4èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 2 août 2002, de 17 h 30 à 19 h

 

Causerie sur RONSARD

(1524-1585)

par Jean-Jacques ARVERS

Jean-Jacques ARVERS présentant RONSARD, aux 4èmes rencontres littéraires des Prébendes à TOURS, le 2 août 2002.

 

En notre Touraine, tout le monde connaît RONSARD qui a son buste dans le jardin où nous sommes et qui finira sa vie au Prieuré de Saint-Cosme à La Riche. Beaucoup le connaissent aussi par quelques poèmes appris ou travaillés dans les établissements scolaires.

Il est bien de la région : il vit le jour au manoir de la Possonnière, actuellement en Loir-et-Cher mais tout près de l’Indre-et-Loire et de la Sarthe, dans la vallée du Loir. Il fut prieur à Vendôme et puis à Tours. Il a célébré dans ses poèmes non seulement des femmes mais la nature, le paysage de ce pays.

Son père Loys de Ronsard, était lui-même un homme de la Renaissance : homme de l’armée d’abord qui avait fait les campagnes d’Italie, homme de cour ensuite, chevalier de petite noblesse, allié de familles illustres, aimant les arts et la décoration de son manoir, et poète lui-même à ses heures.

Dans ce cadre séduisant et agreste, Pierre de Ronsard, né (à peu près) en 1524, passa les onze premières années de sa vie, s’imprégnant du goût de la nature, sentiment qui le suivit toute son existence. Puis il fit un court passage au Collège de Navarre à Paris, mais fut très rapidement placé comme page auprès du dauphin François puis du duc Charles d’Orléans, de la princesse Madeleine qu’il suivit en Écosse lors de son mariage avec Jacques Stuart, de nouveau auprès de Charles d’Orléans, le poète, il retourna en Écosse, revint en France par l’Angleterre et la Flandre, suivit en Allemagne (cinq fois) l’ambassadeur Lazare de Baïf – pas Antoine le poète - puis à Turin Guillaume de Langey.

Il atteignit ainsi l’âge de dix-neuf ans environ et était promis à une brillante vie de Cour et de diplomate quand il fut atteint d’une maladie des oreilles (otite grave probablement) qui le rendit demi-sourd comme il le dit lui-même ce qui était incompatible avec la vie de Cour.

Déjà intéressé par les Lettres et la Poésie, il changea totalement d’orientation et décida de refaire son éducation auprès d’un humaniste, le précepteur du fils de Lazare de Baïf, Dorat, brillant helléniste et latiniste. Dans le même temps et je suppose sous l’influence de Dorat, clerc ou prêtre lui-même comme beaucoup de ses homologues, comme Érasme, il se fit clerc tonsuré c’est-à-dire qu’il reçut les ordres mineurs de l’Église mais sans service particulier (correspond à ce qu’on appellerait maintenant un diacre).

Son professeur devint directeur d’un petit Collège de Coqueret à Paris et ses deux élèves Jean de Baïf et notre Ronsard, s’enfermèrent avec lui pendant cinq ans poussant très loin l’étude des auteurs anciens ce qui laissa chez lui le second caractère de son œuvre : l’amour de l’antiquité gréco-romaine et de sa mythologie qu’il connaît bien et cite très souvent.

D’autres compagnons se joignirent aux deux : Du Bellay, Rémi Belleau, Jodelle, Pontus de Thyard, qui formèrent avec Dorat, la Brigade, bientôt appelée La Pléiade en souvenir des sept poètes d’Alexandrie.

Ayant déjà quelques idées sur la réforme de la poésie française, ils furent poussés à entrer dans le vif par la publication de l’Art Poétique de Sobillet, disciple de Marot (1548), auquel ils répondirent par « Défense et illustration de la langue française » rédigée par Du Bellay et publiée en 1549, qui fit paraître peu après le premier livre de la nouvelle poésie, son Olive. Ensuite peu de temps encore après en 1550, Ronsard fit paraître le premier volume de ses odes, un peu dans le genre du latin Horace et du grec Pindare, un grand genre où il s’opposait aux inventions artificielles et compliquées des rhétoriqueurs pour ne garder que l’expression de délicats sentiments devant la nature avec référence aux divinités antiques comme cette ode connue de :

« A la Fontaine Bellerie »

 

O Fontaine Bellerie,
Belle Fontaine chérie
De nos Nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le Satyreau,
Qui les pourchasse à la course
Jusqu'au bord de ton ruisseau,
Tu es la Nymphe éternelle
De ma terre paternelle ;
Pour ce en ce pré verdelet
Vois ton Poète qui t'orne
D'un petit chevreau de lait,
A qui l'une et l'autre corne
Sortent du front nouvelet.
L'été, je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui ta gloire
Enverra par l'univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
L'ardeur de la Canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu'en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs,
Aux bœufs las de la charrue
Et au bestial épars.
Iô ! tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit
L'eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.

