6èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES, À TOURS

Vendredi 6 août 2004, de 17 h 30 à 19 h

 

Honoré de BALZAC,

surnommé le poète

par Annick LE GALL-GOUGEON

Annick LEGALL-GOUGEON lisant son texte sur Honoré de BALZAC, lors des 6èmes Rencontres littéraires au jardin des Prébendes, à Tours, le 6 août 2004.

 

 

Honoré de Balzac tel est mon nom, personnage truculent, criblé de dettes, d’une énergie indomptable, plein de projet faramineux. Je prenais la plume à heure fixe, la nuit à la lueur d’une bougie et de mon café. J’écris sous différents pseudonymes quelques romans sentimentaux ou noirs à peine au-dessus du médiocre. Il faut que j’y parvienne « À nous deux maintenant » me dis-je. Mais, me connaît-on seulement en tant qu’écrivain ?

1799, le siècle avait un an à vivre, déjà Napoléon perçait sous Bonaparte. Je nais le 20 mai de cette année là à Tours. Issu d’une famille bourgeoise ; mon père était directeur des vivres de la 22e division militaire de Tours, ma mère, née Laure Sallambier met au monde deux filles et un garçon après moi : Laure, en 1800, avec qui j’entretins toute ma vie des rapports privilégiés, puis Laurence en 1802 et Henri en 1807. Après avoir été mit en nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire j’entre à l’âge de huit ans - le 22 juin 1807 - comme pensionnaire au collège de Vendôme : expérience traumatisante qui nourrit mon besoin d’écrire « … je négligeais mes études pour composer des poèmes qui devaient certes inspirer peu d’espérances, si j’en juge par ce trop long vers, devenu célèbre parmi des camarades, et qui commençait une épopée sur les Incas » :

« Ô Inca ! ô roi infortuné et malheureux ! »

 

Je fus surnommé le Poète en dérision de mes essais ; mais les moqueries ne me corrigèrent pas. Je rimaillai toujours, malgré le sage conseil de M. Mareschal, notre directeur, qui tâcha de me guérir d’une manie malheureusement invétérée, en me racontant dans un apologue les malheurs d’une fauvette tombée de son nid pour avoir voulu voler avant que ses ailes ne fussent poussées.

Je fis d’autres essais, notamment vers 1819-1822, Maurice Bardèche les a reproduits et commentés. Il y eut bien d’autres tragédies en vers. Tout jeune, je manie les vers aussi mal qu’Alexandre Dumas, alignant des alexandrins prosaïques et souvent boiteux dans des dialogues lourds. On reconnut cependant mon art de l’affabulation et de l’intrigue ; voire quelques moments pathétiques qui participent du bon théâtre romantique. Il y eut d’autres essais de versification : le Mendiant, Esquisse à la Molière, Marie Touchet… et des faux départs théâtraux intéressants, mais qui me rejetèrent heureusement vers le roman. La vocation de poète de Lucien de Rubempré des Illusions perdues naît de sa découverte d’André Chénier qui est aussi la mienne. Lors de mon roman Cromwell, j’écris à ma sœur : « Les idées m’accablent, mais je suis sans cesse arrêté par mon peu de génie pour la versification. » Je reste malgré tout lucide ! Pourtant cette Ode à une jeune fille écrite vers 1827-1828, très romantique, en vaut bien d’autres :

Du sein de ses torrents de gloire et de lumière,
Où sur des harpes d’or, les esprits immortels,
Aux pieds de Jéhovah, redisent la prière
De nos plaintifs autels ;

Souvent un chérubin, à chevelure blonde,
Voilant l’éclat de Dieu par son front reflété,
Laisse au parvis des cieux son plumage argenté,
Et descend sur le monde :

Comprenant du Très-Haut le sublime regard,
Il vient au pauvre à qui tout est souffrance ;
Et, par son tendre aspect, rappeler au vieillard
Les doux jeux de l’enfance.

Il inscrit des méchants les tardifs repentirs ;
À la vierge amoureuse, il accourt dire : « Espère. »
Et, le cœur plein de joie, il compte les soupirs
Qu’on donne à la misère …

 

Et voilà que l’on parle d’Honoré de Balzac en tant que poète suite aux œuvres gigantesques comme par exemple : l’Elixir de longue vie, 1830 – La peau de chagrin, 1831 – Séraphîta, 1835 – qui rejoint la poésie par le fantastique. Il est à noter que le nom de poète revient souvent sous la plume de ceux qui l’admirent. « C’était un aigle qui n’avait pas dans sa prunelle la mesure de son vol », dit Lamartine. « J’ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être visionnaire et visionnaire passionné », dit Baudelaire. « Un grand poète », dit Jules Barbey d’Aurevilly. « Aucun poète n’a jamais été plus absorbé dans son œuvre », dit Stephan Zweig.

Dans les livres qu’il dévore avidement, l’Empereur enflamme l’Europe et le cœur du jeune homme. Il se rêve consul – et le premier – dans la république des lettres : « Ce qu’il a entrepris par l’épée, je l’accomplirai par la plume », se promet-il. En attendant, il suit des cours de droit et les chemins de traverse puis en 1817, entre chez un avoué, Guillonnet-Merville - il y découvre les secrets de famille, les hontes enfouies. La leçon ne sera pas perdue. Honoré veut être Rabelais ou rien. Il commence à écrire sans être lu : Clotilde de Lusignan, Le Vicaire des Ardennes, récits signés lord R-hoone ou Horace de Saint-Aubin. Cela ne lui suffit pas. Il veut être publié et éditer les autres, les grands : Molière et La Fontaine. Il s’associe avec un libraire, rachète une imprimerie, puis une fonderie de caractères. Il y perd ses illusions et ses finances. Les femmes lui viennent en aide, sa mère, sa sœur, Mme de Berny avec qui il aura des relations.

