19èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 18 août 2017, de 17 h 30 à 19 h
(au lieu du vendredi 4 août comme annoncé initialement)
Spectacle de poésie sur « Les jardins » Poèmes lus à plusieurs voix avec Michel Caçao à la guitare |
Lire la présentation de cette rencontre.
Le poète peut voir les jardins de mille manières, de celui de la création du monde à celui des fleurs, peuplés d’arbres ou de papillons, lieu de rencontre, d’amour ou de nostalgie, en lien avec nos pensées, nos errances, nos flâneries. Alors partons tout autour du monde au fil du temps en commençant par le jardin du Paradis :
(…) aucun buisson des champs n’était encore sur terre, aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car le Seigneur n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et d’homme, il n’y en avait point, pour cultiver le sol. Une buée sourdait de la terre, humectant toute la surface du sol. (…)
Le Seigneur planta un enclos en Éden, à l’orient, (…). Le Seigneur fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’air appétissant, aux fruits excellents, ainsi que l’arbre science du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Éden pour arroser l’enclos et de là se ramifiait en quatre. (…)
Le Seigneur prit l’homme et le déposa dans l’enclos d’Éden pour cultiver le sol et pour le garder. (…)
(La Bible, La Genèse, chap. II, page 9)
1 – Homère, aède de la fin du VIIIᵉ siècle av. J.-C, surnommé « le Poète » par les Anciens, aurait écrit les deux premières œuvres de la littérature occidentale, L’Iliade et L’Odyssée. Les jardins fruitiers ont une place dans son œuvre en particulier « Les jardins d’Alcinoos » dans L’Odyssée (Chant VII), dans l’histoire d’Ulysse revenant de l’île de Calypso, après son dernier naufrage.
(…) Hors de la cour et près de la porte est un grand verger de quatre arpents ; (…). Là poussent de grands arbres florissants, poiriers, grenadiers, pommiers aux fruits éclatants, figuiers domestiques et luxuriants oliviers. Jamais leurs fruits ne meurent ni ne manquent, hiver ni été ; ils donnent toute l’année. Toujours le souffle du Zéphyr fait pousser les uns, mûrir les autres ; sans répit mûrissent la poire après la poire, la pomme après la pomme, le raisin après le raisin, la figue après la figue. (…)
(Homère, L’Odyssée, Flammarion, p. 104)
2 – Virgile (70 av J-C, 19 av J-C) poète latin surtout connu pour L’Énéide, a toujours été épris de nature et de beaux vers. Il nous transmet son amour pour les jardins dans plusieurs de ses livres dont Les Bucoliques, constitué de petites pièces pastorales et Les Géorgiques. Il sait rester émouvant dans ses descriptions d’oiseaux, d’arbres, de fleurs, d’insectes, nous donnant des conseils judicieux pour planter, récolter. Il sait montrer l’humanité des animaux, leur esprit d’entraide ou de connivence ensemble, par exemple à travers l’instinct maternel des corbeaux montrant leur joie de voir leurs petits juste nés (p. 109), la vie des abeilles (p. 129) et même des bœufs au travail. Étonnamment, il peut aussi donner aux plantes, des sentiments, montrant leur souffrance par exemple. Voici le final de la première Bucolique :
Tu pourrais pourtant reposer avec moi cette nuit sur un lit de feuillage vert. Nous avons de doux fruits, de molles châtaignes et du fromage frais en quantité. Et voici qu’au loin la fumée monte au toit des fermes, et que du haut des monts l’ombre tombe et s’allonge.
(Virgile, Les Bucoliques, Flammarion, p. 36)
Citons également un passage des Géorgiques, montrant son sens de l’observation, significatif de son intérêt pour les jardins potagers et des conseils judicieux qu’il en tire :
Observe aussi l’amandier, lorsqu’il se revêtira de fleurs dans les bois et courbera ses branches odorantes : si les fruits surabondent, le blé suivra de même, et avec les grandes chaleurs il y aura à battre une grande récolte ; mais si un vain luxe de feuilles donne une ombre excessive, l’aire ne broiera que des chaumes riches de paille.
(Virgile, Les Géorgiques, Flammarion, p 103)
3 – Charles d’Orléans (1394 – 1465), prince et poète remarquable, a un lien avec la Touraine puisqu’il est mort à Amboise, ville de rois et a vécu en alternance entre ses châteaux de Blois et de Tours. Il ne pouvait donc qu’être amoureux de la Touraine et de ses jardins, lui qui a vécu en captivité, vingt-cinq ans de sa jeunesse.
De vent, de froidure et de pluye, Et s’est vestu de brouderie, De soleil luyant, cler et beau. Il n’y a beste ne oyseau, Riviere, fontaine et ruisseau (Charles d’Orléans, Rondeaux, p. 210) |
De vent, de froidure et de pluie, Et s’est vêtu de broderies, De soleil luisant, clair et beau. Il n’y a bête ni oiseau Rivière, fontaine et ruisseau |
4 – Pierre de Ronsard (1524 – 1595) est un des poètes les plus célèbres du XVIème siècle. Philosophe, il a aussi compris combien la vie était fugace d’où l’importance de profiter du présent, de cueillir la rose quand il est encore temps. La nature, les fleurs et en particulier les roses, lui servent à chanter sa belle sans exclure une idée philosophique de la mort. N’oublions pas que Ronsard a terminé sa vie au prieuré de Saint-Cosme à La Riche, près de son jardin de roses. Il est aussi présent par sa statue, entourée de roses à la belle saison, dans le jardin des Prébendes à Tours :
Comme on void sur la branche au mois de may la rose
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’aube de ses pleurs au poinct du jour l’arrose,
La Grace dans sa fueille et l’Amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d’odeur ;
Mais, batue ou de pluye ou d’excessive ardeur,
Languissante, elle meurt, fueille à fueille déclose.
