2èmes RENCONTRES LITTÉRAIRES
DANS LE JARDIN DES PRÉBENDES

Vendredi 25 août 2000, de 17 h 30 à 19 h

 Paul-Louis COURIER

(1772 - 1825),

le pamphlétaire de VÉRETZ

Portrait de Paul-Louis COURIER, dessiné par Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

Paul-Louis COURIER est né à Paris, rue du Mail, le 4 janvier 1772 ; il est l’enfant naturel de Louise-Élisabeth LA BORDE. Il vécut cinq ans au château de Méré, à Artannes-sur-Indre puis près de Cinq-Mars-la-Pile, dans la maison de la Véronique, au lieu-dit du Ponceau.

En 1777, son père, Jean-Paul COURIER, d’origine champenoise, est un bourgeois à l’esprit fin, cultivé au point de traduire en vers l’Énéide. Il se marie avec sa mère pour régulariser la situation de sa femme et de son fils qu’il légitimise. Il possédait en Touraine des terres seigneuriales qu’il savait mettre en valeur dans le but de les vendre ensuite. On retrouve déjà là, la manière d’agir de Paul-Louis COURIER. Avec l’argent gagné, il acheta la propriété de "La Filonnière", sur la commune de Luynes, près de Cinq-Mars-la-Pile, en Indre-et-Loire.

À six ans, Paul-Louis COURIER lit déjà les classiques : BOILEAU, RACINE, LA FONTAINE, PASCAL. Il passe les quinze années de son enfance, dans cette propriété "La Véronique" qui est une closerie (ou closeau, petit clos possédant une maison d’habitation) et il se plaît à courir dans la campagne avec des enfants de son âge. Il est d’un caractère rêveur devant la Loire. Il aime profondément déjà la Touraine.

En 1816, il dira d’ailleurs :

Je suis tourangeau, j’habite Luynes. "

Son père est constamment en procès car il défend point par point sa cause. Son fils héritera de ce trait de caractère. Paul-Louis COURIER est doué en latin et en grec. En 1793, (année de la Terreur), il sort de l’école militaire de Châlons. La Révolution française éclate. À la fin de 1794, sa famille s’installe à Paris. Il revient en Touraine pendant les vacances. À dix-sept ans, il est "vigoureux, les lèvres fortes, le regard vif, il a le goût des exercices du corps autant que des jeux de l’esprit".

Son père le destine à une carrière militaire. Il rentre à l’école d’artillerie où il est nommé lieutenant puis capitaine mais il est indiscipliné, grognon, grincheux, médisant de son métier et il est considéré par ceux qui le côtoient comme ayant mauvais caractère. Il est déjà taciturne et paysan par goût. Il fait des tentatives de désertion, se lasse de son travail et préfère passer son temps dans les bibliothèques, par exemple à Rome où il s’enferme des journées entières dans la bibliothèque du Vatican. Il écrit des œuvres imitées de l’antique, comme "Éloge d’Hélène" :

"Elle fut la seule de son sexe, parmi tant d'enfants de Jupiter,
dont ce Dieu daigna se déclarer le père. (…)
Elle ne faisait encore que sortir de l'enfance,
Quand Thésée, l'ayant vu dans un chœur de jeunes filles,
Fut frappé de sa beauté. (…) Il résolut de l'enlever."

 

Paul-Louis COURIER commence à devenir virulent dans ses écrits. À la bibliothèque de Florence, il trouve un passage inédit des "Amours de Daphnis et Chloé", passage des Pastorales de Longus et il fait une énorme tache d’encre à cet endroit, par maladresse, dit-il mais cette tache a eu lieu une fois le passage recopié ; on le suspecte donc de vouloir être le seul à conserver ce passage qu’il a découvert, ce qui est probable. Une plainte est déposée contre lui. Il use alors de son talent de pamphlétaire de mauvaise foi mais si talentueux par son don de raillerie, qu’on lui pardonne. C’est son premier pamphlet dont voici un extrait :

"Le bruit de cette tache d'encre a donc été jusqu'à Paris ? (…) Une vingtaine de mots effacés dans autant de phrases !" (Lettres de France et d'Italie)

