impossible de résister.

Une légende bête veut que Rollinat puisse seul interpréter sa musique. Il est évident que ce prodigieux artiste dont l’âme vibre comme une corde trop tendue, chante ses mélodies et récite ses vers avec une intensité d’expression extraordinaire. Mais – je le sais par expérience – le plus médiocre virtuose arrive à des effets considérables avec cette musique, dont la primordiale qualité est l’étrangeté et la poésie passionnante.

Je voudrais qu’on essayât, aux Vendredis si intéressants de La Vie Moderne : La Nuit tombante, cette page large et sereine comme Millet ; Les Yeux morts, ce chant si mélancoliquement tendre ; La Folie, cette prestigieuse fantaisie macabre ; et La Maladie, et la Chanson des yeux, et toutes. Je suis certain que l’interprète, auprès de ce public nerveux et artiste, obtiendrait un franc succès.
(…)

 

Le Livre : revue du monde littéraire – Archives des Écrits de ce temps – du 10 mars 1888, page 149.

GAZETTE BIBLIOGRAPHIQUE

– La Musique de Rollinat. – « C’est le prolongement de la poésie », s’écria un jour Leconte de Lisle après l’audition de quelques mélodies du poète des Névroses et de l’Abîme, chantées au piano par l’auteur. Les musiciens – de métier – se complaisent à reprocher à ces mélodies ce qu’ils appellent des incorrections de style. Nous leur répondrons : Si vous le voulez, cela n’est pas de la musique, c’est plus beau que de la musique ! Toujours greffée sur de précises paroles de nature ou sur de profondes et souvent cruelles analyses du cœur de l’homme, elle semble constamment doubler la valeur des mots et les rend en quelque sorte lumineux. Ne cherchez rien de comparable à aucun maître connu. Tâchez d’imaginer les plus beaux vers des Fleurs du mal ou des Névroses dégageant leur âme en ondes sonores, soudain violentes comme les plus violentes passions, soudain plus douces que l’amour, plus bleues que les yeux bleus, plus fraîches que les roses, toujours ensorcelantes. De la musique étrange ! pense-t-on d’abord. De la musique naturiste, vient-on à se dire après quelques auditions. De la musique toute nue ! et prodigieusement mariée cependant aux transparentes et miroitantes pierreries d’une harmonie qui enveloppe et côtoie la mélodie, comme feraient d’autres mélodies sœurs de la mélodie première. Qui interprétera de tels chants ? Des initiés, des curieux d’art d’abord, et un jour, par fatigue des éternelles sérénades d’opéras, après une tentative heureuse d’un amateur audacieux, les salons parisiens tout entiers, plus dilettantes, plus avides que l’on ne pense, de subtiles sensations, mais paresseux de découvertes et ne croyant qu’avec méfiance à l’apparition d’un talent réel, surtout s’il est dénoncé comme original.

Après les trente mélodies déjà parues chez Hartmann et Lemoine, dix autres sont mises en vente par Félix Mackar, 22, passage des Panoramas : la Chanson des yeux, la Neige, Nuit tombante, Tranquillité, les Deux serpents, l’Aboiement des chiens dans la nuit, les Yeux morts, la Maladie, la Folie, les Larmes du monde.

C’est là un événement artistique sur lequel nous attirons l’attention des lecteurs du Livre.

 

- Gustave Geffroy
Le Figaro – Supplément littéraire du dimanche, du samedi 9 février 1889, pages 22 et 23 (soit les deuxième et troisième du supplément littéraire).
« Poète aux champs ».

(…)
C’est également ainsi qu’il compose son inoubliable musique. Il subit les sensations du dehors et il observe en dedans, il écoute chanter dans sa tête ces airs de douceur exquise et d’affreux déchirement où il y a de la plainte de cantique et du spasme de fureur. Ces airs qui ne ressemblent à nuls autres airs, qui ont été trouvés, chance inespérée ! par un poète qui ne les a pas déshonorés par de banales paroles, Rollinat les note, sur le même carnet que ses vers, et il revient les essayer chez lui, sur son ancienne épinette, dans un petit salon où les portraits des siens sourient dans des cadres, où quelques hautaines figures de grands artistes regardent de leurs yeux fixes et inquiétants.
(…)

 

- Armand Dayot
Le Figaro du 14 janvier 1892, page 1.
« Rollinat ».

(…)
Deux de nos grands compositeurs musicaux, deux maîtres, ont ainsi exprimé leur opinion sur Rollinat, qui venait de chanter devant eux, de sa voix stridente et plaintive, quelques-unes de ses plus extraordinaires mélodies :

« Quel excellent élève cela ferait ! » dit l’un, d’un air légèrement pincé.

« Mais c’est un fou de génie que ce Rollinat ! » s’écria le second que cette musique extraordinaire avait remué jusqu’au fond du cœur.

A vrai dire, et j’espère que Rollinat ne me tiendra pas rigueur de l’opinion que je vais porter à mon tour sur ces deux jugements ; je préfère de beaucoup, même dans l’exagération indiscutable de son expression, la seconde appréciation qui est de Gounod.
(…)

 

- Sutter-Laumann
L’Intransigeant du 19 janvier 1892, page 2.
« Maurice Rollinat ».

(…) « C’est un poète, mais ce n’est pas un musicien », disaient les musiciens ; « c’est un musicien, oui, mais non pas un poète », répliquaient les poètes. « Lui seul peut dire ses vers », ajoutaient ceux-ci. « Sa musique ne vaut qu’autant qu’elle est chantée par lui », concluaient ceux-là.

Rollinat avait le tort d’être doublement doué.

Les critiques portées sur le poète par des rivaux moins heureux, n’ont pas prévalu. Mais les critiques des croques-notes ont eu plus de poids, car la musique de Rollinat, bien qu’éditée en partie, n’est guère connue que de quelques initiés. Je ne sais, moi, étant profane, si elle est ou non conforme aux règles, si elle est écrite selon les principes. Mais de cela je me moque. Ce que je sais, c’est que jamais musique, sauf les troublants préludes, les mélancoliques et rêveuses polonaises de Chopin, ne m’a impressionné autant. Je les ai dans la mémoire, ces airs, cris de douleurs, appels déchirants, plaintes attendries, que dominent parfois des notes surhumaines, comme domine, sur le chant d’un promeneur en forêt, le gazouillis des oiseaux perchés sur les cimes. Et quand je les fredonne, ou lorsque je prie une voix amie de me les chanter, aux heures de loisir où il me plaît de fuir les réalités pour le rêve, l’impression est pareille, oui, pareille à celle que j’ai éprouvée quand j’ai entendu Rollinat.
(…)

 

- Armand Dayot
Revue illustrée, n° 150 du 1er mars 1892, pages 189 à 191.
« Maurice Rollinat »

(…) Il me semble même que la voix de Rollinat a aujourd’hui plus d’ampleur, plus de sonorité, plus d’étendue qu’il y a quelques années, cette voix inclassable, tour à tour d’une douceur exquise et d’une gravite profonde, puis mordante, presque grinçante et qui tout d’un coup, sans transition aucune, se pliant brusquement aux folles exigences de la musique qu’elle traduit, franchit sans effort tout l’espace du clavier. – Lorsque je songe aux sensations d’art si aiguës, si rares, si troublantes, que j’ai personnellement éprouvées en écoutant chanter Rollinat, je ne puis m’empêcher de plaindre ceux qui ne l’ont pas entendu, et qui sans doute ne l’entendront jamais, s’il persiste dans sa résolution, fort sage peut-être, fort regrettable assurément, de ne plus dire lui-même ses œuvres en public, afin de prouver, une fois pour toutes, que la puissance de son art existe en dehors de la magie de son interprétation personnelle.

