11èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 21 août 2009, de 17 h 30 à 19 h

 

Écrivains de la résistance en Touraine

par le Dr Jean Chauvin

Portrait du Dr Jean Chauvin par Catherine Réault-Crosnier.

 

Présentation du Dr Jean Chauvin par Catherine Réault-Crosnier

 

Né le 2 décembre 1924, à Tours, le Docteur Jean Chauvin est un gardien de la mémoire de l’histoire. Dès l’âge de quatorze ans, il a tenu un journal chaque jour c’est-à-dire dès le début et jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale ; il a pris des photos de ce qu’il voyait, en se déplaçant à pied ou à vélo, avec un petit appareil Kodak à soufflet. Les photos étaient alors interdites en extérieur (il fallait une autorisation presque impossible à obtenir). Il développait donc lui-même ses photos en noir et blanc puis il les a cachées sous le plancher, pendant toute la guerre.

Il a pris ce risque presque sans y penser, parce qu’il voulait garder trace de l’occupation de son pays et de la vie d’alors. Grâce à lui, nous avons une mine de renseignements pendant l’occupation de la Touraine puis lorsque Tours a été la capitale de la France pendant quelques jours. De nombreuses personnalités y sont passées alors, dont Pétain, Churchill, de Gaulle…

Il a filmé les bombardements catastrophiques, les ponts détruits, les alertes à la bombe, la vie de tous les jours, les files d’attente devant les commerces, les engins militaires pour servir aux renseignements.

Le Docteur Chauvin a fait aussi passer du courrier et est entré dans la Résistance active. Il était acteur dans les rangs de Libé-Nord.

Le public lors de la Rencontre littéraire du 21 août 2009, consacrée au Docteur Jean Chauvin.

On retrouve de très nombreuses photos de cette époque, dans son livre La Touraine meurtrie et libérée éditée en 1947, réédité en 1996 avec plus de photos et volontairement peu de textes car les images parlent d’elles-mêmes. Ce livre est une mine de renseignements sur les bombardements tels des tremblements de terre, l’exode, les ponts éventrés (p. 25), des forêts de cheminées parmi des gravats (p. 31), les clochers des églises comme seuls points de repère (p. 27), des images de désolation à côté de l’occupant droit comme un « i » (p. 39 et p. 59), les obus de Parçay-Meslay (p. 52), les files d’attente devant les magasins, le fromage maigre (p. 63), les statues emmenées à la fonte comme celle de Balzac (p. 65), les bombardements des alliés sur Saint-Pierre-des-Corps (p. 67), l’usine d’aviation près de Tours (p. 77), l’après-débarquement (p. 94), le sabotage des trains (p. 95), le départ des allemands (p. 115), l’arrivée des américains (pp. 116 et 117), les massacres de villages dont Ecueillé (p. 125), des américains à Loches (p. 130), Maillé, village martyr (p. 132), Chinon (p. 137), Saint-Symphorien (p. 139), la libération, la foule (pp. 162 et 163), la vie qui repart, la reconstruction du pont Wilson (p. 171), les défilés (p. 182).

Ces images parlent d’elles-mêmes, sans nul besoin de commentaires sophistiquées, tant il y a d’émotions dans ces instants arrêtés par le photographe attentif à montrer la réalité.