En 1809, il arrête sa carrière militaire. À partir de 1810, il se consacre à ses œuvres littéraires antiques. Il fait aussi l'éloge d'écrivains proches de lui, comme BUFFON :

"À quelque degré de perfection que la poésie puisse atteindre, ses chants ont besoin d'être renouvelés. (…) En un mot, on doit s'attendre à voir peu à peu s'obscurcir et tomber enfin dans l'oubli, toute composition dont le mérite ou l'intelligence tiennent à des choses que le temps altère ou détruit. (…) Buffon rappelle à ses lecteurs, les objets qui leur sont connus, comme s'ils s'offraient à la vue, et les familiarise même avec ceux dont toute notion leur est étrangère. Tout ce dont il parle est présent. (…) C'est par l'harmonie de son éloquence, c'est par la douceur infuse dans ses expressions que Buffon charme les sens."

À quarante-deux ans, ce célibataire endurci, helléniste passionné, épouse Herminie CLAVIER, fille cadette de son ami helléniste, Étienne CLAVIER, membre éminent de l’Institut et professeur au Collège Royal, actuel Collège de France. Elle a dix-neuf ans. Ils forment un couple étonnant puisqu’elle est jeune et belle et que lui, a le visage tatoué par la petite vérole, des lèvres grosses et avancées, une large bouche qui baille "comme un coffre", un teint brun et bilieux, la mine négligée et sale, mais il sait parler et son entrain, son esprit faisaient oublier sa laideur. C’est certainement ce qui captiva Herminie au début.

Pendant ses fiançailles, le mariage décidé, il disparaît brutalement du toit conjugal sans explication et part courir la France. Lorsqu’il revient de sa longue absence, le couple est déjà fragilisé.

En décembre 1815, il achète dans le but de s’ancrer dans la Touraine de son enfance, une forêt de rapport à Larçay et il tient à ses bois comme à sa vie ainsi qu'en témoigne un de ses nombreux différends, celui-ci avec un anglais :

"Un anglais est venu chasser dans mes bois. La chose a fait grand bruit. On ne parle que de cela depuis le Chêne-Fendu jusqu'à Saint-Avertin. (…) Les uns disent que j'ai bien fait d'entendre à un arrangement, que la paix vaut mieux que la guerre, que l'Angleterre est à ménager, (…), qu'il y va du repos de toute la commune."

Ou encore :

"Le 12 décembre dernier, on coupa et enleva, dans ma forêt de Larcai, quatre gros chênes baliveaux de quatre-vingt ans. Mon garde fit sa plainte légale et requit le maire de Véretz de permettre, suivant la loi, la recherche des bois volés. On savait où ils étaient. Le maire s'y refusa. (…) Quelque temps après, les mêmes gens coupèrent, dans la même forêt, dix-neuf chênes, les plus gros et les plus beaux de tous. Procès-verbal fut fait, plainte portée au maire et au procureur du roi, qui menaça de sa surveillance, non les voleurs, mais le garde et moi. (…) Les lois devraient me protéger. Mais la dose presse et je crains que mes bois ne soient bientôt brûlés." (1824)

 

Trois ans après, en 1818, il achète sur les hauts de Véretz, le domaine de "La Chavonnière", d’aspect austère. Il est éloigné du bourg d’une demi-lieue (deux kilomètres). On y monte par une route très sinueuse, passant par le "Verger" et les "Desrés". Là, il écrit de virulents pamphlets contre le gouvernement, qu’il publie lors de ses voyages à Paris. Il aime alors se nommer "vigneron de la Chavonnière" pour bien montrer son appartenance à la campagne tourangelle. De ce point culminant où il habite, la vue s’étend au loin, à l’est vers la forêt d’Amboise, au nord vers les coteaux de Montlouis, à l’ouest vers la forêt de Larçay.