Ainsi, en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce pannier plein de fleurs,
A fin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.
(Pierre de Ronsard, Le second Livre des Amours, Seconde partie sur la mort de Marie, p. 239)
5 – Honorat de Bueil, sieur de Racan (1589 – 1670), poète de Touraine, auteur de poésies champêtres et chrétiennes, membre de l’Académie française (1635), exprime combien il aime la nature par exemple dans son livre Les Bergeries. Citons un extrait qui pourrait avoir lieu dans un jardin tel celui des Prébendes à Tours, dans lequel il a sa statue :
CHŒUR DES JEUNES BERGERS
(…)
Les oyseaux des bois et des plaines
Chantent leurs amoureuses peines,
Qui renaissent au renouveau,
Glorieux au mois où nous sommes,
De brusler du même flambeau
Qui brusle les Dieux et les hommes.
L’Astre doré, qui sort de l’onde,
Promet le plus beau jour du monde,
Que puissent choisir nos desirs :
Tout rit à sa clarté premiere,
Qui semble apporter les plaisirs
En nous apportant sa lumiere.
(…)
(Honorat de Bueil, sieur de Racan, Les Bergeries, p. 64)
6 – Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778), romantique promeneur solitaire, a aimé les jardins par exemple lors de ses promenades dans les allées des jardins du château de Chenonceau. Il aime rêver, disserter tandis que le temps s’écoule.
L’ALLÉE DE SILVIE
Qu’à m’égarer dans ces bocages
Mon cœur goûte de voluptés !
Que je me plais sous ces ombrages !
Que j’aime ces flots argentés !
Douce et charmante rêverie,
Solitude aimable et chérie,
Puissiez-vous toujours me charmer !
(…)
(Jean-Jacques Rousseau, La Pléiade, tome II, p. 1146)
7 – Marceline Desbordes-Valmore (1786 – 1859), poète de talent reconnu par Lamartine, Vigny, Baudelaire, Victor Hugo, exprime son amour des fleurs parallèlement à l’amour terrestre dans :
LES ROSES DE SAADI
J’ai voulu, ce matin, te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.
Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir.
La vague en a paru rouge et comme enflammée :
Ce soir ma robe encore en est toute embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.
(Marceline Desbordes-Valmore, Poésies inédites, p. 15)
8 – Alphonse de Lamartine (1790 – 1869) en grand romantique, s’entoure d’une nature verdoyante, où sa pensée peut vagabonder comme dans un jardin paisible même si le spleen peut réapparaître :
MÉDITATION CINQUIÈME
LE VALLON
(…)
Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure,
Tracent en serpentant les contours d’un vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.
La source de mes jours comme eux s’est écoulée,
Elle a passé sans bruit, sans nom, et sans retour :
Mais leur onde est limpide, et mon ame troublée
N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour.
(…)
(Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, pp. 24 et 25)
9 – Victor Hugo (1802 – 1885) : Ce géant de la littérature à l’œuvre immense, évolue du classicisme au lyrique, des thèmes graves aux thèmes mystiques et à la nature. Dans La Légende des siècles, il décrit le jardin du début du monde, jaillissement des éléments et des fleurs humanisées :
(…)
Et, sous les verts palmiers à la haute stature,
Autour d’Eve au-dessus de sa tête, l’œillet
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait,
Le frais myosotis se souvenait ; les roses
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres
demi-closes ;
Un souffle fraternel sortait du lys vermeil,
Comme si ce doux être eût été leur pareil,
Comme si de ces fleurs, ayant toute une âme,
La plus belle s’était épanouie en femme.
(…)
(Victor Hugo, La Légende des Siècles, La Pléiade, p. 23)
10 – Gérard de Nerval (1808 – 1855), figure majeure du romantisme français, est connu principalement pour ses poèmes et ses nouvelles. Il crée des atmosphères de rêve et de brume, parsemées de fleurs et de femmes donc proches des jardins.
AVRIL
Déjà les beaux jours, la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
Et rien de vert : à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose,
Qui, souriante, sort de l’eau.
(Gérard de Nerval, Odelettes rythmiques et lyriques, p. 219)
11 – Théophile Gautier (1811 – 1872) se sert d’une fleur des jardins pour transmettre son message d’amour. Il choisit :
LA ROSE-THÉ
La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.
On dirait une rose blanche
Qu’aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d’ardeur.
Son tissu rose et diaphane
De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.
Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
De ses sœurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.
Mais, si votre main qui s’en joue,
A quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
Son frais éclat devient commun.
Il n’est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.
La peau vaut mieux que le pétale,
Et le sang pur d’un noble cœur
Qui sur la jeunesse s’étale,
De tous les roses est vainqueur !
(Théophile Gautier, Émaux et Camées (1872), pp. 153 à 155)
12 – Faisons une pause musicale avec la chanteuse, Anne Maillet, qui va mettre en valeur deux poèmes en lien avec les jardins : « Envoi de fleurs », paroles d’Henri Bernard (milieu du XVIe), musique (composé en 1898) de Paul Delmet (1862 – 1904) – cette chanson a été interprétée par de nombreux artistes dont Jean Lumière (1895 – 1979) –, puis « Mignonne, allons voir si la rose » de Ronsard (1524 – 1585).
ENVOI DE FLEURS
Pour vous obliger de penser à moi,
D’y penser souvent, d’y penser encore,
Voici quelques fleurs, bien modeste envoi,
De très humbles fleurs qui viennent d’éclore.
Ce ne sont pas là de nobles bouquets
Signés de la main de savants fleuristes,
Liés par des nœuds de rubans coquets,
Bouquets précieux, chefs-d’œuvre d’artistes,
Ce sont d’humbles fleurs, presque fleurs des champs,
Mais ce sont des fleurs simples et sincères,
Des fleurs sans orgueil, aux libres penchants,
Des fleurs de poète à deux sous, pas chères.
