"Mur de poésie de Tours" 2006

Poètes de Touraine

 

OH! GRAND-MÈRE

 

Elle tricote, en silence,
Près de la fenêtre,
Ses cheveux blancs
Soigneusement relevés
D’un peigne d’ambre.
Ses lunettes glissent
Sur le bout de son nez,
Ses joues fripées
Parsemées de tâches de sons
Gardent les sillons d’un lointain passé.
Ses yeux clairs jettent
Autour d’elle un timide regard
Tous les cinq ou six rangs.
Elle appartient au décor,
Au mobilier, que tu as voulu ancien.
Et pourtant, tu lui portes
Moins d’intérêts qu’à ton vieux bahut,
Tes porcelaines ébréchées ou
Ton lustre d’antan.
Tu passes, repasses devant elle,
Sans même lui adresser la parole,
Si ce n’est au moment des repas.
Pour lui crier, la croyant plus sourde
Qu’elle n’est « - À table »,
Avec moins de précaution
Et d’amour qu’à l’appel
Que tu fais à ton chien.
Alors, elle se lève, range son ouvrage,
Et, sans bruit, d’un pas mal assuré,
Sa glisse à la table familiale.
Un mot gentil, une caresse,
Un peu de tendresse, la mettraient en appétit ;
Mais c’est en vain qu’elle doit l’espérer !
Elle retournera dans son coin,
Son repas avalé, souvent le cœur serré,
Pour attendre quoi ?
Chaque jour que vienne la nuit
Où elle recevra « le bonsoir » de politesse
Que l’on donne à l’étranger
Avec plus de bonté.
Pourtant, si tu voulais bien,
Peut-être pourrais-tu,
Rien qu’une fois t’arrêter,
Lui prendre la main,
Dans ses yeux attristés
Trouver quelques explications
À tout ce qui pour toi
N’est encore que le balbutiement de la vie.
Elle pourrait, j’en suis sûre,
Des heures durant, répondre
À mille questions, te mettre en garde
Contre les dangers, les rudesses
D’une vie qui ne l’a pas épargnée.
Avec fervente passion, elle te conterait
Aussi le temps de ses amours,
Car, tu as peine à l’imaginer
Mais, elle aussi, avec ardeur,
Voilà bien des années,
A su conjuguer le verbe « aimer ».
Tant de choses reposent au fond de son cœur,
Le gonflant de mélancolie et aussi de bonheur.
Elle ne demande qu’à partager,
Te faire profiter d’une expérience sans pareille
Et de quelques conseils
Songe que pour toi aussi,
Aujourd’hui jeune et dynamique,
Surgira l’automne de la vie,
Et au fond d’un grand fauteuil,
Les cheveux grisonnants,
C’est peut-être toi
Qui tendras la main
Ou lèveras les yeux vers un peu de tendresse
Ou de compassion.
Alors prends le temps, car tout ne durera,
Que ce que dure l’automne,
Et, avant qu’il ne soit trop tard,
Et que survienne l’instant des regrets,
Le vent d’un hiver glacial,
Arrête-toi prés de la fenêtre
Alors que luit encore
Au fond de son cœur
Une lueur d’espoir.

 

Jocelyne LATAPIE

7, allée des Sittelles
37190 AZAY-le-RIDEAU

 

Artiste peintre, présidente de la « Palette Ridelloise », membre des « Poètes de la Vallée du Lys ».