2èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 11 août 2000, de 17 h 30 à 19 h

 Francis VIELÉ-GRIFFIN

(1863 - 1937)

poète de la Loire

Portrait de Francis VIELÉ-GRIFFIN, dessiné par Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Sa biographie :

Francis VIELÉ-GRIFFIN est né à Norfolk, en Virginie, le 26 mai 1863, pendant la guerre de Sécession. Son père, Monsieur VIELÉ, momentanément général dans les armées du Nord, était de son métier, architecte paysagiste et descendait d'une famille protestante lyonnaise qui avait émigré au XVIIème siècle. Sa mère descendait d'une famille catholique écossaise, qui avait fui à la même époque, pour échapper aux persécutions de Cromwell. Ses parents se séparèrent quand il avait neuf ans. Il suivit sa mère et y ajouta son nom "GRIFFIN". De tradition francophile dans la famille, Madame GRIFFIN et son fils s'installèrent à Paris. Il alla au collège Stanislas puis très vite, il se consacra à la poésie. À vingt-trois ans, il publie une petite plaquette "Cueille d'avril" puis fonde une revue "Entretiens politiques et littéraires" en association avec Henri de RÉGNIER et Bernard de LAZARE. Il rencontre Stéphane MALLARMÉ, devient son ami, va dans les salons, les cabarets littéraires.

En 1885, il se marie avec une femme douce et blonde qui lui donnera quatre filles. À vingt-cinq ans, il quitte Paris pour la Touraine. Il a le coup de foudre pour cette région et loue le château de Nazelles, près d'Amboise. Il chante alors la Touraine, dans des poèmes emplis de fraîcheur.

De la terrasse de son modeste château, il domine les vallées conjointes de la Cisse et de la Loire. Ici, il restera égal à lui-même, grand bourgeois américain et intellectuel européen, toujours curieux des événements du monde. Ses amis parisiens lui rendront visite : Henri de RÉGNIER, Gérard d'HOUVILLE, la fille de José Maria de HEREDIA, Paul ADAM, André GIDE, le peintre WHISTLER, Émile VERHAEREN, Alphonse et Léon DAUDET,…

Chaque quinzaine, il adresse un poème au journal "L'Écho de Paris". En 1897, il réunit ses écrits sous le titre "La Clarté de Vie", précédés de cette dédicace : "Au printemps de la Touraine, son hôte ébloui et reconnaissant".

Son bail échu neuf ans plus tard, il doit repartir et compose alors "La Partenza", élégie de vingt-trois poèmes, son chef d'œuvre à la gloire de la Touraine, dont voici un extrait :

"Le rêve de la vallée,
Toute d'or et d'ombre au loin,
M'a pris et bercé et roulé
Dans un parfum de vigne et de foin ;

(…)

Ô douce vallée, tu rêves ;
Ton rêve est l’éternité,
Que me prends-tu mon heure brève
Et ma force et ma volonté ? "

(…)

 

Il part, voyage en Italie, en Grèce,… mais rien n'est comme avant. Il compose des pièces de théâtre. En 1901, il trouve une résidence aux confins de la Touraine, du Berry et du Poitou, le château de La Roche-à-Giré puis il emménage au château de Puygirault, sur les bords de l'Anglin. Insatisfait, en 1914, il achète le château de la Thomasserie, qui est un rendez-vous de chasse de style Louis XV. Ce dernier est situé sur la commune de Vallières-les-Grandes, à neuf kilomètres d'Amboise. Il y vivra douze ans mais il a alors pratiquement terminé son œuvre littéraire. Ce court poème constitue peut-être son dernier adieu à la Touraine :

"La ronde ailée des heures
Tourne dans la prairie.
Pas une qui demeure
Qu'elle pleure, qu'elle rie.
Elles fuient entraînées
Vers le couchant de gloire…
Quel soir (de quelle année ?)
Se mire au flot de Loire ?
Qui voudrait ressaisir,
Fantômes clairs et chantants,
La rose du Désir
Qu'on jette au flot du temps ?"

 

Toute la nostalgie du temps perdu ressort dans ce poème, en même temps que son attachement à la Touraine à l'approche de la mort.