Il se fait l’avocat des mécontents et des aigris. Malgré cette impression de force qui se dégage de ses écrits, sa santé est pourtant fragile : des crachats de sang, certainement dus à une tuberculose pulmonaire gênaient sa vie quotidienne. Il oublie ses soucis de santé en écrivant et il sait s'émouvoir du malheur des autres même s'il n'est pas très aimé. Voici sa conversation chez la comtesse d'Albany ; il s'agit de "Consolations à une mère" :

"Vous regrettez votre fille ; est-ce pour elle-même ou pour vous ?(…) Tous ceux qui meurent le même jour, enfants ou vieillards, leur sort est égal ; ils ne sont pas à plaindre, ni plus heureux les uns que les autres, dès qu'ils ne sont plus. (…) Vous serez réunies toutes les deux."

Il écrit un pamphlet pour soutenir les paysans arrêtés à Luynes pendant la Terreur Blanche. C’est la fameuse "Pétition aux deux Chambres", écrit émouvant. Dans un passage de cette pétition, il s'en prend même à l'Académie française qui ne l'a pas élu. Il y fait aussi l’éloge de la justice, pour soutenir les petits même devant les autorités toutes puissantes. Il n’hésite pas à les égratigner ce qui ne peut lui attirer que des ennuis mais il veut crier à l’injustice :

"Messieurs, je suis Tourangeau, j'habite Luynes, sur la rive droite de la Loire, lieu autre fois considérable, que la révocation de l'édit de Nantes a réduit à mille habitants, et que l'on va réduire à rien par de nouvelles persécutions, si votre prudence n'y met ordre. (…) Justice, équité, providence ! Vains mots dont on vous abuse ! (…) Ce fut le jour de la mi-carême, le 25 mars, à une heure du matin ; tout dormait ; quarante gendarmes entrent dans la ville ; là, de l'auberge où ils étaient descendus d'abord, (…) ils se répandent dans les maisons. (…) L'épouvante est bientôt partout. Chacun fuit ou se cache ; quelques-uns, surpris au lit, sont arrachés des bras de leurs femmes ou de leurs enfants ; (…)Tous ces pauvres gens arrêtés (…) furent conduits à Tours. (…) On leur apprit qu'ils étaient bonapartistes. (…) On les renvoya ailleurs, avec grande raison. (…) transférés à Orléans. (…), de prison en prison, (…), on les emmène on emprisonne tous ceux qui pouvaient paraître coupables. (…) Or, dans cette province, de tout temps si heureuse, si pacifique, si calme, il n'y a point de canton plus paisible que Luynes. (…) La Touraine est, de toutes les provinces du royaume, la plus paisible depuis 25 ans. (…) La terreur à présent y règne. (…) Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtez-vous, Messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. (…) Il faut que votre sagesse et la bonté du roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu."

 

Quelle verve dans ce pamphlet ! Quel art de présenter les choses et de défendre les petits contre la puissance des grands ! En lisant ce pamphlet, on comprend que cet écrivain n'ait pas que des amis. Il sait si bien, sans en avoir l'air, égratigner les grands et ne se gêne pas de le faire malgré les risques encourus.

Dès l’été 1818, il quitte Paris pour venir sur ses terres. Le logis est modeste, inconfortable et Herminie, femme de la ville, s’y ennuie. Déjà, son célèbre mari se préoccupait uniquement de ses propriétés et de ses succès littéraires et la délaissait. Triste, taciturne, il préférait coucher sous les toits, dans une étroite mansarde qui était sa chambre de travail ; il l’avait tapissée de papier à fleurs, bleu. Il aimait y traduire d’anciens textes grecs et y écrire ses pamphlets dont en 1819, 1820, "Les Lettres au Censeur" qui sont une satire de la noblesse :

"On est quelque chose en raison du mal qu'on peut faire. Un laboureur n'est rien ; un homme qui cultive, qui bâtit, qui travaille utilement, n'est rien. Un gendarme est quelque chose ; un préfet est beaucoup. Bonaparte était tout." (…)