J’aurais mieux aimé de riches bijoux
Que ce souvenir vraiment trop champêtre,
Bagues, bracelets, féminins joujoux,
J’aurais mieux aimé… vous aussi, peut-être.
Mais du moins ces fleurs, ce modeste envoi,
Ces très humbles fleurs qui viennent d’éclore
Vous diront tout bas de penser à moi,
D’y penser souvent, d’y penser encore !
(Poésie d’Henri Bernard, musique de Paul Delmet)
MIGNONNE, ALLONS VOIR SI LA ROSE
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu cette vesprée,
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! Las ! ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusque au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
(Pierre de Ronsard)
13 – Leconte de Lisle (1818 – 1894), poète parnassien, membre de l’Académie française à la suite de Victor Hugo (1886), écrivit les Poèmes Barbares, les Poèmes Antiques, les Poèmes Tragiques. Traducteur de Théocrite, Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Horace, il fut aussi auteur dramatique (ex : Les Érinnyes). Un de ses poèmes les plus connus « Les roses d’Ispahan » témoigne de l’influence de la poésie iranienne sur ses écrits et il nous emporte au loin, dans le temps et l’espace, près des parfums d’Orient.
LES ROSES D’ISPAHAN
Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse,
Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l’oranger
Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce,
O blanche Leïlah ! que ton souffle léger.
Ta lèvre est de corail, et ton rire léger
Sonne mieux que l’eau vive et d’une voix plus douce,
Mieux que le vent joyeux qui berce l’oranger,
Mieux que l’oiseau qui chante au bord d’un nid de
mousse.
(…)
O Leïlah ! depuis que de leur vol léger
Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce,
Il n’est plus de parfum dans le pâle oranger,
Ni de céleste arome aux roses dans leur mousse.
(…)
Oh ! que ton jeune amour, ce papillon léger,
Revienne vers mon cœur d’une aile prompte et douce,
Et qu’il parfume encor les fleurs de l’oranger,
Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse !
(Leconte de Lisle, Poèmes tragiques, pp. 75 et 76)
14 – François Coppée (1842 – 1908), poète parnassien, auteur dramatique, conteur, membre de l’Académie française, nous charme par ses descriptions nous laissant deviner ses pensées, telle la fleur emprisonnée, regrettant la liberté :
A UNE TULIPE
O rare fleur, ô fleur de luxe et de décor,
Sur ta tige toujours dressée et triomphante,
Le Velasquez eût mis à la main d’une infante
Ton calice lamé d’argent, de pourpre et d’or.
Mais, détestant l’amour que ta splendeur enfante,
Maîtresse esclave, ainsi que la veuve d’Hector,
Sous la loupe d’un vieux, inutile trésor,
Tu t’alanguis dans une atmosphère étouffante.
Tu penses à tes sœurs des grands parcs, et tu peux
Regretter le gazon des boulingrins pompeux,
La fraîcheur du jet d’eau, l’ombrage du
platane ;
Car tu n’as pour amant qu’un bourgeois de Harlem,
Et dans la serre chaude, ainsi qu’en un harem,
S’exhalent sans parfum tes ennuis de sultane.
(François Coppée, Poésies 1864 – 1869, pp. 53 et 54)
15 – Maurice Rollinat (1846 – 1903), poète et musicien du fantastique, a souvent mis à l’honneur, la nature, délicatement dans son enfance comme dans « Le soir » où malgré quelques maladresses de jeunesse, la force de son inspiration poétique domine, témoignant de son admiration de la beauté des éléments en lien avec ses sentiments. À l’âge adulte, ses facettes sont toujours présentes mais Maurice Rollinat cisèle ses vers avec art, mêlant fleurs et réflexions philosophiques venues du plus profond de lui-même comme l’insecte pénètre au plus profond de la fleur. Écoutons ces deux poèmes choisis par Michel Caçao :
LE SOIR
Les perles de rosée, au bout de quelque branche
frissonnent quelquefois sous l’haleine du vent :
La lune brille au ciel : à sa lumière blanche,
je m’avance en rêvant.
Les arbres d’alentour, au verdoyant feuillage
se mirent au cristal du fleuve harmonieux ;
Et le Rossignol jette, au sein du frais bocage,
sa voix, écho des cieux.
Qu’il est beau le ruisseau dont l’onde claire et pure
jaillit à flots d’argent du rocher de granit,
qu’il est beau l’arbre en fleurs ou la brise murmure
ou l’oiseau fait son nid !
Quelle est belle l’étoile étincelante et rose,
Qui borde ce nuage et le rend argenté,
Elle luit doucement, et le baigne, et l’arrose
D’une molle clarté.
Que la prairie est belle avec son herbe verte,
ou la tendre rosée a distillé ses pleurs :
Les buissons sont couverts dans la plaine déserte
D’une neige de fleurs.
Comme l’œil aime à voir les pins mélancoliques
s’élevant tristement sur les bords du ruisseau !
Comme l’œil aime à voir, les feux follets mystiques,
qui voltigent sur l’eau !
(Maurice Rollinat, Poèmes de jeunesse, p. 25)
AU JARDIN
De la pensée à la rose,
Du chèvrefeuille au lilas,
Court l’insecte jamais las.
Il vit, ni gai, ni morose,
En ses jours neutres et plats
L’existence d’une chose,
Sans désirs et sans hélas,
Au milieu des falbalas
De la fleur nouvelle éclose.
Il ignore qu’il se pose
Sur un velours du trépas
Quand il pompe les appas
De la pensée.
Inconscient de sa cause,
De son vol ou de ses pas,
Il ne se dit pas tout bas,
Brusquement, dans une pause :
Que la nature ici-bas
Détruit ce qu’elle compose !…
Ou du moins, je le suppose…
Car, pourquoi n’aurait-il pas
Autant que moi la névrose
De la pensée ?
