7èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 19 août 2005, de 17 h 30 à 19 h

 

Anatole de MONTAIGLON

(1824 – 1895), un rabelaisant distingué

par le Pr Claude VIEL

Portrait de Anatole de MONTAIGLON par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

Lire la présentation de cette « rencontre ».

 

 

En dehors de la Notice de Jules Guiffrey (1) et de très courtes mentions dans quelques dictionnaires (2,3), aucune étude récente n’a été consacrée à Anatole de Montaiglon, auteur de travaux très nombreux et fort estimés, quasiment oublié de nos jours.

7èmes Rencontres littéraires dans le jardin des Prébendes à Tours, le 19 août 2005 sur Anatole de Montaiglon.

Éléments de biographie

Condisciple à l’École des chartes de Charles Loizeau de Grandmaison (Poitiers 1824, Tours 1903), qui deviendra directeur des Archives départementales d’Indre et Loire, Vice-président puis Président de la Société Archéologique de Touraine, Anatole de Courde de Montaiglon était né à Paris le 28 novembre 1824.

Après ses humanités, il avait intégré en août 1847 l’École des chartes, dont il était sorti diplômé en avril 1850. Fondée en 1821, cette école formant des archivistes, des bibliothécaires et des spécialistes des documents anciens, avait été transférée en 1846 au Palais des Archives, à l’Hôtel de Soubise, dans le Marais, à Paris. Elle est actuellement implantée à la Sorbonne.

Il fut tout d’abord employé au Musée du Louvre avant d’être attaché à la Bibliothèque de l’Arsenal, puis devenir professeur de bibliographie à l’École des chartes. Auteur de nombreux travaux portant surtout sur les origines de l’art français et sur celles de notre littérature ancienne, Anatole de Montaiglon était décoré de la Légion d’Honneur. Il avait soixante et onze ans lors de son décès, à Tours, le 1er septembre 1895.

 

Recherches et publications

Les travaux d’érudition d’Anatole de Montaiglon sont particulièrement importants et diversifiés, comme l’on peut s’en rendre compte à la lecture du volume répertoriant ses publications, à lui offert par ses élèves et autres érudits en novembre 1891 (4), ainsi que par la recherche bibliographique sur Internet de ses publications, peu nombreuses il est vrai, effectuées postérieurement. On dénombre pas moins de six cent quatre vingt six titres, que l’on peut regrouper sous cinq rubriques générales : Beaux-Arts, Archéologie et Histoire locales, Histoire Littéraire, Curiosités, Poésies, celles-ci étant, comme nous le verrons avec le choix des Sonnets tirés de Rabelais (5), une production d’inspiration très personnelle et remarquable.

Dans cette courte étude, nous ne citerons que les travaux qui nous ont paru être les plus représentatifs, et particulièrement ceux qui ont trait plus spécialement à Paris et à la Touraine. Comme pour toute sélection, il y a forcément une part d’arbitraire dans le choix que nous avons fait des publications qui nous ont paru les plus caractéristiques par leur originalité et les données présentées.

Les Beaux-Arts dans leur ensemble constituent assurément la rubrique la plus importante avec trois cent trente cinq titres, que l’on peut regrouper en plusieurs sous-rubriques : Généralités, Salons et Expositions, Musées, Collections, Ventes de tableaux et Œuvres d’art en particulier, Documents et Notices sur les artistes. La plupart de ces travaux sont des articles qui ont été publiés dans des revues spécialisées ciblant un public averti de littéraires et d’amateurs, les autres étant des ouvrages plus importants parmi lesquels il convient de signaler les Mémoires pour servir à l’histoire de l’Académie royale de Peinture, les Mémoires inédits sur la vie et les œuvres des membres de l’Académie royale de peinture, les Procès-verbaux de l’Académie royale de Peinture, la Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome de 1666 à 1804, le Livret du Salon de 1673 complété par la bibliographie des Salons jusqu’à nos jours [1852], la Correspondance administrative de Vivant Denon (directeur général des musées nommé par Napoléon, organisa le Musée du Louvre) et l’Abecedario de Pierre-Jean Mariette (1694 – 1774, grand collectionneur d’estampes et de dessins, historien de la gravure, graveur).

