5èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 1er août 2003, de 17 h 30 à 19 h

 

Jean GENET

 

par Jacqueline LEMAÎTRE

Jacqueline LEMAÎTRE lisant son texte sur Jean GENET, lors des 5èmes Rencontres littéraires au jardin des Prébendes, à Tours, le 1er août 2003.

 

Écrivain, dramaturge, poète, auteur célèbre pour la beauté violente et éblouissante de ses œuvres telles que « Miracle de la Rose », « Notre Dame des Fleurs », « Querelle de Brest », « Les Bonnes », « Les Paravents », « Les nègres » et d’autres encore, Jean GENET est connu pour ses liens avec d’autres grands noms du monde littéraire et artistique : COCTEAU, Marguerite DURAS, SARTRE, GIACOMETTI…

« Vous êtes un très mauvais voleur mais un très bon écrivain », lui fut-il dit, car nombreuses furent ses condamnations pour vols et nombreux ses séjours en prison.

Sa vie commence le 19 décembre 1910 dans un hôpital public. Enfant de l’assistance, il restera jusqu’à l’âge de vingt et un ans, pupille de l’État.

C’est à cet âge qu’il obtient un acte de naissance et découvre le nom de sa mère. Quand il tente d’en savoir plus, on refuse de le renseigner. Il peut seulement découvrir que sa mère l’avait gardé pendant sept mois avant de l’abandonner.

Confié comme c’est la coutume, à des parents nourriciers dans le Morvan, il passe auprès des autres enfants pour un citadin, voire un dandy. Il sait que parvenu à l’âge de treize ans, limite inéluctable, il devra quitter son foyer d’accueil.

Très vite, la lecture devient sa passion. Il emprunte des livres à la bibliothèque : Victor HUGO, George SAND. Il adore aussi les feuilletons de Paul FÉVAL et les romans populaires.

Soixante ans après, ses camarades de classe se souviennent qu’il chapardait déjà des plumiers, des crayons, des petites choses mais ne gardait rien pour lui. Il était réservé, solitaire. Son plus grand plaisir, lire. Même pendant la récréation dans la cour, il lit accoudé à un muret.

Ce qui marquera profondément Jean GENET, ce sera son séjour à la colonie pénitentiaire de Mettray. Après maintes péripéties, René de BUXEUIL qui est aveugle, compositeur et chansonnier parisien, se trouve à le prendre à son service. Jean GENET a quatorze ans à ce moment. Un jour, il revient après avoir dilapidé l’argent des commissions. René de BUXEUIL porte plainte. Ce sera la prison. Après quarante-cinq jours de détention, il arrive menottes aux mains à Mettray.

Pas de mur, des haies de laurier, des bordures de fleurs, mais une discipline de fer terrible.

Lever à cinq heures du matin l’été, six heures en hiver. Tout est réglé, huit fois par jour la prière, même l’heure pour aller aux toilettes est déterminée et limitée.

Un travail intense (treize heures par jour) aux champs l’été et l’hiver à la carrière de pierre ; d’autres sont aux ateliers : maçons, forgerons, cordonniers.

Une heure seulement pour l’étude. Ils sont nombreux à souffrir de faim, un garçon meurt pour s’être bourré d’avoine et de foin destinés aux vaches, certains se mutilent pour aller à l’infirmerie. Interdiction de parler pendant les repas.

Si un garçon est surpris à se masturber, il est condamné à huit jours de quartier de discipline. Vingt kilomètres par jour à tourner en rond dans la cour. Sur deux ans passés à Mettray, Bernard COFFLER entré à la même période que Jean GENET, passera une année à tourner en rond ainsi ! pour faute d’obéissance.

Jean GENET dira que paradoxalement dans cet enfer, il était heureux. D’abord, jusqu’ici Jean GENET s’était senti un marginal, un voleur, un rêveur, un enfant trouvé. À Mettray, pour la première fois, il est accepté parmi d’autres. Il n’est plus le garçon efféminé et méprisé mais une beauté convoitée par les colons. Sans un caïd, un protecteur, à la colonie pénitentiaire, impossible d’échapper aux brimades, aux viols collectifs même.

Dans le journal du voleur, il écrit :

« Quand j’étais dans la colonie pénitentiaire de Mettray, on m’ordonna d’assister à l’enterrement d’un jeune colon décédé à l’infirmerie. Les fossoyeurs étaient des enfants. Après qu’ils eurent descendu le cercueil, je jure que si un croque-mort, comme à la ville, eut demandé : «  La famille » je me serais avancé, minuscule dans mon deuil. »

GENET tire une fierté sombre et ardente de son appartenance avec des hors-la-loi. Il est chez lui. Durant un an à Mettray, sa conduite est exemplaire. Placé comme ouvrier agricole chez un cultivateur, il s’enfuit pour gagner Paris. Il fait très froid.