Oh ! cette inoubliable voix qui remuait jusqu’au fond de l’âme les plus insensibles et triomphait des natures les plus rebelles à la musique. Théophile Gautier eût versé des larmes en écoulant Rollinat chanter le Recueillement ; Hugo eût applaudi à la sombre mélodie de la Nuit tombante qu’on écoute avec le même sentiment de terreur vague que celui qu’on éprouve en sentant s’épaissir autour de soi les ténèbres dans la solitude ; Théodore de Banville ne pouvait se lasser d’entendre la musique éolienne de la Blanchisseuse du Paradis. – L’anecdote suivante prouvera la magique puissance de ce tzigane de génie.

Ainsi que Gautier, qu’Hugo, que Banville, et peut-être même à un degré plus… paroxyste, Barbey d’Aurevilly avait la musique en horreur.

La seule vue d’un piano le rendait mélancolique, et au son de cet instrument barbare il fuyait éperdu. Un jour on parlait devant lui de Rollinat qu’il n’avait jamais vu et dont il ne connaissait sans doute pas encore le nom. – C’est un artiste étrange, disait-on. Non content d’écrire lui-même des vers superbes, il a osé mettre Baudelaire en musique, et il a réussi… – Mettre Baudelaire en musique ! On a osé mettre Baudelaire en musique ! hurla Barbey d’Aurevilly pris d’un furieux accès d’indignation ! Le misérable ! – Et se dressant brusquement dans une de ces poses prophétiques qui lui étaient familières, il déclara à l’inconscient provocateur de cette violente apostrophe que ce Rollinat n’était qu’un drôle et pria qu’on ne prononçât désormais plus son nom devant lui…

 Quelques jours plus tard, à la suite d’une très habile conspiration, Barbey d’Aurevilly entendait Rollinat chanter la Causerie de Baudelaire au piano. L’effet fut d’un comique prodigieux. L’auteur de l’Ensorcelée n’en pouvait croire ses oreilles. Il se crut le jouet d’un rêve. Avec des larmes plein les yeux, il demanda lui-même au poète-musicien de chanter encore, après lui avoir serré les mains avec une touchante effusion. Puis il le supplia de le venir voir, et jusqu’à son départ pour les champs où il séjourna près de dix ans, amassant sans doute dans le recueillement de la solitude un merveilleux trésor de strophes et de mélodies, Rollinat devint l’intime ami, l’hôte familier de Barbey d’Aurevilly. Ce dernier se plaisait à répéter qu’il ne connaissait vraiment Baudelaire que depuis qu’il avait entendu Rollinat, et que l’auteur des Fleurs du mal lui-même aurait goûté cette musique dont il fut le mystérieux inspirateur et qui est comme le mélodieux prolongement de sa pensée. – Demandez à Alphonse Daudet ce qu’il pense des chants de Rollinat. Je me trompe fort si l’illustre écrivain ne vous répond pas que pendant les heures les plus douloureuses de sa vie souffrante il regrette de n’avoir pas cet extraordinaire charmeur auprès de lui pour lui chanter ces deux mélodies qu’il affectionne tout particulièrement : l’Invitation au voyage et le Jet d’eau, de Baudelaire, œuvres exquises où le poète et le musicien ont intimement marié leur génie pour nous faire respirer un instant les parfums les plus rares, pour faire passer devant nos yeux hallucinés les plus troublantes visions, les plus indéfinissables couleurs, pour nous faire entrevoir des paradis rêvés, et pour exprimer dans un subtil et divin langage tout le charme berceur et caressant de la contemplation amoureuse.

Edmond de Goncourt lui-même n’a-t-il pas écrit quelque part que la musique de Rollinat l’avait très profondément impressionné !
(…)

 

- Edmond de Goncourt
Journal des Goncourt – Mémoires de la vie littéraire, Tome sixième 1878-1884 (G. Charpentier et E. Fasquelle éditeurs, Paris, 1892, 357 pages).

(page 265)

Jeudi 14 juin [1883]. – Je n’avais jusqu’ici qu’un goût médiocre pour Rollinat. Je le trouvais, tantôt trop macabre, tantôt trop bête à bon dieu.

Aujourd’hui, il s’empare de moi, par de la musique, qu’il a faite sur quelques pièces de Baudelaire. (page 266) Cette musique est vraiment d’une compréhension tout à fait supérieure. Je ne sais pas quelle est sa valeur près des musiciens, mais ce que je sais, c’est que c’est de la musique de poète, et de la musique, parlant aux hommes de lettres. Il est impossible de mieux faire valoir, de mieux monter en épingle la beauté des mots, et quand on entend cela, c’est comme un coup de fouet, donné à ce qu’il y a de littéraire en vous.
(…)

 

- Lucien Descaves
L’Écho de Paris du dimanche 28 juin 1896, pages 1 et 2.
« Maurice Rollinat ».

(page 2)
(…)
Rollinat chantait, et chantait incomparablement, la musique dont il couronnait les vers de Baudelaire ou les siens, comme on répand sur des fleurs artificielles des essences appropriées. Excepté les compositeurs qui jugeaient Rollinat sur une succession de quintes et refusaient de prendre au sérieux un homme manifestement brouillé avec les mathématiques de la fugue et du contre-point, il n’était personne que Rollinat, au piano, ne subjuguât. Quiconque l’a entendu interpréter de Baudelaire : le Jet d’eau, Madrigal triste, l’Invitation au voyage, Chanson d’après-midi, ou telle pièce des Névroses et de la Nature, emporte un souvenir ineffaçable de ce talent exaspéré, agreste et charmeur, corrosif et balsamique à la fois, qui râpe les nerfs, vrille le cerveau, glace le cœur et panse ensuite les blessures qu’il a faites, en évoquant le champ de colzas, les pêchers roses, la perdrix grise dans le sillon, des paysages de qualité et d’apaisement.
(…)

 

Paul d’Armon
La Petite Presse du 20 juillet 1896, page 2.
« Revue littéraire ».

[Après avoir entendu une jeune fille jouer au piano et chanter « La Chanson de la perdrix grise » de Maurice Rollinat.]
(…)
C’était tout. La jeune fille fut applaudie pour sa bonne grâce, pour le charme des vers et la souplesse du musicien qui les avait si fidèlement traduits. Or, le musicien et le poète ne faisaient qu’un - vous l’avez déjà nommé - : Maurice Rollinat.