L’Archéologie et l’Histoire locales comportent cent trente titres publiés dans des revues diverses, comme le Bulletin de la Société de l’histoire de l’Art français, la Revue des Sociétés savantes des départements, le Bulletin de la Société des Antiquaires de France, la Revue de l’Art français, les Archives de l’Art français, le Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, pour ne citer que les principales, alors que pour les ouvrages, il convient de mentionner entre autres la publication en 1895 de la Bibliographie chronologique de Benjamin Fillon (1838 – 1881) (archéologue et numismate, a laissé un grand nombre de travaux, en particulier sur la Vendée et sur les monnaies féodales).

Sous la dénomination Histoire Littéraire sont regroupées les éditions, le plus souvent annotées, de textes du Moyen Âge (chansons de geste, fabliaux, poèmes, moralités, mystères, farces), de la Renaissance, également d’auteurs classiques du XVIIe et XVIIIe siècles, et de scientifiques comme Bernard Palissy. Parmi les titres les plus importants, citons le Recueil général et complet des fabliaux des XIIIe et XIVe siècles, le Recueil des poésies françoises des XVe et XVIe siècles, Les Quinze joyes du mariage, Le roman de Jehan de Paris, roy de France, L’Heptaméron des Nouvelles de très haute et très illustre princesse Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, Les Quatre Livres de maistre François Rabelais, suivis du manuscrit du cinquième livre, Les Œuvres de maistre Bernard Palissy, les Contes et nouvelles en vers par Jean de La Fontaine, ornés d’estampes d’Honoré Fragonard, Monnet, Touzé et Milius, les Œuvres de Molière, Le Triumphe de haulte et puissante Dame Verolle, et le Pourpoint fermant à boutons, Le Triumphe de haulte Folie, poème lyonnais du XVIe siècle.

La rubrique Histoire Littéraire recouvre encore plusieurs sous-rubriques comme des Dissertations sur des sujets littéraires ou historiques, des Notices nécrologiques, des Rapports et des Discours, des Biographies et des Comptes rendus d’articles et d’ouvrages, enfin la liste d’index et de tables concernant des séries de volumes de revues, encore de catalogues de bibliothèques.

La rubrique Varia et Curiosités regroupe sous une soixantaine de titres des études diverses et variées comme des notes sur le comput, sur des prisonniers protestants en Barbarie, sur les appellations et devises des anciens auteurs, sur la question de savoir si les tailleurs pour femmes sont antérieurs au XVIIe siècle, sur les pendules et montres décimales, sur l’Ouverture de Turandot, sur la galanterie française, sur les monnaies de Henri IV, sur les villageois dans Shakespeare, sur Louis XVI et la guillotine, sur Coville fou de Henri II, sur la fourniture de glaces à M. Amelot, sur les noms des papes et leurs dates de pontificat (publié en 1890 et 1892), etc.

La dernière rubrique des travaux de de Montaiglon concerne les poésies écrites par notre chartiste. En règle générale, sa production poétique a été publiée sous forme de plaquettes éditées à petit nombre d’exemplaires, ce qui explique leur rareté. On dénombre une dizaine de ces plaquettes regroupant, pour la plupart, des sonnets, genre poétique affectionné par de Montaiglon. Certains ont été très directement inspirés par Rabelais, la Touraine, la Vendée ; citons François Rabelais, Tourangeau, plaquette (1880), publiée à l’occasion de l’inauguration à Tours de la statue de Rabelais par Henri Dumaige (contient également un sonnet à Rabelais par François Fertiault), Sept dizains de sonnets tirés de Rabelais (1881), Molière et Rabelais, paru dans Le Moliériste (1882), Sonetti d’arte, vingt-huit sonnets publiés dans la Gazette des Beaux-Arts (1882) et, parmi ceux-ci, il convient de signaler Léonard [de Vinci] et Rabelais, Le Bâtiment de Thélème, Les Patenôtres de Panurge, La Mosaïque du portique dans le temple de la Bouteille et Le Pavé du temple de la Bouteille, sonnets directement inspirés par l’œuvre de Rabelais.