(Maurice Rollinat, La Nature, pp. 140 et 141)
16 – Paul Bourget (1852 – 1935) écrivain et essayiste catholique français, traditionnaliste, peut traduire la présence de « l’âme » de manière délicate, près de ses pensées, en se servant des fleurs comme dans son poème mis en musique par Claude Debussy :
ROMANCE
L’âme évaporée et souffrante,
L’âme douce, l’âme odorante
Des lis divins que j’ai cueillis
Dans le jardin de ta pensée,
Où donc les vents l’ont-ils chassée,
Cette âme adorable des lis ?
N’est-il plus un parfum qui reste
De la suavité céleste
Des jours où tu m’enveloppais
D’une vapeur surnaturelle,
Faite d’espoir, d’amour fidèle,
De béatitude et de paix ?…
(Paul Bourget, Les Aveux, p. 51)
17 – Arthur Rimbaud (1854 – 1891), poète en quête d’un ailleurs jamais atteint, a écrit des poèmes de l’âge de quinze ans à celui de vingt dont « Ophélie ». Il la décrit morte vivante entre rêve et réalité, passé lointain et présent, près de fleurs souvent là, dans les jardins, tels les nénuphars symbolisant abondance et fertilité, en lien avec la terre et l’eau, la végétation, le monde souterrain, et aussi les lys, emblème de la pureté :
OPHÉLIE
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles,
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
– On entend dans les bois lointains des hallalis.
(…)
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
– Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
II
(…)
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des
nuits ;
(…)
III
– Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu
cueillis ;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs
voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
(Arthur Rimbaud, Reliquaire, pp. 27 à 29)
18 – Francis Vielé-Griffin (1864 – 1937) né aux États-Unis, est un poète symboliste français, proche de Mallarmé et Verhaeren. Il a vécu neuf ans en Touraine et cette région lui inspire une poésie emplie de douceur, rêve, beauté, près d’une atmosphère de chansons anciennes avec un refrain tel « Derrière chez mon père » dans le poème « Un oiseau chantait ». Il nous présente la nature, essentielle, omniprésente, près de ses pensées, en particulier en lien avec sa naissance, ses sentiments au fil de la vie :
UN OISEAU CHANTAIT
(…)
Derrière chez mon père, un oiseau chantait,
Qui chante dans mon âme et dans mon cœur, ce soir ;
Je hume vers la nuit où fume un encensoir,
O jardins rutilants qui m’avez enfanté,
Et je revis chaque heure et toutes vos saisons :
Joie en rires de feuilles claires par la rive,
Joie en sourires bleus de lac aux horizons,
Joie en prostrations de la plaine passive,
Joie éclose en frissons ;
Les jeunes délices qui furent dans nos yeux
– Aurores et couchants – les étoiles des cieux
Et le portail de Vie ouvert et spacieux
Vers les jeunes moissons !
(…)
(Francis Vielé-Griffin, Joies, p. 17)
19 – Francis Jammes (1868 – 1938) poète, romancier, chroniqueur, était un ami de la nature et des animaux ; son si célèbre poème sur l’âne en témoigne. Dans son deuxième livre des quatrains, il alterne des strophes sur la nature, les fleurs de jardin avec d’autres sur ses pensées. Nous pouvons admirer la légèreté vaporeuse du quatrain sur la glycine (Pureté) ou la suggestion de l’amour ardent à travers la couleur « rouge vif » symbolisant brûlure et blessure dans le quatrain « Sur la capucine ».
PURETÉ
Comme un nombreux essaim les fleurs de glycine
Malgré le gel léger sur le mur blanc butinent.
Une grappe échappée avec l’air se confond
Et le pâle soleil avec vos cheveux blonds.
SUR UNE CAPUCINE
Sa feuille flotte en l’air et comme si les ondes
La soutenaient, sa fleur est d’un rouge si vif
Qu’elle n’est qu’une flamme au milieu du massif,
Une blessure ardente au cœur qui fuit le monde.
(Francis Jammes, Œuvre poétique complète, tome II, pp. 63 et 71)
20 – Pause avec des citations sur les jardins :
1) – Platon (428 – 348 av. J-C), fonda dans Athènes, l’Académie, école philosophique (vers 387 av. J.-C.) qui persista pendant plus de trois siècles. L’enseignement avait lieu dans un domaine fait de jardins et de portiques. Platon et aussi Aristote y ont enseigné. Pour eux, le jardin était un lieu de réflexion ; la pensée devait être à l’air libre, et non pas enfermée.
2) – Épicure (341/-270) créa le « Jardin », école philosophique ouverte aux hommes, aux femmes et même aux esclaves, et installée à Athènes. Il y enseignait les moyens de parvenir au bonheur et à la paix de l’âme, l’ataraxie.
3) – Parmi les chansons populaires transmises de génération en génération, au fil des siècles, les jardins ont une place de choix. Beaucoup d’enfants ont appris par exemple : « Dans les jardins d’mon père », chanson lyrique associant l’amour aux jardins. Certains d’entre vous doivent la connaître. La belle se remémore aussi son ami pris par les Hollandais. En voici un extrait. Nous pouvons fredonner le refrain tous ensemble.
Dans les jardins d’mon père
Les lauriers sont fleuris
Dans les jardins d’mon père
Les lauriers sont fleuris
Tous les oiseaux du monde
Viennent y fair’ leurs nids.
Refrain : Auprès de ma blonde
Qu’il fait bon, fait bon, fait bon
Auprès de ma blonde
Qu’il fait bon dormir.
(…)
Je donn’rai la Touraine
Paris et Saint Denis
Les tours de Notre-Dame
Le clocher d’mon pays.