D'une manière incompréhensible, il vend son château en 1922 pour s'installer dans un petit hôtel particulier Renaissance à Amboise, rue de la Concorde. Il y restera pendant deux ans et à nouveau, il part, cette fois-ci, à Paris, avenue de Breteuil.

Connu et respecté, Francis VIELÉ-GRIFFIN l'est de son temps ; ainsi il est élu membre de l'Académie royale de Belgique. À la mort de sa fille, il va habiter une petite maison à Bergerac où il meurt le 12 novembre 1937, à l'âge de 74 ans.

Portrait de Francis VIELÉ-GRIFFIN, par Michel SIMONIDY, 1910

Portrait de Francis VIELÉ-GRIFFIN,
par Michel SIMONIDY, 1910
(tableau exposé au musée des Beaux-arts de TOURS).

Son œuvre :

Après avoir résumé sa vie, regardons son œuvre. Son inspiration est principalement symboliste : il a voulu s'opposer à la caractéristique d'une partie de la poésie de la fin du XIXème, aux atmosphères confinées, recherchant le morbide, l'étrange ou l'anormal, comme par exemple "Les Chants" de MALDOROR ou "À rebours" de Joris-Karl HUYMANS ou encore "Les Serres chaudes" de Maurice MAETERLINCK dont nous allons vous lire un poème typique de l'idéal de cette époque ; il s'agit de "Reflets" :

"Sous l'eau du songe qui s'élève,
Mon âme a peur, mon âme a peur !
Et la lune luit dans mon cœur,
Plongé dans les sources du rêve.
Sous l'ennui morne des roseaux,
Seuls les reflets profonds des choses,
Des lys, des palmes et des roses,
Pleurent encore au fond des eaux.
Les fleurs s'effeuillent une à une
Sur le reflet du firmament,
Pour descendre éternellement
Dans l'eau du songe et dans la lune."

 

André RUYTERS déclare en 1896, au sujet de Francis VIELÉ-GRIFFIN qui est en opposition au style de son époque :

"Vielé-Griffin, lui, c'est toute joie claire et matin fleuri ! Il est le panthéiste ardent et candide. Celui qui rit d'être sous le ciel si bleu ! Celui qui se réjouit en toute gaieté simple des petites choses qu'il foule aux pieds et qu'il aime (…). L'œuvre de Vielé-Griffin est l'œuvre de vie."

La poésie de VIELÉ-GRIFFIN est d’une clarté limpide ; le poète veut ouvrir des fenêtres, respirer. Sa poésie est faite de couleurs, de lumière et d'eau comme par exemple lorsqu'il chante la Loire :

"La lente Loire passe altière et, d'île en île,
Noue et dénoue, au loin, son bleu ruban moiré ;
La plaine, mollement, la suit, de ville en ville,
Le long des gais coteaux de vigne et de forêt ;
Elle mire, orgueilleuse, aux orfrois de sa traîne
Le pacifique arroi de mille peupliers,
Et sourit doucement à tout ce beau domaine
De treilles, de moissons, de fleurs et d'espaliers.
Ce jardin fut le nôtre ; un peu de temps encor,
Ta douce main tendue en cueillera les roses ;
J'ai regardé fleurir dans sa lumière d'or
La fine majesté des plus naïves choses :

 

Les reines ont passé : voici la royauté
Des Lys, que leur blason au parterre eût ravie,
Et voici, fraîche encor d'éternelle beauté,
La frêle fleur éclose à L'Arbre de la Vie."

 

Ou encore :

"Un rayon de soleil courait sur les blés lourds ;
Un papillon flottait sur l'azur des lents jours
Que la brise éventait ; (…)"

 

Pour mieux comprendre sa poésie, laissons parler ses amis écrivains.