"Tout bien considéré, le parti le plus sûr, c'est de respecter fort les procureurs du roi, leurs substituts et leurs clercs, de les éviter, de fuir toute rencontre avec eux, tout démêlé ; de leur céder non seulement le haut du pavé, mais tout le pavé, s'il se peut. Car enfin, on le sait, ce sont des gens fort sages, qui ne mettent en prison que pour de bonnes raisons, exempts de passions, calmes, imperturbables (…) Mais ce ne sont pas des saints ; ils peuvent se fâcher. Un mot avec paraphe, le commandant est là. Veuillez… et aussitôt gendarmes de courir, prison de s'ouvrir ; quand vous y serez, la Charte ne vous en tirera pas. Vous pourrez rêver à votre aise de la liberté individuelle. Non, respectons les gens du roi, ou les gens de l'empereur, qui happent au nom du roi. C'est le conseil que je prends pour moi, et que je donne à mes amis." (…)

 

Dans une lettre particulière du 18 octobre 1820, il envoie une requête au Conseil de préfecture qui commence ainsi :

"Nos métayers sont des fripons qui vendent la poule au renard ; leurs valets me semblent comme à vous les plus méchants drôles qu'on ait vus depuis bien du temps. Ils ont mis le feu aux granges, et, maintenant, pour l'éteindre, ils appellent les voleurs. (…)"

Décidément, Paul-Louis COURIER avait des démêlés avec les paysans comme avec la noblesse, comme s'il avait l'art d'attirer les ennuis de même que celui de les résoudre par ses pamphlets.

Voici un autre pamphlet, celui adressé "Aux âmes dévotes de la paroisse de Véretz", cette fois-ci dirigé contre le clergé :

"On recommande à vos prières le nommé Paul-Louis, vigneron de la Chavonnière, bien connu dans cette paroisse. Le pauvre homme est en grande peine, ayant eu le malheur d'irriter contre lui tout ce qui s'appelle en France courtisans, serviteurs, flatteurs, adulateurs, complaisants, flagorneurs et autres gens vivant de bassesses et d'intrigues, lesquels sont en nombre, dit-on, de quatre ou cinq cent mille, tous enrégimentés sous diverses enseignes et déterminés à lui faire un mauvais parti ; car ils l'accusent d'avoir dit, en taillant sa vigne : Qu'eux, gens de cour, sont à nous autres, gens de travail et d'industrie, cause de tous nos maux ; Qu'ils nous dépouillent, nous dévorent au nom du roi, qui n'en peut mais ; (…) Que tous les impôts, qu'on lève sur nous en tant de façons, vont dans leur poche et non pas dans celle du roi ; (…) Et pour conclusion, que les princes, nés princes, sont les seuls bons, aimables, avec qui on puisse vivre. (…) Voilà, mes chers amis, en quelle extrémité se trouve réduit le bonhomme Paul, que nous avons vu faire tant et de si bons fagots dans son bois de Larçai, tant de beau sainfoin dans son champ de la Chavonnière, sage s'il n'eût fait autre chose ! On l'ait maintes fois averti que sa langue lui attirerait quelque méchante affaire ; mais il n'en a tenu compte, Dieu sans doute le voulant châtier, afin d'instruire ses pareils, qui ne peuvent s'empêcher de crier quand on les écorche. (…) Prions Dieu pour lui, mes amis, et que son exemple nous apprenne à ne jamais dire ce que nous pensons des gens qui vivent à nos dépens."

 

Comment ne pas rester insensible à la verve satirique et comique de ses traits d'humour et de ses piques lancées à ses adversaires avec tant de talent ! Paul-Louis COURIER passait beaucoup de temps à rédiger ses écrits et laissait sa femme s'occuper du domaine pendant ce temps. Elle dormait dans la chambre du rez-de-chaussée mais elle l’aidait malgré tout à gérer son exploitation, surtout quand il retournait à Paris.

Pendant la lecture de la rencontre sur Paul-Louis COURIER, le 25 août 2000

Parfois il devait payer des amendes pour ses écrits et cela lui coûtait cher. En 1821, par exemple, il est absent deux mois car il purge une peine de prison à Sainte-Pélagie, pour une brochure contre le régime de Louis XVIII mais il en ressort avec une gloire et un prestige encore accentués. Dans un discours qu'il fit aux gens de la commune de Véretz, en 1821, à l'occasion d'une souscription pour l'acquisition de Chambord, il s'insurge énergiquement contre ce projet et égratigne au passage la cour :