 

Sonnets tirés de Rabelais

Comme nous l’avons indiqué, Anatole de Montaiglon n’a fait imprimer qu’à un petit nombre d’exemplaires, non mis dans le commerce, les quelques plaquettes consacrées à ses poésies. Nous avons eu la bonne fortune de trouver chez un bouquiniste un exemplaire des « Sept dizains de sonnets tirés de Rabelais » (5), recueil dédié à la mémoire de Pierre-Germain Jannet, mort en novembre 1870 durant le siège de Paris, à qui l’on doit la Bibliothèque elzévirienne et la première édition moderne des textes de Rabelais. Nous avons choisi de présenter ici huit de ces sonnets, qui nous ont paru plaisants à la lecture et qui reflètent parfaitement le style poétique de l’auteur.

 

- I -

 Ce sonnet, à l’éloge de Rabelais, n’appelle aucun commentaire.

 

This was a man (Shakespeare)

Ceux qui de Rabelais font un vieux faune ivrogne
Sont des sots. Il n’avait pas de nez purpurin ;
C’était un philosophe, un Caton Censorin ;
Il avait un visage et non pas une trogne.

Son siècle était perdu de vermine et de rogne,
Et, pour le fustiger avec le fouet d’airain
De son rire sonore, amer et souverain,
Ce fut au satirique une rude besogne.

Sans les grosses gaîtés de son propos salé,
Son temps n’eût pas permis et n’eût pas avalé
Ce qu’il avait à dire et des grands et de Rome ;

Mais, quand on l’a compris, quand on l’a pénétré,
Ce n’est pas seulement un savant, un lettré,
Un styliste, un penseur. C’est bien plus ; c’est un homme.

 

 

– II –

Gargantua, ses ascendants et descendants, étaient des géants issus de l’imagination populaire, qui se remémorait les légendes colportées à propos des races de géants ayant peuplé la terre dans les temps lointains. Saint Christophe est un géant de la tradition chrétienne dont la légende remonte au IXe siècle. Un jour, il passa la rivière avec, sur ses épaules, un enfant qui devenait de plus en plus lourd à mesure que le géant avançait. Il ne portait pas seulement le monde mais encore celui qui l’avait créé : cet enfant était Jésus-Christ. D’où ce sonnet dans lequel on retrouve en parallèle Saint Christophe et Rabelais.

 

Malgré le vent qui siffle et le fleuve qui gronde,
Christophe, le passeur, entendit une voix ;
Il se leva, sortit et vit la tête blonde
D’un enfant, qu’il aurait écrasé dans ses doigts.

Comme il entrait dans l’eau, pour la première fois
Il eut peur de rouler sous la vague profonde ;
La charge, qui croissait, l’écrasait de son poids :
« Qu’es-tu ? – C’est, » dit l’enfant, « que tu portes le monde. »

Sans se laisser troubler par l’abîme béant,
Notre Maître François fut de même un géant ;
Il avait dans ses os les moelles de la Gaule.

Le saint eut de la peine à traverser le gué ;
Rabelais est plus fort, et, sans plier l’épaule,
Il porte tout un monde et n’est pas fatigué.

