LE PÈRE PRUDENT ET ÉQUITABLE
Scène première
DÉMOCRITE
Je veux être obéi, votre jeune cervelle,
Pour l’utile, aujourd’hui, choisit la bagatelle.
Cléandre ce mignon, à vos yeux est charmant,
Mais il faut l’oublier, je vous le dis tout franc,
Vous rechignez, je crois, petite créature.
Ces morveuses à peine ont-elles pris figure,
Qu’elles sentent déjà ce que c’est que l’amour.
Hé bien donc, vous serez mariée en ce jour !
Il s’offre trois partis, un homme de finance,
Un jeune chevalier, le plus noble de France,
Et Ariste, qui doit arriver aujourd’hui.
Je le souhaiterais, que vous fussiez à lui.
Il a de très grands biens, il est près du village,
Il est vrai que l’on dit qu’il n’est pas de
votre âge,
Mais qu’importe après tout, la jeune de Faubon,
En est-elle moins bien pour avoir un barbon ?
Non, sans aller plus loin, voyez votre cousine,
Avec son vieil époux sans cesse elle badine,
Elle saute, elle rit, elle danse toujours.
Ma fille les voilà, les plus charmants amours.
Nous verrons aujourd’hui, ce que c’est que cet
homme.
Pour les autres, je sais comment on les nomme,
Ils doivent sur le soir, me parler tous les deux,
Ma fille en voilà trois, choisissez l’un d’entre
eux,
Je le veux bien encor, mais oubliez Cléandre,
C’est un colifichet qui voudrait nous surprendre,
Dont les biens embrouillés dans de très grands
procès,
Peut-être ne viendront qu’après votre décès.
(…)
Extrait de « Le père prudent et équitable », Acte I, scène première
MARIVAUX
(1688 - 1763)
Pierre Carlet, dit MARIVAUX a écrit des romans « La Vie de Marianne », « Le Paysan parvenu », des articles de journaux, des comédies « La Double Inconstance », « Le jeu de l’amour et du hasard », « Les Fausses Confidences ». Il se montre critique vis-à-vis de la poésie classique et il excelle dans la parodie et le pastiche. Dans ses comédies, il mêle le rire et l’émotion avec subtilité, d’où le terme de « marivaudage ».
Une allée de Tours porte son nom.
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