"Si nous avions de l'argent à n'en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres soulagés, notre église d'abord (car Dieu passe avant tout) pavée, recouverte et vitrée, s'il nous restait quelque somme à pouvoir dépenser hors de cette commune, je crois, mes amis, qu'il faudrait contribuer, avec nos voisins, à refaire le pont de Saint-Avertin, (…). Mais acheter Chambord pour le duc de Bordeaux, je n'en suis pas d'avis, et ne le voudrais pas quand nous aurions de quoi (…) Que si l'acquisition de Chambord ne vaut rien pour celui à qui on le donne, je vous laisse à penser pour nous qui le payons. J'y vois plus d'un mal, dont le moindre n'est pas le voisinage de la cour. La cour, à six lieues de nous, ne me plaît point. Rendons aux grands ce qui leur est dû ; mais tenons-nous-en loin le plus que nous pourrons, (…) parce qu'ils peuvent nous faire du mal, et ne nous sauraient faire du bien. (…)"

Un tel discours ne pouvait laisser indifférents les nobles et Paul-Louis COURIER était presque sûr de s'attirer des ennuis, ce qui ne tarda pas.

Il était devenu un pamphlétaire redouté et un écrivain de talent à la plume acérée, cependant il était détesté de beaucoup pour son caractère avare, exigeant, mécontent, chicaneur à l’extrême. On l’avait surnommé en Touraine "Le rogneur de portions", par exemple, il ne tolérait pas que des gens viennent ramasser des feuilles dans sa forêt de Larçay, pour la litière et le fumier, comme c’était la coutume, de même qu’il chassait ceux qui ramassait du bois mort sur ses terres. Pourtant il se sentait paysan dans l’âme mais sa pingrerie l’empêchait d’être accepté même par les petits qu’il défendait dans ses écrits. On l’appelait "le vieux hibou" et sa femme, "la mal mariée".

Il aimait pourtant sa femme à sa manière puisqu’il lui écrit de prison :

"L’homme qui fait de jolies chansons (Béranger), disait l’autre jour : "À la place de Monsieur COURIER, je ne donnerais pas ces deux mois de prison pour sept mille francs". Ne me plains donc pas trop, chère femme, si ce n’est d’être séparé de toi."

Un de ces pamphlets les plus connus s’intitule "Pétition pour des villageois qu’on empêche de danser" ; il l’a écrit suite à l’intervention du jeune curé d’Azay-sur-Cher qui avait obtenu du préfet, l’interdiction de danser sur la place publique :

"(…) Je demande qu'il soit permis, comme par le passé, aux habitants d'Azai de danser le dimanche sur la place de leur commune, et que toutes défenses faites, à cet égard, par le préfet, soient annulées. (…) Les gendarmes se sont multipliés en France, bien plus encore que les violons, quoique moins nécessaires pour la danse. Nous nous en passerions aux fêtes du village et à vrai dire ce n'est pas nous qui les demandons (…) Nous y dansions comme avaient fait nos pères et nos mères, sans que jamais aucun scandale, aucune plainte ne fût avenue, de mémoire d'homme, et ne pensions guère, sages comme nous sommes, ne causant aucun trouble, devoir être troublés dans l'exercice de ce droit antique, légitime, acquis et consacré par un si long usage, fondé sur les premières lois de la raison et du bon sens ; car apparemment, c'est chez soi qu'on a le droit de danser ; et où le public sera-t-il chez lui, sinon sur la place publique ? (…) Le saint roi David dansa devant l'arche du Seigneur, et le Seigneur le trouva bon ; (…) Ce que Dieu aime de ses saints, de nous l'offense ; l'église d'Azai sera profanée du même acte qui sanctifia l'arche et le temple de Jérusalem ! (…) Partant, vous déciderez, messieurs, s'il ne serait pas convenable de nous rétablir dans le droit de danser, comme auparavant, sur la place d'Azai, les dimanches et les fêtes (…)"
(Véretz, le 15 juillet 1822)

 

Cette fois-ci, il n’est pas condamné car il écrit avec une sagesse adéquate, dans le "Pamphlet des pamphlets" où il invoque pour sa justification, non seulement le Pascal des Provinciales, mais aussi Cicéron, Démosthène, même saint Paul et saint Basile. Cependant on le surveille et sa gloire littéraire qui lui tient tant à cœur, lui coûte de plus en plus cher.

