11èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS
Vendredi 28 août 2009, de 17 h 30 à 19 h
Le Dr Ledouble et Rabelais par Catherine Réault-Crosnier |
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Lire la présentation de cette « rencontre ».
Tourangeau d’adoption, le Docteur Anatole-Félix Ledouble a expliqué des textes du Quart Livre de Rabelais, incompréhensibles avant ses explications : on pensait en effet que Rabelais avait joué avec les mots simplement pour le plaisir, ou pour faire rire alors que tout était minutieusement préparé.
Le Docteur Ledouble est peu connu des Tourangeaux en dehors des « Rabelaisants distingués » et pourtant une rue de Tours porte son nom. Personnellement j’habite en cette rue qui n’a que cinquante-cinq numéros et se situe dans le quartier Febvotte. Étrange hasard, j’habitais auparavant dans l’un des immeubles de la place Rabelais. Étant moi-même médecin, écrivain et poète, sans avoir leur notoriété, il était normal que je veuille mettre à l’honneur, le Docteur Ledouble en l’associant à Rabelais.
Sa biographie :
La famille du Docteur Ledouble est originaire des Ardennes. Son père est inspecteur d’assurances (de la Compagnie Le Soleil). Félix-Odoart-Anatole-Pierre-Xavier Ledouble qui deviendra le docteur Anatole-Félix Ledouble, nait à Rocroy (Ardennes), le 14 août 1848. Par la suite, il écrit son nom en deux mots « Le Double » (Michel Laurencin, Dictionnaire biographique de Touraine, p. 357). Son père quitte Rocroi pour Honfleur en 1857 puis vient à Tours en 1862. Anatole-Félix Ledouble fait ses études au lycée de Tours puis à l’école de médecine en 1867. Étudiant brillant, il obtient plusieurs médailles dont le prix Louis Tonnelé en 1871 (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 1). Pendant la guerre de 1870 – 1871, il est interne à l’hôpital de Tours. Il se consacre alors aux blessés et aux malades de l’armée de la Loire ce qui lui vaut l’attribution d’une médaille commémorative (Michel Laurencin, Dictionnaire biographique de Touraine, p. 357).
À cette époque, l’École de médecine n’est qu’une école préparatoire donc il « monte à Paris » pour terminer ses études. Il devient interne des Hôpitaux de Paris (en 1873) puis docteur en médecine en 1876 (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 1). Il soutient sa thèse à propos « Du Kleisis génital et principalement de l’occlusion vaginale et vulvaire dans les fistules uro-génitales » et obtient un prix de thèse et une médaille de bronze (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 5). Il s’installe à Tours et devient (durant l’année scolaire 1878-1979), chef des travaux anatomiques et professeur suppléant d’anatomie et de physiologie à l’École de médecine de Tours puis chirurgien des hôpitaux en 1879, à l’hôpital général de Tours. Il occupe la chaire d’Anatomie de l’École de Bretonneau, en tant que professeur titulaire d’Anatomie, à partir de 1888 (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 1). Il se dévoue à l’anatomie et à l’anthropologie. Il a un caractère très inventif et constitue un laboratoire pour ses recherches (Émile Aron, La Médecine en Touraine, p. 12) et un musée anthropo-zoologique qui lui appartient et dont il fait un inventaire rigoureux sur six pages (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, pp. 15 à 20). On y trouvait des os, des crânes, des faces, des vertèbres, des dentures. Il compose aussi une collection de pièces d’anatomie en carton pâte coloré (avec l’aide d’un naturaliste) pour faire mieux connaître l’anatomie (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 15).
Il publie alors déjà beaucoup d’articles dont « L’hypertrophie mammaire double », « Le traitement des hémorragies de la paume de la main », « Les avantages de l’allaitement au sein », « L’influence des contractions musculaires sur la migration des aiguilles avalées ». En particulier, il observe deux femmes hémiplégiques et aliénées qui ont avalé des aiguilles, éliminées du côté non paralysé. (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 137).
Une loi porte son nom, elle est considérée comme une application biologique de la thèse de Darwin : les organes mal conformés ne résisteront pas à la lutte pour l’existence. Mais cette hypothèse qui contient quelques parcelles de vérité, n’a pas été confirmée (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 137).
En 1892, il obtient le 1er prix de la ville de Tours, lors du concours scientifique et littéraire (doté de 1000 francs) (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 1).
En 1897, sa mère meurt. Il s’installe alors dans un immeuble modeste, 33 rue Jules Simon, à Tours. Il prend sa retraite en 1898 ; le docteur Louis Dubreuil-Chambardel le remplace et continue ses recherches.
En 1899, il publie son livre le plus important « Rabelais, anatomiste et physiologiste » qui allie médecine et littérature. Il écrit aussi un « Traité des Variations Anatomiques et de leur signification au point de vue de l’anthropologie zoologique » en quatre volumes, un minutieux travail de titan et qui correspond à son Grand Œuvre ; aucun anatomiste ne s’est risqué à donner une suite à ce travail gigantesque (BIUM Paris, Les sources de la Paléopathologie, p. 1). On peut aussi signaler son livre « Descartes, anatomiste et physiologiste » qui a eu moins de succès que son livre sur Rabelais. Après sa mort, paraît « Bossuet anatomiste et physiologiste ». Ceci montre combien la physiologie et l’anatomie étaient importantes pour lui, pour mieux comprendre l’évolution de l’être humain.
En 1910, il fait une communication remarquée, « La Médecine et la chirurgie dans les temps préhistoriques », dans le cadre du VI° congrès préhistorique de France, consacré à « La Médecine et la chirurgie dans les temps préhistoriques et protohistoriques ». Il est l’un des premiers vulgarisateurs en France de la Paléopathologie et il insiste sur le fait que l’exploration des restes humains anciens est indispensable pour la connaissance des modes de vie des populations anciennes ou disparues et peut aider à comprendre les conditions sanitaires (BIUM Paris, Les sources de la Paléopathologie, p. 1).
