PROMENADES LITTÉRAIRES
DANS LES JARDINS DES PRÉBENDES ET RENÉ BOYLESVE
Chaque vendredi d’août 1999, de 17 h 30 à 19 h
3ème partie : René BOYLESVE |
Le jardin René BOYLESVE est situé sur la place Strasbourg. Cette place se nommait place Lakanal et est devenue place Strasbourg, en 1897, en souvenir de la France mutilée de la perte de l’Alsace-Lorraine, après la défaite de la guerre de 1870. Le jardin fut inauguré en 1968 par Monsieur le maire, monsieur Jean ROYER, à la grande satisfaction des tourangeaux qui avaient réclamé dès les années trente, pour un motif écologique (déjà !) des arbres et l’ombrage des tilleuls.
René BOYLESVE (1867-1926) aimait les parcs. Il nous le dit à sa manière :
"Je songe à nos parcs de France, à mes beaux jardins de Touraine élégants et fleuris ; ce sont des badinages et des caresses légères ; ce sont des rêves aimables, de douces songeries d’amour." (Extraits de Sainte Marie des Fleurs)
Mais qui est cet homme ?
René BOYLESVE s’appelle de son vrai nom, René TARDIVEAU. Il est né le 14 avril 1867 à La Haye-Descartes (actuellement Descartes), au sud de la Touraine, à la limite du Poitou, -dans la même rue que René DESCARTES, l’ancienne rue Saint Lazare-.
Son père Auguste TARDIVEAU, descendait d’une lignée de petits cultivateurs beaucerons. Il était notaire à La Haye-Descartes et avait épousé une jeune fille pauvre mais jolie, instruite et de bonne famille, Marie Sophie BOISLESVE. René a quatre ans quand elle meurt en mettant au monde un enfant qui ne lui survit pas. René est alors élevé par sa tante Clémence JANNEAU, dans sa propriété "La Barbotinière", à quatre kilomètres de Descartes. Elle est représentée par le personnage de tante Félicie dans son roman "La Becquée". Il y passe une enfance heureuse.
Dix huit mois plus tard, son père se remarie avec Marie de MONTGAZON et installe René dans son nouveau foyer à La Haye. Il habite "la maison à la balustrade", maison nouvellement achetée et qui sera aussi le titre d’un de ses romans. (Elle se situe actuellement rue Mouton à Descartes). Il y passe une enfance rêveuse et solitaire :
"Mon enfance solitaire m’a appris la saveur des choses du jour et de l’ombre, du temps, éternel passant, et de la mort perpétuellement suspendue." (Extraits de "Mon amour")
De dix à qinze ans, il est interne à Poitiers et s’ennuie. À partir d’octobre 1882, il est externe au lycée Descartes de Tours et habite chez ses grands-parents maternels, rue de la Bourde (près des Halles) ; il se plaît à Tours et dit :
"Tours est la ville que j’aime entre toutes, pour sa grandeur simple, pour sa claire intelligence, pour son sens souverain de l’harmonie, pour son tranquille dédain de l’ornement superflu."
Son père est alors installé à Tours comme avocat mais il est peu à peu ruiné et se suicide (sa maison de Descartes a dû être vendue, il a dû céder son étude de notaire à son implacable adversaire. À bout, il se tranche la gorge avec un rasoir devant sa femme).
René BOYLESVE passe son baccalauréat en août 1885 puis va à Paris, en faculté de lettres puis de droit. Il fréquente le quartier latin, les milieux littéraires. Paris le fascine :
"J’ai vu Paris, j’ai vu la vie ... Paris me plaît, Paris m’enivre un peu, je l’avoue ... Je me suis tant ennuyé toute ma vie que j’ai soif de joie, de gaieté."
Il choisit son pseudonyme "René BOYLESVE" en hommage à sa mère à laquelle il voue une dévotion profonde.
"Ma mère, je suis resté fidèle à ta mémoire et à ton culte. Je vis en portant un mystère indéfinissable qui me différencie des autres hommes, et que j’attribue à ton âme sans cesse présente. (...) Toute ma poésie, c’est la religion de ton souvenir. Je serai comblé si je pouvais savoir que tu es contente de moi ... non des pauvres petits succès ni de la petite gloire qui donnent les hommes, mais de la qualité de l’âme de ton fils." (Extraits de "Feuilles tombées")
Il écrit son premier roman en 1896 "Le médecin des dames de Néans" puis "Les bains de Bade" puis il tire deux romans de ses voyages en Italie :
- en 1897, "Sainte Marie-des-Fleurs", ;
- en 1898, "Le parfum des îles Borromées".