"Madame COURIER était aussi bonne que Monsieur était dur". À sa femme qui lui reproche son caractère, il dit :

"Dieu m’a créé bourru, bourru je dois vivre et mourir et tous les efforts que je ferai pour paraître aimable ne seraient que des contorsions qui me rendraient plus maussade. Je suis vieux maintenant je ne puis changer."

Paroles certes fort honnêtes mais susceptibles de décourager n’importe quelle femme même la mieux intentionnée.

Pourtant, en 1820, elle a la joie d’avoir un fils Paul mais elle est vite lassée de cette vie où elle croule sous les soucis domestiques et conjugaux. Alors, en 1823, elle prend un amant, le nouveau charretier de la Chavonnière, Pierre DUBOIS. C’est un robuste gaillard au visage intelligent. Il avait le même âge qu’elle, vingt-huit ans et était marié, père de famille non loin d’Esvres. C’est une passion folle qu’elle cachait à peine mais son mari n’en savait encore rien et était satisfait du travail de son nouveau charretier.

À partir de 1824, son frère, Symphorien DUBOIS vient aussi travailler au domaine et Herminie lui accorde aussi ses faveurs et partage son lit entre les deux frères. Lorsque Paul-Louis COURIER découvre sa liaison avec Pierre DUBOIS, il est furieux et le congédie. Il devient exécrable alors elle s’enfuit. Il la force à revenir. En 1824, elle a un gros fils, Esther-Louis, dont la paternité est plus que douteuse. Son mari fait alors surveiller sa femme par son garde-forestier, Louis FRÉMONT, alcoolique, obtus, rancunier mais celui-ci est complice et tous trament un guet-apens, avec Pierre et Symphorien DUBOIS, d’autant plus que Paul-Louis COURIER devient menaçant et n’hésite pas à brandir un fusil lorsqu’il retrouve Pierre DUBOIS dans les bras de sa femme.

Le 6 janvier 1825, Herminie part loger chez sa mère à Paris. Lui aussi, quelques jours plus tard, quitte Véretz. Il y revient le 17 février pour régler des problèmes de gestion de sa propriété. Son souhait est d’élever seul ses enfants, de vendre La Chavonnière puis de partir en Belgique. On peut penser que sa femme, elle aussi, souhaitait la garde de ses fils.

Il revient donc seul à La Chavonnière, le 17 février 1825, pour mettre de l’ordre dans ses affaires, en vendant ses propriétés. Le 10 avril 1825, c’est l’assemblée de printemps à Saint-Avertin. Louis FRÉMONT était parti tôt dans la forêt de Larçay ; il était tout excité. Au retour, il parle avec Paul-Louis COURIER qui lui fixe un rendez-vous pour l’après-midi, dans la forêt au lieu-dit, à La Fosse-à-Lalande. Le même jour, Louis FRÉMONT rencontre Symphorien DUBOIS qui, plus tard, rencontre son frère. Après le déjeuner avec Paul-Louis COURIER, Louis FRÉMONT part, le fusil à l’épaule comme d’habitude. Quatre heures plus tard, Paul-Louis COURIER sort sans dire où il allait.

Dans l’après-midi, une détonation est entendue du côté de la forêt de Larçay. À 21 heures, Louis FRÉMONT revient et dit ne pas avoir vu son maître puis il mange. Les deux frères DUBOIS diront avoir passé l’après-midi ensemble avec leur père.

À 23 heures, des hommes partent à la recherche de Paul-Louis COURIER. Le lendemain, le garde FRÉMONT part lui aussi, à la recherche de son maître ; à 9 h 30, près de La Fosse-à-Lalandes, il traînasse. L’un des hommes partis à la recherche de Paul-Louis COURIER, MOREAU aperçoit le corps dans une mare de sang. Paul-Louis COURIER a été tué d’un coup de fusil à bout portant, au bas des reins. Il a donc été assassiné en forêt de Larçay, à l’âge de cinquante-trois ans. Il est transporté à La Chavonnière.