Le 21 octobre 1913, à l’âge de soixante-cinq ans, il meurt asphyxié dans sa chambre ainsi que sa vieille servante. Son collègue A. Chauveau, alors président de l’Académie de Médecine, fait son éloge et explique les circonstances de son décès : « à cause d’une vulgaire imprudence déterminant un empoissonnement par l’oxyde de carbone ! Le mauvais tirage d’un poêle avait suffi pour supprimer brusquement le vigoureux ouvrier de la pensée qu’était Le Double et, avec lui, la vieille domestique à son service depuis un grand nombre d’années. » (BIUM Paris, Les sources de la Paléopathologie, p. 1). Il est intoxiqué par l’oxyde de carbone qui se fixe sur l’hémoglobine du sang et seul l’oxygène pouvait le sauver. Malheureusement le traitement est la saignée qui appauvrit encore le sang en oxygène et achève les patients la plupart du temps. Par testament, il demande qu’on retire son cœur et qu’on le place dans le cercueil des pauvres, que ses obsèques aient lieu sans insignes, sans fleurs ni couronnes et sans discours. Ses volontés sont respectées. (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 145)
Le Docteur Ledouble a publié de très nombreux articles et a été internationalement connu et reconnu. Par exemple il est membre du comité lors d’un congrès de Médecine de Paris et de Madrid entre 1900 et 1903, délégué du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts au XVI° congrès international de Médecine de Madrid en 1903. Nous ne citerons pas toutes ses récompenses qui furent nombreuses dont le prix Godard de la Société anatomique de Paris en 1898, le prix Broca de la société d’Anthropologie de Paris en 1894, le prix Montyon de l’Académie des sciences en 1897, etc. Il fut membre correspondant de l’Académie de Médecine à partir de 1898, puis associé national de cette Académie en 1907 (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, pp. 1 et 5). Ce fut le deuxième Tourangeau à mériter cet honneur après Bretonneau (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 144). À cette occasion, ses amis et élèves lui offrirent sa tête en bronze, sur une plaquette ciselée par René Baudichon. Il est aussi lauréat de l’Institut (Académie des Sciences), membre correspondant de l’Académie d’Anthropologie de Paris, Président d’honneur du comité local du VI° congrès préhistorique de France (BIUM Paris, Les sources de la Paléopathologie).
Il rencontre les grands de son époque dont Marey, physiologiste et père du cinématographe, Farabeuf qui dit de lui en apprenant son décès : « Le Double fait honneur, très grand honneur non seulement à l’école de Tours mais à la France entière. » (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 139).
Le regard du Pr Émile Aron sur le Docteur Ledouble et Rabelais :
Émile Aron, doyen de la faculté de médecine, maintenant plus que centenaire (102 ans en 2009), est aussi un écrivain de grande qualité qui a rédigé de nombreux livres sur l’histoire de la médecine et la littérature ; il continue toujours de faire des conférences. Il a écrit deux livres en lien avec le Docteur Ledouble : « Figures tourangelles » en 1986 et « La Médecine en Touraine » en 1992. Dans le premier, il consacre le chapitre 7 au Professeur Ledouble et à l’explication de l’anatomie de Quaresmeprenant dans le Quart Livre de Maître François.
« Rabelais [est] toujours sérieux quand il rit. », nous dit le Professeur Émile Aron qui admire aussi le Professeur Ledouble : « Dans tous ses ouvrages, Le Double fait preuve d’une étonnante érudition, avec d’innombrables « points d’orgue » de citations grecques, latines ou françaises. (…) Il fut journaliste, romancier, poète, critique d’art. » (Émile Aron, Figures tourangelles, pp. 135 et 139)
Le regard du Pr Louis Dubreuil-Chambardel sur le Docteur Ledouble :
Louis Dubreuil-Chambardel succède à Anatole Ledouble, en tant que professeur à l’école de médecine de Tours, lorsque celui-ci prend sa retraite. Il soutient les idées de son prédécesseur et aide à mieux le faire connaître, en particulier dans son livre « Figures Médicales tourangelles » qu’il a édité en 1907 et dans lequel j’ai trouvé la seule photo de ce médecin. Dans celui-ci, Louis Dubreuil-Chambardel loue Rabelais et Anatole Ledouble qui a permis de mieux le comprendre. Il nous parle de l’ « enseignement fécond », des « persévérantes recherches » du Dr Ledouble, de ses conclusions sur les dispositions anormales des organes, le nommant créateur de l’ « École des Variations » car il s’est beaucoup intéressé aux dispositions inhabituelles des organes. (Louis Dubreuil-Chambardel, Figures Médicales tourangelles, p. 65).
Son œuvre littéraire et médicale :
Son œuvre est gigantesque, très diverse et toujours en rapport avec la médecine ; de nombreux sujets le passionnent : médecine, physiologie, anatomie, anthropologie, archéologie, littérature. Il a aussi abordé la médecine dans de nombreux domaines comme l’archéologie, les temps préhistoriques, la littérature, la philosophie, l’histoire, l’embryologie, la tératologie ou l’anatomie comparée.
Pour présenter sa candidature en tant que membre correspondant de l’Académie des Sciences, en section d’Anatomie et de Zoologie, six ans avant sa mort (1908), il a publié « Exposé des titres et des travaux du Docteur Ledouble de Tours », où tous ses exposés sont classés, triés par thèmes et par années, avec la mention des distinctions obtenues. Il cite seize ouvrages parmi lesquels des livres concernant :
- la chirurgie et la pathologie générale dont les « Leçons cliniques sur les fractures de jambe » (1875) ;
- l’anatomie, l’anthropologie, la zoologie notamment le « Traité des variations des os du crâne de l’homme et de leur signification au point de vue de l’anthropologie zoologique » (1903) ;
- la criminologie avec « Les criminels, les stigmates anatomiques de la criminalité et les théories criminalistes actuelles » (1906) ;
- la pédiatrie avec « Des avantages de l’allaitement maternel pour la mère, pour l’enfant, pour la famille et pour la société » (1880) ;
- la philologie, l’archéologie, l’histoire dont « La médecine et la chirurgie aux temps préhistoriques » (1888), « La Grotte des Fées de Mettray à l’époque de la pierre polie » (1892), « Velpeau » (1897), « Rabelais anatomiste et physiologiste » (1899), « Origet » (1907).