 

Dans l’ode « Quand je suis vingt ou trente mois », il y a, en plus de l’antiquité et de la nature, la nostalgie du temps qui passe jusqu’à l’idée de la mort qui en bon épicurien qu’il était, doit inciter lui et son amie à profiter pleinement de la vie :

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d'un remords et d'un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres et aux ondes :
Rochers, bien que soyez âgés
De trois mille ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme,
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit
De jeune en vieillard me transforme.
Bois, bien que perdiez tous les ans,
En l'hiver, vos cheveux plaisants,
L'an d'après, qui se renouvelle,
Renouvelle aussi votre chef ;
Mais le mien ne peut derechef
Ravoir sa perruque nouvelle.
Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile et la main bonne ;
Mais ores j'ai le corps plus dur
Et les genoux que n'est le mur
Qui froidement vous environne.
Ondes, sans fin vous promenez
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne ;
Et moi, sans faire long séjour,
Je m'en vais de nuit et de jour
Mais comme vous je ne retourne.
Si est-ce que je ne voudrois
Avoir été ni roc, ni bois,
Antre ni onde pour défendre
Mon corps contre l'âge emplumé,
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toi qui m'as fait vieillir, Cassandre !

 

En 1552 parut un autre recueil important sur les amours de Cassandre (Salvati), fille du banquier royal rencontrée en 1545 au château de Talcy, mariée plus ou moins de force ou de raison en 1547 (clerc et tonsuré… ) mais mal mariée bien sûr, et il semble qu’ils aient tout de même connu quelques jours de vie ensemble à la faveur d’une très longue absence du mari. On peut donc y chercher le vrai élan du cœur sous la galanterie à l’italienne :

DES AMOURS DE CASSANDRE

 

Ode à sa maîtresse

 

Quand au temple nous serons
Agenouillés, nous ferons
Les devots selon la guise
De ceus qui pour loüer Dieu,
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de l'église.

Mais quand au lit nous serons
Entrelassés, nous ferons
Les lascifs, selon les guises
Des amans, qui librement
Pratiquent folatrement
Dans les dras cent mignardises.

Pourquoi donque, quand je veus
Ou mordre tes beaus cheveus,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou tatonner ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloistre enfermée ?

Pour qui gardes-tu tes yeus,
Et ton sein delicieus,
Ta joue et ta bouche belle ?
En veus-tu baiser Pluton
Là-bas, apres que Caron
T'aura mise en sa nacelle ?

Apres ton dernier trespas,
Gresle, tu n'auras là bas
Qu'une bouchette blesmie :
Et quand mort je te verrois
Aus ombres je n'avourois
Que jadis tu fus m'amie.

Ton test n'aura plus de peau,
Et ton visage si beau
N'aura venes ny arteres,
Tu n'auras plus que les dens,
Telles qu'on les voit dedans
Les testes des cimeteres.

Donque, tandis que tu vis,
Change, maistresse, d'avis,
Et ne m'espargne ta bouche :
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De m'avoir esté farouche.

Ah je meurs, ah baise moi,
Ah maistresse aproche toi,
Tu fuis comme fan qui tremble,
Au moins soufre que ma main
S'esbate un peu dans ton sein
Ou plus bas si bon te semble.

 

En 1552, parut le livre « Les Amours de P. De Ronsard Vandomois » très bien accueilli par ses confrères qui l’appelèrent prince des poètes et par le roi dont il devint un favori. Il écrivit ensuite d’autres odes, en particulier celle à Michel de l’Hospital, qui nous intéressent moins aujourd’hui.

En 1556, parut le second livre des Amours. Cette fois, il y chante Marie, nouvelle conquête à Bourgueil, puisqu’il ne pouvait voir Cassandre, il s’éprit de cette fille d’aubergiste, donc d’un autre milieu, qu’il célèbre tout aussi bien :

LES AMOURS DE MARIE

 

(…)

Harsoir en vous couchant vous jurâtes vos yeux
D'être plus tôt que moi ce matin éveillée :
Mais le dormir de l'Aube, aux filles gracieux

Vous tient d'un doux sommeil encor les yeux sillée,
Cà, çà! que je les baise et votre beau tetin,
Cent fois pour vous apprendre à vous lever matin.

(extrait de « L’amour de Marie »)

 

Je vous envoye un bouquet de ma main
Que j'ai ourdy de ces fleurs epanies :
Qui ne les eust à ce vespre cuillies,
Flaques à terre elles cherroient demain.