Ses romances se trouvent à présent sur tous les pupîtres, elles tiennent le succès et le méritent autant par la simplicité que par l’originalité de leur facture. Elles ne s’adressent pas à des virtuoses mais aux rêveurs dont le cœur s’est ouvert aux magnificences du plein air ; il suffirait, semble-t-il, d’en prononcer les mots pour les moduler ; en tout cas, il existe entre le verbe et la note une alliance étroite qu’on ne saurait rompre sans risquer un contresens. L’auteur ne se vante pas à tort : « C’est la musique des sillons - qu’il a toujours si bien comprise. »

Non pas seulement les harmonies de la plaine, mais aussi les aspects changeants du sol qui porte les moissons, de la rivière ou du torrent, des fossés de la route, des collines, du ciel d’où tombent la lumière et l’ombre, la pluie, la neige « continueuse et tenace », il les comprend, il les traduit, il les représente avec de curieux procédés d’imitation. Je suis certain de ne pas offenser M. Maurice Rollinat en lui donnant l’épithète de poète rural (…).

 

- René Lara
Le Figaro du 18 juin 1898, page 3.
« Notre page musicale ».

 En entendant citer M. Maurice Rollinat comme auteur de la musique de cette admirable Tristesse de la lune, de Baudelaire, beaucoup se demanderont s’il n’y a pas là une erreur, ou si, d’aventure, le poète serait devenu musicien ?

La vérité est que Maurice Rollinat n’a pas eu à devenir compositeur : il l’a toujours été. Mais un compositeur d’un tempérament tout particulier et d’une originalité trop singulière pour être du premier coup accessible à la foule.

Il ignore, en effet, la technique musicale et, en fait de règles, il ne connaît que celles que lui suggère sa fantaisie ; et, faut-il l’avouer, ce ne sont jamais les mêmes !

Rollinat n’en demeure pas moins un grand charmeur dont les formules musicales déroulent souvent, mais séduisent toujours.

Il s’attache à mettre en musique les poésies les plus subtiles, et, toujours tenté par l’expression de l’inexprimable, il a trouvé en quelque sorte une forme à lui, où il essaye de faire vivre son rêve d’art…

Cet art, sur lequel les techniciens font naturellement d’expresses réserves, produit néanmoins une impression dont on ne saurait nier l’intensité et au charme de laquelle n’ont su échapper des musicophobes comme Banville et Barbey d’Aurevilly. Jusqu’à ce jour, l’œuvre musicale de Rollinat était peu connue, mais on pourra l’applaudir très prochainement dans une soirée organisée par ses admirateurs et ses amis, et exclusivement consacrée à l’audition de ses mélodies.

 

- Francisque Sarcey
Le Temps du 27 juin 1898, page 2.
« Chronique théâtrale ».

(…)
– Prenez Rollinat lui-même, dis-je ; c’est encore lui qui dit le mieux ses vers. Il a dit chez moi deux ou trois de ses pièces, en s’accompagnant au piano ; nous avons tous, en l’entendant, senti passer le vent de la mort. C’était un frisson horrible et délicieux. Nous nous sommes crus transportés en plein conte d’Hoffmann.
(…)

 

Le Courrier du Centre du samedi 2 juillet 1898, page 3.
« Maurice Rollinat, poète et musicien » (article non signé).

(…)
La musique, tour à tour étrange, plaintive, ironique, charmante ou humide, reflète les accents de son âme angoissée.

Il semble vraiment que Rollinat a su trouver des sons qui vont au-delà des mots. Les harmonies, par leur recherche vraie, sont comme la continuation d’une pensée que le sujet, le verbe et l’attribut ne peuvent plus exprimer. C’est l’idéal vague de sa pensée devenue imprécise, et comme la rumeur de ses idées.
(…)

 

- Francisque Sarcey
Le Temps du 4 juillet 1898, pages 1 et 2.
« Chronique théâtrale ».

(…) Vous savez sans doute que c’est M. Maurice Rollinat qui a composé lui-même la musique dont il a voulu que ses vers fussent accompagnés.

C’est une musique extrêmement difficile à chanter ; parce qu’elle n’existe pas par elle-même, elle n’est que le prolongement, l’affirmation, l’effervescence du vers auquel elle s’applique. Cette musique-là, ce n’est à vraiment parler que de la diction. Le mot est enfoncé dans l’esprit de l’auditeur par le son qui en accroît la force.

Il résulte de là que la première, j’oserais presque dire, la seule qualité d’un chanteur à qui l’on donne à interpréter une pièce de Rollinat, c’est la diction. On est pénétré de cette vérité, quand on l’entend lui-même chanter ses vers au piano. Les chante-t-il ? Non, le terme serait impropre. Il les dit, avec une énergie ou une sensibilité que la musique accentue en voltigeant autour d’eux.

Que font presque tous nos chanteurs ? Ils partent du son pour arriver au mot, ils s’occupent de la note et non du texte. C’est le contraire qu’on leur demande. Le défaut est plus sensible, quand ils disent du Rollinat ; mais vous en pouvez surprendre les effets dans presque toutes les représentations lyriques d’aujourd’hui.
(…)

 

- Maurice Lefèvre
La Vie quotidienne du 14 août 1898, pages 54 à 56.
« La vie littéraire – Rollinat ».

(…)
M. Armand Dayot, en qui la tendresse pour l’homme se double d’admiration profonde et raisonnée pour l’artiste, appelle Rollinat un tzigane de génie… L’épithète est juste autant que pittoresque ; c’est le même dédain des rythmes corrects, c’est la même fougue que celle de ces demi-sauvages aux longs cheveux de jais, dont l’archet mordant grince le long des routes, au revers des talus, au bruit des « Eljen » joyeux des paysans ébaubis.
(…)

 

- Montal
Lemouzi : organe mensuel de l’École limousine félibréenne, n° 45, avril 1899, pages 41 et 42.
« Un dimanche à Fresselines ».

(…)
Le premier coup de la grand’messe ! oh joie, c’était dimanche : ne dit-on pas à Paris que Rollinat tient l’orgue à Fresselines. Vous entendez bien que cet orgue est un humble harmonium ; mais quel piquant spectacle de voir le poète-musicien des Névroses accompagner pieusement un Credo de village !

Rollinat est le Cincinnatus de la musique…

 Le dernier coup de la messe sonna. La petite église était pleine de paysans en habits de bure et de femmes coiffées de bonnets blancs quand Maurice Rollinat parut sous le porche. Il se signa d’un geste ample, donna l’eau bénite à son voisin et s’avança, très différent de tout ce qui l’entourait, son feutre large à la main, le buste pris dans un veston à la Maupassant. Il découvrait une tête énergique, au teint encore pâli mais déjà hâlé, l’œil brillant sous les sourcils, la moustache courte et rude, les cheveux relevés par devant pour retomber en boucles par derrière.

Le voilà à l’harmonium ; les chants commencent ; il les accompagne et les dirige. Le poète, dominant cette maîtrise rudimentaire, reste recueilli, visiblement pénétré de foi, comme bercé par ces voix rustiques qui sont douces à cet échappé de la fournaise parisienne. Son air grave et reposé donne à songer.

L’office s’achevait quand le poète sortit ; je le rejoignis sur la petite place où les villageois s’attardaient ; la présentation fut bientôt faite. Il m’entraîna chez lui.
(…)

 

- Frédéric Glane (pseudonyme utilisé par Johannès Plantadis)
Lemouzi : organe mensuel de l’École limousine félibréenne n° 45, avril 1899, page 46.
« Rollinat musicien ».

