LA JEUNE LOCRIENNE
« Fuis, ne me livre point. Pars avant son
retour ;
« Lève-toi, pars, adieu ; qu’il n’entre, et que ta vue
« Ne cause un grand malheur ; et je serais perdue !
« Tiens, regarde, adieu, pars : ne vois-tu pas le
jour ? »
Nous aimions sa naïve et riante folie,
Quand soudain, se levant, un sage d’Italie,
Maigre, pâle, pensif, qui n’avait point parlé,
Pieds nus, la barbe noire, un spectateur zélé
Du muet de Samos qu’admire Métaponte,
Dit : « Locriens perdus, n’avez-vous pas de honte ?
Des mœurs saintes jadis furent votre trésor,
Vos vierges, aujourd’hui riches de pourpre et d’or,
Ouvrent leur jeune bouche à des chants adultères.
Hélas ! qu’avez-vous fait des maximes austères
De ce berger sacré que Minerve autrefois
Daignait former en songe à vous donner des lois ? »
Disant ces mots, il sort… Elle était interdite,
Son œil noir s’est mouillé d’une larme subite ;
Nous l’avons consolée, et ses ris ingénus,
Ses chansons, sa gaîté, sont bientôt revenus.
Un jeune Thurien aussi beau qu’elle est belle
(Son nom m’est inconnu) sortit presque avec elle :
Je crois qu’il la suivit et lui fit oublier
Le grave Pythagore et son grave écolier.
Extrait des « Élégies »
André CHÉNIER
(1762 - 1794)
André CHÉNIER écrivit des poèmes inspirés par la Grèce, « La Jeune Tarentine », « La Jeune Captive ». Disciple de ROUSSEAU, il célébra l’Antiquité mythique, symbole de pureté et de vérité, mêlant harmonie et mélodie, par exemple dans « Les Bucoliques ». Poète engagé dans son temps, il écrivit une « Ode au jeu de Paume ». Il fut guillotiné sous la Terreur.
Une rue de Tours porte son nom ; c’est l’ancienne rue de la Lanterne, près de l’enceinte fortifiée du XVII°.
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