(A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux en tant que candidat au titre de membre correspondant de l’Académie des Sciences, section d’Anatomie et Zoologie, pp. 5 et 6).
Il a également écrit de très nombreux articles et rédigé certains chapitres du dictionnaire encyclopédique des sciences médicales de Dechambre et Lereboullet. (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, p. 7).
En voici un exemple : la canitie et la pilosité ont fortement retenu son attention et il s’est interrogé sur les femmes à barbe et sur les hommes-chiens c’est-à-dire qui ont des dents comme les chiens (A.-F. Ledouble, Canitie et pilosisme, p. 3). Il procède toujours de la même manière : il décrit minutieusement, il réfléchit et se sert de ses connaissances pour s’interroger et essayer de comprendre. Par exemple, il reconnaît que les hommes préhistoriques avaient un système pileux très développé. Il décrit ensuite la vie des cheveux qui poussent, se fragilisent et tombent (p. 7). Il cite un professeur qui tente d’expliquer ce phénomène (p. 8) puis son expérience personnelle en Touraine (p. 9) où il a connu deux filles nées toutes poilues ; il relie ces observations aux fonctions génitales. De même il présente des cas de malformations dentaires retrouvées par famille. Son intérêt pour l’anthropologie est évident dans cet article.
Il s’intéressa aussi aux monstruosités. Se basant sur l’évolution des espèces, il prédit l’homme de demain : « Il sera de petite taille, avec une tête plus grosse par prédominance du crâne sur la face, les mâchoires moins saillantes, le buste court, les mains plus fines et plus habiles, les orteils atrophiés » (Émile Aron, Figures tourangelles, p 136 et 138). Actuellement ses prédictions ne sont pas probantes mais il avait compris que l’image de l’homme n’était pas immuable dans le temps. Il a écrit de nombreux traités sur les anomalies des muscles et des os, dont le système musculaire de l’homme, les variations des os du crâne, des os de la face chez l’homme, du squelette de la tête, de la colonne vertébrale de l’homme, du système pileux. Il s’opposa à la thèse d’un savant italien comme quoi les assassins avaient un faciès particulier (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 138).
Sous le pseudonyme de Félix du Pleixe, il écrivit de nombreux articles dans la presse locale et même un roman grandguignolesque « Fatale histoire » (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 139).
La littérature :
Dans tous ses ouvrages, il a fait preuve d’érudition. Il a fait un travail de recherche énorme. Il a rédigé de très nombreuses communications pour les Sociétés savantes, des congrès et cent quarante-six articles qu’il a répertoriés et classés par société savante. (Académie de médecine, Société anatomique, Société d’anthropologie, Société des études rabelaisiennes, Société française d’histoire de la médecine, Société de stomatologie, Société médicale d’Indre-et-Loire), par congrès, par journaux et discours. (A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux…, pp. 7 à 9).
L’immensité de ses connaissances et de ses champs de recherche n’a jamais fini de nous surprendre. Ses écrits sont si divers ! Il peut s’intéresser à « Rabelais initiateur et précurseur de la méthode expérimentale » (n° 60), à « Quelques considérations sur les variations des dents de l’homme » (n° 62), ou aux « variations des os du crâne » (n° 87). Il s’interroge « à propos des variations du système osseux chez l’homme » (n° 85). Il s’intéresse également à la vie quotidienne et prend position « A propos de l’érection d’un monument Bretonneau-Trousseau-Velpeau » (n° 130). Il n’hésite pas à parler de thèmes qui pourraient sembler désuets ou trop originaux comme « La musique aux temps préhistoriques » (n° 134). Il se pose sans cesse des questions « Pourquoi les anciens anatomistes ont-ils donné le nom de pomme d’Adam à la saillie du cartilage thyroïde ? » (n° 138), « Quelle est la maladie appelée fics dont a été atteint le cardinal Richelieu ? (n° 150), sachant que fics signifie maladie vénérienne, « Qu’entend-on par l’expression médecin d’eau douce ? » (n° 152), ce qui signifie, en comparaison avec un marin d’eau douce, un médecin qui ne donne que des remèdes faibles et sans efficacité (Dictionnaire Littré, 1874, p. 1258). Il aborde régulièrement la littérature comme dans son article « Balzac et l’occultisme » (n° 160) ou « Le poème la Nazéide de Béranger de Carpi et l’anagramme Alcofribas Nasier » (n° 165). Rechercher dans le passé, des conclusions pour l’avenir, n’est pas un problème pour lui comme dans son article « L’os luz des Hébreux et la résurrection des corps » (n° 178). Certains sujets ne manquent pas de nous étonner : « Le cheval à pieds fourchus de Jules César » (n° 176), « Une Sainte barbue : sainte Wilgefort » (n° 179) mais ils se rapportent à des faits précis comme ici à son intérêt pour le système pileux. Il ne dédaigne pas l’histoire dans ses détails concrets comme « La chaise percée à la Cour et à la ville ; son rôle dans l’Histoire » (n° 181). Certains thèmes cocasses peuvent nous faire sourire mais Anatole Ledouble est sérieux quand il parle de « La braguette de la cuirasse de l’armure de Bayard » (n° 182).
Il a aussi prononcé des discours lors de l’inauguration des monuments aux artistes tourangeaux Paul Gagneux (n° 135) et Ferdinand Pitard (n° 137).
Il ne cesse de s’interroger, de fouiller, de mettre en application ses recherches, de toujours persévérer et il ne désespère jamais de trouver.