"Mademoiselle Cloque" paraît en 1899 et a pour cadre, la ville de Tours. Il y peint les mœurs provinciales en décrivant la terrible querelle de la reconstruction de la basilique Saint-Martin :
"Les journalistes se battaient à coups de plume et à coups d’épée. Tous les républicains soutenaient le projet de la petite église, et les conservateurs étaient divisés ... En quelque endroit que l’on allât, on n’osait plus lever les yeux à cause du sentiment pénible qu’il y a à rencontrer dans un ami de la veille un adversaire armé jusqu’aux dents. Il n’était plus question que de la Basilique ou du Chalet républicain." (...)
"On ne voyait émerger de la ville que les flèches grises de la cathédrale, quelques églises, les deux tours de l’ancienne basilique et, depuis peu de temps, une sorte de grosse pâtisserie informe, blanchâtre, comparable à une grosse cloche de plâtre, qui était la nouvelle église de Saint Martin." (Extraits de "Mademoiselle Cloque")
René BOYLESVE se marie en 1901 avec Alice MORS (nièce du mari de sa sœur), de la famille des premiers fabricants d’automobiles. Il n’est pas étonnant qu’il nous confie ses impressions devant un certain progrès :
"En automobile, on ne parle pas, on ne pense pas davantage : on est préoccupé de la vitesse, des accidents possibles, de la poussière. On fait seulement remarquer que l’on a dépassé telle voiture, ou que " ces brutes " vont plus vite que vous. Quand on s’arrête, on est tout heureux de reprendre haleine. On parle des gens qu’on a rencontrés, ou plutôt de la trompe, du boulet de canon informe qui vous a croisés. On se félicite d’être sains et saufs. On se lave au retour. On discute où l’on ira demain. C’est le plaisir". (Extraits de "Feuilles tombées")
C’est ensuite la période de ses meilleurs romans. En 1901, paraît "La becquée" ; dans ce roman, il décrit très bien la vie de son temps, même dans les détails de tous les jours :
"Elle portait le petit bonnet gracieux des tourangelles, en tulle tuyauté à la paille fine, au-dessus des bandeaux de cheveux noirs soigneusement lissés, et retombant en arrière jusque sur la nuque en forme de filet transparent orné d’une rosace de broderies." (Extraits de "La becquée" dont le premier titre choisi était "Les bonnets de dentelle")
En 1902, il fait paraître "La leçon d’amour dans un parc" où il montre son sens de l’humour et de la fantaisie puis un autre livre en 1903, "L’enfant à la balustrade" qui est un peu autobiographique et décrit très bien les us et coutumes de la bourgeoisie terrienne. Il associe les charmes des paysages aux descriptions des mœurs comme par exemple :
"Le spectacle amusant des laveuses qui battent le linge en bavardant, le long d’une berge savonneuse, de l’abreuvoir jusqu’à l’antique mur de boulevard soutenant le jardin du curé." (Extraits de "L’enfant à la balustrade")
Il aime à observer les femmes qui s’émancipent, curieux de leur manière de vivre et des nouvelles modes :
"Des femmes plus hardies sont vêtues du maillot noir, fortement décolleté, terminé à mi-cuisse, découvrant complètement les bras et les aisselles, -le maillot d’homme. - Comme celles qui osent ces costumes de bain sont dignes de les porter, leur exhibition dans l’eau est de l’effet le plus élégant, le plus gracieux, et il faut dire nettement : le plus beau.
Ces torses de femmes, émergeant de la mer, noirs et luisants comme des otaries, et révélant sans aucune pudeur des seins superbes, dressés, provocants de la pointe ; ces beaux bras, ces dos, ces ventres, et, au sortir de l’eau, ces fines hanches mouvantes et ces jambes qui marchent si bien, avec une si noble lenteur, dans l’eau qui les entrave ; et ces mouvements charmants de la natation, et la montée à l’échelle du canot, le geste de s’y asseoir, l’attitude de ces femmes vraiment nues, assises le torse droit, dans une attitude de déesse, en cette barque, en face du vieux matelot qui pagaye doucement ;et leur lente retombée dans la mer, c’est un des plus jolis spectacles que notre vie, si chiche de beauté plastique, puisse offrir." (Extraits de "Feuilles tombées")
Il devient un auteur célèbre. Il continue d’écrire :
- en 1905, "Le bel avenir" ;
- en 1908, "Mon amour" ;
- en 1909, "Le meilleur ami", "Souvenirs du jardin détruit" ;
- en 1912, "Madeleine jeune femme".
Il est à Deauville lorsque la guerre éclate. Il assure bénévolement le secrétariat de l’hôpital tandis que sa femme devient infirmière et le couple se défait. En 1917, il publie "Tu n’es plus rien" qui est une peinture de l'héroïsme de toutes ces filles, fiancées et femmes, victimes de la grande guerre . Il est élu à l’Académie française en 1918. Les tourangeaux se cotisent pour lui offrir son épée. Son dernier roman est admiré par Marcel PROUST ce qui n’est pas étonnant puisque ces deux écrivains sont proches par l’acuité sensible de leurs analyses, ayant tous les deux l’intuition des blessures qui marquent l’âme, recherchant le temps passé, les lieux perdus pour les retrouver dans l’écriture.