Refrain
(…)
4) Dans le même registre, nous pouvons citer des extraits d’une chanson du XVème siècle et reprendre le refrain tous ensemble :
Nous n’irons plus aux bois,
Les lauriers sont coupés,
La belle que voilà
La fairons-nous danser !
Refrain : Entrez dans la danse,
Voyez comme on danse,
Sautez, dansez,
Embrassez qui vous voudrez.
(…)
Le chant du rossignol la viendra réveiller
Et aussi la fauvette avec son doux gosier.
Refrain
(…)
Et Jeanne, la bergère, avec son blanc panier,
Allant cueillir la fraise et la fleur d’églantier.
Refrain
(…)
Cigale, ma cigale, allons, il faut chanter
Car les lauriers du bois sont déjà repoussés.
Refrain
5) – Rabelais (1483 – 1553), illustre médecin et écrivain Tourangeau, a loué sa terre natale : « (…) car je suis né et j’ai été nourri pendant ma jeunesse au jardin de France, la Touraine. » (Pantagruel, chap. 9, p. 196)
6) – Rabindranath Tagore (1861 – 1941) nous offre ses sentences comme une ligne de conduite. Il peut se servir des arbres pour élever sa pensée :
Tiens-toi tranquille, ô mon cœur,
Car ces arbres montent vers les cieux
Comme ma prière s’élève vers Dieu.
(De l’aube au crépuscule, p. 24)
7) – Jules Renard (1864 – 1910), membre de l’Académie Goncourt, a aussi reçu la Légion d’Honneur. Nous pourrions dire qu’il doit aimer les jardins potagers sinon pourquoi aurait-il choisi le nom de Poil de carotte pour l’un de ses livres ? Avec son humour décalé surprenant, il refait le monde à travers les arbres, les feuilles des jardins et même les petites bêtes qui s’y cachent :
– « Une feuille tombe, et c’est un grand désastre : elle couvrait un nid. » (Jules Renard, Journal, p. 536) ;
– « Les coudes levés, les poings aux yeux, la grenouille pleure. » (id., p. 538) ;
– « L’arbre fait traverser la route à son ombre. » (id., p. 543) ;
– « L’arbre, pour m’attirer, me fait des clins de feuilles. D’un mouvement rapide, elles se baissent et se relèvent. » (id., p. 539) ;
– « (…) tout le long du canal, les peupliers fantômes écartent peu à peu leurs draps de brume. » (id., p. 546) ;
– « Le Luxembourg n’est qu’une voûte de feuilles, où des gens rêvent. » (id., p. 1240).
8) – Edmond Rostand (1868 – 1918), auteur dramatique, poète, essayiste, est connu en premier pour Cyrano de Bergerac. Il s’est marié avec la poétesse Rosemonde Gérard. Dans son recueil de poésie Les Musardises, l’humour et les jardins sont présents :
Servons-nous du malheur. – Un jour, un jardinier
M’a dit cette parole ingénue et profonde :
« Si Job avait planté des fleurs sur son fumier,
Il aurait eu les fleurs les plus belles du
monde ! »
(« Le mendiant fleuri » dans Les Musardises, p. 273)
9) – Rudyard Kipling (1865 – 1936) connu avant tout par le succès de Le Livre de la jungle, l’un des auteurs les plus populaires de langue anglaise, un des plus grands auteurs de littérature pour la jeunesse, prix Nobel de littérature (1907), garde le sens de l’humour dans le jardinage :
Pourquoi Dieu a-t-il fait l’homme jardinier ? c’est parce qu’il savait qu’au jardin la moitié du travail se fait à genoux.
(http://citation-celebre.leparisien.fr/citation/jardin)
10) – Khalil Gibran (1883 – 1931), écrivain, poète libanais, a séjourné en Europe et passé la majeure partie de sa vie aux États-Unis. Ses citations sont une voie de réflexion philosophique pour nous aider sur le chemin de la vie. Le jardin est présent dans son œuvre par exemple à travers les arbres, les fleurs.
Les arbres sont des poèmes que la terre dessine dans le ciel. Nous les abattons et les transformons en papier afin d’y tracer l’empreinte de notre vide.
(Khalil Gibran, Le sable et l’écume, p. 61)
Sème une graine, la terre te donnera une fleur.
Élève ton rêve jusqu’au ciel et le ciel te rendra l’être
aimé.
(id., p. 71)
La racine est une fleur qui dédaigne la gloire.
(id., p. 108)
11) – Charles Trenet (1913 – 2001), auteur, compositeur, interprète, a chanté « C’est un jardin extraordinaire » (composé en 1938) au rythme dynamique et ce fut un succès. Je suis sûre que beaucoup d’entre vous se souviennent de l’humour, de l’entrain de Charles Trenet :
C’est un jardin extraordinaire :
Il y a des canards qui parlent anglais
Je leur donne du pain, ils remuent leur derrière
(…)
(http://www.charles-trenet.net/chansons/jardin.html)
Quittons les citations d’auteurs pour reprendre le chemin des poètes ayant mis en valeur, les jardins.
21 – Rosemonde Gérard (1866 – 1953), orpheline de père, ayant pour parrain Leconte de Lisle et pour tuteur Alexandre Dumas fils, épouse de Jean Rostand, elle s’est passionnée pour la littérature. Poète et comédienne, elle nous propose une poésie intimiste qui réveille les souvenirs enfouis. Lisons un extrait de sa série de poèmes « L’éternelle chanson », situé à la fin de son livre Les Pipeaux. Le banc dont elle parle, nous rappelle les bancs, lieux d’escale, tels ceux du jardin des Prébendes, gardiens de nombreux souvenirs.
L’ÉTERNELLE CHANSON
XXX
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s’ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
(…)
Sur le banc familier, tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d’autrefois nous reviendront causer ;
(…)
La phrase finissant souvent par un baiser.