André GIDE, fidèle compagnon de VIELÉ-GRIFFIN, trace le portrait suivant :

"Il avait un visage tout rond, tout ouvert, un front qui semblait se prolonger jusqu'à la nuque ; mais il ramenait une grosse mèche de cheveux plats, d'une tempe à l'autre, pour abriter une précoce calvitie ; car malgré sa liberté d'allures, il était soucieux du décorum. Très coloré, un regard couleur de myosotis… On le sentait très fort sous le boudinement de ses petites jaquettes ; ses pantalons paraissaient toujours étroits et ses bras se terminaient trop tôt par des mains moins longues que larges. (…)"

Francis JAMMES écrit :

"Griffin, étendu sous les chênes de Nazelles, entonne un hymne qui a l'odeur de l'écorce fraîche, et lâche dans les jambes des hypogriffes, des chimères, des dragons, des guivres, des griffons et des licornes, son superbe troupeau de porcs. Leconte de Lisle, qui n'admettait que les pécaris, trouva les cochons de Griffin mauvais."

Cette fraîcheur de la vie est omniprésente dans son œuvre comme par exemple dans le poème "Vous si claire" :

"Vous si claire et si blonde et si femme,
Vous tout le rêve des nuits printanières,
Vous gracieuse comme une flamme
Et svelte et frêle de corps et d'âme,
Gaie et légère comme les bannières ;
Et ton rire envolé comme une gamme,
En écho, par les clairières - (…)"

 

Ou encore dans "La Légende ailée de Wieland le Forgeron" :

"(…)
Tu es venu vers moi, clair reflet ;
Je regardais la mer !…
Tu as surgi de l'eau, rayon clair ;
Tu as jailli de l'horizon ;
Tu es née sur le seuil de ma vaine prison,
Fleur de lumière !
(…)"

 

VIELÉ-GRIFFIN participa aux "Entretiens politiques et littéraires", association d'engagement qui prouve qu'il savait ne pas rester dans les hautes sphères du rêve poétique ; enfin, il fut surtout le grand poète du vers libre. En est-il le père ? D'autres s'accordent aussi cette paternité : Arthur RIMBAUD déjà, avec "Illuminations" et "Marine" puis Jules LAFORGUE avec ses "Derniers vers", d'autres encore comme Gustave KAHN, Marie KRYSINSKA, Henri de RÉGNIER… Mais il est le seul à avoir su donner au vers sa fluidité, d'autant plus qu'il a chanté l'eau. André BRETON dira d'ailleurs :

"Son vers est le plus ensoleillé de l'époque, le plus fluide."

Et André BRETON lui publiera dans la revue "La Phalange", un hommage en vers :

"Rais de soleil ou paille blanche ?
La main ne glane - on ne saurait -
Dans sa chevelure à regret
L'or au gré soudain de la branche
Sans que fuse plus clair son rire
Pâle ou cendré comme l'or blond
Par le cher feuillage selon
L'accompagnement de ta lyre
Et l'âme, aux battements d'une aile
Captive - on croirait - d'un col fin,
Vers l'épaule, sous la tonnelle,
Si la caresse ondule afin
De charme, ô pur Vielé-Griffin,
Pressent la Colombe éternelle !"

 

Cet hommage ne paraît pas excessif quand on lit certains passages de Francis VIELÉ-GRIFFIN :

"Avec un peu de soleil et du sable blond
J'ai fait de l'or,
Dont le secret ardent n'est pas blotti
Au vain creuset des athanors* :
Il tombait de mes doigts, avec le son
Que font
Les flûtes gaies ;
Il coulait de mes doigts
Dans l'eau moirée
Des jeux venteux de messidor. (…)"

(Extrait de  Fleurs du chemin et chansons de la route")

(* athanor : alambic des alchimistes)

 

Si Francis VIELÉ-GRIFFIN écrit souvent en vers libre, c'est par choix ; il veut jeter les difficultés arithmétiques de la poésie classique, la fausseté des rimes changeant un mot par un autre, seulement pour la rime et le caractère désuet des rimes masculines et féminines. Il veut être un poète de son temps, résolument moderne. Ce n'est pas par recherche de la facilité mais dans le souci d'une vérité profonde. Voici comment il conçoit la poésie :

"Consciemment libre cette fois, le poète obéira au rythme personnel auquel il se doit d'être. (…) L'Art ne s'apprend pas seulement, il se recrée sans cesse ; il ne vit pas que de tradition, mais d'évolution."