Les femmes prennent une grande place dans sa vie, il n’est pas beau mais son ardeur retient l’attention. Elles sont toutes folles de ce gros garçon aux yeux brillants de vie. Une admiratrice a déclaré « Il y a dans ses yeux bruns un feu, une expression si forte que, sans le vouloir, vous êtes obligés de convenir qu’il y a peu de têtes aussi belles ». Il est subjugué : « Un homme supérieur doit avoir sur les femmes les opinions de l’Orient ». Fait-il dire à l’un de ses personnages.

En 1830, c’est le tournant du siècle, le passage à l’ère moderne. Après de nombreux romans on ne fait que s’étonner de son sens de l’observation. Il rédige sans relâche des articles, des notes de lecture, des nouvelles, des poèmes, dont il se servira pour ses romans. Lorsque l’on s’immerge dans son œuvre immense, on s’aperçoit qu’un grand nombre de ses ouvrages concernent notre région – « La Touraine », soit que l’action s’y déroule, soit qu’il lui ait emprunté éléments, personnages ou intrigues pour les transporter ailleurs. Tours, c’est l’épicentre de son univers, la ville balzacienne par excellence, celle qui après Paris, a certainement le plus inspiré sa création littéraire. À cause naturellement de son enfance. À cause aussi des fréquents séjours qu’il y a ensuite effectués, ravivant chaque fois les souvenirs de sa jeunesse. En rentrant dans sa ville natale, il confesse qu’il éprouve le sentiment d’un « retour au sein maternel ».

Si nous parcourons la ville de Tours du nord au sud et de l’est à l’ouest nous identifions sans peine une cinquantaine de lieux décrits ou évoqués dans ses romans. Le pont de pierre et son esplanade dans « Sténie », la rue Nationale dans « L’Apostrophe », la rue Colbert dans « Les Deux Amis », la rue Chaude (rue de la Préfecture) dans « Le Succube », la place des Ports de Fer (Jean Jaurès) dans « Le Lys dans la vallée », etc. si ce n’est de la région qui va de Sancerre à Saumur, la vallée de la Loire, avec ses prolongements, en constitue l’épine dorsale. La Loire, irrigue nombre de ses chefs d’œuvres sans décrire tous les lieux, à travers ses œuvres, nous voyageons en diligence à travers Vouvray et sa vallée coquette, nous parvenons au Château de Montcontour qu’il a toujours rêvé d’acquérir jusqu’à la veille de sa mort. On peut découvrir aussi du haut de la lanterne de Rochecorbon la ville de Tours « à travers le tendre feuillage des îles » qui « semble, comme Venise, sortir du sein des eaux ».

Honoré de Balzac – n’est-il pas poète lorsqu’il décrit notre ville dans ce passage tiré des « Contes Drolatiques » :

« Tours a été et sera toujours, les pieds dans la Loire, comme une jolie fille qui se baigne et joue avec l’eau, fait flic flac en fouettant les ondes avec ses mains blanches ; car cette ville est rieuse, amoureuse, fraîche, fleurie, parfumée mieux que toutes les autres villes du monde, qui ne sont pas tant seulement dignes de lui peigner les cheveux, ni de lui nouer sa ceinture.

Et comptez, si vous y allez, que vous lui trouverez, au milieu d’elle, une rue délicieuse où tout le monde se promène, où toujours il y a du vent, de l’ombre, du soleil, de la pluie et de l’amour. C’est une rue toujours neuve, toujours royale, toujours impériale, une rue patriotique, une rue à deux trottoirs, une rue ouverte des deux bouts, bien percée, une rue si large que jamais nul n’a crié: « gare », une rue qui ne s’use pas, une rue qui mène d’un bout à l’abbaye de Grand-Mont et de l’autre à une tranchée au bout de laquelle est un beau champ de foire, une rue bien pavée, bien bâtie, propre comme un miroir, populeuse, silencieuse à ses heures, coquette, bien coiffée de nuit par ses jolis toits bleus ; bref, c’est une rue où je suis né, c’est la reine des rues, toujours entre la terre et le ciel, une rue à fontaine, une rue à laquelle rien ne manque pour être célébrée parmi les rues ! »

 

Le commis voyageur tourangeau aux descriptions interminables et au style plein de lourdeurs est un romancier de génie. « Balzac ? dit Jules Renard, est peut-être le seul qui ait eu le droit de mal écrire ». Il est notre Cervantès, il est notre Tolstoï. C’est un observateur du monde. C’est surtout un poète…

De la Comédie Humaine au Père Goriot il n’a de cesse d’accomplir sa tâche. Il a conscience de son génie, sait voir celui des autres. Il n’en peut plus. Et puis, il veut rejoindre enfin celle qu’il aime et qu’il poursuit depuis dix ans, madame Hanska, « l’Étrangère » qu’il nomme « sublime reine – rose d’Occident ». Avec elle, il veut faire une fin. Il l’épouse en mars 1850 et s’éteint en août à Paris. Au cimetière du Père-Lachaise, le ministre de l’Intérieur ânonne un compliment : « C’était un homme distingué ». Victor Hugo, qui tient les cordons du poêle, rectifie : « C’était un génie ».

 

Je conclurai par cette pensée d’Honoré de Balzac :

« Il n’est pas de grand talent sans grande volonté ».

 

Annick LE GALL-GOUGEON