Comme Berlioz et Wagner, comme M. Vincent d’Indy et M. Gustave Charpentier, Maurice Rollinat est un poète doublé d’un musicien. En cela, il ne fait que suivre et continuer la tradition des trouvères et des troubadours du moyen-âge qui composaient la musique de leurs poésies. L’époque à laquelle ces derniers appartenaient considérait le chant comme le prolongement de la parole et ne pouvait pas admettre que la poésie fût inséparable de la musique.

Les airs que Maurice Rollinat adapte à ses vers se présentent à nous sous l’aspect d’un dessin mélancolique, simple et pur, mais d’une farouche énergie et d’une troublante mélancolie. Ecrites généralement dans le mode mineur, ses mélodies rappellent certaines compositions de Schumann tout en portant l’empreinte d’un caractère très personnel et d’une originalité puissante. Parfois sa muse se fait légère et accorte, son inspiration s’élève au ton majeur et se festonne en motifs pleins de grâce.

L’art musical de Rollinat est avant tout un art d’expression ; il ne sacrifie pas au goût du jour, à la mode, et sort des sentiers battus. Et cependant le poète n’est pas un musicien dans le sens professionnel et technique du mot. Il sent la musique plutôt qu’il ne la sait. Cet instinct est celui d’un grand artiste et nous savons plus d’un fort en thème qui sacrifieraient volontiers leur science à la facilité, à la robustesse et à l’expression de l’inspiration d’un Rollinat. L’auteur des Névroses a ainsi victorieusement démontré que la musique, art d’extérieur et d’impression, ne saurait être l’apanage exclusif d’un monde de professionnels ou de faux savants.

Comme Pierre Dupont, Maurice Rollinat ne se plie pas à la technique musicale. Il ne sait pas noter ses airs. Ce soin incombe à un sien ami plus versé dans les règles de la dictée musicale que lui. Mais la phrase mélodique une fois née dans son esprit prend forme, se développe et se précise d’une manière ferme et définitive lorsque Rollinat la fait fixer sur la portée par son obligeant et modeste collaborateur.

Des Névroses et de Dans les Brandes, Maurice Rollinat a tiré quelques vingtaines de pièces sur lesquelles il a fait de la musique : Les Corbeaux, aux âpres contours ; l’Aboiement des Chiens dans la Nuit, de si frissonnante allure ; le Convoi funèbre, d’une émotion si pénétrante ; le Champ de Colza, d’une tonalité fraîche et pleine de charme ; les Babillardes, d’un tour spirituel et malicieux ; les Pêchers Roses, petit ballet, aux grâces dix-huitième siècle, qui nous fait songer aux pastels de Lancret et aux trumeaux de Boucher, etc., etc.

Rollinat s’est aussi fait le complice de Pierre Dupont et de Beaudelaire, en revêtant d’un vêtement musical certaines de leurs poésies : du premier, Le Bûcheron ; du second, Madrigal triste, Tristesse de la Lune, la Mort des Amants, l’Invitation au Voyage, Recueillement, etc., et toutes ces mélodies ne font que confirmer cette opinion que si l’ermite de Fresselines est un grand poète, il est aussi un grand musicien, c’est-à-dire un noble, fidèle et sincère servant de l’Art.

 

- Jacques des Gachons
La Vie illustrée n° 27 du 20 avril 1899, page 36.
« Maurice Rollinat ».

(…)
Les musiciens d’école parlent de lui avec un dédain où l’on sent l’involontaire émoi d’avoir senti un rival de naturelle et loyale inspiration.
(…)

Et le musicien suivra les traces du poète. Et celui que Gounod a appelé un « fou de génie » demandera des accents neufs à la bonne nature, à jamais féconde. Ses mélodies poignantes, – que tout Paris a réentendues il y a quelques mois à un gala, – resteront certes, et berceront longtemps nos âmes lointaines, nos âmes d’exilés ; mais à ces chants tristes viendront s’ajouter les fanfares éclatantes de la joie reconquise.
(…)

 

– L’Opéra du 26 janvier 1901, page 2.
« Causerie »
(article non signé publié quinze fois à l’identique jusqu’au 29 mars 1901)

(…)
L’âme musicale de Rollinat est l’âme d’un poète, comme parfois l’âme de poète de Rollinat est une âme musicale. Sa musique est une suite de confidences que lui a faites la nature et comme il les a comprises sa musique est surtout simple, grave mélancolique et triste de cette tristesse si prenante qui descend avec les crépuscules gris des automnes roux, de cette tristesse que fait chanter la bise dans les branches dénudées des chênes ou des peupliers, qui margent les routes blanches, dans les bruns labours, de cette mélancolie qui erre dans les espaces que mouille la pluie, et de cette gravité qui tombe du dôme des forêts dans les clairières désertes. Il serait vain et puéril, comme on a essayé de le faire, de créer des unités de temps et de lieux à ces phrases qui ne sont que des sentiments, d’essayer de faire vivre dans une métrique absolue de règles, ces mélodies dont l’esprit tout entier réside dans la sincérité des impressions reçues et loyalement transmises.
(…)

 

- Faverolles (pseudonyme utilisé par Joseph Montet)
Le Gaulois du 27 octobre 1903, page 1.
« La mort du poète - M. Maurice Rollinat ».

(…)
Mais, pour comprendre ce que fut Rollinat et la puissance de son action sur ceux qui connurent le bonheur de l’approcher, il faudrait l’avoir vu, au piano, interpréter lui-même une série de ses œuvres. Il chantait ses poèmes. Mais son chant était une chose unique, parce qu’en lui le poète, le musicien et l’interprète ne faisaient qu’un, au sens étroit et absolu du mot. J’entends par là que sa musique n’était pas plaquée sur sa poésie. C’était comme l’âme sonore de sa pensée. Et sa voix était l’instrument prédestiné et exclusif de cette sonorité. Nos meilleurs artistes, nos plus grands, dirai-je, se sont essayés à interpréter Rollinat. Beaucoup s’y montrèrent remarquables. Aucun n’égala, même de loin, cet artiste fruste et inconscient qu’était Rollinat lui-même.

Sa puissance d’évocation était prodigieuse. Deux mesures chantées par lui de sa voix prenante, à la fois rude et souple, et c’était instantanément pour l’auditeur, l’oubli de l’ambiance réelle, le transport soudain, à des centaines, à des milliers de lieues, dans le coin de nature où il vous emportait, dans l’azur frémissant de lumière où il vous ravissait... Et, en disant cela, en me rappelant les émotions si poignantes et si rares que je lui dois, ma tristesse redouble, car je pense que, maintenant personne, hors ceux qui gardent de tels souvenirs, ne pourra savoir ce que fut ce complexe et incomparable artiste...
(…)

 

- Gustave Kahn
Le Siècle du 27 octobre 1903, page 1.
« Au jour le jour - Maurice Rollinat ».