Francis VIELÉ-GRIFFIN veut être résolument moderne, au cœur d'une poésie non pas sclérosée mais tournée vers l'avenir, cherchant à se renouveler. Cependant son vers n'est pas audacieux comme celui d’Émile VERHAEREN par exemple, il est nostalgique, subtil :

"Le rêve de la vallée
Toute d'or et d'ombre au loin,
M'a pris et bercé et roulé
Dans un parfum de vigne et de foin ;

(…)

Ô douce vallée, tu rêves ;
Ton rêve est l'éternité ;
Que me prends-tu mon heure brève
Et ma force et ma volonté ?"

(…)

 

"Je regarde, feuille à feuille,
S'éparpiller dans le soir
Le manteau d'or et d'orgueil
De ces grands arbres noirs ;

(…)"

(Extrait de "La Partenza")

 

En 1923, Francis VIELÉ-GRIFFIN reviendra à la prosodie traditionnelle, en hommage à la muse de RONSARD. D'ailleurs les roses sont souvent présentes dans ses poèmes comme par exemple :

"Les roses penchées
Aux grès roux des balustres
Pleurent au flot virant leurs pétales de sang,
- Les rives en sont tout enjonchées -
Les folioles enguirlandent en passant
Tes corolles lacustres,
Blanc nénuphar éblouissant.
Je t'ai couronnée, ô douce âme pâle,
De mortelles fleurs sur tes yeux effeuillées ;
Mais nul deuil de cœur ne les aura souillées,
Nos amours où tu n'eus de rivale,
Nos amours que nul n'aura raillées.
(…)"

(Extrait de "Joies")

 

Louis ARAGON écrivit une lettre à Francis VIELÉ-GRIFFIN sur "La destinée de l'Homme" publiée en 1924 (n°13 - nouvelle série de la revue Littérature) et lui confie :

"Je vous tiens pour un poète véritable que rien n'a détourné de sa voie, ni l'ambition, ni la sottise…"

Je pense que Louis ARAGON a été séduit par la spontanéité et la rêverie de cette poésie comme par exemple dans cet extrait final de "L'étape" du recueil "Les cygnes" :

"Assieds-toi là, ma sœur, et pleure :
Pleurer est beau par-dessus toutes choses ;
Il n'est qu'une heure, elle demeure,
Éternelle aux métamorphoses :
L'heure de pitié sainte et d'amour surhumain
Qui pleure, jusqu'à sourire… enfin."

 

Paul ÉLUARD, lui aussi, appréciera les poèmes de cet auteur et inclura trois poèmes de "La Partenza", dans son anthologie "Le meilleur choix de poèmes". Voici le septième poème de "La Partenza" :

"Je suis riche de soirs et d'aurores,
De chants, de parfums, de clarté ;
Quel fruit cueillerais-je encore
Au verger de ta beauté ?
Je suis ivre d'étés et d'automnes,
De fleurs, de fruits et de vins ;
Tu m'as fait de toi-même aumône :
Qu'aurais-je imploré demain ?
Mon rêve est réalisé
(L'avais-je rêvé si beau ?)
Et pourtant mon cœur est brisé,
Et je songe qu'on rêve au tombeau."

 

Le recueil de Francis VIELÉ-GRIFFIN, "La Partenza" est considéré comme son meilleur, chef d'œuvre d'effusion et de mesure. Voici le neuvième, intense d'émotion contenue à l'approche de son départ de la Touraine :

"C'est peu que ces dix années
Au cours de ta vie en fleur :
Les siècles te sont donnés ;
Nous n'avons que des heures.
C'est peu ; et c'est toute la fleur,
Pourtant, de ma vie éphémère ;
La fleur est fanée et j'ai peur,
Car le fruit de la vie est amer.
Tes roses refleurissent aux portes
Quand Mai s'en revient et rit ;
La fleur de ma vie est morte ;
Et quel est le fruit de ma vie ?"

 

Fraîcheur, spontanéité et intensité sont les caractéristiques de ces écrits, bouffée d'air dans la littérature de son temps. Francis VIELÉ-GRIFFIN est aussi un peintre de la nature vu la quantité de couleurs qui éclairent ses textes comme dans son recueil "Cueille d'avril" :

"Les verts et l'indigo brûlant et l'azur pâle
Que roule dans ce faste impertinent ton flot,
Et les étoiles d'or et la lune d'opale
Que tu balances dans la nuit comme un falot,

 

Tu les as pris aux ciels merveilleux des aurores,
Aux rêves des minuits, aux gloires des couchants
Pour en farder l'éclat de tes houles sonores,
Et tu cherches l'écho des roches pour leurs chants !