Tours 25 juillet 1880

 

 

– IX – Merveilleux accouchement de Gargamelle

(Livre I, ChapitreVI)

Gargamelle, femme de Grandgousier, était la mère de Gargantua. Pour Rabelais, la venue au monde du géant s’effectua de bien étrange manière, par l’oreille gauche de sa mère : « […] une repoussante vieille qui avait la réputation d’être grande guérisseuse administra à Gargamelle un astringent si formidable que tous ses sphincters en furent contractés et resserrés à tel point que c’est à grand peine que vous les auriez élargis avec les dents. […] Par suite de cet accident, les lobes placentaires se relâchèrent et l’enfant [Gargantua] les traversa d’un saut pour entrer dans la veine cave ascendante. Puis, montant à travers le diaphragme jusqu’au-dessus des épaules, à l’endroit où la veine en question se partage en deux, il prit à gauche et sortit par l’oreille de ce même côté » (6). Ce sonnet de de Montaiglon le rappelle.

 

Lecteur, qui n’es ni Grec, ni Latin, ni Romain,
Tu t’étonnes un peu – le bon sens est farouche –
De l’étrange façon dont Gargamelle accouche
Et dont je t’ai conté que naquit son gamin.

Il aurait pu passer par un autre chemin ;
Ce fut l’oreille au lieu de l’œil ou de la bouche ;
La pudique Léda, cette sainte Nitouche
Couve un œuf pour produire un couple surhumain ;

Jupiter a porté Dionysos en sa cuisse ;
Croque-mouche est sorti du nez de sa nourrice,
Adonis d’un myrrhier, sans qu’on ait su pourquoi.

Si par entêtement tu ne me veux pas croire,
Lis de Pline le vieux la véridique
Histoire
Au Tiers de son Septième ; il y ment plus que moi.

 

 

– XXXIII – Rabelais à ses Lecteurs

(Livre II, Chapitre XXXIV)

Rabelais, dans son œuvre, a exercé entre autre sa verve satirique et mordante contre les moines, les théologiens, les auxiliaires de la justice, « barbouilleurs de lois ». Dans sa conclusion du Pantagruel, ce sont les moines qui sont violemment stigmatisés, traités de noms peu amènes (cagots, hypocrites, cafards, frocards…), ainsi que toutes « les sortes de gens qui se sont déguisés et ont pris un masque pour tromper le monde ». C’est ce chapitre qui a inspiré le sonnet suivant.

 

« Me lisant, honnêtes Lecteurs,
Valez mieux qu’un tas d’hypocrites
Cafards, frapparts, sarrabaïtes,
Cagots, escargots, botineurs,

« Et surtout calomniateurs,
Qui se déguisent en hermites
Comme masques et chattemites,
Pour cacher toutes leurs laideurs ;

« Ils disent vivre d’abstinences,
Et l’on voit à leurs grosses panses
Que
vivunt bacchanalia ;

« Ils font tort au bon saint Antoine,
Car l’habit ne fait pas le moine :
Bienheureux est que rien n’y a. »

 

 

– XXXIX – La Sibylle de Panzoust

(Livre III, Chapitre XVII)

Le Livre III est centré sur le mariage de Panurge : doit-il ou non se marier, rude dilemme ! Pantagruel, son ami, lui conseille d’en conférer en premier lieu avec une sibylle, celle de Panzoult, village de viticulteurs près de Chinon, qui analysera par songes l’heur ou le malheur de son mariage. Voici ce que Rabelais nous conte : « […] Pantagruel et Panurge entrèrent sans difficulté dans la cabane à toit de chaume, mal bâtie, mal meublée, toute enfumée. Au coin de la cheminée, ils trouvèrent la vieille […] mal fichue, mal vêtue, mal nourrie, édentée, chassieuse, toute voûtée, morveuse, souffreteuse, et faisant un potage de choux verts avec une couenne de lard jaune et un vieil os à moelle […] ». Par sa prophétie, la Sibylle n’a fait qu’interpréter le songe de Panurge : « […] c’est que vous serez déshonoré par votre femme ; qu’elle vous fera cocu, se donnant à un autre, d’un autre devenant grosse ; qu’elle vous dérobera en quelque point important et qu’elle vous battra, en vous écorchant et meurtrissant certain membre du corps » (6).