Ses écrits :
La poésie :
Le Docteur Ledouble, infatigable travailleur, a beaucoup écrit. Dans sa jeunesse et ses années d’études de médecine, il était poète :
« O mon berceau, Corny, contrée
enchanteresse,
Délicieux Eden où fleurit ma jeunesse,
Me sera-t-il plus tard, au déclin de nos ans
Donné d’aller revivre entre tes paysans ? »
(Émile Aron, Figures tourangelles, p. 136)
Ces alexandrins sont simples mais permettent de mieux connaître ses préoccupations et la vie de son époque. Il a écrit en convalescence (dans les Pyrénées), un volume de poésies intitulé « Heures de convalescence » dans lequel il chante les Tourangelles et les Ardennaises, les Juvéniles, les Pessimistes, les Amicales et les Amoureuses. Les femmes semblent donc être un baume pour sa santé et cela lui permet d’exprimer ses conceptions philosophiques et religieuses, lui qui fut célibataire et a vécu sous le toit de ses parents jusqu’à leur mort (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 139). « Les Amoureuses » sont dédiées « à la mémoire de sa fiancée ». Il célèbre aussi la Loire et la colonie de Mettray où allaient les jeunes délinquants.
Les sonnets qu’il consacre au « Pavillon d’Anatomie » sont macabres. Mais il est vrai qu’à cette époque, le macabre et l’épouvante était en vogue. Edgar Poe en avait été un précurseur suivi par d’autres comme Baudelaire, Maurice Rollinat, les Hydropathes, les poètes du Chat Noir, etc. Voici un extrait de ce poème de Ledouble :
« Sur des tables de fer un fœtus en
morceaux,
Un corps d’homme ou de femme aux lèvres
violettes,
Aux yeux grouillants de vers ; à l’écart,
des cuvettes
Où nagent dans l’alcool des coupes de
cerveaux.
(…) »
(Émile Aron, Figures tourangelles, p. 140)
Dans tous ses poèmes, la recherche de la rime prime avant tout mais reste un carcan qui diminue la beauté et le sens au profit de la métrique.
L’archéologie :
Le Professeur Ledouble est connu pour ses recherches en paléopathologie qui est l’analyse des maladies en étudiant leur histoire naturelle. Reconnaître les traces des maladies sur les restes humains anciens, est utile à la science et permet de mieux comprendre les maladies du passé. Les paléontologistes contemporains se réfèrent toujours à ses écrits (BIUM, Paris, Les sources de la Paléopathologie, p. 1).
En 1892, suite à des fouilles archéologiques, Anatole Ledouble, intéressé par la préhistoire, écrit « La Grotte aux Fées de Mettray à l’époque de la pierre polie ». Le département d’Indre-et-Loire ayant des lieux préhistoriques réputés comme celui de Mettray, c’est l’occasion pour ce féru d’archéologie d’observer les outils utilisés, les engins de guerre, de chasse, les ustensiles et provisions de ménage et de cuisine (p. 21) pour nous fournir de nombreux détails sur la vie à l’époque néolithique et les conclusions pratiques qu’il en a tirées.
Il nous décrit différents types de silex. Il cite les lieux où ils sont exposés en Indre-et-Loire, par exemple au musée préhistorique du Grand-Pressigny (p. 13). Il nous explique leur fonction comme un racloir ou une scie, leur évolution dans le temps qui fournit des éléments sur l’évolution des espèces. Il nous parle d’exploitation industrielle au Grand-Pressigny où l’on produisait en série les silex, un peu comme dans une usine (p. 16). Nous pouvons admirer des polissoirs à rainures et cuvettes, des scies à coches (p. 17), un moulin néolithique en granite en forme d’auge (p. 18). Anatole Ledouble passe de l’explication concrète à la philosophie : « L’idéal tourmente même les natures les plus incultes ; le sauvage qui se tatoue de rouge et de bleu obéit à un sentiment confus de la beauté. Il cherche, guidé par une notion obscure d’art, à embellir son type. » (p. 20)
Plus loin, il nous décrit des harpons en bois de cerf utilisés pour la chasse et la guerre (p. 28), des hameçons en défense de sanglier (p. 29) et grâce à son art de la description, nous voyons revivre ces peuplades puis Anatole Ledouble nous entraîne sur le chemin de son questionnement. Il nous montre qu’il faut tâtonner, faire des expériences, réfléchir pour avancer, au temps des dolmens comme maintenant (p. 30).
Le chien est pour lui, un être exceptionnel qui a permis à l’homme de devenir ce qu’il est maintenant car : « Le chien est le premier élément du progrès de l’humanité. (…) Sans le chien, pas de troupeau ; sans le troupeau, pas de subsistance assurée, pas de gigot ni de rosbif à volonté, pas de laine, pas de burnous, pas de temps à perdre ; par conséquent pas d’observations astronomiques, pas de science, pas d’industrie ; c’est le chien qui a fait à l’homme ses loisirs. (…) Très précieux au double point de vue de la surveillance et de la chasse, le chien est le premier mammifère qui a porté le collier de la domesticité. » (p. 22). Dans ce texte, la logique de raisonnement et les déductions sont typiques de la manière de pensée de cet éminent docteur ; son amour pour les chiens nous le rend attachant. Pour ma part, je pense qu’il a dû avoir un ou plusieurs chiens fidèles, pour si bien les aimer.
Anatole Ledouble nous fait partager les découvertes de ces hommes qui sont constitués comme nous de grandeur et de petitesse, de fragilité et de réflexions : « (…) le premier d’entre eux qui frappa un caillou contre un autre pour en régulariser la forme donnait le premier coup de ciseau qui a fait la Minerve et tous les autres marbres du Parthénon. », nous dit le Dr Ledouble avec émotion (p. 31).