(…) Il s’était frayé un chemin à travers la musique pour mieux arriver à rendre ces décors intenses et sulfureux que son humeur découpait dans la nature. Sans avoir étudié grammaticalement la musique, il s’était créé une expression musicale qui lui permettait de nimber d’une jolie tonalité de rêve quelques unes de ses plus touchantes poésies, comme ce rondel du pauvre mort qui s’en va dans le brouillard avec sa limousine en planches. Il notait aussi quelques poèmes de ses maîtres les plus aimés, et la Mort des amants ou la Cousine « Vous êtes un beau ciel d’automne clair de rose, » il les revêtit de musique, avec autant de joie, que ses inspirations propres. Sa Chanson de la perdrix grise, fut parmi les œuvres dont il fut à la fois le musicien et le poète, une des plus connues, une des plus fameuses même.
(…)

 

- Le courrier du Centre du mercredi 28 octobre 1903, page 2.
« La mort de Rollinat
 » (article signé « R. G… », vraisemblablement les initiales de René Guillemot, rédacteur en chef du journal).

(…)
Poète-musicien, comme il aimait qu’on l’appelât, il avait coutume de dire que la musique était le prolongement de la poésie et c’est avec un instinct admirable qu’il sut donner à la musique une expression et une intensité nouvelles.
(…)

 

- Octave Uzanne
L’Écho de Paris du jeudi 29 octobre 1903, page 1.
« Le Chantre des Frissons, de la Peur, des Spasmes et de la Mort ».

(…)
Quand on avait entendu sa musique incorrecte et indisciplinée, qui embarquait la pensée vers l’ailleurs, on devenait incapable d’écouter les plus illustres romances aux sentimentalités niaises et poncives.
(…)

 

- Lucien Descaves
Le Journal du 1er novembre 1903, page 1.
« L’évadé ».

(…)
C’est chez Alphonse Daudet que je rencontrai Rollinat pour la première fois. A chacun de ses voyages à Paris, Rollinat ne manquait point d’aller voir Daudet qui affectionnait en lui un artiste sincère et un musicien sans pareil.

C’est même ce que la plupart des compositeurs ne lui pardonnaient pas. Ils parlaient avec un souverain mépris de cet homme dont les inspirations n’étaient pas disciplinées par les lois de la fugue et du contre-point. Hors cet algèbre, pas de salut. Ils le renvoyaient au Conservatoire – ou aux Hydropathes, à son choix. Ils lui en voulaient d’accaparer l’attention, à leur détriment. Ils affectaient de le considérer comme un cabotin, et les cabotins, qu’il éclipsait, ne le reconnaissaient pas davantage pour un des leurs. Impuissants à chanter ses compositions, ils les déclaraient inexécutables. (…)

 

- Henry Céard
L’Événement du 8 novembre 1903, page 1.
« Les lointains ».

Cet article sera repris à l’identique, mais sans signature, dans La Justice du 9 novembre 1903, page 2, sous le titre « Chronique », dans L’Estafette du 9 novembre 1903, page 2, sous le titre « Chronique », dans Le Pays du 10 novembre 1903, page 1, sous le titre « Bulletin », dans La Cocarde du 10 novembre 1903, page 1, sous le titre « Causerie » et dans Le Grand National du 10 novembre 1903, page 1, sous le titre « Causerie ».

(…)
Quand je vis Rollinat, c’était chez Alphonse Daudet, dans ce salon si largement ouvert à toutes les originalités. Il chantait ses vers. Il chantait aussi des vers de Baudelaire, qu’il avait mis en musique. Faut-il se prononcer sur la valeur des mélodies qu’il croyait inventer ?

Des musiciens que j’ai consultés, les ont étudiées et m’ont déclaré leur stupéfaction, qu’un public ait pu s’émouvoir d’une succession de notes si imparfaitement agencées, et dont, dans la partition, ils ne retrouvaient point le caractère. Ils me signalaient, parmi elles, bien des réminiscences, ou de Chopin, ou de Schumann, ou de Beethoven, et tout en s’étonnant des pauvretés et des innocences harmoniques des accompagnements, s’étonnaient que Rollinat devant un clavier, ait pu produire un si grand et si incontestable effet, avec des éléments si rudimentaires et si négligeamment mis en œuvre.

C’est que l’exécutant, chez Rollinat, était vraiment extraordinaire. On ne saurait justement, à propos de lui, parler de voix et de méthode. Était-ce du chant ? Était-ce de la déclamation ? On ne pouvait se décider. Ce qui est certain, c’est que, du piano martelé, et métallique, de son gosier rauque, de ses attitudes soulignant les notes, il tirait on ne sait quoi d’étrange, d’imprévu, de frissonnant. Il y avait du tzigane dans sa manière, et sa manière restait inimitable. D’autres, après lui, la partition sous les yeux, ont pu essayer d’exécuter l’ « Idiot » ou la « Perdrix Grise » ; les plus adroits des virtuoses lyriques n’ont jamais pu retrouver son style sifflant, coupant, haletant, et le geste, souvent, qui, se substituant à la musique, sur un râle de la gorge, terminait la mélodie.
(…)

 

- Gustave Kahn
La Nouvelle Revue du 15 novembre 1903 (Tome XXV de novembre-décembre 1903), pages 250 à 254.
« Maurice Rollinat ».

(…)
Par dessus cette complexité poétique, il était hanté par la musique ; non qu’il abusât de l’harmonie et du chant lyrique dans ses poésies ; sauf quelques jolies tentatives de strophes, il se contenta le plus souvent d’un vers plein d’ordonnance romantique.

En suivant les enseignements de Baudelaire, il ne rencontra pas la musique de son vers ; il est plutôt hanté, dramatique, plus soucieux de la concision avec laquelle il frappe son idée, que du timbre de la mélodie poétique dont il l’enveloppe ; mais il fit de la vraie musique. Il avait construit un chant et plaqué des accords d’accompagnement sur des vers de lui, sur des vers de Baudelaire, sur des passages d’Edgar Poe, et cette musique, il la chantait et la jouait. Etait-il musicien ? oui et non, certes, il avait le goût, le sentiment, l’innéité de la musique, mais ses dons n’avaient point été fortifiés par le travail ; il ne savait guère l’harmonie ; en revanche il avait lu beaucoup de musique et était passable pianiste amateur. Il avait aussi beaucoup fréquenté l’œuvre de Chopin, dont on pourrait peut-être retrouver l’influence dans sa façon d’écrire la musique. Chopin l’intéressait, parce que souffrant, parce que mort jeune, parce que douloureux, et aussi, par les liens qui l’unirent à George Sand, il faisait corps, pour l’imagination de Rollinat, à ce Berry qu’il aime tout entier, tel quel, et qu’il préfère à Paris.
(…)

 

- Gustave Geffroy
Revue universelle, n° 99 du 1er décembre 1903, pages 617 à 626.
« Maurice Rollinat (1846-1903) ».

(page 623) (…)
La musique de Rollinat, c’est une sensibilité aux prises avec le mystère de la nature, c’est une pensée en dialogue avec elle-(page 624)même au milieu des foules et dans la solitude, dans le bruit des villes et dans les champs si lumineux et si frais le matin, si roses et si mélancoliques le soir. Ses mélodies, ce sont les voix de la campagne, du vent, des arbres, de la rivière, des appels douloureux, des plaintes de volupté triste. Les musiciens peuvent nier la science de Rollinat, ils ne peuvent nier son instinct profond. Qu’ils analysent l’effet produit et recherchent sa cause, qu’ils nous rendent compte, s’ils le peuvent, de l’étrange phénomène, de l’émotion née de ces chants, de ces accords. (…)

 

– Marie Krysinska
La Revue du 15 août 1904, pages 477 à 491.
« Les Cénacles artistiques et littéraires – Autour de Maurice Rollinat ».