(…)

Ta chevelure, éparpillée,
Énonde et coule en l'herbe verte
Comme un ruisseau clair sablé d'or ;
Et, sur ta gorge mi-couverte,
Un vague rayon danse ou dort ;
Distraitement, lèvre entr'ouverte,
Tu ris au ciel par la feuillée…

(…)"

 

L'eau est symbole de lumière ou de temps qui passe. Elle occupe dans sa poésie, une place de premier ordre ce qui explique son attirance pour la Loire :

"Là-bas, où la Loire se vêt
d'un manteau d'osiers et de sables,
par la plaine des peupliers
que baigne une brume de fable,
où l'air verdoie et poudroie
du rêve des choses réelles,
nous avons cueilli, à brassée, la joie,
de les savoir si belles !"

 

Francis VIELÉ-GRIFFIN se sent proche de RONSARD ce qui peut expliquer qu'il a aussi créé des poèmes d'amour très personnels puisque l'eau se mêle à l'amour :

"Ton cœur larmoie,
Ce soir de Mai,
Comme un enfant ;
Ton cœur larmoie,
Et se défend
D'avoir aimé
Comme un enfant…
Ton cœur regrette,
En ce doux soir,
Comme un remords ;
Ton cœur regrette
Ses rêves morts
Et cet espoir,
Comme un remords…
Ton cœur hésite
Et craint d'aimer
Comme d'abord ;
Ton cœur hésite…
Et c'est au bord
De cette mer,
Comme d'abord…"

 

Avec l'amour, il y a trace de sensualité et celle-ci est bien visible à travers :

"Ta chevelure, éparpillée,
Énonde et coule en l’herbe verte
Comme un ruisseau clair sablé d'or ;
(…)"

Cette chevelure est aussi comparable à une "sève, renaissance du printemps". Cette sensualité est chant d'amour à une femme :

"Il n'est pas un brin d'herbe qui frissonne,
Il n'est pas un petit caillou qui roule,
Pas une chanson au verger d'automne,
Pas un baiser au sentier de printemps,
Pas une goutte du vrai sang des Occidents,
Pas un mot sacré vibrant aux Poèmes,
Dont je ne pleure ou rie, qu'en Elle je n'aime."

(Extrait de "La chevauchée d'Yeldis")

 

Femme et chevelure se mêlent dans un lyrisme de légende comme dans cet extrait de "Wieland le forgeron" :

"Wieland, à l'abri d'une branche,
Appuyé, étonné, ébloui,
L'aima plus que sa vie,
Entrevue si blanche à travers ses cheveux,
Brume d'or, sur ses hanches, voile d'or,
Qu'il s'éblouit à la voir
Et qu'il ferma les yeux pour la revoir encore."

 

Poète de la Loire, de l'eau en général, Francis VIELÉ-GRIFFIN ne pouvait pas être indifférent à la nature. Il aime la décrire au fil des saisons, comme par exemple dans "L'automne" :

"Lâche comme le froid et la pluie,
Brutal et sourd comme le vent,
Louche et faux comme le ciel bas,
L'automne rôde par ici,
Son bâton heurte aux contrevents ;
Ouvre la porte, car il est là.
(…)"

 

Ou dans "Pluie d'été" :

"(…)
Alerte, la brise : voici le vent !
Une feuille court à l'avant,
Comme un lévrier détalé ;
Mais la poussière la rejoint,
- Toute la route en est voilée -
Elle tourne et monte dans le chant
Des hauts peupliers déferlant
Comme une mer sur des galets ;
(…)"

 

Le printemps, saison des amours à la manière de RONSARD, est ainsi représenté dans un extrait de "La clarté de vie" puis de "Cueille d'avril" :

"… Que ferons-nous demain de ces roses coupées ?
J'ai hâte du feu clair et de ta voix qui lit…"
 

