4èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 23 août 2002, de 17 h 30 à 19 h

 

Henri-Louis BERGSON,

UN PHILOSOPHE HÔTE DE LA TOURAINE

(1859 - 1941)

Portrait de Henry-Louis BERGSON par Catherine RÉAULT-CROSNIER.

 

Henri-Louis BERGSON, l’un des grands penseurs spiritualistes du XXème siècle, n’est pas un tourangeau à proprement parler mais il a choisi de passer les sept dernières années de sa vie à la Gaudinière, à Saint-Cyr-sur-Loire. Il a loué puis acheté cet endroit qui l’a séduit. C’est l’occasion de rendre hommage à un grand homme, un philosophe, un orateur, un chercheur en quête d’absolu et qui n’a pas délaissé le rire, le propre de l’homme ce qui le rapproche un peu plus encore de la Touraine, de Rabelais et de part son côté mathématique philosophique d’un autre homme célèbre en cette belle région, Descartes.

Né à Paris, 40 ou 42 rue Lamartine, Henri-Louis BERGSON est originaire d’une famille israélite et anglaise. Son père, Michel Bergson, musicien, pianiste, compositeur, est né à Varsovie ; il viendra en Allemagne, en Italie puis à Paris. Il deviendra professeur de piano au Conservatoire de Genève puis directeur de cet établissement. Il finit sa vie à Londres. Sa mère, Catherine Levison, anglaise, est originaire de Doncaster. Ce couple eut sept enfants et Henri-Louis fut le second. Il eut un grand respect pour sa mère dont il a hérité de nombreux traits de caractère dont la réserve britannique :

« Ma mère fut une femme d’une intelligence supérieure, une âme religieuse au sens le plus élevé du mot » (Florence Barthélémy-Madaule, Bergson, page 6)

À neuf ans, il entre au lycée Condorcet de Paris. Doué autant en mathématiques qu’en littérature, il choisit la philosophie. Admis à l’École Normale Supérieure, dans la même promotion que Jean Jaurès, il réussit l’agrégation et est nommé professeur de philosophie au lycée d’Angers (1881 - 1883) puis à Clermont-Ferrand (1883 - 1888) et donne des conférences. En 1880, il est naturalisé français. En 1884, il publie « Extraits de Lutèce » et en 1885, prononce un « discours sur la politesse ». Il enseigne ensuite au collège Rollin à Paris puis au lycée Henri IV (en 1890).

En 1889, à trente ans, il soutient deux thèses de doctorat : « Essai sur les données immédiates de la conscience » et une thèse latine « Quid Aristoteles de loco senserit ». Il est alors professeur en titre au lycée Henri IV. Les discours et les livres se succèdent ensuite : « Du bon sens et des études classiques » (1895), « Matière et mémoire, essai sur la relation du corps et de l’esprit » (1896), « Le rire » en 1900, « Le Rêve, essai sur la signification du comique » (1901), « L’évolution créatrice » (1907), « L’évolution spirituelle » en 1919...

À partir de 1900, il est nommé au Collège de France à la chaire de philosophie ancienne puis moderne. Il participe à de nombreux congrès et publie des études dans des revues dont la « Revue Philosophique » et la « Revue de Métaphysique et de Morale ». En 1896, il publie « Matière et mémoire ». Trois de ses œuvres furent mises à l’Index en 1914. « Le rire » fut épargné.

Il épouse en 1891, Louise Neuburger qui a douze ans de moins que lui. Elle était la cousine germaine de Jeanne Weil, mère de Marcel Proust qui fut garçon d’honneur à son mariage. Ils eurent une fille, Jeanne, sourde et muette mais très intelligente. Elle fut l’élève de Bourdelle et devint un peintre et sculpteur de talent. Menant une vie de famille unie, on les appelait « les trois inséparables ».

Ses écrits se succèdent ensuite.

En 1898, il est nommé maître de conférences à l’École Normale Supérieure, puis en 1900, au Collège de France où il obtient une chaire de philosophie moderne. En 1901, il accède à l’Académie des Sciences Morales et Politiques.

