4èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 2 août 2002, de 17 h 30 à 19 h

 

ALFRED DE VIGNY

(1797 - 1863)

par Françoise RIBERA

Françoise RIBERA présentant Alfred de VIGNY, aux 4èmes rencontres littéraires des Prébendes à TOURS, le 2 août 2002.

 

« Connaissez-vous cette contrée que l’on a surnommée le jardin de la France, ce pays où l’on respire un air si pur dans les plaines verdoyantes arrosées par un grand fleuve ? Si vous avez traversé, dans les mois d’été, la Belle Touraine, vous aurez longtemps suivi la Loire paisible avec enchantement, vous aurez regretté de ne pouvoir déterminer, entre les deux rives, celle où vous choisiriez votre demeure, pour y oublier les hommes auprès de l’être aimé. Lorsqu’on accompagne le flot jaune et lent du beau fleuve, on ne cesse de perdre ses regards dans les riants détails de la rive droite. Des vallons peuplés de jolies maisons blanches qu’entourent des bosquets, des coteaux jaunis par les vignes ou blanchis par les fleurs du cerisier, de vieux murs couverts de chèvrefeuille naissant, des jardins de roses d’où sort tout-à-coup une tour élancée, tout rappelle la fécondité ou l’ancienneté de ses monuments, et tout intéresse dans les œuvres de ses habitants industrieux. » (Cinq Mars)

Ainsi parlait Alfred de Vigny de la Touraine, sa terre natale, puisqu’il naquit à Loches le 27 mars 1797.

Dès février 1799, accompagné de ses parents, Léon-Pierre de VIGNY (ancien militaire) et Marie-Jeanne née de Baraudin, il s’installe à Paris où il résidera à l’Élysée, ancien hôtel particulier reconverti à l’époque en appartements. À dix ans, il entre à l’Institution Hix ; fils unique après le décès de ses trois frères, sa confrontation avec les autres enfants lui fera déclarer : « Le temps le plus malheureux de ma vie, fut celui du collège », puis il fréquente le lycée Bonaparte (actuel lycée Condorcet). À seize ans il embrasse une carrière militaire (pour satisfaire l’ambition de ses parents) puisqu’il souhaitait préparer Polytechnique et commençait déjà à écrire des vers.

C’est un officier médiocre, plus apte à la culture des lettres qu’au métier des armes. Il dira : « Mon inutile amour des armes fut la cause première d’une des plus grandes déceptions de ma vie. »

Enfance triste, jeunesse triste ; dans une France qui regrette le panache de l’Empire, voire celui de la Révolution, il rêve d’un idéalisme améliorant l’humanité et sa foi en l’avenir le précipite vers le seul mouvement qui en vaille la peine : le romantisme. En 1918, est publié son premier poème :

« Le Bal

(…)

Dansez, multipliez vos pas précipités,
Et dans les blanches mains les mains entrelacées,
Et les regards de feu, les guirlandes froissées,
Et le rire éclatant, cri des joyeux loisirs,
Et que la salle au loin tremble de nos plaisirs
 ».

(publié dans « Poèmes antiques et modernes »)

 

Au mois de mars 1822 sort en librairie son premier recueil intitulé « Poèmes » qui passe inaperçu.

En 1823, il compose « La neige » :

« Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d’arbres sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s’élance,
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher
L’immobile corbeau sur l’arbre se balance,
Comme la girouette au bout du long clocher !

(…) ».

(publié dans « Poèmes antiques et modernes »)

 

Suivront les « Poèmes Antiques et Modernes », « Servitude et grandeur militaires », « Les Destinées ».

En garnison à Bordeaux, il rencontre Marceline Desbordes-Valmore et fréquente les gens de lettres.

De retour à Paris, en 1824, il écrit « Eloa », chef d’œuvre poétique évoquant un des thèmes chers aux Romantiques : Satan.

« (…)

Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas.
Sur l’homme j’ai fondé mon empire de flamme
Dans les désirs du cœur, dans les rêves de l’âme,
Dans les liens des corps, attraits mystérieux,
Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux.
C’est moi qui fais parler l’épouse dans ses songes ;
La jeune fille heureuse apprend d’heureux mensonges ;
Je leur donne des nuits qui consolent des jours,
Je suis le Roi secret des secrètes amours.