Lors du VIe congrès préhistorique de France à Tours, du 20 au 28 août 1910, Anatole Ledouble a abordé « La Médecine et la chirurgie dans les temps préhistoriques et protohistoriques » dans une conférence de vingt-huit pages, publiée en 1911. Il pense qu’en comprenant mieux ceux qui ont vécu avant nous, nous pourrons expliquer l’évolution des espèces et les maladies. Par exemple, il décrit l’achondroplasie c’est-à-dire l’absence de développement des cartilages qui conduit au nanisme (p. 8), le pied bot d’un pharaon, la variole chez Ramsès V comme chez Louis XV, le rachitisme, etc. Nous voyons que de nombreuses maladies sont très anciennes de même que des lésions traumatiques habituelles par instruments tranchants, piquants ou contondants prouvant que de tout temps, la guerre a fait des ravages (p. 10). Nous comprenons qu’une certaine médecine existait ; par exemple, Anatole Ledouble nous décrit un cal osseux après réduction d’une fracture compliquée (p. 11). Très observateur, il s’étonne des particularités sur les dents : « Les dents des hommes du diluvium des vallées, des tumuli et des palafittes se cariaient moins facilement, mais s’usaient plus vite que les nôtres » (p. 12). Il l’explique par l’influence ethnique et l’alimentation (p. 13). Il découvre que l’art de la prothèse dentaire existait dès la XIX° dynastie en Égypte (p. 13). Il était passionné par ses découvertes. Il nous parle « des deux opérations les plus osées entreprises par les archiâtres des âges fabuleux (…) la trépanation et la mutilation sincipitale en forme de T, entier ou incomplet. » (p. 26). Il les compare à la trépanation faite à son époque. Il nous dit que « Les chirurgiens néolithiques trépanaient non seulement les vivants, mais encore les défunts. » (p. 31). Anatole Ledouble pense que les rondelles découpées dans le crâne des trépanés pouvaient servir d’amulettes , pour écarter les maléfices, préserver des malheurs et constituer un viatique après la mort (p. 31).
La criminalité, le racisme :
Anatole Ledouble a publié un livre sur « Les Criminels – Les stigmates anatomiques de la criminalité et les théories criminalistes actuelles ». Cet ouvrage reprend sa leçon inaugurale, lors de son entrée à l’école de Médecine de Tours, le 12 novembre 1906. Il refuse qu’une personne soit stigmatisée de par ses origines et il veut que les lois aident à éviter le crime et à protéger les enfants de préjugés racistes. La justice et la morale ne sont pas de vains mots pour lui :
« Ne laissons pas affaiblir ni s’éteindre dans chacun d’eux [les enfants] les sentiments de devoir, de responsabilité, de justice, innés et immanents dans tous les cœurs. » (p. 27) (…) On ne naît pas criminel (…) on le devient. (p. 30) Vous connaissez la loi Roussel qui, en France, fournit de si brillants résultats en ce qui touche la protection de l’enfance. » (p. 30). L’humaniste qu’il est, se récrie du racisme et de l’intolérance, des idées toutes faites, du manque de bon sens.
Les gens de Lettres dont Rabelais :
En 1899, il publie son livre le plus important « Rabelais, anatomiste et physiologiste » dont la grande valeur a été reconnue par les gens de Lettres. Ce livre fut couronné par la ville de Tours (1ère page de couverture du livre).
Dans l’avertissement à ce livre, nous pouvons lire : « En 1892, à l’occasion de l’Exposition nationale de Tours, la municipalité tourangelle (…) a institué un concours ayant pour but de mettre en lumière, certains points concernant les lettres, les sciences, l’histoire, l’ethnographie, la géologie, la géographie, (…) J’ai pris part à ce concours, et j’ai eu la bonne fortune de voir mon manuscrit couronné (Ier prix : 1.000 francs) par le jury (…). C’est ce manuscrit, déposé depuis six ans à la Bibliothèque municipale de la ville de Tours, dont il est la propriété, que je soumets aujourd’hui, après avoir obtenu l’autorisation de le remanier et de le faire imprimer, à l’appréciation du grand public. » (p. XV) Cet avertissement nous montre l’importance de ces découvertes dont nous allons parler maintenant.
Tout d’abord, Anatole Ledouble fait les louanges de Rabelais qu’il admire : « On a peint Rabelais moraliste, Rabelais légiste, Rabelais pédagogue, Rabelais botaniste, Rabelais médecin, Rabelais chirurgien, etc. On n’a pas parlé, ou on n’a parlé qu’incidemment, de Rabelais anatomiste et physiologiste. » (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 3). Grâce à ses connaissances en physiologie et anatomie, Anatole Ledouble s’est attelé à ce travail et a expliqué clairement des passages de Rabelais qu’avant lui, on jugeait obscurs voire incompréhensibles. Son intérêt depuis son internat pour la disposition des organes, l’anatomie comparée, la physiologie, l’histologie, l’embryologie, la tératologie expérimentale, l’a aidé. Si ce n’était pas Rabelais qui avait écrit ce chapitre du Quart Livre, Ledouble aurait pu penser que c’était quelque farfelu hurluberlu qui avait laissé vagabonder son imagination pour le simple plaisir d’assembler des mots mais c’était Rabelais, érudit, médecin, écrivain donc Ledouble chercha une explication. Il ne faut pas oublier de mentionner que dans le Quart Livre de Rabelais, Xénomanes anatomisa (fit l’anatomie) de Quaresprenant (ce qui signifie mercredi des Cendres ; Rabelais en a fait un être vivant personnifiant le Carême tout entier) (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 39). Ledouble fit un travail énorme de recherches où il utilise son érudition philosophique, archéologique, historique et médicale, pour expliquer les fameux chapitres 30 « Comment Xénomane fait l’anatomie et la description de Carêmeprenant » et 31 « Dissection des parties externes de Carêmeprenant » (Quaresprenant) dont voici un extrait :
« Carêmeprenant, dit Xénomane, quant
aux parties internes a (du moins l’avait-il de mon temps) le cerveau
semblable en taille, couleur, substance et vigueur à la couille gauche d’un
ciron mâle.
Ses ventricules, comme un tire-fond.
L’éminence vermiforme, comme un jeu de mail.
Les méninges, comme le capuchon d’un moine.
L’entonnoir, comme un oiseau de maçon.
La voûte, comme un bonnet de femme.
La glande pinéale, comme une cornemuse.
Le rets admirable, comme un chanfrein.
Les tubercules mamillaires, comme un godillot.
La caisse du tympan, comme un moulinet.
Le rocher, comme un plumeau.
Le bulbe rachidien, comme un falot.
Les nerfs, comme un robinet.
La luette, comme une sarbacane.
Le palais, comme une moufle.
Les glandes salivaires, comme une navette.