En 1912, il est envoyé en mission aux États-Unis et donne des cours. Pendant la première guerre mondiale, il ne reste pas inactif. Il préside la Commission de Coopération Intellectuelle. Ambassadeur prestigieux de la pensée française, il sera envoyé en Espagne. En janvier 1917, il part aux USA, rencontrer le président Wilson « idéaliste », pour le convaincre de s’engager dans la guerre, d’envoyer des soldats. Il est consterné par l’apathie mondiale et essaie de mobiliser les grands. Il mène une activité incessante.

Élu en 1914 à l’Académie française, sa chaire fut ensevelie sous les fleurs, témoignant de l’attachement que beaucoup de ses contemporains lui portaient. Il s’écrie :

« Mais... je ne suis pas une danseuse ! » (Philippe Soulez et Frédéric Worms, Bergson, page 110)

Il craint le murmure de la renommée mais il veut « écrire pour l’éternité ».

En 1919, paraît « L’énergie spirituelle » puis en 1922 « Durée et simultanéité », en 1932 « Les deux sources de la morale et de la religion », en 1934 « La pensée et le mouvant ». En 1921, il renonce à sa chaire de philosophie au Collège de France.

De 1921 à 1926, il est Président de la Commission pour la Coopération Intellectuelle de la Ligue des Nations.

Depuis 1925, âgé de soixante-six ans, il est torturé par un rhumatisme chronique déformant et évolutif.

À partir de 1934, il s’installe en Touraine, à la Gaudinière, à Saint-Cyr-sur-Loire, pendant ses vacances d’été. Il sera alors soigné pour ses crises de rhumatismes, par le Professeur Émile Aron qui fut leur ami par la suite. Henri-Louis BERGSON devient propriétaire de la Gaudinière en 1937 et il y passera tous ses étés jusqu’à sa mort. La Gaudinière, c’est une ancienne closerie de vigneron du XVIIIème siècle, transformée en maison bourgeoise au XIXème, dominant la vallée de la Choisille. Celle-ci est une demeure privée qui ne se visite pas et fait face à La Béchellerie, maison d’Anatole France que ce dernier habita de 1914 à 1924. Henri-Louis BERGSON alterne ses passages à Paris, en Suisse à Saint-Cergue, sur les bords du lac Léman avec ses séjours en Touraine. Il reçoit des personnalités à la Gaudinière comme par exemple Camille Vernet, Préfet d’Indre-et-Loire, Jean Zay, ministre de l’Éducation Nationale...

Pour ses quatre-vingt ans, le 18 octobre 1939, il refuse toute commémoration officielle mais une délégation lui rend visite avec Camille Vernet, Monsieur Lesage, maire-adjoint de Tours, le docteur Guillaume-Louis, directeur de l’École de Médecine, Monsieur Dosdat, maire de Saint-Cyr-sur-Loire... Il improvise un discours, soutenant les prises de position française, « proclamant sa foi dans la victoire des nations alliées et surtout le triomphe de l’esprit et de la morale humaine » (Michel Laurencin, Dictionnaire Biographique de Touraine, page 83). C’était une belle leçon de courage et de confiance en l’avenir en cette époque incertaine.

Passionné de musique, il écoute de nombreux concerts.

En juin 1940, il doit fuir mais il reviendra dès que possible en Touraine, c’est-à-dire en octobre, pour ensuite regagner Paris, 47 rue du boulevard Beauséjour (près du bois de Boulogne). Malade, privé de combustibles par les restrictions, il meurt le 4 janvier 1941. En 1953, le livre « Écrits et paroles » est édité à partir des inédits de l’auteur.

Prix Nobel de Littérature en 1928, il avait été élu à l’Académie française en 1914 et reçu en janvier 1918. Paul Valéry fera son hommage. Son enterrement se fera dans l’intimité familiale. Son corps sera ensuite transporté au cimetière de Garches, dans la discrétion. Sur sa pierre tombale, sont gravées ses titres :

« Henri BERGSON, Professeur au Collège de France, Membre de l’Académie française, de l’Académie des Sciences morales et politiques, Grand Croix de la Légion d’Honneur. » (Florence Barthélémy-Madaule, Bergson, page 18)

Cet écrivain a aussi une inscription au Panthéon, sur un pilier :