Le 8 décembre 1927, dans le journal local, « La France du Centre », un entrefilet paraît :

« Jean G… 16 ans évadé de la colonie de Mettray a été arrêté, rue Nationale et inculpé de vol d’une couverture. Il est déféré au Parquet. »

Pour le punir de son évasion, à Mettray il est mis au cachot. Les murs noirs sur lesquels peints en blanc, ces mots sont là, sous ses yeux : « Dieu te voit. » Un grand nombre d’enfants enfermés dans cette cellule glaciale, nus et aspergés d’eau froide, en mourraient.

GENET s’évade à travers les rêves, nourris par la littérature. C’est à cette époque qu’il découvre RONSARD, dont presque tous connaissaient au moins, un sonnet par cœur. Toute sa vie, toute son œuvre, ne sera alimentée que par CHATEAUBRIAND, RACINE, DOSTOÏEVSKI ou des magazines comme « Détective » ou des romans d’aventures signés Gustave LE ROUGE et Xavier de MONTÉPIN, PONSON DU TERRAIL. Des classiques ou des fadaises, évitant la littérature ordinaire, volontairement.

Il revendique hautement ce qu’il est. C’est un révolté fier. Faible devant la beauté d’un regard, d’un geste, ému à en pleurer. L’écriture est en lui, fantasme inoculé à Mettray qui, plus tard idéalisé, transparaîtra dans ses livres ; et tout de lui, sera transposé, entremêlé, les êtres rencontrés, son propre vécu, brouillant les pistes à loisir, mais jamais pour minimiser ses actes, par une sorte de farouche pudeur jusque dans l’impudeur même.

Mettray fut si dur, qu’il n’hésita pas à contracter un engagement de deux ans à l’armée pour s’y soustraire. Il avait dix-neuf ans.

La colonie pénitentiaire de Mettray sera fermée dix ans plus tard, dénoncée par la presse pour les souffrances physiques et la corruption morale qui sévissaient dans ces prisons d’enfants, ces maisons de supplice.

Des noms de surveillants sadiques furent mentionnés. Le but majeur de ses colonies : fournir à l’armée, les pensionnaires de Mettray et procurer une main-d’œuvre gratuite.

Jean GENET écrivit ses célèbres poèmes « Le condamné à mort » en prison à Fresnes et qui fût mis en musique et chanté par Hélène MARTIN par la suite.

Il raconta, selon SARTRE, que parmi les détenus, l’un d’eux faisait des poèmes à sa sœur, poèmes pleurnichards idiots qu’ils admiraient beaucoup. À la fin, agacé, je déclarai que je pourrais en faire autant, ils me mirent au défi et j’écrivis « Le condamné à mort » ». Par ailleurs, un des détenus lui dit après avoir entendu la lecture du poème inspiré par Maurice PILORGE.

« Des vers comme ça, j’en fais tous les matins. »

Maurice PILORGE, jeune assassin de 20 ans, mort la tête tranchée, avec l’élégance d’un dandy.

Alors que le bourreau le bousculait, il répliqua :

« Si vous êtes pressé, prenez ma place, voulez-vous. »

Et juste avant d’être décapité, il avait donné sa montre à son avocat.

« Vous pouvez la porter sans crainte d’être contaminé et merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. Vous méritiez un meilleur client. »

Pendant le procès, PILORGE avait adressé des sourires et des grimaces à la foule, et déclaré en apprenant la sentence :

« Enfin, maintenant, on ne peut plus me refuser de cigarettes. La vie est belle. »

« J’ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami, Maurice PILORGE dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil », déclare GENET dans la postface du « Condamné à mort ».

 

Le condamné à mort

(extrait)

 

SUR MON COU sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant la mort.

 

 

PARDONNEZ-MOI mon Dieu parce que j’ai péché !
Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,
Le mal de m’envoler du beau pays de France,
N’est-ce pas assez, mon Seigneur, pour aller me coucher.
Trébuchant d’espérance

Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige !
Seigneur des lieux obscurs, je sais encore prier.
C’est moi, mon père, un jour, qui me suis écrié :
Gloire au plus haut du ciel au Dieu qui me protège,
Hermès au tendre pied !

Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,
Le chant des séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,
Les angelots de laine en chaudes houppelandes,
Et j’espère des nuits sans lunes ni soleils
Sur d’immobiles landes.

Ce n’est pas ce matin que l’on me guillotine.
Je peux dormir tranquille. À l’étage au-dessus
Mon mignon paresseux, ma perle, mon Jésus
S’éveille. Il va cogner de sa dure bottine
À mon crâne tondu.

 

 

Commentaire final : Quand j’ai entendu pour la première fois « Le condamné à mort », chanté par Hélène MARTIN, j’ai eu un coup de cœur terrible. Je suis tombée, fascinée par Jean GENET. J’ai eu beaucoup de mal à me procurer ses livres, ses œuvres.