À LA MORPHINE
Sonnet (1)
Prends, s’il le faut, docteur, les ailes de Mercure
Pour m’apporter plus tôt ton baume précieux !
Le moment est venu de faire la piqûre
Qui, de ce lit d’enfer, m’enlève vers les cieux.
Merci, docteur, merci ! qu’importe que la cure
Maintenant se prolonge en des jours ennuyeux !
Le divin baume est là, si divin qu’Épicure
Aurait dû l’inventer pour l’usage des Dieux !
Je le sens qui (2) circule, qui me
pénètre !
De l’esprit et du corps ineffable bien-être,
C’est le calme absolu dans la sérénité.
Ah ! perce-moi cent fois de ton aiguille fine
Et je te bénirai cent fois, Sainte Morphine,
Dont Esculape eût fait une Divinité.
Extrait de « Poésies inédites » (p. 184)
Jules VERNE
(1828 - 1905)
(1)
Ayant reçu une balle de revolver lorsqu’il fut agressé par son neveu Gaston, le 9 mars 1886, Jules Verne fit appel à plusieurs médecins d’Amiens pour le soigner : Peulevé, Lenoël, Froment, objets des « triolets » n° 5, 6 et 7, se succédèrent à son chevet, car l’état du romancier n’inspira pas d’inquiétude. Mais il fallut faire appel à un chirurgien, venu de Paris, le docteur Verneuil, pour tenter d’extraire la balle profondément enfouie dans le tibia gauche. Une intervention de trois quarts d’heure effectuée sur le patient anesthésié au chloroforme permit aux praticiens de plonger un tube destiné à recueillir le projectile dont ils espéraient qu’il serait chassé par les mouvements de la jambe. L’opération échoua et les complications d’abord exclues par le docteur Verneuil firent leur apparition. Verne dut subir un traitement à base de morphine pour atténuer ses souffrances. Huit mois après cet accident, il marchait encore difficilement et resta toute sa vie handicapé.(2) Corrige « Je le sens ! Il circule ».
Illustré par une peinture à la cire de Catherine RÉAULT-CROSNIER.
Jules VERNE commença des études de droit avant de se consacrer à l’écriture. Son ambition première était d’être poète et il composera des poèmes durant toute sa vie. Sa poésie peut être intimiste, amoureuse, historique, sociale, satirique ou élégiaque ; il aborde tous les genres : ode, sonnet, ballade, épopée, pastiche. Bien sûr, il est surtout connu pour ses romans d’aventure et d’anticipation dont les plus connus sont : « Cinq semaines en ballon », « De la terre à la lune », « Les enfants du capitaine Grant », « Vingt mille lieues sous les mers »... Écrivain visionnaire, il a imaginé le robot, l’automobile, le cinéma, la télévision. Il est l’écrivain français le plus traduit dans le monde.
Une rue de Tours porte son nom.
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