« À Henri Bergson, philosophe dont l’œuvre et la vie ont honoré la France et la pensée humaine. »

Henri-Louis BERGSON était un mystique en quête de Dieu ainsi le prouve sa prise de position écrite (le 8 février 1937), déterminée et courageuse à l’approche de son passage vers l’au-delà :

« Mes réflexions m’ont amené de plus en plus près du catholicisme, où je vois l’achèvement complet du judaïsme. Je me serais converti si je n’avais vu se préparer depuis des années (…) la formidable vague d’antisémitisme qui va déferler sur le monde. J’ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés. Mais j’espère qu’un prêtre catholique voudra bien, si le cardinal-archevêque de Paris l’y autorise, venir dire des prières à mes obsèques. » (cité par Michel Laurencin, Dictionnaire Biographique de Touraine, page 84)

Ses souhaits furent réalisés.

Ses amis de Touraine essayèrent de faire passer un article dans La Dépêche du Centre, à l’occasion de sa mort mais il fut refusé par les autorités allemandes. Il reste à l’état de souvenir, le texte dans les fonds du dépôt à la Bibliothèque Municipale de Tours (cote Réserve 708). La TSF annonce simultanément le même jour, le bombardement de Bristol, la mort d’Henri BERGSON et la carte de rationnement des chaussures ! (Michel Laurencin, Dictionnaire Biographique de Touraine, page 84) Pauvre philosophe pris en sandwich entre un bombardement et un fait divers mais le message pouvait être reçu par ceux qui voulaient l’entendre, la mort d’un homme qui force le respect par l’ampleur de son œuvre personnelle et de dimension universelle.

 4èmes Rencontres littéraires des Prébendes - 23 août 2002

Son portrait :

Charles Péguy qui plaide pour la défense des sciences positives modernes, a admiré sa prestance et la sûreté de sa parole lors de ses conférences :

« Il parlait pendant toute la conférence, parfaitement, sûrement, infatigablement, avec une exactitude inlassable et menue, avec une apparence de faiblesse incessamment démentie, avec la ténuité audacieuse, neuve et profonde qui lui demeurait propre, sans négligence et pourtant sans affectation, composant et proposant, mais n’étalant jamais une idée, fût-elle capitale, et fût-elle profondément révolutionnaire. » (Philippe Soulez et Frédéric Worms, Bergson, page 114)

Le Professeur Émile Aron qui l’a côtoyé alors qu’il avait soixante-quinze ans, le décrit ainsi :

« Il était assez cérémonieux et vous recevait derrière son bureau, les jambes couvertes d’un plaid écossais. De petite taille, très maigre, c’est son visage qui retenait le regard, avec un front prédominant que la calvitie amplifiait, et ses yeux d’un bleu vif, qui semblaient animés d’une étrange flamme que ne masquaient pas des lunettes. (...) Son bureau était encombré de livres et de documents. Il écrivait du matin au soir malgré ses doigts déjetés « en coup de vent ». Son écriture était remarquable, avec des caractères réguliers et grands, calligraphie encore accentuée par le ralentissement des mouvements de la main droite consécutif au rhumatisme. » (Émile ARON, Bergson en Touraine, page 165)

Curieux, courtois, il savait écouter puis parler naturellement de philosophie. Essayons d’approcher les écrits de cet auteur sans oublier que sa philosophie tient en quatre ouvrages : « Essais sur les données immédiates de la Conscience », « Matière et mémoire », « L’évolution créatrice », « Les deux sources de la morale et de la religion ». « Le rire » et « Durée et simultanéité » complètent sa doctrine. Il a aussi fabriqué deux livres à partir de ses conférences importantes ; il s’agit de « L’Énergie spirituelle » et « La Pensée et le Mouvant ».

 

Dans « Essai sur les données immédiates de la Conscience » (publié en 1889), il écrit : « qu’il y a des choses dont il ne faut pas demander justification à l’intelligence » (Bergson cité par Émile Aron, Bergson en Touraine, page 170). Pour BERGSON, Dieu est une réalité « morale » qui est au fond de l’être.