(…)
(Rosemonde Gérard, Les Pipeaux, pp. 312 et 313)
22 – Charles Péguy (1873 – 1914), poète et essayiste, a écrit une œuvre importante. Il est messager de la parole de Dieu, montrant sa création du monde dont celle d’immenses jardins :
(…)
J’éclate tellement dans ma création.
Dans le soleil et dans la lune et dans les étoiles.
Dans toutes mes créatures,
Dans les astres du firmament et dans les poissons de la
mer.
(…)
Dans le vent qui souffle sur la mer et dans le vent qui
souffle dans la vallée.
(…)
Dans les plantes et dans les bêtes (…).
Dans le pain et dans le vin et dans l’homme qui laboure
et dans l’homme qui sème et dans la moisson et dans la vendange.
Dans la lumière et dans les ténèbres.
Et dans le cœur de l’homme, qui est ce qu’il y a de
plus profond dans le monde.
(…)
(Charles Péguy, Œuvres poétiques complètes, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, La Pléiade, pp. 531 et 532)
23 – Anna de Noailles (1876 – 1933), à partir de son premier recueil intimiste, Le Cœur innombrable (1901), couronné par l’Académie française, écrivit en prose et en poésie, entre romantisme et modernisme, toujours avec un talent constant et une grande sensibilité. De son recueil Les Éblouissements, citons la dernière strophe de « La nostalgie » puis deux strophes de « Le poème de l’Ile de France », tous deux imprégnés de rêve et de sentiments au cœur des jardins.
(…)
– Ah ! par ces nuits d’été, dans l’Orient
immense,
Être un cœur qui s’éveille, une âme qui
commence !
Être encore un enfant qui rêve, espère, attend
Dans un petit jardin de l’antique Ispahan…
(…)
Sous les arbres feuillus qu’un peu de vent agite,
Le petit jour éclot, dans le sable vermeil,
Comme un lièvre inquiet glisse hors de son gîte,
Peureux, le cœur timide et les yeux en éveil.
La pelouse est soudain comme une longue joie,
Comme un brûlant miroir et comme un vert étang
Où l’ombre des tilleuls se renverse et se noie,
Où le vol de la pie et du ramier s’étend.
(…)
(Anna de Noailles, Les Éblouissements, pp. 152 et 191)
Louisette Caçao nous propose un poème d’Anna de Noailles suivi de deux quatrains :
JARDIN D’ENFANCE
J’ai respiré le miel, le haschisch des étés,
Des fleurs lourdes et peintes,
Dans un parterre empli de fruits et de clartés
Comme un jardin des Indes !
Les colombes, les paons, les cygnes, les agneaux
Interrompaient leur somme
Poursuivre lentement, d’un regard calme et beau,
La présence des hommes.
Ces bêtes emplissaient de leurs claires couleurs
Les soyeuses allées,
On les voyait marcher, et glisser dans les fleurs
Leurs faces étoilées.
Les parfums des buissons, des calices trempés,
Montaient, flamme infinie,
Et l’on sentait, sur l’air suave, se grouper
Leur douce compagnie.
– Que de matins passés sur les bords du lac chaud
Où flottaient, ballotées,
Miroirs glauques et doux, fruits écailleux de l’eau
Des carpes argentées !
La bleuâtre chaleur, de ses fortes cloisons,
Pressait ma joue ardente,
Le sifflet des bateaux jetait à l’horizon
Sa plainte haletante.
(…)
(Anna de Noailles, Les Éblouissements, pp. 290 et 291)
JARDIN PRÈS DE LA MER
Ah ! que vivre est divin ! L’âpre brise
marine
A trempé ce matin les œillets du jardin,
Et dans le doux parterre assoupi, c’est soudain
L’odeur du paquebot qui s’en va vers la Chine…
Et rien n’est plus charmant que ce désir qu’on a
Des pays embués de fièvres éternelles,
Quand on est près des lis, du lin, des dauphinelles,
Dans le calme jardin que le ciel nous donna.
(Anna de Noailles, Les Éblouissements, p. 249)
24 – Marie Noël (1883 – 1967), grand prix de l’Académie française (1962), officier de la Légion d’honneur, est une poétesse et écrivaine française, passionnée et tourmentée, dite « La fauvette d’Auxerre ». Ses poèmes sont rythmés par des refrains à la manière des chansons anciennes. Elle associe souvent la nature à ses sentiments comme dans « Chant de rouge-gorge », oiseau que l’on peut entendre dans le jardin des Prébendes :
Au mois de mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour, sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
(…)
(Marie Noël, L’œuvre poétique, p. 48)
25 – Alain-Fournier (1886 – 1914) crée déjà une atmosphère dans la campagne dans ses écrits de jeunesse, (réunis dans Miracles par Jacques Rivière). « Dans le tout petit jardin… », il nous charme en nous introduisant dans son monde imprégné de mystère :
Dans le tout petit jardin en pente, qui va du mur de chez les sœurs au vieux toit rouge dont le bas touche à terre, elle est enfin là, grand délice mystérieux comme dans un rêve d’enfant. C’est le moment du soir où l’on s’enfonce, bras écartés pour en cueillir, dans les touffes de lilas ; l’ombre des branches fait sur les murs de tièdes ronds de soleil ; invisibles et lointains, les oiseaux sous toutes les feuilles, évadés de l’école, se racontent une histoire sans fin… Voici l’heure où sous les lourdes branches du marronnier qui dépassent la haie du parc, nous parlions tout bas de notre amour à grandes phrases défaillantes. (…)
(Alain-Fournier, Miracles, p. 137)
26 – Louis Aragon (1897 – 1982), poète, romancier et journaliste, l’un des animateurs du dadaïsme à côté d’André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, garde toujours une poésie engagée même lorsqu’il parle des fleurs.