(page 477) (…) [à propos de Maurice Rollinat]
Sa musique était la fidèle paraphrase de sa poésie, enluminée de couleurs vives, inattendue et impérieuse.

(page 478)
Servi par des moyens vocaux exceptionnels, Rollinat, chantant des vers de Baudelaire ou les siens, produisait un résultat et un ensemble d’art unique, qu’aucune description ne saurait suppléer et que bien peu d’interprètes seraient en mesure de restituer.

L’originalité dominante de ce musicien était un sens de volupté âpre, goûtée dans la mélancolie qu’il replaçait ainsi parmi les ressources de bonheur humain.
(…)

 

- Joseph Pierre
Le vrai Rollinat (Revue de la Presse) (Librairie Léon Vanier, éditeur, Paris, 1904, 63 pages).

(page 14)

LE MUSICIEN

Rollinat fut encore un musicien très personnel, très impressionniste, très impressionnant… mais aussi très discuté. Son bagage musical se compose de cent seize morceaux publiés : une marche et trois valses pour piano seul, le reste, des mélodies enchâssant ses vers, à l’exception d’une douzaine de pièces composées sur des poésies de Charles Baudelaire.

Lequel, du poète ou du musicien, fut le plus excellent ? je ne le pourrais dire, ou plutôt je pense qu’on ne peut pas les comparer, les mettre en parallèle, les séparer : l’un et l’autre se complète, forme indivisément ce tout qui fut Rollinat ; chez lui cette dualité n’est que factice et compose au contraire (page 15 : Rollinat au piano. D’après le peintre Alluaud.) (page 16) l’unité, je dirais aussi bien l’unique de l’artiste : lui-même ne prenait-il pas le titre complexe et singulier de « poète-musicien » ? Au berceau, Euterpe, comme Calliope et Polymnie, et Érato encore, l’avaient donc touché à la fois de leurs baguettes magiques. A cela il portait déjà en lui une prédisposition atavique : tous les Rollinat – et ils étaient douze – s’étaient révélés plus ou moins musiciens ou poètes.

Ce don naturel – ou surnaturel – était, chez Maurice Rollinat, si complet que, n’ayant jamais étudié la musique, dans l’acception du mot, incapable de la lire, c’est-à-dire de la déchiffrer à première vue, de suivre l’accompagnement le plus simple d’un air de chant, dans l’impossibilité de l’écrire, puisqu’il avait recours à des professionnels pour noter ses propres compositions, cependant il a produit une suite innombrable de morceaux étranges, savoureux, suggestifs, d’une incomparable et intarissable originalité qui avait précisément sa source dans l’ignorance voulue des routes tracées, des sentiers battus, des règles codifiées de l’officiel Conservatoire pour lequel il ne se gênait pas d’exprimer à toute occasion un dédain ironique et très marqué.

C’est pourquoi, à Massenet, fort intéressé par ses fantaisies, ses trouvailles, et lui conseillant, en maître, d’étudier l’harmonie, il répondit : « Le jour où ma musique serait harmonisée et soumise aux règles, elle ne signifierait plus rien ! » C’est avec la même admiration intime, mais aussi avec la même restriction de commande que Gounod a lancé cette boutade dont le second terme fait heureusement passer le premier : « Rollinat est un fou de génie ! »

Daudet, selon M. Lucien Descaves, affectionnait en lui un artiste sincère et un musicien sans pareil. C’est même ce que la plupart des compositeurs ne lui pardonnaient pas. Ils parlaient avec un souverain mépris de cet homme dont les inspirations n’étaient pas disciplinées par les lois de la fugue et du contre-point. Hors de cet algèbre, point de salut ! Ils le renvoyaient au Conservatoire ou aux Hydropathes, à son choix. Ils lui en voulaient d’accaparer l’attention à leur détriment. [Remarque de Régis Crosnier : Il s’agit de l’article « L’évadé » de Lucien Descaves, paru dans Le Journal du 1er novembre 1903, page 1.]

 

– Jacques-André Mérys (pseudonyme utilisé par Pierre Blanchon)
Journal des débats politiques et littéraires
du 15 octobre 1906, pages 2 et 3.
« A propos du monument Rollinat ».

(…)
Il contait parfois qu’à ses débuts il se trouva un soir dans un salon en présence de l’éditeur de Baudelaire. Poulet-Malassis, dans son culte pour l’auteur des Fleurs du Mal, était indigné de l’outrecuidance de ce jeune homme qui se permettait de mettre en musique et de chanter les poésies du maître. Rollinat s’assied au piano, et de sa voix poignante et superbe, il attaque quelque mélodie de sa façon, écrite sur un poème baudelairien. Quand il se tut, Poulet-Malassis, courant à lui, l’embrassa : « Ah ! monsieur, c’est ce que ferait Baudelaire s’il vous entendait ! »
(…)

 

– Lucien Descaves
Le Journal
du 20 octobre 1906, page 1.
Article « Le rouage inutile ».

(…)
Mais j’ai gardé de Fresselines et du séjour que j’y fis, au printemps, un souvenir que j’ai double occasion de préciser aujourd’hui.

Vers la fin d’un après-midi consacré à la promenade et à la pêche, nous étions rentrés à la Pouge, – le nom de sa petite maison rustique, – et j’avais prié Rollinat de se mettre au piano et de me chanter celles de ses mélodies que j’aimais le mieux. Il m’a été donné souvent de les réentendre depuis, dans d’autres bouches que la sienne… et c’est à peine si je les ai reconnues. Devant le piano, interprétant ses compositions, pareil à un arbre secoué par la tempête et dont toutes les branches se tordent et craquent, Rollinat était réellement incomparable. Nul cabotinage. Il ne visait qu’à créer l’atmosphère d’épouvante, d’horreur ou d’extase, congruente à la plupart de ses inspirations. Cet élément lui était nécessaire comme au poisson l’eau.
(…)

 

– Louis Vauxcelles
Le Radical
du 30 octobre 1906, page 2.
« Autour de l’actualité – Souvenirs sur Rollinat »

