L’HOMME AU BANC

 

C’est un homme assis sur un banc. Un homme que rien ne distingue. Aucun passant ne songe à se pencher sur ce visage déjà fripé de mort, docile et sans aveu. Il est là, seul, immobile, aveugle. Échoué dans ce beau jardin brouillé de lumière et de feuillage, il regarde sans fin la vie qu’il a cessé de voir. Long, maigre, tout vêtu de gris, il mâchonne silencieusement son ombre. La chemise est ouverte sur une poitrine malingre, rougie par le soleil et les côtes saillent. Une barbe jaunâtre sillonne son visage sec, troué d’yeux bleus délavés d’où l’on perçoit encore une indicible et fugitive mélancolie. Tout semble fuir ce corps pétri de nuages et de rêves flétris. Il a les mains épaisses, dures au maniement de l’outil et ses ongles sont sales. De grosses veines bleuissent ses tempes et ses joues sont creuses. Le regard de cet humble est tout un naufrage. Soumis aux jours qui passent et s’émerveillent sans une pitié pour lui, il attend, assis sur ce banc public que la mort ou le temps le reprennent dans son silence de toujours.

 

Rouen, 1998

 

Évelyne SPEISER

37000 TOURS

 

Franco-suisse, Évelyne SPEISER est née le 21 novembre 1956 à Sarlat (24). Elle écrit depuis 1976. Elle a publié a partir de 1985 dans diverses revues littéraires à Paris, en province, en Belgique et en Suisse. Ses poètes de prédilection sont Pierre REVERDY, SAINT-JOHN PERSE, HÖLDERLIN, RILKE (dans le texte) et bien d’autres qu’elle aime et découvre avec curiosité.