LES LILAS ET LES ROSES
(…)
Je n’oublierai jamais les jardins de la France
(…)
Ni le trouble des soirs l’énigme du silence
Les roses tout le long du chemin parcouru
Le démenti des fleurs au vent de la panique
Aux soldats qui passaient sur l’aile de la peur
Aux vélos délirants aux canons ironiques
Au pitoyable accoutrement des faux campeurs
(…)
(Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, tome 1, La Pléiade, p. 714)
27 – Antoine de Saint-Exupéry (1900 – 1944), écrivain, aviateur, reporter, est resté connu dans le monde entier en particulier à travers son conte Le Petit Prince (1943). Son livre Citadelle est composé de réflexions sur la condition humaine et ses croyances. Du jardin, peut jaillir le sens des choses et des sentiments :
(…) Tu seras d’abord piocheur de terre, bêcheur de terre, et tu te lèveras matin pour arroser. Et tu surveilleras ton œuvre et la protégeras contre les vers et les chenilles. Puis te sera pathétique le bouton qui s’ouvrira, et viendra la fête, la fleur éclose, qui sera pour toi de la cueillir. Je la recevrai de tes mains et tu attendras. Tu n’avais que faire d’une rose. Tu l’as échangée contre mon sourire… (…)
(…) Le jardin s’offre à moi. Il est, derrière le petit mur, une patrie de mandariniers et de citronniers où sera reçue ma promenade. Cependant nul n’habite en permanence ni l’odeur des citronniers, ni celle des mandariniers, ni le sourire. Pour moi qui sait, tout conserve une signification. J’attends l’heure du jardin ou de l’épouse.
(…)
(Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, pp. 492 et 493)
28 – Léopold Sédar Senghor, (1906 – 2001) poète, homme politique français puis président de la république du Sénégal, a toujours aimé la nature, aussi bien celle de France que celle de son pays natal. Il a consacré un poème au jardin des Prébendes qu’il a apprécié lors de sa venue en Touraine. Il transmet ses impressions dans « Jardin de France » :
Calme jardin,
Grave jardin
Jardin aux yeux baissés au soir
Pour la nuit
Peines et rumeurs,
Toutes les angoisses bruissantes de la Ville
Arrivent jusqu’à moi, glissant sur les toits lisses,
Arrivent à la fenêtre
Penchée, tamisée par les feuilles menues et tendres et
pensives
(…)
(Léopold Sédar Senghor, Œuvre poétique, Poèmes divers, p. 225)
29 – Anne Maillet nous propose un de ses poèmes où les jardins font revenir à la mémoire, le passé lointain et pourtant toujours présent :
JARDIN D’ENFANCE
Je me souviens, j’étais enfant,
Et j’avais tout juste six ans.
Je tenais sa main simplement
Et nous vivions dans le printemps.
Elle avait quelques cheveux blancs.
Mais depuis j’ai pensé souvent
Qu’elle gardait précieusement
Les beaux yeux bleus de ses vingt ans.
Elle se rendait au jardin
Pour étendre ses draps de lin,
Et nous regardions le lupin
Qui bleuissait dans le matin.
Mes frères l’emmenaient au bois
Cueillir des feuilles ou des noix.
Elle portait un châle à pois
Et fredonnait je ne sais quoi…
Depuis les années ont passé.
Il est parti le temps des prés.
Il s’est enfui le temps des blés.
Le printemps fuit devant l’été.
Le temps lui seul n’a pas de fin.
Il continue son long chemin,
Mais qu’il est loin le bleu lupin
Qui fleurissait notre jardin,
Parmi les buissons de printemps,
Les haies de fleurs qu’elle aimait tant,
Lorsque j’étais petite enfant
Et qu’elle avait deux fois vingt ans !
Anne Maillet
30 – Catherine Réault-Crosnier aime s’imprégner de l’atmosphère créée par la nature dans le jardin des Prébendes ou ailleurs, mais toujours pour entrer dans une sorte de communion avec les éléments, pour aider la nature, ne pas la maltraiter car elle nous apporte des ondes bienfaisantes, de la paix, de la vie.
LES ROSES DU JARDIN
Les roses fanent avant l’hiver,
Elles étaient écloses pourtant hier ;
Elles offraient leur cœur ouvert
Au soleil d’or qui vibrait de lumière.
Les pétales tombent un à un
Sur la terre sombre, vers leur destin
Qui est de sourire un jour,
Pour mourir sans espoir de retour.
Les fleurs sont belles dans les jardins,
Leurs couleurs vermeilles éclatent chaque matin ;
Elles vibrent de joie au soleil,
Elles comblent mon cœur d’espoir sans pareil.
Les premières gelées apportent le chagrin,
En brisant le charme des roses du jardin,
En effaçant l’amour révélé en chemin,
De ce bouquet offert qui ne sera plus rien.
Mais les roses ne meurent jamais
Comme les amours forts résistent au vent glacé ;
Elles se sont endormies pour mieux se révéler
Au printemps où tout refleurit,
Les roses et les sentiments cachés.
Catherine Réault-Crosnier
Dans les jardins, nous pouvons admirer aussi tout ce qui vit, tout ce qui bouge alors découvrez cet insecte sans cesse en mouvement. Nous pouvons le rencontrer dans le jardin des Prébendes :
LA LIBELLULE
Écarlate ou belle
Aux quatre ailes transparentes,
Couvertes de perles de rosée,
Parades amoureuses,
Pose aux lignes harmonieuses,
Tandem en forme de cœur,
Yeux globuleux
Aux milliers de facettes,
Hypnose de carnivore,
Tatouage de l’abdomen,
Masque du thorax
À l’image des tags modernes,
Métamorphose de la larve
En belle demoiselle,
Reste la carcasse rigide sur la tige,
Gourmande aux mandibules puissantes,
Équilibriste du ciel,
Telle est la libellule à tire d’aile.