Dans ce livre, à l’approche de la conclusion, BERGSON aborde le problème de la liberté en toute liberté :

« On appelle liberté le rapport du moi concret à l’acte qu’il accomplit. Ce rapport est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres. On analyse, en effet, une chose, mais non pas un progrès ; » (Bergson, Essai sur les données immédiates de la Conscience, œuvres, PUF 2001, pages 143 et 144)

 

« Matière et mémoire » serait l’œuvre préférée de BERGSON (propos d’Émile Aron) ; c’est un essai sur la relation du corps et de l’esprit. Dans ce livre paru en 1896, il soutient que le corps sert à articuler la pensée mais ne la constitue pas :

« De ces deux doctrines opposées, l’une attribue au corps, l’autre à l’esprit un don de création véritable. » (Bergson cité par Émile ARON, Bergson en Touraine, page 164)

Henri-Louis BERGSON a aussi dit dans le même état d’esprit :

« Le cerveau n’est pas l’esprit, le cerveau est l’instrument de l’esprit. » (Bergson cité par Florence Chambouleyron Lanzmann, Maisons d’écrivains au cœur de France, page 21)

 Il nous confie que l’amplitude de la perception mesure exactement l’indétermination de l’action consécutive ; il la relie donc au temps :

« la perception dispose de l’espace dans l’exacte proportion où l’action dispose du temps. » (Matière et mémoire, Œuvres, PUF 2001, page 183)

La conclusion de ce livre résume à elle seule, la finalité de « Matière et mémoire » :

« L’esprit emprunte à la matière les perceptions d’où il tire sa nourriture, et les lui rend sous forme de mouvement, où il a imprimé sa liberté. » (Matière et mémoire, Œuvres, PUF 2001, page 378)

 Pensée et agir, vont dans le même sens pour BERGSON, alors que pour les anciens, et les classiques, la pensée est contemplative et s’oppose à l’action :

« Toute pensée n’est pas logique : l’intuition aussi est une pensée, et qui va dans le sens du rêve, puisqu’elle vise la durée et que le souvenir pur et la durée ne font qu’un. (..) L’intuition est créatrice, tente l’impossible : transfigurer les concepts, les mouvements pour imprimer à la matière quelque chose de l’esprit. »

 

Dans « Le rire » (paru en 1900), l’auteur a recherché les procédés de fabrication psychique du rire, son côté mécanique, automatique comme une boite à ressort :

« Ce qui fait rire, c’est la répétition, le changement, la nouveauté. »...

« Est comique tout incident qui appelle notre attention sur le physique d’une personne alors que le moral est en cause ». (Le rire, page 50)

« Le rire n’a pas de plus grand ennemi que l’émotion. » (Le rire, page 25)

Henri-Louis BERGSON explique la fonction sociale du rire et décortique le rire qui est « du mécanique plaqué sur du vivant ». (Le rire, page 49) « Plus ces exigences du corps seront mesquines et uniformément répétées, plus 1’effet sera saisissant. » (Le rire, pages 49 et 50)

L’attention est le point d’appel du rire. Suivent le comique de situation et le comique de mots. Si l’analyse du rire a passionné BERGSON, c’est tout à fait compréhensible car « l’absurdité comique est de même nature que celle des rêves » (Le rire, page 124) et l’illusion comique est illusion de rêve. BERGSON n’a jamais négligé l’importance du rêve et a situé sa place par rapport à la pensée ; rien d’étonnant que le rire ait attiré cet auteur pour lui donner sa place dans le monde de la pensée et de l’intuitif.

 

Dans « L’évolution créatrice » (paru en 1907), il présente la création comme un fait d’où se dégage la notion d’un Dieu générateur à la fois de la matière et de la vie :

« La joie de créer, de toutes, c’est la meilleure. » (Philippe SOULEZ et Frédéric Worms, Bergson, Grandes biographies, page 109)

BERGSON reconnaît la fonction passionnante de la création pour l’avoir expérimentée à travers sa création littéraire ; il nous fait part de son expérience :

« L’instinct achevé est une faculté d’utiliser et même de construire des instruments organisés : l’intelligence achevée est la faculté de fabriquer et d’employer des instruments inorganisés. » (Bergson, L’évolution créatrice, Œuvres, PUF 2001, page 614)

 BERGSON pressent que l’intelligence ne suffit pas à la création :

« Il y a des choses que l’intelligence seule est capable de chercher, mais que, par elle-même, elle ne trouve jamais. Ces choses, l’instinct seul les trouverait ; mais il ne les cherchera jamais. » (L’évolution créatrice, Œuvres, PUF 2001, page 623)

 D’où l’importance dont BERGSON nous fait part de savoir allier l’instinct à l’intelligence pour aller plus loin dans l’évolution créatrice.