Les amygdales, comme une loupe.
L’ouverture du gosier, comme une hotte de
vendange.
Le gosier, comme un panier à vendange.
L’estomac comme un baudrier.
(…)
La raison, comme un tambourin. »
(François Rabelais, Le Quart Livre, Œuvres complètes, pp. 567 à 569)
Rabelais a dû avoir beaucoup de plaisir à comparer un organe à un instrument de l’époque pour déclencher le rire. C’était une manière ludique de présenter l’anatomie. Il faut insister sur le fait qu’à cette époque, la dissection était à peine organisée à l’école de médecine de Paris mais existait déjà à Montpellier depuis un certain temps. Les cahiers d’anatomie de Léonard de Vinci furent une révélation. Anatole Ledouble a reconstitué les images anatomiques décrites par Rabelais. Dans son livre, il faut aussi admirer les cent soixante-quatorze illustrations confiées au talent d’un artiste tourangeau, Louis Danty-Collas. Anatole Ledouble nous parle à un moment, de la grand’mère Danty, celle du dessinateur, lorsqu’il explique la comparaison de Rabelais « Les côtes comme un rouet », car il avait observé un rouet ancien appartenant à cette femme et il avait compris l’orientation à donner aux côtes pour justifier cette ressemblance (cf. planche dessinée) (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 50).
Si l’on classe ses explications par chapitre, on remarque que Rabelais est un précurseur, initiateur de la médecine expérimentale. Ledouble nous le montre tour à tour érudit en anatomie descriptive (p. 29 à 34, p. 39 à 59, p. 60 à 69, etc.), en anatomie chirurgicale (pp. 312, 313, 314, 320, 326), lorsqu’il décrit des instruments inventés par Rabelais, en anatomie comparée (pp. 345, 355, 389, 393, 401), en anatomie des formes (pp. 405 à 410, 415, 421). Il tire ensuite les conclusions de son étude (p. 427 à 431). Anatole Ledouble a déchiffré ces écrits de Rabelais un peu comme une énigme et a placé à côté de chaque comparaison, le dessin anatomique correspondant.
C’est une œuvre originale et entièrement nouvelle. Il ne fallait pas faire d’erreur d’interprétation au départ, par exemple le mot « spondyle » « dérivé du grec, signifie vertèbre et non insecte coléoptère » (préface de Mathias Duval, p. XI). De même, Ledouble « a retrouvé le soufflet, auquel Rabelais compare le muscle, sur le chapiteau d’un des piliers de l’église de Vézelay » (préface de Mathias Duval, p. XII).
Anatole Ledouble avait l’esprit très observateur : par exemple il regarde une crémaillère dans une salle de l’Art rétrospectif lors de l’Exposition universelle de Tours en 1893 et comprend alors l’association que Rabelais en fait aux uretères (cf. planche dessinée, p. 186) (préface de Mathias Duval, p. XII), de même lors de l’Exposition nationale de Tours en 1892, il voit un mortier du XVI° siècle et comprend alors la ressemblance avec les omoplates (cf. planche dessinée, p. 52) (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 52). De même il apprend à connaître les instruments du moyen-âge, pour comprendre leur ressemblance avec la pièce anatomique comme pour « Les genoux comme un escabeau » (p. 55), « Les fociles (les os de l’avant-bras et de la jambe) comme faucilles » (p. 56), « L’aspre artère (la trachée) comme un gouet » (p. 178), « Le poulmon comme une aumusse (pèlerine à capuche) » (p. 180), « La vessie comme un arc à jallet (arbalète) » (p. 187).
La vèze est le sac de la cornemuse poitevine. Rabelais la compare à la glande pinéale, on la trouve sur un chapiteau de piliers d’une des portes de la maison Adam à Angers (XVI°) et sur le tableau « Concert de la famille » de Jordaens (préface de Mathias Duval, p. XII).
La langue est comparée à la harpe comme celle figurant sur le tableau « Apollon jouant de la harpe » que possède le musée de Tours (cf. planche dessinée, p. 254).
Lorsque Rabelais compare « les spondyles », c’est-à-dire la colonne vertébrale à une cornemuse, Anatole Ledouble pense alors à la chalamie, sorte de flûte champêtre, telle « celle qui a figuré, en 1892, à l’Exposition nationale de Tours (section de l’Art rétrospectif), dans la collection d’anciens instruments de musique de M. Tolbecque, de Niort » (cf. planche dessinée, p. 41) (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 42)
Anatole Ledouble était un fin linguiste, ou mieux un philologue c’est-à-dire celui qui donne du sens aux expressions, et il s’intéressait à retrouver l’origine des mots, pour mieux comprendre leur vrai sens. Il savait que certains termes dérivés des langues étrangères pouvaient changer de sens avec le temps de même les mots venant du français ancien avaient un sens qui avait évolué avec le temps. Il utilisa les textes grecs, latins ou arabes pour en tirer l’expression révélatrice. Par exemple dans l’expression de Rabelais « L’alkatim, comme un billart », Anatole Ledouble précise que « alkatim » est un « mot dérivé de l’arabe et qui sert à désigner le sacrum (Ainsi nommé parce que les Anciens avaient, dit-on, coutume d’offrir aux dieux, dans les sacrifices, cette partie de la victime.) » (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 43). Il ressemble au « billart », objet présenté par Anatole Ledouble comme un gros bâton muni d’une crosse dont on se servait autrefois comme d’un maillet pour pousser les billes. Et Anatole Ledouble en bon érudit, en profite pour citer François Villon qui a utilisé ce mot : « Et un billart de quoi on crosse » (cf. planche dessinée, p. 44) (A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 45).