De 1919 à 1922, il correspond avec Marcel PROUST ; il publie encore un certain nombre d’ouvrages avant de mourir, terrassé par la maladie, le 14 janvier 1926, à Paris, à l’âge de cinquante-neuf ans.
Les tourangeaux ont voulu perpétuer la mémoire de cet écrivain. En 1951, un buste est érigé dans le jardin public de sa ville natale (La Haye Descartes). Cette même année, est créée l’association des amis de René BOYLESVE et elle continue actuellement à le faire connaître.
À Tours, en 1968, on donne son nom au square situé dans le quartier Lakanal-Strasbourg, à Tours, où nous sommes. Lors de l’inauguration, une stèle a été dressée ; elle est toujours là-.
En 1976, Monsieur l’abbé MARCHAIS a fait don à la Bibliothèque de Tours, d’un fonds documentaire René BOYLESVE.
En 1990, une exposition rétrospective sur l’auteur eut lieu au centre social Giraudeau à Tours.
En 1991, une anthologie illustrée était présentée à la bibliothèque de Tours, dans le cadre d’une exposition, pour redécouvrir cet auteur.
Toutes ces manifestations tendent à prouver que cet écrivain ne sombre pas dans l’oubli (bien que son nom ait été retiré du Petit Larousse en 1990) et que les tourangeaux souhaitent garder sa mémoire. Il est vrai que René BOYLESVE n’a jamais tari d’éloges pour la Touraine qui, je pense, avait conquis son cœur. Pour terminer, voici quelques-unes de ces descriptions de la Loire, majestueuses et poétiques :
"La Loire basse, déchirée en lambeaux par ses sables et ses îles, ressemblait de loin à ces traces argentées que laissent les limaçons dans les allées des jardins ; le calme était immense, l’air frais ; des parfums d’héliotropes et de fruits mûrs montaient, s’évaporaient et se recomposaient, comme de petites nuées pesantes et tangibles ; (...) La plupart du temps, la tranquillité était telle, qu’à huit cent mètres j’entendais un poisson sauter hors de l’eau." (Extraits de "Le meilleur ami")
"La Loire endormie, ses longs sables en fuseaux, ses larges îles de peupliers feuillus, une barque qui pourrit, deux toues qu’un homme dirige à la gaule, un filet tendu, un horizon sans bornes qui se confond avec le bleu opalin du ciel ; au-dessous de nous, au bord de la levée, de noirs trous de cheminées, quelques-unes fumantes, au milieu des rocs blanchâtres, de petits jardinets, de petits vignobles (...)" (Extraits de "Le meilleur ami")
"La douceur, la délicatesse, la majesté tranquille et bienveillante de ces grands paysages de Loire !" (Extraits de "Mon amour")
"Tours me paraît une ville inspirée par le génie de la Loire. Épandue tout à plat sur un vaste champ, entre son fleuve et ses magnifiques boulevards qu’elle déborde pour ne pas se laisser arrêter que par les collines qui délimitent l’ancien lit du fleuve, elle a le goût des perspectives sans fin ..." (Extraits de "La Touraine")
"C’est rue Royale (actuelle rue Nationale) que sont situés tous les cafés, les cercles, les coiffeurs, les modistes, les libraires, les marchands de musique ainsi que les dentistes et les pâtissiers, renommée de la ville. Des tramways les parcourent d’un bout à l’autre ; on y voit à certaines heures des équipages assez brillants, des charrettes élégantes conduites par un officier, voire même des mails poudreux, venus des châteaux des environs."
Quelle description grouillante de vie et de précision nous donne là cet auteur qui ne cherche pas à montrer mais écrit ce qu’il ressent. Cette spontanéité transparaît dans cette boutade qu’il nous confie :
"Je ne suis pas observateur. Je n’observe jamais rien. Je suis ému." (Extraits de "Feuilles tombées")
Puissions-nous, nous aussi écrire avec notre intériorité !
Catherine RÉAULT-CROSNIER
21 décembre 1998/août 1999
L’association des amis de René BOYLESVE perpétue le souvenir de cet auteur. Siège social : mairie de DESCARTES (37160).
BIBLIOGRAPHIE
BOYLESVE René, Album, Bibliothèque de Tours, 1991, presse La Simarre, Joué-lès-Tours
BOYLESVE René, Feuilles tombées, Éd. Dumas, 1947, Saint-Étienne
BOYLESVE René, Souvenirs du jardin détruit, Éd. Salvy, 1996, Paris
GARNIER Sylvie, René BOYLESVE, écrivain français, photocopies
LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE du Centre-Ouest du 12 et 13.09.1998, petite histoire de Tours, "La place Strasbourg"
SPILLEBOUT Gabriel, article sur René BOYLESVE, Magazine de la Touraine n°12, octobre 1984
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