(…)
Il débuta au Quartier latin, où il occupait la modeste fonction d’employé de mairie. Il n’avait encore publié aucun volume, mais quelques peintres, notamment des impressionnistes, Cézanne, Pissarro, Guillaumin l’avaient découvert, et le surnommaient le Diabolique. Ils noctambulaient ensemble à travers les ruelles désertes des vieux quartiers et le long des quais silencieux. Parfois, le groupe des promeneurs s’arrêtait dans un café, riche d’un piano presque aphone, mais auquel d’effrayants accords restituaient miraculeusement la jeunesse et la voix. Rollinat chantait ses poèmes, tantôt si bas courbé sur le piano que les longues mèches de ses cheveux noirs en balayaient les touches, tantôt brusquement redressé les yeux au ciel, le masque douloureusement tragique. Ce don naturel était chez lui si complet que, ignorant de la grammaire et de la syntaxe de la musique, incapable de la lire, de la déchiffrer à première vue, de suivre l’accompagnement le plus simple d’un air de chant, dans l’impossibilité de l’écrire, il devait recourir à des professionnels pour noter ses propres compositions ! Et il a cependant produit une suite innombrable de morceaux étranges, savoureux, suggestifs, d’une originalité qui a sa source dans l’ignorance des routes tracées, des sentiers battus, des règles codifiées du Conservatoire, pour lequel Rollinat ne se gênait pas d’exprimer à toute occasion un dédain ironique et marqué. C’est pourquoi, à Massenet, fort intéressé par ses fantaisies, ses trouvailles, et lui conseillant en maître d’étudier l’harmonie, il répondit : « Le jour où ma musique serait harmonisée et soumise aux règles, elle ne signifierait plus rien ! »
(…)
[Remarque de Régis Crosnier : La fin de ce paragraphe, à partir de « Ce don naturel… » est la reprise légèrement modifiée du texte de Joseph Pierre sur Maurice Rollinat « Le musicien », page 16 de Le vrai Rollinat (Revue de la Presse) (Librairie Léon Vanier, éditeur, Paris, 1904, 63 pages).]

 

- Docteur Grellety
Souvenirs sur Rollinat - Étude médico-psychologique (Protat Frères imprimeurs, Macon, 1907, 29 pages).

(page 7) [À Châteauroux, durant la guerre de 1870-1871]
(…) Il nous exécuta, un jour de verve, sans désemparer et en faisant tous les rôles, même les chœurs, la Esmeralda de Victor Hugo, qu’il avait mise en musique, d’un bout à l’autre. (…)

(page 25) (…)
Ce fut encore pire pour la musique, qui est si peu demandée par la masse payante, lorsqu’elle n’est pas d’un maître consacré. Non seulement il ne recueillit aucun bénéfice de ses morceaux, mais leur apparition fut toujours onéreuse pour lui, pour cette simple raison qu’il était obligé de faire transcrire chant et accompagnement par un tiers. Il avait la phrase musicale au bout des doigts, ou dans un coin de sa vaste mémoire, mais il ne savait pas coucher ses mélodies sur le papier, selon les règles de l’harmonie.
(…)

 

- Judith Cladel
Portraits d’Hier n° 31 du 15 Juin 1910, « Maurice Rollinat », 32 pages.

(page 19)

(…) Heureux de cette fête qui, pour lui, était celle de l’art plutôt qu’une glorification personnelle, il la vivait abondamment, à travers les jalousies féroces qui grouillèrent aussitôt dans l’ombre des salles de rédaction, à travers la rancune des critiques, l’ironie des poètes dogmatiques et, particulièrement, la fureur des scientifiques de l’harmonie devant le doux pouvoir de fascination qu’exerçait sa musique, dont il lui plaisait d’affirmer qu’elle n’appartenait à « nulle école conservatoiresque et strangulatoire ! » (…)

 

- Georges Lorin
La revue musicale S.I.M. (Société Internationale de Musique), n° VI du 15 juin 1913, pages 14 à 29.
« Souvenirs sur Rollinat ».

(page 20)

(…)
A la soirée, [chez Paul Eudel, 12 rue Rougemont] Clémenceau, Massenet, Taskin. Nous fûmes plusieurs à dire des vers mais il était établi que nous préparions la salle. On attendait autre chose ! Nous mîmes Rollinat au piano. Clémenceau ne le quitta plus. Toutes les dames le clouèrent à ce piano. Elles rapprochaient leurs chaises à chaque mélodie. Il riait de surprise, disait : « Mais… je ne sais plus ! » et continuait. Taskin murmura à côté de moi : « Si c’est çà qu’il leur faut, je ne chanterai pas ce soir » et il s’en alla, étant, lui, officiellement sur le programme. J’entendis Massenet dire : « Je voudrais l’avoir comme élève ». (…)

(page 27)

(…) La Musique de Rollinat ne fait nulle concession à l’habitude. Il a écrit :

La goutte d’eau de l’Habitude
Corrode notre liberté.

Quel pianiste peut lui être comparé. Il n’employait pas la pédale, il en avait une sous chaque doigt. Il n’effaçait jamais une note. La mitraille de son jeu, pour la plus policière oreille, il la chronométrait.
(…)

(page 28)

Ce grand auteur qui comme chanteur avait toutes les voix, dans toutes ses voix avait tous les moyens.

Lorsque Rollinat interpréta ses mélodies devant l’éditeur Lemoine, – j’étais présent – celui-ci s’écria : « Il ne termine jamais de la même façon ! » Souvent j’avais formulé cette remarque à certains compositeurs : « Vous faites un nœud toujours le même, ou à peu près, à vos différentes compositions, n’est-ce pas comme si nous, poètes, nous terminions nos différentes pièces de vers par le même vers ? » L’un fut cruel pour lui-même et les autres, en s’excusant ainsi : « C’est pour donner une satisfaction au public et l’avertir que c’est fini ! »

La Musique de Rollinat est une pensée qui ne joue pas avec elle-même, qui ne bavarde pas. Elle élague toute anecdote. Elle se résume et se surveille. Toute note qui n’émane pas du parfum de sensitivité est exilée. Cette Musique est magique. Elle éclaire les paroles. Elle les ouvre et les auréole. Ceux que fatiguait la compréhension de Baudelaire, avec son aide, l’ont élucidée. Après Rollinat on ne se remémore plus les vers de Baudelaire, on les chante. Je ne parle pas seul. Mlle Judith Cladel a écrit : « des mélodies qui collaient à cette poësie circéenne comme des voiles mouillés à un corps nu ».
(…)

 

- Henry Céard
Le Petit Marseillais du 11 décembre 1919, page 1.
« Fin de légende »

(…)
Une soirée chez Alphonse Daudet me fournit les précisions que je cherchais. J’écoutai Rollinat récitant, chantant, mimant ses poèmes, et le musicien me renseigna sur le poète. L’un ne peut esthétiquement se concevoir sans l’autre. Les spécialistes ont discuté et discuteront longtemps encore sur la qualité des thèmes inventés par Rollinat, sur l’innocence ou la recherche des accompagnements qu’il ajustait à ses trouvailles ou à ses réminiscences. Peut-être décideront-ils si Rollinat ne disait pas vrai quand il répondit à Massenet, lui conseillant d’apprendre l’harmonie : « Le jour où ma musique se soumettrait aux règles, elle ne signifierait plus rien. » Le certain, c’est que thèmes et harmonies se complétaient d’une façon troublante et que les notes exactement commentaient les situations et les phrases. Le certain encore, c’est que Rollinat interprétait ses œuvres avec une maîtrise et une originalité fébriles et farouches.
(…)

 

- Henry Céard
Le Petit Marseillais du 26 mars 1922, page 1.
« Daudet et la musique ».

[Chez Alphonse Daudet.]

(…) Un autre soir, c’est Rollinat, compositeur inquiétant. En des thèmes prenant tout leur sens de sa diction saccadée, de son jeu fébrile, plus agité sur le tabouret de piano qu’une pythonisse sur son trépied, Rollinat mêle le macabre à la nature commente Baudelaire, module la Chanson de la Perdrix grise, et, par ses audaces harmoniques, déconcerte Massenet.
(…)

 

- Eugène Alluaud
Mémorial Maurice Rollinat, Éditions du Gargaillou, 1927.
Pages 60 à 67.
« Causerie de M. Alluaud ».