Catherine Réault-Crosnier
Dans les jardins, tout vit même ce qui peut paraître inerte ainsi les pétales peuvent être animées de mouvements :
FOURMILLEMENT DE PÉTALES
Comme des fourmis,
Les corolles s’étalent
Dans l’espace de lumière.
Elles travaillent
À la réalisation
De la création d’un univers.
Comme un duvet,
Elles frôlent les éléments
Ou se mêlent à la poussière.
Les pétales sont comme des flammes,
Union du ciel et de la terre,
Paroles qui s’envolent au soleil couchant.
Catherine Réault-Crosnier
En conclusion, reconnaissons la chance que nous avons d’admirer tant de beautés offertes à nos yeux et restons toujours émerveillés par les jardins qui nous les offrent depuis des millénaires et respectons-les.
Août 2017
Catherine Réault-Crosnier
Bibliographie :
– La Bible, édition du Club France Loisirs,
Paris, 1999, LXXVIII + 1165 pages.
– Homère, L’Odyssée, GF Flammarion, Paris,
2009, 388 pages.
– Virgile, Les Bucoliques, Les Géorgiennes, GF
Flammarion, Paris, 1967, 253 pages.
– Charles d’Orléans, En la forêt de longue
attente, NRF, Poésie/Gallimard, Paris, 2001, 519 pages.
– Pierre de Ronsard, Œuvres complètes, Nouvelle
édition par M. Prosper Blanchemain, Tome I, Chez P. Jannet libraire,
Paris, 1857, XXXII + 446 pages.
– Honorat de Bueil, sieur de Racan, II, Les
Bergeries, édition critique publiée par Louis Arnould, Librairie E. Droz,
Paris, 1937, 293 pages.
– Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, tome
II, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris, 1961, 1999 pages.
– Marceline Desbordes-Valmore, Poésies inédites,
Imprimerie de Jules Fick, Paris, 1860, 282 pages.
– Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques,
Au dépôt de la librairie grecque-latine-allemande, Paris, 1820, 116 pages.
– Victor Hugo, La Légende des Siècles,
Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris, 1950, 1324 pages.
– Gérard de Nerval, Odelettes rythmiques et
lyriques, dans Œuvres complètes, tome 6, Calmann Lévy éditeur,
Paris, 1877, 315 pages.
– Théophile Gautier, Émaux et Camées
(édition définitive), Charpentier et Cie éditeurs, Paris, 1872,
228 pages.
– « Mignonne, allons voir si la rose »,
(Poème de Pierre de Ronsard, musique de Jehan Chardavoine), partition en
ligne :
http://www.free-scores.com/partitions_telecharger.php?partition=34411#
– « Envoi de fleurs » (Poésie d’Henri
Bernard, musique de Paul Delmet), partition en ligne :
http://www.partitionsdechansons.com/pdf/17019/Henri-Bernard-Paul-Delmet-Envoi-de-fleurs-Envoi-de-fleurs.html
– Leconte de Lisle, Poèmes tragiques, Alphonse
Lemerre éditeur, Paris, 1884, 326 pages.
– François Rabelais, Œuvres complètes,
Éditions du Club France Loisirs, Paris, 1987, 851 pages.
– Rabindranath Tagore, De l’aube au crépuscule,
Éditions Points, Paris, 2009, 113 pages.
– Jules Renard, Journal, Bibliothèque de La
Pléiade, Gallimard, Paris, 1960, 1415 pages.
– Edmond Rostand, Les Musardises, Eugène
Fasquelle éditeur, Paris, 1911, 298 pages.
– Rudyard Kipling :
http://citation-celebre.leparisien.fr/citation/jardin
– Khalil Gibran, Le sable et l’écume,
Éditions Albin Michel, Paris, 1993, 147 pages.
– Charles Trenet :
http://www.charles-trenet.net/chansons/jardin.html
– François Coppée, Poésies, 1864 - 1869,
Alphonse Lemerre éditeur, Paris, 1870, 221 pages.
– Maurice Rollinat, Poèmes de jeunesse proposés
par Catherine Réault-Crosnier et Régis Crosnier, novembre 2015, 85 pages.
– Rollinat Maurice, La Nature, poésies, G.
Charpentier et E. Fasquelle, Paris, 1892, 350 pages.
– Paul Bourget, Les Aveux, Alphonse Lemerre
éditeur, Paris, 1882, 215 pages.
– Arthur Rimbaud, Reliquaire – Poésies, L.
Genonceaux éditeur, Paris, 1891, XXVIII + 152 pages
– Francis Vielé-Griffin, Joies, Tresse et
Stock éditeurs, Paris, 1889, 139 pages.
– Francis Jammes, Œuvre poétique complète, tome
2, J et D éditions, Biarritz, 1995, 776 pages.
– Rosemonde Gérard, Les Pipeaux, Bibliothèque
Charpentier, Fasquelle éditeur, Paris, 1923, 320 pages.
– Charles Péguy, Œuvres poétiques complètes,
Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris, 2000, 1610 pages.
– Comtesse Mathieu de Noailles, Les Éblouissements,
Calmann-Lévy éditeurs, Paris, 1907, 416 pages.
– Marie Noël, L’œuvre poétique, Éditions
Stock, Paris, 1966, 494 pages.
– Alain-Fournier, Miracles, Librairie
Gallimard, Paris, 1924, 221 pages.
– Aragon, Œuvres poétiques complètes, tome 1,
Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris, 2007, 1639 pages.
– Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle,
Le Livre de Poche, Gallimard, 1967, 635 pages.
– Léopold Sédar Senghor, Œuvre poétique,
Éditions du Seuil, Paris, 1990, 439 pages.
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