Le mardi 12 avril, tout Paris le sait. Pour les libéraux, il est victime du régime ou des jésuites. Pierre, Symphorien DUBOIS et leur père sont écroués car ils ont passé l’après-midi ensemble.

Herminie arrive le 20 avril et accuse le garde Louis FRÉMONT qui est arrêté ; il avait en effet rendez-vous à 17 h 30 dans la forêt de Larçay avec Paul-Louis COURIER. Comment l’a-t-elle su ? … Il nie tout d’abord, s’embrouille puis avoue qu’il était en forêt de Larçay mais ayant trop bu, s’est endormi. Il passe en justice en 1825, mais il est acquitté car il y a trop de doutes et l’acharnement de Madame COURIER paraît suspect.

Le 30 décembre 1825, Joseph BARIER, journalier de La Chavonnière a assisté à la dernière rencontre entre Symphorien DUBOIS, appelé plus familièrement Phorien, et FRÉMONT qui meurt brutalement après des vomissements. A-t-il été empoisonné par Symphorien DUBOIS ? Étrange coïncidence, ils avaient dîné ensemble, la veille au soir.

Le 19 août 1827, Phorien DUBOIS meurt d’une mauvaise chute de cheval et Madame COURIER vient veiller le mourant et veut que personne ne l’approche … Ses paroles sont décousues … A-t-elle peur d’une révélation gênante ? Elle écoute attentivement ses dernières paroles … puis elle lui passe un anneau au doigt, à ses derniers moments.

En 1828, elle vend La Chavonnière, quitte la Touraine et fait élever une stèle à la mémoire de son mari, sur le lieu du crime, c’est-à-dire dans la forêt de Larçay, où celle-ci est toujours visible, au lieu-dit du Chêne Pendu, dans l’actuelle allée des Baguenaudières. Ce monument est un cube de maçonnerie de 1 m 80 sur 2 m, portant une plaque de marbre blanc, sur laquelle elle fit graver : "À la mémoire de Paul-Louis COURIER assassiné en cet endroit le 10 avril 1825. Sa dépouille mortelle repose à Véretz, mais ici sa dernière pensée a rejoint l’éternité".

Plus tard, une jeune fille, Sylvine GRIVAULT, confie à retardement, avoir assisté au crime, cachée dans les fourrés en compagnie d’un jeune homme, Honoré VEILLANT ce qui explique qu’elle n’ait pas parlé avant : il y avait Pierre DUBOIS, F. ARNAULT, Louis FRÉMONT, Phorien DUBOIS, Paul-Louis COURIER. Elle avait entendu une dispute. Symphorien DUBOIS avait fait tomber son maître et FRÉMONT avait tiré puis tous étaient partis. FRÉMONT dira que c’était Madame COURIER, l’instigatrice du crime.

En janvier 1830, Madame COURIER est arrêtée, emprisonnée, jugée puis libérée, faute de preuves. Elle bénéficie d’un non-lieu. Louis FRÉMONT a alors reconnu avoir tiré le coup de fusil mais protégé par le premier verdict, il ne pouvait plus être condamné. En juin 1830, il meurt bizarrement et on a suspecté un empoisonnement… Le deuxième…

Il ne restait plus alors qu’Herminie en vie. Que fait-elle ?

Eh bien, elle part se consoler, en voyage, dans les bras d’un médecin suisse, MAUVOIR, qu’elle épousera en 1834. Elle mourra en 1842, en emportant certainement avec elle, le secret de la mort de Paul-Louis COURIER. Ainsi Paul-Louis COURIER, victime des paysans qu’il défendit et encensa, victime des juges qu’il haïssait, victime du jury dont il dénonçait la servilité et la sottise, n’a pas été vengé.