 

Dans « L’énergie spirituelle » (paru en 1919), il attribue le rêve à un désordre de la pensée, un drame de la conscience dans le temps d’une nuit. Partant de l’âme et du corps, BERGSON navigue parmi les « fantômes de vivants » dans une recherche psychique. Il compare le rêve avec le souvenir du présent et la fausse reconnaissance. Dans cet effort intellectuel, il distingue le cerveau et la pensée et se pose la question d’une possible illusion philosophique :

« Or la relation de l’état cérébral à la représentation pourrait bien être celle de l’écrou à la machine, c’est-à-dire de la partie au tout. » (L’énergie spirituelle, Œuvres, PUF 2001, page 974)

 

Dans « Durée et simultanéité » (parue en 1922), il a exposé les idées d’Einstein sur la relativité ; il a tracé les limites de la connaissance et s’est demandé ce qu’est la vie.

 

En 1932, il publie « Les Deux Sources de la morale et de la religion » ; dans ce livre, il laisse une large place au mysticisme en tant qu’intuition métaphysique. Il se propose de définir l’obligation morale, de montrer l’attrait du fruit défendu dévoilant ainsi que nous devons choisir entre l’interdiction, l’autorité et nos principes moraux, pour maintenir un certain ordre moral. Nous ne choisissons pas en toute liberté car « l’angoisse morale est une perturbation des rapports entre ce moi social et le moi individuel. » (page 10). Dans un deuxième temps, dans ce livre, l’écrivain définit « l’élan vital », celui qui nous pousse à aller de l’avant et qui nous fait faire de grandes choses qui parfois même, nous dépassent. Il passe alors du stade de la religion statique à la religion dynamique. Il termine par des remarques pertinentes sur l’aspect mécanique, nous rappelant son approche du rire, et sur le mystique qui peut en paraître éloigné mais pourtant possède une part d’inexplicable, de pressenti. BERGSON en profite pour nous proposer son idée de l’âme liée à la religion :

« la prière est une élévation de l’âme, qui pourrait se passer de la parole. » (page 212)

L’intelligence et la liberté sont des facteurs qui interviennent dans notre choix d’action mais ils ne sont pas seuls en cause :

« L’homme est le seul animal dont l’action soit mal assurée, qui hésite et tâtonne, qui forme des projets avec l’espoir de réussir et la crainte d’échouer. » (page 215 et 216). Le miracle de la force et de la fragilité de l’homme est bien mis en valeur à travers cette phrase. L’homme peut beaucoup et peu à la fois mais il possède en lui, le germe de la puissance qui peut tendre vers le bien ou le mal.

Dans la troisième partie de ce livre, Henri-Louis BERGSON veut nous parler de « la religion dynamique » :

« La religion est ce qui doit combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l’attachement à la vie. » (page 223)

Pour lui, le judaïsme prend toute sa dimension à travers le christianisme qui est son accomplissement, la seule « religion capable de devenir universelle » (page 254). Lui seul, le christianisme, donne un sens à la religion juive. Pour finir, il élargit sa recherche vers l’univers. L’alternance du bien et du mal est en nous :

« l’humanité aime le drame » (page 316)

mais l’homme veut s’élever, s’en sortir :

« L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. » (page 338)

Malgré tout, Henri-Louis BERGSON nous donne une belle leçon de courage en continuant à espérer en l’homme en ce temps de conflit qu’il a vécu mais il a su faire passer son message d’espérance, de mysticisme malgré la lutte perpétuelle chez l’homme entre le bien et le mal pour faire jaillir les deux sources de la morale et de la religion, titre qu’il a donné à cette œuvre.