Cela vous soit un exemple certain
Que voz beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de tems cherront toutes flétries,
Et periront, comme ces fleurs, soudain.

Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame :
Las! le tems non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame :

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts n'en sera plus nouvelle :
Pour-ce aimés moi, ce pendant qu'estes belle.

(extrait de « Les amours diverses »)

 

Les Amours c’est la partie de son œuvre qui nous intéresse le plus maintenant. Mais il faut savoir qu’il était poète de cour et versifiait de circonstance pour toute fête, cérémonie, événement, dans églogues, bergeries et ballades diverses.

Il y eu même de la musique sur certains poèmes gracieux que fredonnaient des lèvres princières, comme « Mignonne, allons voir si la Rose », que le duc de Guise fredonnait le matin du 23 décembre 1588, juste avant de monter dans la salle du château de Blois où l’attendaient ses assassins.

Dans cette période de faveur et de célébrité, il instruit le jeune Charles IX de ses futurs desseins et ose faire la leçon aux rois comme avec le poème à Catherine de Médicis où il la supplie de faire cesser les misères de ce temps.

Il rêve alors d’écrire une épopée sur les fastes de la France, une vraie œuvre de maîtrise. Mais cette Franciade déjà esquissée, depuis longtemps attendue, mais inachevée, en allant chercher d’obscures et lointaines traditions ne réussit pas à éveiller l’émotion des grands ni le sentiment national. Ce fut l’échec de sa carrière et il en souffrit. C’est la mélancolie qui prit le pas en des accents bien émouvants comme dans ce sonnet sur la mort de Marie dont on ne sait s’il s’agit de son aimée Marie Dupin ou de Marie de Clèves morte à vingt-et-un ans et dont Henri III avait demandé à Ronsard de pleurer la mort prématurée :

Comme on voit sur la branche au mois de May la rose
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose :

La grace dans sa fueille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur :
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt fueille à fueille déclose :

Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.

(extrait de « L’amour de Marie – Seconde partie sur la mort de Marie »)

 

Mais précisément cet Henri III l’aime moins que ses prédécesseurs et il commence à perdre ses amis, Du Bellay dès 1569, Belleau en 1577, Jodelle, Grévin.

Hélène de Surgères, son dernier amour, mit un doux rayon sur cette dernière partie de sa vie comme en témoignent les sonnets pour Hélène de 1578 :

SONNETS POUR HELENE

 

Je plante en ta faveur cest arbre de Cybelle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J'ay gravé sur le tronc noz noms et noz amours,
Qui croistront à l'envy de l'escorce nouvelle.

Faunes, qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir voz danses et voz tours,
Favorisez la plante, et luy donnez secours,
Que l'Esté ne la brusle, et l'Hyver ne la gelle.

Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Eclogue en ton tuyau d'aveine,
Attache tous les ans à cest arbre un Tableau,

Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine :
Puis l'arrosant de laict et du sang d'un agneau,
Dy, Ce Pin est sacré, c'est la plante d'Heleine.

(extrait de « Le second livre des sonets pour Helene »)

 

Ronsard vit alors davantage dans ses différents prieurés sans doute attribués par les rois dont il a été l’ami : Montoire, Croixval en Vendômois, puis Saint-Cosme. Tout en écrivant toujours comme cette « Défense de la Forêt de Gâtine », il prépare une sixième édition de ses œuvres.

 C’est à Saint-Cosme qu’il terminera ses jours en 1585, à soixante-et-un ans. Malgré une maladie douloureuse, il continue d’écrire jusqu’au dernier jour :

ADIEUX

 

Je n'ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m'a trompé,
Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé,
Mon corps s'en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m'en vais le premier vous préparer la place.

(…)

(extrait de « Les derniers vers »)

 

Ainsi disparaissait un des plus grands poètes français. Par la suite, Ronsard, idole d’une génération, fut sacrifié par la suivante : la condamnation injuste de Malherbe aggravée par Boileau, ne fut rapportée qu’au début du XIXème par les Romantiques.

Pour nous, il a apporté à la poésie française un vocabulaire et une rythmique plus riche, et surtout il nous a laissé tant de chefs d’œuvre d’humanisme, de grâce et d’émotion, touchants et si beaux qu’on lui pardonnera ses erreurs de noble ambition et son excessif recours à l’antiquité.

 

2 août 2002

 

Jean-Jacques ARVERS

 

RONSARD a déjà fait l'objet des promenades littéraires des Prébendes de 1999. Le texte correspondant est en ligne sur le présent site.