Paul-Louis COURIER est inhumé au cimetière de Véretz où sa tombe de pierre existe toujours car Madame COURIER avait acheté une concession perpétuelle : sur une plaque de marbre blanc est gravé :

"Paul-Louis COURIER, 4 janvier 1772 - 10 avril 1825"

Cette tombe, bien que vieillie par le temps, est entretenue par quelques admirateurs. De même, en 1917, à l’initiative de l’instituteur de Véretz, Monsieur MARCHADIER, une plaque commémorative en marbre blanc, fut posée en 1918, sur la maison de la Chavonnière. Sur cette plaque, est marquée :

"À Paul-Louis COURIER, à l’occasion du centenaire de son établissement à La Chavonnière en 1818."

C’est en cette maison que l’illustre "VIGNERON" écrivit ses immortels PAMPHLETS.

Plaque apposée sous la présidence d’Honneur de Monsieur Anatole FRANCE de l’Académie Française le 8 septembre 1918."

Dans un magistral discours, Anatole FRANCE souligna qu’une mort tragique frappa Paul-Louis COURIER, "au moment où il atteignait la perfection de l’art. (…)"

De même une plaque commémorative a été apposée à Paris, rue de l’Estrapade, sur la maison où il a vécu cinq ans.

De son temps et plus tard encore, Paul-Louis COURIER ne laissa jamais les écrivains indifférents. Ainsi STENDHAL dit de lui :

"Il est peut-être l’écrivain vivant qui connaît le mieux sa langue, toutes ses finesses et toutes ses délicatesses."

Sainte BEUVE, quant à lui, le trouve :

"délicat et quinteux, misanthrope et pourtant heureux, jouissant des beautés de la nature, adorant les anciens, méprisant les hommes, ne croyant surtout pas aux grands hommes, faisant son choix de très peu d’amis."

Anatole FRANCE, lors de la commémoration du centenaire de son établissement à La Chavonnière dira dans un discours élogieux, qu’il était :

"Le meilleur écrivain de son temps, le plus sûr, le plus sobre, le plus exact à la fois et le plus charmant et, pour tout dire, le moins romantique."

Eugène BIZEAU, poète tourangeau vivant à Véretz et mort récemment dans sa 105ème année, a chanté dans ses vers, cet écrivain :

"SALUT, VIEUX PAMPHLÉTAIRE…

Salut, vieux pamphlétaire à la plume indomptée !
Vigneron dont le vin réconforte l’esprit…
Salut COURIER ! salut à la libre pensée
Qui répand sa lumière en tes meilleurs écrits !
Pour tes pamphlets, piquants, comme des coups d’épée,
On t’a couvert, jadis, de fange et de mépris ;
Et l’on t’a fait rejoindre, en leur tour désolée,
Ceux qu’on jette en prison pour étouffer leurs cris…
Mais le soleil des temps nouveaux, qui nous éclaire,
Fera germer le grain du bon sens populaire
Qui fustige avec toi les horreurs du passé ;
Fiers de ton idéal, qu’un noble amour féconde,
Libres et fraternels aux quatre coins du monde,
Les peuples dans la paix pourront un jour danser…
Comme "les villageois de Véretz et d’Azay" !

 

Ces réflexions sur Paul-Louis COURIER permettent de voir la diversité d’interprétation du caractère et de l’œuvre de cet écrivain.

Paul-Louis COURIER, "vigneron de la Chavonnière", était un maître intolérant, rebutant, avare. Pourtant c’était un maître reconnu en littérature de son vivant déjà, par exemple par STENDHAL et SAINTE-BEUVE, et encore au XXème siècle puisque ses œuvres complètes sont sorties aux éditions de La Pléiade.

Restera-t-il connu après sa mort ? Oui car la Société des amis de Paul-Louis COURIER dont le siège est à Véretz, est toujours active et continue de faire connaître sa vie et son œuvre. Oui aussi car cet helléniste distingué était un pamphlétaire qui avait l’art de créer à partir des mesquineries humaines, des pamphlets satiriques acerbes qui suffisent à le classer parmi les grands écrivains. Puisse cette rencontre vous avoir permis de mieux connaître cet être exceptionnel par son talent littéraire consacré à la défense de la justice par la force de sa plume !

 

 

Catherine RÉAULT-CROSNIER

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

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La Nouvelle République du Centre-Ouest du 29 mars 2000, article sur Saint-Avertin : "Paul-Louis COURIER : un homme peu ordinaire."