Bien sûr Anatole Ledouble a parfois dans l’euphorie de ses découvertes, exagéré ses trouvailles, par exemple lorsqu’il nous dit que Rabelais assimile la « géniture » de Quaresprenant à « un cent de clous de latte ». Ledouble explique que Rabelais aurait trouvé les spermatozoïdes cent-cinquante ans avant le microscope de Leeuwenhoeck (1678), grâce aux verres grossissants des Arabes, lunettiers réputés, mais rien n’est sûr. Le clou à latte, ou semence du tapissier a l’allure grossière d’un spermatozoïde, avec sa tête ovoïde et sa queue ondulante ou flagelle. Mais dans les textes de l’Antiquité, Platon, Aristote ou Démocrite parlaient aussi d’« animacules » et Rabelais a pu se servir de cette image par ce biais (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 142). Parler de la semence de l’homme à l’époque de Rabelais, était alors assimilé à un acte très grave d’hérésie et Rabelais en était pleinement conscient et ne tenait pas spécialement à finir sur un bûcher.
Anatole Ledouble attribue aussi à tort à Rabelais, la première description du goitre, de la stomatite mercurielle des vérolés gavés de mercure, la découverte de l’acare de la gale (Émile Aron, Figures tourangelles, p. 142). Mais qui ne s’est jamais trompé ?
Donc cette liste de Rabelais qui pourrait paraître interminable, a été minutieusement préparée avec justesse. Elle nous dévoile un Rabelais nouveau, anatomiste minutieux, savant, à la culture universelle, à l’esprit fécond, à l’imagination débordante. Le professeur Ledouble glorifie la Touraine en la personne de Rabelais. Il nous permet d’avoir accès au sens de ces termes ; il a fait un énorme travail d’érudit et de chercheur. Il nous fournit par la même occasion, une mine de renseignements sur les objets connus des gens du XVI° siècle. Ce livre du Professeur Ledouble « Rabelais, Anatomiste et Physiologiste », reste une référence essentielle pour apprécier l’histoire de la médecine et des maladies dans son Œuvre et en son temps. Mathias Duval qui a réalisé la préface de son livre nous dit de ce professeur :
« En élevant ce monument à Rabelais, c’est au génie même de la France qu’il rend hommage dans la personne de cet inventeur précoce de toutes les idées et toutes les curiosités modernes, cet esprit universel et fécond qui a poussé ses devinations au-delà de son siècle, jusqu’à rejoindre le nôtre. » (Mathias Duval, Préface de Rabelais anatomiste et physiologiste, p. XIV)
Anatole Ledouble, chercheur insatiable, s’est posé la question « Pourquoi ? » toute sa vie. Dans la revue « La Chronique médicale », il s’est interrogé sur « Pourquoi Rabelais a-t-il fait accoucher Gargamelle par l’oreille gauche ? »
Le thème d’une naissance par l’oreille, pourrait paraître farfelu s’il ne s’agissait pas de Rabelais. Non, non, tout est très sérieux ici et à l’image du savant Léonard de Vinci qui avait fait un très beau dessin anatomique des organes génitaux reproduit dans l’article (p. 427), Anatole Ledouble justifie cet accouchement d’une manière mathématique, en citant ses arguments avec force numérotation et logique comme :
« 1° Parce qu’Hippocrate, et après lui Gui de Chauliac et Lanfranc, ont parlé d’une ou plusieurs veines qui partaient des organes génitaux et allaient aboutir aux oreilles ;
2° Parce que, nous apprend Sauval (…) : a un serviteur laron… quand le vol de la première fois était considérable, on lui coupait l’
Anatole Ledouble nous explique ensuite la vision anatomique du temps de Rabelais qui rend plausible cet accouchement fameux et puis, à Dieu, tout est possible, d’autant plus que de nombreux artistes peignaient des fœtus au niveau de l’oreille gauche des femmes comme le Dr Ledouble nous en donne ici de nombreux exemples. Après toutes ces explications, Anatole Ledouble ne peut s’empêcher de nous assurer que Rabelais savait bien la vérité mais voulait railler certains théologiens qui la refusaient. Anatole Ledouble nous dit :
« Et estimant sans doute, et en vertu de l’axiome physiologique, que c’est toujours par la voie par laquelle s’est opérée la fécondation que sort le produit de la conception, il a devancé, de plusieurs siècles, A. de Musset écrivant : Où le père est passé, passera bien l’enfant. »
Tous ces détails nous montrent bien la soif de connaissance du Docteur Ledouble, son érudition, son sens de l’humour et son amour de la littérature, du géant Rabelais au poète Alfred de Musset.
Après « Rabelais, anatomiste et physiologiste », Ledouble rédigea, un « Bossuet, anatomiste et physiologiste » qui ne parut qu’après sa mort, en 1913. La Bruyère désignait Bossuet comme « le Démosthène de la chaire catholique » ; il fut choisi en 1670 par Louis XIV pour être précepteur du Dauphin. Il était évêque orthodoxe attaché à la doctrine de Saint Thomas (A.-F. Le Double, Bossuet anatomiste et physiologiste, p. XXI) et cartésien, ce qui était difficile à concilier. Bossuet a en particulier écrit un traité de « la connaissance de Dieu et de soi-même ». Par ce livre, Anatole Ledouble le considère comme l’« un des fondateurs de la psycho-physiologie moderne » (A.-F. Le Double, Bossuet anatomiste et physiologiste, p. XXII). Anatole Ledouble nous fait partager la vision de Bossuet au sujet de l’intelligence : « (…) dans l’espèce humaine, un intellectuel de petite taille a le cerveau plus développé qu’un idiot de haute stature. » (A.-F. Le Double, Bossuet anatomiste et physiologiste, p. 88) Il admire les descriptions du corps humain que Bossuet a faites mais elles sont assez banales. Le dernier chapitre propose une étude sur « l’âme des bêtes ». Ledouble y ajoute du piment en s’opposant à une opinion fréquente à l’époque, selon laquelle « les animaux doivent être considérés comme des machines » (E. Aron, Figures tourangelles, p. 144). Ledouble insiste sur l’instinct et l’intelligence des bêtes : « L’affection que le chien a pour l’homme à la vie duquel il est intimement associé, peut être portée à un si haut degré qu’elle triomphe du plus impérieux des instincts, de l’instinct de conservation. N’a-t-on pas vu des chiens se laisser mourir de faim sur le tombeau de leur maître et après avoir obstinément refusé pendant plusieurs jours toute nourriture ? » (A.-F. Le Double, Bossuet anatomiste et physiologiste, p. 249). Ce livre n’eut pas à juste titre, le succès de celui sur Rabelais mais il permet de mieux comprendre l’œuvre de Bossuet et les conceptions scientifiques du XVII° siècle.