Françoise est occupée, moi aussi est paru en 2008. On pénètre dans la vie quotidienne par l’intermédiaire de ce journal féminin, « Françoise », et au fil des pages, on constate que « Françoise collabore » surtout vers 1941 (p. 149). Des photos des tickets de rationnement (p. 93), des publicités comme « C’est dans les pâturages que les jeunes lycéens trouveront les meilleures vitamines » (p. 88) ou « immédiatement un litre de vin gratuit si vous donnez 200 g de cuivre » (p. 90), « cent nouvelles recettes avec des miettes de pain » (p. 92), peuvent prêter à sourire mais ils sont des témoins graves de cette atteinte à la liberté de penser, de vivre et de se nourrir. Par exemple nous avons des recettes de cuisine où tout est remplacé par rien ou presque, les gâteaux sont sans sucre, sans œufs, les plats de viande avec des petits restes de viande mais comme il n’y avait jamais de restes, cela veut dire sans viande. La famille est glorifiée par le maréchal Pétain et les publicités proposent des randonnées en automobile alors que l’essence est introuvable. On exalte la femme qui fait des enfants (p. 38), du sport (p. 44) et qui travaille (p. 33), mais quand son mari est parti en guerre et qu’on ne mange presque jamais à sa faim, comment mettre en pratique ses belles recettes allemandes ? Peu à peu, la propagande est manifeste pour modeler les esprits comme lorsque le journaliste nous vante le retour à la terre (p. 81), les femmes qui se dévouent à la bonne cause en allant travailler en Allemagne (p. 39) comme dans un article intitulé « Dans un pays voisin, plus de 400 000 jeunes filles entrent dans la vie professionnelle » (p. 152). Ces images étaient encore plus insupportables car le sourire radieux (p. 150), « Visage du bonheur » des gens pris en photos, était cruel envers la population tant éprouvée. On peut penser que Clara Knecht, interprète tortionnaire de la Gestapo à Tours lisait Françoise. (Courrier Français de Touraine, article NR du 27 février 2009).

Bien sûr le Docteur Chauvin nous parle aussi de la santé  (pp. 57 à 66) par exemple de l’asile Gatien de Clocheville (p. 60), du travail des médecins et des chirurgiens (p. 63). On découvre avec surprise les talents de dessinateur du Docteur Chauvin qui a fait des portraits de médecins (pp. 59 et 63).

Le Docteur Jean Chauvin a fait là, un travail de collectionneur et a en même temps, montré la transformation d’un journal féminin qui devient un terrain de propagande des idées nazies.

Après la guerre, le Docteur Jean Chauvin a rassemblé de nombreux autres témoignages audiovisuels. Il a réalisé trois films sur la guerre, « Des lendemains qui n’ont pas toujours chanté » (de 1947), « C’était un enfer » (sur le thème des déportés et de la résistance), « Les maquis d’Indre-et-Loire » et deux films sur la préhistoire. Il a montré un film muet, « C’était hier » de 2 h 30, couvrant la totalité de la période de la guerre. Ce film qui comporte de nombreux documents inédits, présente « la mobilisation, la défense passive, l’avance et l’occupation allemande, les bombardements, la résistance et les sabotages, la répression allemande puis l’arrivée des FFI et des alliés et enfin la libération. (Fonds Chauvin, Conseil général d’Indre-et-Loire, p. 2)

En 1990, le Docteur Chauvin a donné ce film au Conseil général d’Indre-et-Loire qui l’a fait restaurer par la société Pathé-cinéma. Il a aussi donné « Guerre à Tours ! » tourné par M. Faure (film de quarante minutes avec fond sonore). En 1991, à partir de ces deux films, le documentaliste Daniel Costelle a réalisé « C’était hier, la Touraine dans la guerre. ». À l’occasion du 60ème anniversaire de la libération, le Conseil général d’Indre-et-Loire s’est associé à la réédition de ce DVD ainsi que « Des lendemains qui n’ont pas toujours chanté » (de 1947). (Fonds Chauvin, Conseil général d’Indre-et-Loire, p. 2), (Conseil général d’Indre-et-Loire, Découverte de la Touraine, La guerre et l’après guerre).

Grâce au Docteur Chauvin, ces documents ont été préservés à partir des copies restaurées, du documentaire et de ses livres. Ils pourront donc continuer au fil du temps, à être des témoins de cette époque cruelle, qu’il ne faut ni oublier ni falsifier. Parallèlement le Docteur Jean Chauvin reste toujours actif. En plus de son travail méthodique de préservation de documents, il est pédagogue et se rend dans les écoles pour transmettre ses connaissances aux jeunes (par exemple auprès d’une classe de CM2 fin mars 2009). Il était aussi l’invité du Domaine de Beauvois (37230- Luynes), pour un dimanche après-midi, le 15 février 2009.