"Le souffle printanier de ta lèvre mutine,
Paraissait onduler à l'entour de ton corps :
Pour moi, couleurs et sons se confondaient, alors,
En l'ivresse d'aimer une femme enfantine…"

 

L'hiver, lui, est synonyme de tristesse comme dans un extrait de "Clarté de vie" :

"Clos mieux les lourds rideaux, plutôt :
Le vent vacarme ;
La pluie d'hiver pleure aux carreaux :
J'entends ses larmes ;
Toute l'ombre sanglote, intruse et veule ;
N'est-il une demeure où l'on soit seuls ?…"

 

Francis VIELÉ-GRIFFIN part aussi dans une quête mystique et le titre de ses recueils le suggère déjà, en particulier "La Clarté de vie" :

"(…)
Laisse, ne prends qu'un viatique,
Et, de tout cet amour qui double chaque pas,
Ne prends que le désir, et va ;
Dépêche-toi :
Le rêve appelle et passe,
Passe - et n'appelle qu'une fois."

 

Ce qui est étonnant chez ce poète, c'est que le mysticisme se mêle au rêve, dans la fluidité de l'écrit. La mort, mi-rêve, mi-réelle, ne lui fait pas peur :

"Où, tous nos soirs ? où, nos baisers, nos désirs d'Elle ?
- Ah ! vraiment, tout est vain, la mort est belle !…"

(Extrait de "Les cygnes")

 

"Crois : Vie et Mort, que t'importe,
En l'éblouissement d'amour ?
Prie en ton âme forte :
Que t'importe nuit et jour ?
(…)"

(Extrait de "Fleurs du chemin et chansons de la route")

 

Un peu plus loin dans ce même recueil, le poète part en quête de l'éternité :

"Avec les heures de la vie hâtive et claire
J'ai fait l'éternité spirituelle :
J'ai pris un peu de sel entre mes mains
Et l'ai semé sur l'amertume de la mer
Selon le sort
Des choses frêles qu'on rêve éternelles -
J'ai pris le sel
De toutes nos larmes douces-amères
Et je l'ai jeté à la face de la mort."

 

Francis VIELÉ-GRIFFIN va encore plus loin dans cette recherche, jusqu'au martyr ; il narre le martyr de Sainte Agnès en sa pureté virginale et la vie de Sainte Jeanne d'Arc dans un élan qui rappelle Paul CLAUDEL :

"(…)
La Loire éploie au vent son bleu manteau de reine
- Du haut de cette tour je regarde en aval -
Vergers d'avril, pourpris… renaissante Touraine !
Ne doit-il refleurir, ton grand lys virginal ?"

(Extrait de "L'amour sacré")

 

Dans cette approche mystique, le poète nous appelle à nous souvenir de lui, au-delà de la feuille morte, fragilité de l'être :

"Nous serons comme les feuilles
Dans le vent, là-bas, sur la mer ;
Que feront-ils de l'orgueil
D'avoir connu notre chair ?
Nous serons comme les Cygnes, encore !
Dans le vent, là-bas, vers le Sud ;
Que feront-ils de nos baisers morts
Aux heures de leur solitude ?
Nous serons des nuées ou des flocons d'écume
Tout là-bas, où le ciel et la mer vont s'unir ;
Que feront-ils de cette amertume
Qu'ils appellent souvenir ?"

(Extrait de "La légende ailée de Wieland le Forgeron")

 

 

Pendant la lecture de la rencontre sur Francis VIELÉ-GRIFFIN, le 11 août 2000

Ce poème servira de conclusion à cet exposé d'un poète méconnu mais d'un talent que j'espère vous avez pu partager avec nous, "l’un des maîtres de la poésie symboliste" nous dit Jules ROMAINS. Puisse son cri du cœur et de l'âme, ne pas rester inutile et sans réponse car la poésie de Francis VIELÉ-GRIFFIN mérite de durer au-delà de son enveloppe terrestre !

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

BIBLIOGRAPHIE :

GIRARD Marcel, VIELÉ-GRIFFIN, poète de la Loire, Mémoires de l'Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Touraine, Tome I, 1988

ROMAINS Jules, Amitiés et rencontres, Éditions Flammarion, 1970

VIELÉ-GRIFFIN Francis, Poèmes, Éditions Mercure de France, 1983