 

Dans « La pensée et le mouvant », recueil d’essais et de conférences (1934), BERGSON aborde la croissance de la vérité, l’intuition philosophique, le possible et le réel, agrémentant son exposé de rapport à des écrivains et artistes par rapport auxquels il se situe dont Berkeley, Claude Bernard, William James, Ravaison et Léonard de Vinci... BERGSON croit au pouvoir de l’intuition ainsi nous le prouve entre autres, la conclusion du premier chapitre de ce livre :

« Le Temps est immédiatement donné. (...) il y a jaillissement effectif de nouveauté imprévisible. » (La pensée et le mouvant, Œuvres, PUF 2001, page 1344)

 « Gardons-nous de voir un simple jeu dans une spéculation sur les rapports du possible et du réel. Ce peut être une préparation à bien vivre. » (La pensée et le mouvant, Œuvres, PUF 2001, page 1345)

 Le dernier chapitre de ce livre intitulé « Le testament philosophique » a en effet allure de testament, point final à son œuvre :

« Quoi de plus hardi, quoi de plus nouveau que de venir annoncer aux physiciens que l’inertie s’expliquera par le vivant, aux biologistes que la vie ne se comprendra que par la pensée, aux philosophes que les généralités ne sont pas philosophiques, aux maîtres que le tout doit s’enseigner avant les éléments, aux écoliers qu’il faut commencer par la perfection, à l’homme, plus que jamais livré à l’égoïsme et à la haine, que le mobile naturel de l’homme est la générosité ? » (La pensée et le mouvant, Œuvres, PUF 2001, page 1481)

 

Sa philosophie est empreinte de mysticisme et d’une courageuse prise de position résolument moderne, je veux dire par là qu’il reconnaît l’existence d’une force différente de l’intelligence, force d’intuition qui permet de saisir l’insaisissable, non par l’explication mais par le ressenti. Pour un philosophe qui essaie de tout expliquer, c’est une prise de position rare que d’exprimer cette conviction qui s’oppose à tout ce qu’il explique, comme le rire, la morale, la création... Il essaie ainsi de faire reconnaître au lecteur la part inexplicable de l’humanité. Il sait aussi reconnaître la part de nouveauté dans chaque instant de la vie, évitant par ce biais, la lassitude, restant un perpétuel émerveillé de la vie. Par cette voie, il comprend aussi l’art en tant que forme spiritualisée, par exemple, il résume ainsi sa position :

« Le poète est celui chez qui les sentiments se développent en images, et les images elles-mêmes en paroles, dociles au rythme, pour les traduire. (...) Les arts plastiques obtiennent un effet du même genre par la fixité qu’ils imposent soudain à la vie (...). » (Essai sur les données immédiates de la conscience, Œuvres, PUF 2001, page 14)

 Henri BERGSON, merci, en cette période de guerre, de doute et d’incroyance, de cette vie passionnante et passionnée et de ces écrits qui n’ont pas vieilli. Avec toi, élevons-nous en gardant confiance en la vie et laissons notre cerveau réfléchir par lui-même pour approfondir comme toi, la substantifique moelle de notre pensée !

 

Terminé le 25 avril 2002

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

ARON Émile, Bergson en Touraine, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, tome 2, 1989, CLD, pages 161 à 170

BARTHÉLÉMY-MADAULE Madeleine, BERGSON, Écrivains de toujours, éditions du Seuil, Bourges, 1967

BERGSON Henri-Louis, Le rire, éditions France-Loisirs, Paris, 1990

BERGSON Henri-Louis, Les deux sources de la morale et de la religion, éditions Presses Universitaires de France, Paris, 1951

BERGSON Henri-Louis, Œuvres, éditions Presses Universitaires de France, Paris, 2001

CHAMBOULEYRON LANZMANN Florence, Maisons d’écrivains au cœur de France, Les Éditions Nouvelle République, Tours

LAURENCIN Michel, Dictionnaire biographique de Touraine, CLD, Chambray-lès-Tours, 1990

SOULEZ Philippe et WORMS Frédéric, BERGSON, Grandes biographies, Flammarion, 1997