Le Docteur Chauvin a eu une vie d’une exceptionnelle qualité. Dès sa jeunesse, il a été un photographe de précision, un cinéaste, un écrivain, un historien. Durant sa vie de médecin, il a été deux ans externe puis interne en chirurgie, a débuté une carrière en anesthésie à la clinique Saint-Grégoire avant de s’orienter vers la médecine généraliste à Tours, dans le quartier Beaujardin. Depuis 1948, il est membre de la société archéologique du Grand Pressigny dont il a été président pendant quinze ans. Il a d’ailleurs réalisé des conférences sur la préhistoire dans le monde entier dont à Bratislava et Mexico. Sur ce thème, il a réalisé un film de treize minutes, « Du côté du Grand Pressigny » et un de quinze minutes, « Côté préhistoire » pour les scolaires.

Il s’est marié avec Gisèle, sa femme en 1948, et a deux enfants (Patricia et François), trois petits-enfants, deux arrière-petits-enfants. Il a été nommé officier des Palmes académiques.

Il a obtenu un certificat en rééducation fonctionnelle et un en biologie physique et électrothérapie. Il a ensuite exercé dans un centre de rééducation à Tours, rue de Bordeaux puis rue Victor Hugo pendant trente-deux ans, (centre spécialisé dans le traitement des problèmes traumatologiques et rhumatologiques). Il a toujours continué en parallèle à s’intéresser à l’histoire et à faire fructifier ses connaissances. Il est actuellement le Président de l’Association d’Études sur la Résistance en Indre-et-Loire (ERIL) et délégué pour la Touraine du mouvement Libération-Nord.

Le 31 août 2004, le Docteur Chauvin a reçu des mains du Ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur, pour son « souci constant d’agir », pour sa vocation pédagogique profondément ancrée, pour sa « flamme de la connaissance » et son souci de « mettre toujours en valeur et en perspective, l’histoire de notre région. »

Aujourd’hui le Dr Chauvin a carte blanche pour nous parler des écrivains de la résistance en Touraine ; il alliera littérature et histoire, mémoire et réflexion à travers la vie et l’œuvre d’écrivains qui ont mis leur plume au service de la liberté.

En introduction, il abordera les grands noms de l’œuvre collaborationniste (Drieu la Rochelle, Abel Bonnard, Lucien Rebattet, Louis-Ferdinand Céline, Alphonse de Chateaubriand, René Benjamin, Brasillach), ceux qui restaient hors censure (comme celles de Valéry, Giraudoux, Mauriac, Duhamel), ceux qui avaient choisi l’exil (Jean-Richard Bloch, Jules Romains, Alexis Léger dit Saint-John Perse, Bernanos), ceux à la position ambiguë (comme Sartre) et les résistants (dont Malraux, « capitaine Berger », René Char, « capitaine Alexandre », André Chamson, Saint-Exupéry).

Ensuite, il centrera sa prise de paroles sur la littérature clandestine en Touraine (avec Claude Aveline, Aragon, Daniel Decourdemanche dit Jacques Decour, Paul Éluard, Loys Masson, Jean Rousselot, Vercors et enfin le plus important Louis Parrot, le plus grand historien de « L’Intelligence en guerre » (titre de l’une de ses œuvres).

Oui, le Docteur Jean Chauvin a vraiment été un gardien de la mémoire de notre Histoire et nous le remercions infiniment de son action au service de l’homme qu’il continue de mener encore actuellement et nous lui donnons la parole.

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

Jean Chauvin, La Touraine meurtrie et libérée, 1939 – 1945, Office d’édition du livre d’histoire, 1996, 188 pages

Jean Chauvin, Françoise est occupée… moi aussi !, éditions La Simarre, 2008, 173 pages

Courrier Français de Touraine, « Françoise » 1940… Jean Chauvin 2009 à Beauvois, 27 février 2009

Conseil général d’Indre-et-Loire, découverte de la Touraine, Actualité, La guerre et l’après guerre