6èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 6 août 2004, de 17 h 30 à 19 h

 

RACAN

par Jean-Jacques ARVERS

Jean-Jacques ARVERS lisant son texte sur RACAN, lors des 6èmes Rencontres littéraires au jardin des Prébendes, à Tours, le 6 août 2004.

 

Dans cette revue des poètes tourangeaux, je viens vous reparler de Racan, mais pas pour vous refaire sa biographie, parce que cela a déjà été fait l’année dernière.

Ce marquis s’appelait Honorat de Bueil, on voit son château près de Saint-Paterne et il a un joli buste dans ce jardin près de la petite porte de la rue Roger Salengro.

Orphelin de bonne heure, officier d’Henri IV et de Louis XIII, ayant cherché vainement la gloire puis retiré en son manoir au sein de la nature, il fut un authentique poète bien plus inspiré et plus doué que son ami Malherbe, académicien de la première heure, vrai croyant et homme réfléchi, remarquablement équilibré. Nous voyons là les preuves de l’inspiration de Racan : le sentiment de la nature et la réflexion en premier. Il a été au sein de la nature jusqu’à treize ans dans son domaine ; après il a été à Paris ; il est revenu dans son domaine vers l’âge de trente, trente-cinq ans, il y est resté très longtemps puisqu’il a vécu près de quatre-vingts ans. À ce sentiment de la nature, succèdent la galanterie et l’ironie en deuxième position, et enfin la foi avec l’admiration et l’espérance.

Du sentiment de la nature et de la réflexion, nous avons les Stances sur la retraite :

« (…)

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs !

Il laboure le champ que labouroit son père ;
Il ne s’informe point de ce qu’on délibere
Dans ces graves conseils d’affaires accablez ;
Il voit sans interest la mer grosse d’orages,
Et n’observe des vents les sinistres presages
Que pour le soin qu’il a du salut de ses bleds.

Roy de ses passions, il a ce qu’il désire ;
Son fertile domaine est son petit empire ;
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez luy de les voir en tableau.

Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu’à l’envy les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il suit aucunesfois un cerf par les foulées
Dans ces vieilles forests du peuple reculées
Et qui mesme du jour ignorent le flambeau ;
Aucunesfois des chiens il suit les voix confuses,
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

Tantost il se promene au long de ses fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L’argent de ses ruisseaux parmy l’or des moissons ;
Tantost il se repose avecque les bergeres
Sur des lits naturels de mousse et de fougeres,
Qui n’ont d’autres rideaux que l’ombre des buissons.

Il soupire en repos l’ennuy de sa vieillesse
Dans ce mesme foyer où sa tendre jeunesse
A veu dans le berceau ses bras emmaillottez ;
Il tient par les moissons registre des années,
Et voit de temps en temps leurs courses enchaisnées
Vieillir avecque luy les bois qu’il a plantez.

Il ne va point foüiller aux terres inconnuës,
À la mercy des vents et des ondes chenuës,
Ce que Nature avare a caché de tresors,
Et ne recherche point, pour honorer sa vie,
De plus illustre mort, ny plus digne d’envie,
Que de mourir au lit où ses peères sont morts.

(…)

Agreables deserts, sejour de l’innocence,
Où, loin des vanitez, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment ;
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fustes tesmoins de mon inquietude,
Soyez-le désormais de mon contentement. »

 

Pour la galanterie et la dérision, nous avons l’Ode à Monsieur de Termes, le mari d’une dame Chabot qu’il courtisa longtemps mais sans succès, même quand elle fut devenue veuve de bonne heure. Alors voilà ce que cela donne dans un deuxième livre. Ce sont les stances à un vieillard jaloux :

« Vieux corps tout épuisé de sang et de moüelle

D’où l’ame se départ,

Joüirez-vous toûjours d’une chose si belle

Sans nous en faire part ?

Ces beaux yeux, hors d’espoir d’échaufer par leurs charmes

Vostre froide amitié,

Méprisant leurs attraits, ont leur recours aux larmes

Pour vous faire pitié.

Ainsi l’on voit l’Aurore, en sortant de sa couche,

Soûpirer et gemir,

Quand son vieil impuissant, aussi mort qu’une souche,

N’a rien fait que dormir.

Nostre goust suit nos ans. La vieillesse desire

Un bon vin savoureux,

Au lieu que la jeunesse incessamment soûpire

Les plaisirs amoureux.

L’Amour, encore enfant, cherit cette verdure

Et ces fleurs du printemps,

Fuyant ces vieux rochers où l’on voit la froidure

Demeurer en tout temps.

Puis donc que desormais vos vieux membres de glace

Ne luy sont qu’ennnuyeux,

Ne luy defendez point de mettre en vostre place

Quelqu’un qui fasse mieux.

Laissez en liberté cette beauté celeste ;

N’en soyez point jaloux :

Quand j’en prendray ma part, vous en aurez de reste

Plus qu’il n’en faut pour vous. »

 

Et puis on a aussi un sonnet :

« Que tout cede au pouvoir de celle que j’adore !
Du seul feu de ses yeux le monde est animé ;
Il fait naistre les fleurs dont l’air est parfumé
Et meurit les moissons dont la terre se dore.

Dans ces tourments passez dont je me plains encore,
Jamais de tant d’ardeurs je ne fus consumé,
Et toutes ces beautez de qui j’estois charmé
A ce nouveau soleil ne servoient que d’aurore.

Vous qui fustes jadis mon aimable soucy,
Ne vous offensez point lors que je vante ainsi
Celle qui sur mon cœur a le pouvoir supresme.

C’est une impieté de me croire menteur.
Sçachez que par ma voix Amour le dit luy-mesme,
Et qu’un dieu ne peut entre ignorant ny menteur. »

 

Enfin de sa foi chrétienne, nous avons trente-deux Odes sacrées, paraphrasées de psaumes mais je ne citerai que le sonnet « Sur le bois de la vraye croix » :

« Beau Cedre aimé des Cieux, dont l’heureuse memoire
Ne craint point de l’oubli les rigoureuses lois,
Ne blasme point le Sort qui fit mourir ton bois
Puisque le mesme Sort a fait naistre ta gloire.

Celuy de qui le sang sur toy fust espanché,
C’est celuy dont la grace égale la justice,
Qui souffre injustement nostre juste supplice,
Et qui nous fait revivre en tuant le péché.

O nompareil ouvrier des œuvres nom pareilles,
De qui tous les effets sont autant de merveilles,
Que ton amour est grand, que ton pouvoir est fort !

Mon Dieu de quel miracle est ta bonté suivie !
Jadis un bois vivant nous apporta la mort,
Un bois mort aujourd’huy nous apporte la vie. »

 

En 1670, en pleine période heureuse du règne de Louis XIV, disparaît à plus de quatre-vingt ans, ce poète d’une riche inspiration lyrique dont une partie de l’œuvre nous est encore lisible avec plaisir de nos jours et pour la plus grande gloire de la Touraine.