(page 65)

(…)
Après déjeuner Rollinat s’allonge sur son canapé, dans le salon en face du piano, mais ce n’est (page 66) pas pour longtemps ; la conversation le ramène insensiblement vers la musique. Il s’installe au piano.

Il joue les deux préludes de Chopin qu’il préfère à tous. Ce sont les préludes n° 4 et n° 15 ; puis ses trois valses dont les titres, à son grand regret, n’ont jamais été imprimés et qu’il a inscrits lui-même sur mon exemplaire :

Valse n° 1, Les Plaintes.
Valse n° 2, Les Larmes.
Valse n° 3, Les Squelettes.

Il raconte comment il fut appelé à chanter du Baudelaire au chevet de l’éditeur des Fleurs du Mal, nommé Poulet-Malassis, longtemps rebelle à cette audition. Avoir osé mettre Baudelaire en musique !

Il avait fini cependant par consentir à entendre « le jeune homme qui a osé cela » avec l’arrière-pensée sans doute de l’accabler ensuite.

« J’arrive, dit Rollinat, dans un petit appartement ; Poulet-Malassis était au lit, malade, ses yeux presque féroces semblaient me lancer un défi.

« Je me mets au piano qui se trouvait dans une pièce à côté et je chante Madrigal triste puis Recueillement.

« Ayant terminé, je n’osai bouger. Je passai timidement dans la chambre du malade et le trouvai assis sur son lit, essuyant des larmes. Il me tendit les bras et d’une voix qui semblait sortir de terre il dit : « Ah oui, mais ça ce n’est plus de la musique… ».
(…)

 

- Yvette Guilbert, L’art de chanter une chanson, (Bernard Grasset, Paris, 1928, 157 pages).

(page 40)

(…) Le poète Rollinat écrivait sur ses poèmes et ceux de Baudelaire une musique si littéraire, que Barbey d’Aurevilly disait en l’écoutant : Mais… c’est superbe, c’est la continuation du thème poétique !
(…)

 

- Lucien Descaves
Le Journal du 18 septembre 1930, page 4.
« Maurice Rollinat et son œuvre ».

(…)
Il eut une manière de génie, cela n’est pas douteux ; mais il est aujourd’hui assez difficile à ceux qui ne l’ont pas connu de s’en rendre compte. Il a laissé une œuvre poétique et musicale importante… et ce qu’il a dit un jour de Chopin qu’il admirait :

Hélas ! toi mort, qui donc peut jouer ta musique ?

semble encore bien plus vrai à l’égard de Rollinat qu’à l’égard de Chopin.
(…)

Ce fut même, de ma part, la cause d’une prévention que Barbey d’Aurevilly avait déjà manifestée en reprochant à Rollinat, comme une profanation, d’avoir composé de la musique sur des Fleurs du mal. Je ne concevais pas cela non plus. Et je changeai d’avis, je l’avoue, la première fois qu’il me fut donné, chez Alphonse Daudet qui aimait Rollinat, d’entendre le poète démoniaque chanter l’Invitation au voyage, le Jet d’eau, la Mort des amants, Madrigal triste

Rollinat pétrissant le clavier, la bouche crispée, le front ravagé d’inspiration sous une chevelure romantique, Rollinat était réellement doué d’un pouvoir fascinateur. Il avait l’air d’un rebelle enchaîné qui fait effort pour briser ses liens. Pas une minute on ne doutait qu’il n’y parvînt, tellement il prêtait à ses vers, comme à ceux de Baudelaire, des accents surhumains. Orageuses ou sereines, ses harmonies dégénéraient malheureusement dans une autre bouche que la sienne et déconseillaient d’en reprendre : le charme était rompu. La musique de Rollinat était-elle de la musique ? Son vin poétique était-il sans mélange, pur jus ? On ne se le demandait pas à l’audition ; on était subjugué, enivré… Le tzigane inspiré communiquait son frisson… ; mais je conviens qu’il faut l’avoir éprouvé pour accorder du génie plutôt que du talent au poète compositeur qu’il est difficile à présent de ressusciter d’entre les dieux morts.
(…)

 

- Edmond Haraucourt
La Dépêche (Toulouse) du 25 janvier 1931, page 1.
« Le Cas de Maurice Rollinat ».

(…) [À propos de Maurice Rollinat chantant]
L’emprise qu’il subissait au tréfonds de lui-même s’extériorisait par son regard, par sa voix, et se propageait alentour, gagnant les plus sceptiques comme les plus rebelles ; en ces instants, son masque prenait une beauté tragique dont furent impressionnés tous ceux qui l’ont vu, et quelques-uns jusqu’au malaise. Des femmes, en l’entendant chanter, tombaient en pâmoison. Sarah Bernhardt, cependant assez peu encline à admirer chez autrui les prestiges d’une dotation dramatique, le tenait pour un des plus puissants tragédiens qu’elle eût rencontrés. Et lui-même, quand il se voyait dans une glace, en ces minutes d’inspiration, se faisait peur !

(…) l’espèce de fascination qu’il exerçait sur ses auditeurs, il l’avait au préalable exercée sur lui-même, dans le moment où il composait son poème : par les inflexions de sa voix, par sa mimique, par son regard, il avait dénaturé le sens et la valeur des mots, amplifié mentalement leur portée véritable, et quand le texte seul nous reste sous les yeux, froidement solidifié par la typographie, nous n’y retrouvons plus qu’une part de tout ce que l’auteur croyait y mettre en le jetant au monde.
(…)

 

- Eugène Alluaud
La Vie Limousine, n° 155 du 25 février 1938, pages 335 à 340
« Nos interviews – M. Eugène Alluaud nous parle de son ami : le poète Maurice Rollinat ».

(page 338) (…)

Je n’apprendrai à personne que Rollinat était (page 339) un musicien-né qui avait l’horreur de la musique fade et qui admirait jusqu’à l’adoration Beethoven et Wagner. Il interprétait Chopin, au piano, avec une étrangeté, une efficacité poignantes. Il a mis en musique lui-même nombre de ses poèmes et plusieurs pièces de Baudelaire : Madrigal triste, la Mort des amants, l’Invitation au voyage, Recueillement, etc. J’ai subi à un tel point l’envoûtement de cette musique que ce n’est plus qu’à travers elle que je me rappelle les vers de Baudelaire.

Poulet-Malassis, l’éditeur de l’auteur des Fleurs du Mal, cria au sacrilège, lorsqu’on lui rapporta que Rollinat osait « chanter » certaines œuvres du maître. Pourtant, il consentit à une audition. Rollinat interpréta Madrigal triste dans un petit salon qui précédait la chambre où l’éditeur, malade ce jour-là, était couché. Lorsqu’on présenta le musicien-poète à Poulet-Malassis, celui-ci ne retint plus ses larmes : « Ah ! oui, cria-t-il, mais cela n’est plus de la musique ! ».
(…)

 

 

(NB : Ne figurent pas dans cette recherche les travaux des biographes de Maurice Rollinat comme Émile Vinchon, Hugues Lapaire ou Régis Miannay.)