Conclusion :
Le Professeur Ledouble a été reconnu de son vivant. Ses distinctions et ses prix en témoignent. Il s’est intéressé en érudit à la littérature, l’histoire, la médecine, l’archéologie, l’anthropologie, la linguistique, l’anatomie et il est étonnant de trouver toutes ces connaissances chez un seul homme. Son livre « Rabelais anatomiste et physiologiste » nous a apporté des connaissances considérables scientifiques et philologiques sur le Quart Livre de Maître François Rabelais. Chercheur insatiable, écrivain de grande qualité, Anatole Ledouble nous étonne par la diversité de son talent littéraire et médical et de sa perspicacité à comprendre l’homme, à rechercher son passé, à prévoir son avenir. Oui, Anatole Ledouble reste un humaniste au service de l’homme et de la science.
Janvier-Août 2009
Catherine RÉAULT-CROSNIER
Bibliographie :
Écrits du Dr Ledouble utilisés :
- Docteur A.-F. Le Double, Rabelais anatomiste et physiologiste, Ernest Leroux éditeur, Paris, 1899, 440 pages
- Docteur A.-F. Le Double, La Grotte aux Fées de Mettray à l’époque de la pierre polie, Imprimerie Arrault, Tours, 1892, 31 pages
- Dr A.-F. Le Double, La Médecine & la Chirurgie dans les temps préhistoriques, Imprimerie Ernest Mazereau, Tours, 1889, 24 pages
- Docteur A.-F. Ledouble, Études d’anatomie humaine, d’anatomie comparée et d’anthropologie – Canitie et pilosisme + deux autres études, Imprimerie tourangelle, Tours, 1902, 30 pages
- Docteur A.-F. Ledouble, Les Criminels – Les stigmates anatomiques de la criminalité et les théories criminaliste actuelles, Imprimerie Paul Salmon, Tours, 1907, 31 pages
- Dr A.-F. Ledouble, Exposé des titres et des travaux en tant que candidat au titre de membre correspondant de l’Académie des Sciences, section d’Anatomie et Zoologie, Imprimerie tourangelle, Tours, 1908, 20 pages
- Dr A.-F. Le Double, La Médecine et la chirurgie dans les temps préhistoriques et protohistoriques, VI° congrès préhistorique de France, à Tours du 20 au 28 août 1910, Imprimerie tourangelle, Tours, 1911, 38 pages
- Pr A. Le Double, Pourquoi Rabelais a-t-il fait accoucher Gargamelle par l’oreille gauche ?, La Chronique Médicale, revue bi-mensuelle de Médecine, n° 14, 15 juillet 1913, pages 417 à 428
- Pr A.-F. Le Double, Bossuet anatomiste et physiologiste, Vigot Frères éditeurs, Paris, 1913, 305 pages
Concernant le Docteur Ledouble :
- Émile Aron, Figures tourangelles, CLD, Chambray-lès-Tours, 1986, 205 pages
- Émile Aron, La Médecine en Touraine, CLD, Chambray-lès-Tours, 1992, 283 pages
- Dr Louis Dubreuil-Chambardel, Figures Médicales tourangelles, Librairie Péricat, Tours, 1907, 151 pages
- Michel Laurencin, Dictionnaire biographique de Touraine, CLD, Chambray-lès-Tours, 1990, 607 pages
Concernant Rabelais :
- François Rabelais, Œuvres complètes, France Loisirs, Paris, 1987, 814 pages
Concernant le vocabulaire utilisé :
- É. Littré, Dictionnaire de la langue française, tome 2, Librairie Hachette et Cie, Paris, 1874, 2080 pages
Sur Internet :
- Pierre L. Thillaud, Les sources de la Paléopathologie, Bibliothèque interuniversitaire de Médecine, Paris (BIUM), http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/medica/paleo.htm (consulté le 2 janvier 2009)
Intervention du Pr Claude Viel
Nous donnons la parole au professeur Claude Viel, Président de l’association des Amis de Rabelais et de La Devinière, vice-président de l’Académie de Touraine :
Je remercie le Dr Catherine Réault-Crosnier, pour cette conférence de qualité. Vous nous avez fait connaître un des Professeurs de l’école de médecine de Tours -car à cette époque, les facultés de médecine et de pharmacie n’existaient pas encore séparément-. En ce qui concerne Rabelais, il connaissait bien l’anatomie. Rares étaient les dissections autorisées. Rabelais connaissait l’anatomie car il a pratiqué ou fait pratiquer deux dissections qu’il a reprises en termes imagés dans le Quart Livre. Rabelais était un grand médecin de l’époque et Etienne Dolet, humaniste et imprimeur implanté à Lyon, disait que Rabelais était l’un des six premiers médecins de l’Europe. Je crois qu’il exagérait un peu mais c’était un grand médecin. A-t-il apporté beaucoup de choses à la médecine ? Je ne pense pas. Il connaissait de nombreux auteurs anciens dont Théophraste, Hippocrate, Galien et d’autres encore mais il n’a pas fait de grandes découvertes. Établi médecin à Lyon, à l’Hôtel-Dieu, il s’est préoccupé de la vérole, c’est-à-dire de la syphilis. Les Italiens l’ont appelée le mal français et les Français, le mal napolitain. Les civilisations américaines connaissaient aussi la syphilis.
En ce qui concerne l’âme des bêtes, Malebranche, en philosophe et théologien, a regardé cela d’assez près. Je pense personnellement comme le Dr Ledouble que les bêtes ont une âme mais je crois que personne n’a effectué de travaux plus précis sur ce sujet qui a retenu l’attention du Dr Ledouble.
Par ailleurs, je pense que la Société Archéologique a dans ses réserves, un portrait du Dr Ledouble. Je vais m’en informer et je vous tiendrai au courant.
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