 

Lorsqu’ils furent rendus dans le bourg de Panzoust,
- On arrive à la fin quand longtemps on chemine –
Ils trouvent la Sibylle en son orde chaumine,
Faisant de vieux choux verts un horrible ragoût.

Assise dans la cendre auprès du pot qui bout
Et passant en hideurs Sagane et Libitine,
Elle avait sur le front des sillons de vermine
Et sa gueule sentait les retraits au mois d’août ;

Elle était mal en point, bossue et roupieuse,
Bavant sur ses haillons et des yeux chassieuse ;
Ses sabots fendillés n’étaient bons qu’à brûler :

« Verd et bleu, nous n’aurons d’elle réponse aucune, »
Dit l’un d’eux ; mais Panurge : « Elle aime la pécune,
« Et j’ai beaux Carolus qui la feront parler. »

 

 

– XLV – La Farce de la Femme muette

(Livre III, Chapitre XXXIV)

Le 17 septembre 1530, Rabelais est immatriculé sur le registre des étudiants de la Faculté de médecine de Montpellier, où il est reçu bachelier le 1er novembre suivant. En 1531, toujours à Montpellier, il joue un rôle dans la farce de la Femme muette. Anatole de Montaiglon le rappelle dans ce sonnet. Un dernier mot pour dire que Rabelais nous a conservé le scénario de cette farce, probablement de son cru, dans le chapitre 34 du Tiers Livre (6). Par ailleurs, on peut faire une comparaison entre le personnage de la femme muette de Rabelais, celui de Thibault Agnelet, berger de la Farce de Maître Pathelin (vers 1464) qui, jugé pour avoir tué nombre de moutons de son maître, feint sur les conseils de Pathelin, son avocat, la plus complète idiotie, ne répondant que par « Bée ! » à toutes les questions du juge, puis à Pathelin venu ensuite lui demander de régler ses honoraires, sans oublier Lucinde qui, dans Le Médecin malgré lui de Molière (1666), est devenue étonnement muette par contrariété de ne pouvoir épouser Léandre, fiancé de son coeur.

 

« Je ne vous ai pas vu depuis Montpellier
Alors que nous jouions la Farce de la Mute,
Et me rappelle bien la comique dispute
Entre moi, Saporta, Tolet et Perdrier.

« Quand la femme parla neuf cents mots par minute,
Comme elle ne faisait que tencer et crier,
Son mari, qui craignait d’être fol à lier,
Pria qu’on le fît sourd, pour éviter la lutte.

« Mais, quand le Médecin voulut être payé
- Il avait cependant assez bien travaillé,
Ayant fait parler l’une et rendu l’autre sage –

« La femme et le mari par un commun accord
Battaient le Médecin presque jusqu’à la mort.
Jamais je n’ai tant ri qu’à ce patelinage. »

 

 

– LXI – Éloge du Français

(Prologue du Livre V)

Pour Rabelais, écrire en français c’était défendre notre langue si riche et si variée, dite vulgaire à l’époque, comme toutes les autres langues romanes, par opposition au latin, langue savante des lettrés. Voici ce que Rabelais écrivait : « […] je prouverai par des arguments non impertinents et des raisons irréfutables à la barbe de je ne sais quels faiseurs de centons, botteleurs de matières cent et cent fois ressassées, rapetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins tout moisis et incertains, que notre langue vulgaire n’est pas aussi vile, aussi inepte, aussi indigente et méprisable qu’ils l’estiment » (6). Le sonnet Éloge du Français est tout à fait d’actualité et nous sommes conscients qu’il nous faut toujours défendre notre langue plus encore de nos jours tant devant les faiblesses de son apprentissage scolaire et les insuffisances de sa connaissance, que par suite de la progression croissante de l’anglais comme langue véhiculaire internationale.