(…) »

(publié dans « Poèmes antiques et modernes »)

 

En juin de la même année, il traverse à nouveau la France où il poursuit sa carrière militaire dans le Béarn. C’est là qu’il rédige « Cinq Mars » en 1826, puis en vers la tragédie de Roland, véritable « romance » :

« Tous deux sont écrasés sous une roche noire,
Le plus fort dans sa main élève un cor d’ivoire
Son âme en s’exhalant nous appela deux fois…
Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée
L’ombre du grand Roland n’est pas consolée.
 »

En vacances à Dieppe, il rencontre Lydia Bunburry, jeune britannique issue de la haute bourgeoisie anglo-irlandaise qu’il épouse, nous sommes en 1825. Couple stérile, Alfred de Vigny gardera sa femme près de lui tout en la trompant, de même qu’il sera toujours prévenant, attentionné avec sa mère. Il déclarera : « L’indépendance fut toujours mon désir et la dépendance ma destinée ».

Le 22 avril 1827, le capitaine Alfred de Vigny est mis à la retraite, il quitte l’armée pour raison de santé et constate : « L’armée est une nation dans la nation : c’est un vice de nos temps » … « L’existence du soldat (après la peine de mort) la trace la plus douloureuse de la barbarie qui subsiste parmi les hommes ».

En cette même année meurt sa tante Sophie de Baraudin lui léguant son château de Maine-Guirand à Blanzac. Il décide de s’y installer pour consacrer sa vie à la littérature. Il songe maintenant au théâtre, écrit « La Maréchale d’Ancre ».

En 1830, à Paris, il rencontre la comédienne Marie d’Orval avec qui il vivra une des plus grandes, des plus passionnées des histoires d’amour de l’époque romantique. Pour elle, il écrira « Quitte pour la Peur ».

En octobre 1832, verra le jour un ouvrage philosophique composé de trois contes : « Stella ou première consultation du docteur Noir ». La crainte, le dédain et la haine qui tuent le poète s’y sont développés. Il est vrai qu’à cette époque Alfred de Vigny revendiquait pour les artistes dans la misère des subsides officiels.

« C’est à vous que je parle, faites que je vive ! Et la multitude ne l’entend pas, elle répond : Je ne te comprends point ! Et elle a raison ».

Le deuxième conte deviendra, en 1835, « Chatterton ». Histoire d’un jeune poète dans la misère, amoureux d’une femme mariée ; il se suicide, il a dix-huit ans. Ce fut un immense succès théâtral en 1835. « Adieu, humiliations, haines, sarcasmes, travaux dégradants, incertitudes, angoisses, misères, tortures du cœur, adieu !… Ô, Mort, Ange de délivrance, que ta paix est douce ! »

Sa mère décède en 1838, suit la rupture avec Marie d’Orval.

Il ne cesse alors d’écrire : « La mort du loup », « La colère de Samson », « Le Mont des Oliviers », « La flûte » ; il achève « Les Destinées », rédige ses mémoires.

Un dernier amour illuminera sa vie, Augusta Bouvard. Un fils naturel naîtra un mois après son décès.

Élu à l’Académie française en 1854, promu officier de la Légion d’Honneur en 1856, Alfred de Vigny meurt le 17 septembre 1863.

« Et le soupir d’adieu du soleil à la terre
Balance les beaux lis comme des encensoirs…
Le crépuscule ami s’endort dans la vallée
Sur l’herbe d’émeraude et sur l’or du gazon…
Se balance en fuyant dans les grappes sauvages,
Jette son manteau gris sur le bord des rivages
Et des fleurs de la nuit entrouvre la prison.
 »

 

 

Françoise RIBERA

 

Bibliographie :

Émile FAGUET : La poésie française des origines au XIXème siècle

Gonzague SAINT BRIS : Alfred de Vigny ou la volupté et l’honneur

Jean-Yves TADIÉ : Introduction à la vie littéraire

Bernard VARGALTIG : La poésie des Romantiques

Alfred de VIGNY : Chatterton, Stello, Quitte pour la peur, Cinq Mars, Grandeur et Servitude Militaire, Poèmes Antiques et Modernes, Les Destinées.