LA MORT DU LOUP
(…)
III
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,
Que j’ai honte de nous, débiles que nous
sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C’est vous qui le savez, sublimes animaux !
À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on
laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est
faiblesse.
- Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !
Il disait : « Si tu peux, fais que ton
âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord
monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche,
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler.
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans
parler. »
Écrit au château du M***, 1843
Extrait de « Les Destinées »
Alfred de VIGNY
(1797 - 1863)
Né à Loches, en Indre-et-Loire, Alfred de VIGNY fit partie des gardes-rouges sous Louis XVIII. Il abandonna bientôt l’armée pour les Lettres et s’installa à Paris. Académicien français, il est l’auteur de nombreux poèmes comme « La mort du Loup », d’un roman historique « Cinq-Mars », d’une pièce de théâtre « Chatterton » qui connut un grand succès, d’un recueil de poésies « Poèmes antiques et modernes », d’ouvrages à thèse « Stello », « Servitude et grandeur militaires ». Il exprime la solitude à laquelle condamne le génie et exalte la résignation stoïque. En 1845, il est élu à l’Académie française. Son dernier recueil « Destinées » paraîtra un an après sa mort.
Une rue de Tours porte son nom ; c’est l’ancienne rue Anglaise.
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