 

Si je vis l’âge des corneilles,
D’un âne et d’un chien, en santé
Et naturelle intégrité
Sous l’abri soleillé des treilles,

J’emploierai mes jours et mes veilles
A défendre la majesté
De notre Français contesté,
Qui sonne si bien aux oreilles.

Les grabeleurs de mots latins,
Tout moisis et plus qu’incertains,
Nous la font à la pédantesque ;

Je leur prouverai, sans procès,
Que leur ignorance est grotesque
Du Latin comme du Français.

 

 

– LXX – 

Ce dernier sonnet est un autre éloge de Rabelais chez qui le poète ne voit que Sagesse, Justice et Humanité.

 

Caritas generis humani

Si Rabelais est plus qu’un bouffon, qu’un sceptique,
Qu’un philosophe amer et parfois bateleur,
S’il est plus qu’un reflet de la sagesse antique
Dont son merveilleux style a gardé la couleur,

C’est qu’il est bon, qu’on sent une âme sympathique
Donner à sa raison la vie et la chaleur ;
Que, si d’Aristophane il a la verve Attique,
De Platon, de Socrate il a la grande ampleur ;

C’est qu’il a le respect de toute chose saine ;
C’est que, s’il met le vice ou la sottise en scène,
Son rire est toujours franc, sans aucune âcreté ;

C’est que l’on sent toujours battre dans sa poitrine
- Et c’est là l’étincelle et la marque divine –
L’amour de la Justice et de l’Humanité.

 

 

Conclusion

Cette courte Notice a permis d’évoquer Anatole de Montaiglon, de mesurer l’importance et la diversité de ses publications, d’apprécier à travers un choix de sonnets le poète et le rabelaisant distingué qu’il était.

Deux ans avant sa mort, il avait présidé, le 30 juillet 1893, la distribution des prix à l’École régionale des Beaux-Arts de Tours et, à cette occasion, il avait prononcé un discours sur le célèbre dessinateur, peintre et graveur tourangeau du XVIIe siècle Abraham Bosse, auquel le Musée des Beaux-Arts de Tours et la Bibliothèque nationale de France ont consacré une remarquable exposition d’avril à juillet 2004, à l’occasion du quatrième centenaire de sa naissance. Ce fut, à notre connaissance, sa dernière prestation.

En novembre 1891, Anatole de Montaiglon demeurait toujours, et depuis fort longtemps, dans l’une des maisons de la Place des Vosges, à Paris. Une question se pose alors : lors de son décès en septembre 1895, était-il en visite à Tours chez son ami Charles de Grandmaison, ou s’était-il implanté depuis peu en Touraine ? Nous n’avons aucune réponse. Quoiqu’il en soit, il est certain que notre belle province, Rabelais et autres célébrités locales, avaient eu beaucoup d’attrait pour de Montaiglon, comme cela ressort de sa production poétique et des diverses études qu’il leur a consacrées.

 

Claude VIEL

 

Bibliographie

(1) Guiffrey J. – Anatole de Courde de Montaiglon, 1824 – 1895 – Notice biographique ; Nogent – le – Rotrou, Daupeley-Gouverneur, 1897

(2) Vapereau G. – Dictionnaire Universel des Contemporains, Paris, Hachette et Cie, 1880 (5e éd.)

(3) Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse ; Paris, Librairie Larousse, 1984, vol. 7

(4) [Anonyme] – Bibliographie des travaux de Mr. A. de Montaiglon professeur à l’École des Chartes ; Imprimé aux dépens des souscripteurs ; Paris, des presses de D. Jouaust, 1891 (portrait) (la table alphabétique des matières est particulièrement précieuse pour la recherche des sujets ayant fait l’objet des publications)

(5) De Montaiglon A. – Sept dizains de Sonnets tirés de Rabelais, Paris, P. Rouquette, 1891

(6) Rabelais – Œuvres complètes (édition établie, annotée et préfacée par G. Demerson), Paris, Éditions du Seuil, 1973